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12/12/2019 | FRANCE | N°17/10652

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 12 décembre 2019, 17/10652


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 9



ARRET DU 12 DECEMBRE 2019

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/10652 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B36RF



Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Juillet 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 14/12162





APPELANT



Monsieur [L] [H]

[Adresse 1]

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Représenté par Me J.-Frédéric NAQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0386







INTIMÉE



Société TP ICAP (Europe) venant aux droits de la SAS TULLETT PREBON FRANCE

[Adress...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRET DU 12 DECEMBRE 2019

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/10652 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B36RF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Juillet 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 14/12162

APPELANT

Monsieur [L] [H]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me J.-Frédéric NAQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0386

INTIMÉE

Société TP ICAP (Europe) venant aux droits de la SAS TULLETT PREBON FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Olivier BLUCHE de la SELARL REINHART MARVILLE TORRE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0030

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 09 Octobre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Graziella HAUDUIN, Présidente

Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre

Mme Séverine TECHER, vice-présidente placée

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Anouk ESTAVIANNE

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Graziella HAUDUIN, présidente et par Madame Anouk ESTAVIANNE greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu le jugement en date du 7 juillet 2017 par lequel le conseil de prud'hommes de Paris, statuant en départage dans le litige opposant M. [L] [H] à son ancien employeur, la société Tullett Prebon Europe Limited, a :

- condamné la société Tullett Prebon Europe Limited à payer à M. [L] [H] les sommes suivantes :

60 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 6 000 euros au titre des congés payés y afférents,

150 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rappelé que les condamnations de nature contractuelle et/ou conventionnelle produisent intérêts à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et celles de nature indemnitaire à compter de la présente décision ;

- condamné la société Tullett Prebon Europe Limited à remettre à M. [L] [H] des bulletins de salaire recti'és conformément à la présente décision ;

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;

- dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire est fixée à la somme de 20 000 euros ;

- débouté M. [L] [H] du surplus de ses demandes ;

- condamné la société Tullett Prebon Europe Limited aux entiers dépens de l'instance.

Vu l'appel interjeté le 26 juillet 2017 par M. [L] [H] de cette décision.

Vu les conclusions des parties auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel.

Aux termes de conclusions transmises le 27 août 2019 par voie électronique, M. [H] demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- constaté que M. [H] était bien fondé à solliciter le paiement de son indemnité compensatrice de préavis, ainsi que des congés payés y afférents,

- constaté le défaut manifeste de cause réelle et sérieuse de son licenciement pour insuffisance professionnelle,

In'rmer le jugement sur le surplus, et statuant à nouveau, de :

- constater le bien fondé de la demande de rappel de rémunération variable de M. [H] et en conséquence,

- fixer le salaire moyen mensuel brut à la somme de : (240 000 +137 485) / 12 = 31 457 euros,

- condamner la société Tullett Prebon Europe Limited à verser à M. [H] les sommes suivantes :

* Paiement du bonus contractuel du 31 août 2011 au 31 août 2014 : 505 415 euros bruts et des congés payés y afférents pour un montant de : 50.541,50 euros bruts,

o 2013/14: 137.485 euros bruts,

o 2012/13: 189.866 euros bruts,

o 2011/12: 178.064 euros bruts.

* Paiement du bonus contractuel du 1er septembre 2014 au 30 juin 2015 sur la base des tableaux trimestriels à fournir par Tullett Prebon Europe Limited, et à défaut condamnation de la société à verser à M. [H] la somme de 137 000 euros à titre de dommages-intérêts,

En tout état de cause, pour non-respect par l'employeur de ses obligations contractuelles

Rappel sur l'indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 34 371 euros ((31 4567 euros x 3)-60 000) et les congés payés afférents à hauteur de 3 437,10 euros sur la base du nouveau salaire moyen,

Augmenter le quantum des dommages intérêts accordés au salarié eu égard à l'importance du préjudice subi par le salarié, et condamner la société à payer la somme de 480 000 euros à titre de dommages-intérêts,

Constater que M. [H] a été victime d'un préjudice moral distinct compte tenu de la violence du licenciement intervenu, et en conséquence, condamner la société à payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,

- Dire que l'ensemble des condamnations de nature contractuelles ou conventionnelles

prononcées porteront intérêts à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et celles de nature indemnitaire à compter de leur fixation par le juge,

