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11/12/2019 | FRANCE | N°16/08534

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 11 décembre 2019, 16/08534


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 11 Décembre 2019

(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/08534 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZB7M



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Mars 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 14/13960





APPELANTE



Mme [N] [D]

[Adresse 2]

représentée par Me Judith BOUHANA, avo

cat au barreau de PARIS, toque : C0656





INTIMEE



SAS GEVERS & ORES venant aux droits de la société CABINET ORES SA

[Adresse 1]

N° SIRET : 722 027 695

représentée par Me Joël...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 11 Décembre 2019