- Ordonner la remise de bulletins de salaire conformes,

- Condamner la société Tullett Prebon Europe Limited à verser à M. [H] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de conclusions transmises le 25 septembre 2019 par voie électronique, la société TP ICAP (Europe) venant aux droits de la société Tullett Prebon Europe Limited, demande à la cour de la recevoir en son appel incident, à titre principal, de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [H] de ses demandes d'un montant de 505 415 euros bruts et de 50 541,50 euros bruts au titre, respectivement, du bonus pour la période ayant couru du 31 août 2011 au 31 août 2014, et des congés payés afférents ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [H] de sa demande tendant à ce que son salaire mensuel moyen soit fixé à la somme de 31 457 euros ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [H] de sa demande d'un montant de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

infirmer ledit jugement en ce qu'il a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné Tullett Prebon Europe Limited à verser à M. [H] :

60 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 6 000 euros au titre des congés payés afférents, 150 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile :

Et statuant à nouveau, de :

- dire et juger que le licenciement notifié à M. [H] le 5 septembre 2014 repose sur une cause réelle et sérieuse ;

En conséquence, de :

- débouter M. [H] de l'ensemble de ses demandes ;

- rappeler en tant que de besoin que l'infirmation emportera de plein droit la restitution à la société TP ICAP (Europe) SA venant aux droits et obligations de Tullett Prebon (Europe) Limited des sommes versées le 28 juillet 2017 en exécution du jugement du conseil de prud'hommes du 7 juillet 2017 ;

- condamner M. [H] à verser à la société TP ICAP (Europe) SA la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [H] aux entiers dépens.

A titre subsidiaire, en cas de confirmation du jugement quant à l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement

- débouter M. [H] de sa demande de condamnation à lui verser 480 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Vu l'ordonnance de clôture du 1er octobre 2019 et la fixation de l'affaire au fond à l'audience du 9 octobre 2019.

SUR CE, LA COUR

M. [L] [H] a été engagé à compter du 3 septembre 2007 suivant contrat à durée indéterminée daté du 28 juin 2007 en qualité de "director of the financial futures and options desk" par la société Tullett Prebon France aux droits de laquelle vient la société TP ICAP, moyennant un salaire annuel brut de 300 000 euros, une rémunération variable, une prime garantie d'un montant brut de 780 000 euros payés en trois versements (dans les 30 jours de la prise d'effet du contrat, le 31 janvier 2008, puis le 31 janvier 2009), un versement relatif aux nouvelles activités égal à 2,5% de l'ensemble du revenu net généré par le nouveau financial futures and options desk de Londres et enfin des montants additionnels pour le développement de l'activité londonienne durant les 24 premiers mois du contrat de travail (frais de voyage, logement et divertissement). Dans le cadre de la transmission universelle du patrimoine de la société Tullett Prebon France à la société Tullett Prebon Europe Limited et du transfert du contrat de travail de l'intéressé, un avenant au contrat de travail a été régularisé le 29 octobre 2013 avec modification du salaire annuel fixe à 240 000 euros et introduction d'une clause de garantie d'emploi de 18 mois à compter de la signature de l'avenant prévoyant en cas de licenciement dans le délai, sauf cas de force majeure ou de faute lourde ou grave du salarié, le versement par la société employeur d'une indemnité égale au montant de la rémunération fixe restant à percevoir jusqu'au terme de la garantie d'emploi.

Il a été licencié pour insuffisance professionnelle par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 5 septembre 2014, motivée comme suit :

"(...) En votre qualité de directeur du Desk "future and options", vous aviez notamment pour fonction de développer le portefeuille de clientèle et le chiffre d'affaires.

Cependant, nous avons été contraints de constater de nombreuses carences traduisant votre insuffisance professionnelle dans l'exercice de vos fonctions :

(1)Le poste que vous occupiez est un poste clé du Desk "futures ans options" et fait de vous l'un des collaborateurs les mieux rémunérés de notre société. Les attentes de Tullett Prebon à votre égard étaient donc importantes. Un implication, un investissement et un engagement sans faille étaient requis et il était légitimement attendu de votre part la réalisation d'un chiffre d'affaires individuel à la hauteur des responsabilités qui vous étaient confiées et la mise en 'uvre d'actions destinées à augmenter le chiffre d'affaires du Desk dont vous aviez la charge.

A l'inverse de ce qui était escompté, nous ne pouvons que constater une baisse substantielle des revenus de courtage générés par votre activité qui ont évolué de la manière suivante :

Année Chiffre d'affaires (euros) Évolution

2012 422 164

2013 344 910 -18,3%

2014 133 981 -68,27%

(1er janvier au 31 juillet) (soit 229 680 estimés sur 12 mois) (-45,60% estimés sur 12 mois);

Le chiffre d'affaires moyen mensuel que vous avez réalisé a inéluctablement suivi la même évolution. Ainsi, alors que votre chiffre d'affaires moyen mensuel était de 35 180 euros en 2012, il a diminué de manière inquiétante à 28 743 euros en 2013 et à 19 140 euros sur les sept premiers mois de l'année 2014, soit une baisse respective de -18,30% et de -45,60% par rapport à 2012;

(2)Vos insuffisances et votre manque d'investissement sont encore plus criants lorsqu'on compare les revenus que vous avez générés aux revenus de courtage globaux du Desk "futures ans options". Vos revenus n'ont représenté qu'une faible part de ceux du Desk : 20% en 2012, 15,47% en 2013 et 9,81% sur les sept premiers mois de l'année 2014 et ont donc chuté de plus de 10 points sur la période, alors même qu'ils sont déjà très faibles.

(3)Vos résultats ne s'expliquent aucunement par la conjoncture économique mais dénotent incontestablement votre désinvestissement dans l'exercice de vos fonctions et responsabilités.

A titre de comparaison, l'un des brokers "future and options" placé sous votre responsabilité (Monsieur [D]) a, au cours de la même période, généré des revenus sans commune mesure avec les vôtres : 869 440 euros en 2012, 1 212 030 euros en 2013 et 1 091 022 euros sur les sept premiers mois de l'année 2014, soit une augmentation respectivement de +39,17% en 2013 et de +25,48% en 2014 par rapport à 2012.Les revenus de courtage générés par ce dernier représentent d'ailleurs, à eux seuls, 41,22% du chiffre d'affaires global du Desk en 2012, 54,30% en 2013 et près de 80% en 2014.

(4)Malgré les moyens mis à votre disposition, vous n'avez pas fourni les efforts nécessaires afin d'atteindre le niveau de performance légitimement attendu d'un directeur du Desk "futures and options". En effet; vous vous êtes contenté du portefeuille de clients initial sans mettre en 'uvre les efforts nécessaires pour développer votre activité et votre chiffre d'affaires.

Vos carences ont eu pour conséquences particulièrement préjudiciables pour notre société :

(5)Les bénéfices générés par le Desk "futurs and options" dont vous aviez la responsabilité ont été négatifs sur l'ensemble de la période : -373 260 euros en 2012, -311 323 euros en 2013, et -224 166 euros sur les sept premiers mois de l'année 2014.

Dés lors, Tullett Prebon Europe est contrainte de tirer les conséquences de vos carences, de votre manque d'implication et des performances en résultant, en vous notifiant votre licenciement pour insuffisance professionnelle.(...)".

Contestant la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail, il a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, qui, statuant par jugement du 7 juillet 2017, dont appel, s'est prononcé comme indiqué précédemment.

Sur le bonus contractuel :

L'article 5.2 du contrat de travail du salarié stipule :

'Dans le cadre des paragraphes 2.2, 5.2 et 5.4, « revenu net '' signifie Revenu Brut (courtage et tous les autres revenus du Desk) duquel sont déduits les remises, différences, coûts de compensation (clearing cost) et provision pour créances douteuses (bad debt).

Le montant de l'enveloppe globale de la rémunération variable pour l 'ensemble du Desk Financial Futures and Options à [Localité 1] sera équivalent à 35% du revenu net de ce Desk à [Localité 1] après déduction de la rémunération globale brute fixe prévue au 5.1, des coûts bruts des avantages en nature (incluant le coût d'un véhicule en leasing) du Desk à [Localité 1], des settlementfees (coûts de règlement), différences, problèmes erreurs, des costs of exchange execution, des coûts de services d'informations tels que Bloomberg, Reuters, Murex, etc, coûts à raison des error/house trades et frais d 'adhésion bourse (exchange membership 'zes) et des dépenses de voyage et de réception au delà la limite de 3% du revenu brut annuel du Desk telle que mentionnée à l'article 8. Il est précisé que le prorata de l'honoraire mensuel fixe payé par le Groupe Tullett Prebon à Barclays pour le Desk pour clearing arrangements ne devrait pas être déduit de l'enveloppe de la prime.

La part de la rémunération variable de cette enveloppe globale revenant au salarié sera attribuée conjointement et selon un commun accord par les deux responsables du Desk, et en cas de contestation ou désaccord, par décision du Managing Director Volatility et sera payée trimestriellement, le mois suivant le trimestre de référence.

Le paiement de la rémunération variable sera soumis aux prélèvements sociaux obligatoires.'

Ces dispositions contractuelles permettent clairement de retenir l'accord des parties sur le mode de calcul du "bonus pool revenant au desk", soit celui consistant à ôter du montant équivalent à 35% du revenu net du desk les salaires de base versés aux différents salariés, les avantages en nature qui leur sont consentis et aussi les frais relatifs aux services d'informations et non, comme le soutient M. [H] dans la présente instance, à déduire les avantages en nature, les coûts du service d'information et les salaires de base au même titre que les règlements et les créances douteuses du revenu brut (courtage) de manière à parvenir au revenu net du desk.

Cependant, il ressort des éléments versés au débat qu'à la suite du courriel adressé le 14 décembre 2007 par M. [T], directeur administratif et financier, à MM. [H] et [C], occupant tous deux les mêmes fonctions de "director of the financial futures and options desk" depuis leur embauche le 28 juin 2007, contenant en pièce jointe le détail du calcul du bonus de leur service s'élevant à 32 600 euros, une discussion s'est ouverte à la demande de MM. [H] et [C] sur cette modalité de calcul et sur l'interprétation de l'article 5.2 du contrat de travail susvisé. Les échanges avec leur supérieur hiérarchique direct, M. [A], révèlent que tout d'abord l'employeur n'a pas entendu modifier ce calcul estimé à bon droit conforme au contrat de travail ainsi qu'il l'a été démontré ci-dessus, soit d'autoriser le passage des coûts Romex (avantages en nature et service d'informations) en raison des chiffres d'affaires atteints très en-deçà de ceux contenus dans la projection remise par M. [C], mais a annoncé tant à M. [C] qu'à MM. [H] et [T], en copie du courriel du 21 décembre 2007, en début d'année 2008 la poursuite de la réflexion sur la revendication formulée par les salariés. Les discussions ont ainsi continué en 2008 comme en témoignent les échanges de courriels entre MM. [A] et [T], ce dernier apparaissant alors comme l'interlocuteur direct de MM. [H] et [C], avec cependant une opposition de M. [A] sur la demande des deux salariés de ne pas opérer la déduction des avantages en nature (véhicules en leasing) de l'enveloppe globale de 35%. Cette opposition de M. [A] a cependant cessé puisqu'il a été finalement avancé une avance sur prime de 63 000 euros correspondant au calcul proposé par la société prenant en compte la revendication des salariés sur les avantages en nature et les coûts de service d'informations. MM. [H] et [C] ont été destinataires par la suite et chaque trimestre de l'enveloppe bonus desk globale selon un calcul joint et M. [H], avec M. [C] en copie, a alors informé M. [T] de la répartition entre eux et M. [V] (broker), de cette enveloppe. Il ressort de l'ensemble de ces éléments que MM. [H] et [C] ont de manière pérenne accepté la proposition de la société employeur qui a eu pour conséquence une augmentation du bonus devant être partagé entre eux, aucun élément ne démontrant qu'ils ont à un quelconque moment durant l'exécution des relations contractuelles revendiqué aussi que les salaires de base soient traités comme les avantages en nature et les coûts de service d'informations. Ainsi, le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'un accord entre les parties sur les modalités de calcul du "bonus pool du desk" et en conséquence rejeté les demandes du salarié de percevoir des sommes supplémentaires à ce titre pour la période du 31 août 2011 au 31 août 2014, de voir fixer son salaire mensuel moyen en fonction d'une part variable de sa rémunération à laquelle il ne peut prétendre et enfin d'obtenir le paiement d'un reliquat d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents.

Ensuite, il convient de constater que la demande en paiement du bonus contractuel du 1er septembre 2014 au 30 juin 2015 sur la base des tableaux trimestriels à fournir par Tullett Prebon Europe Limited ou à défaut de condamnation de la société à lui verser la somme de 137 000 euros à titre de dommages intérêts, est relative à la période concernée par la garantie d'emploi reconnue par l'employeur au terme de l'avenant du 29 octobre 2013. L'indemnité devant être versée à ce titre par la société, au demeurant d'ores et déjà réglée, étant égale au montant de la rémunération fixe restant à percevoir jusqu'au terme de la garantie d'emploi, le salarié ne peut prétendre à percevoir un bonus contractuel au titre de cette période. Il sera en conséquence déboutée de sa demande de production par la société des tableaux trimestriels et de celle subsidiaire de dommages-intérêts.

Sur le licenciement :

Pour constituer une cause légitime de rupture, l'insuffisance professionnelle doit être établie par des éléments objectifs, constatée sur une période suffisamment longue pour ne pas apparaître comme passagère ou purement conjoncturelle, être directement imputable au salarié et non la conséquence d'une conjoncture économique difficile ou du propre comportement de l'employeur, notamment par l'absence de moyens nécessaires à la réalisation des missions.

Le contrat de travail régularisé entre les parties stipule très clairement dans son article 2.1 qu'il est demandé au salarié de générer des revenus proportionnés à son niveau de responsabilité et de rémunération et dans son article 2.2 qu'il devra aussi maintenir après six mois d'exécution du contrat de travail un rapport de rendement de 2,5 entre le courtage des futures et options sur le marché de [Localité 1] et le coût total de son emploi. Ainsi, s'il n'a pas été fixé au salarié l'atteinte d'objectifs chiffrés précis, il n'en demeure pas moins que la société était en droit d'attendre de sa part que son activité personnelle, au-delà de celle des brokers travaillant sous sa subordination, génère pour l'entreprise des revenus proportionnés à sa rémunération dont il convient de rappeler qu'elle était fixée annuellement à 300 000 euros pour sa seule partie fixe. Il y a lieu de constater au demeurant que le salarié n'a pas respecté le rapport de rendement de 2,5, puisque son salaire fixe a été diminué à 240 000 euros par l'avenant au contrat de travail susvisé et ce en application de l'article 5.1 du contrat de travail, sans protestation de sa part. Il est aussi établi par les pièces versées au débat par la société une importante baisse des revenus de courtage générés par l'activité de M. [H] comme au demeurant du chiffre d'affaires moyen mensuel réalisé par lui, alors que dans le même temps celui du desk augmentait, ainsi qu'une chute de plus de 10 points de ses revenus sur les sept premiers mois de l'année 2014 par rapport à ceux du desk (de 20% en 2012 à 9,81% pour les sept premiers mois de l'année 2014). A cet égard, les revenus générés par M. [D], broker du desk et placé sous la subordination directe du salarié, ont sans cesse augmenté. Aussi, même si les attestations de MM. [J], [U], [Q] et [O] établissent qu'ils ont été contactés par M. [H], puis ont rencontré M. [A], son supérieur hiérarchique direct et/ou M. [K], directeur général de la société, pour rejoindre l'équipe de [Localité 1], sans toutefois que ces rencontres débouchent sur une proposition concrète d'emploi, à diverses époques, soit 2007 pour M. [J], en avril 2010 pour M. [U], lors de l'été 2012 pour M. [Q], en 2008 pour M.[O], les différentes déclarations ne permettent pas d'imputer leur absence d'engagement au seul refus de l'employeur.

Il convient en l'état, contrairement aux premiers juges, de tenir pour établie l'insuffisance professionnelle du salarié et de retenir par conséquent l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Le salarié sera, par infirmation du jugement déféré, débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement illégitime.

Sur le préjudice moral :

Il n'est pas justifié par le salarié de l'existence d'un préjudice moral. En effet, la circonstance de la réception le jour de son anniversaire et de son retour de congés de la lettre de convocation à l'entretien préalable n'est pas en elle-même choquante comme il le soutient. La dispense d'activité durant la procédure de licenciement ne revêt pas davantage un caractère vexatoire en raison de la nature des fonctions exercées par l'intéressé. Enfin, le certificat médical de M. [R] daté du 19 avril 2017, spécialisé en médecine physique et de réadaptation et en traumatologie du sport, fait état d'un arrêt du travail à partir du 17 novembre 2014 dans un contexte de fragilité psychologique nécessitant un traitement d'accompagnement de plusieurs mois, sans toutefois être suffisant à établir un lien entre cet état et une faute pouvant être imputée à l'employeur, étant rappelé qu'il a été jugé que le licenciement a été légitimement prononcé.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a écarté cette demande.

Sur les autres dispositions :

Le jugement sera aussi confirmé en ses autres dispositions, sauf à dire que la société sera tenue à remettre au salarié un seul bulletin de salaire conforme à la présente décision, au point de départ des intérêts, aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le salarié appelant, qui succombe en son appel, sera en revanche condamné à supporter la charge des dépens d'appel et à verser à la société TP ICAP une indemnité procédurale de 1 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en ce qu'il a dit le licenciement de M. [L] [H] dépourvu de cause réelle et sérieuse et lui a alloué des dommages-intérêts à ce titre ;

Le confirme pour le surplus ;

Y ajoutant :

Rejette toutes autres demandes ;

Condamne M. [L] [H] aux dépens d'appel et à verser à la société TP ICAP (Europe) venant aux droits de la société Tullett Prebon Europe Limited une indemnité de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 17/10652
Date de la décision : 12/12/2019

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°17/10652 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-12-12;17.10652 ?
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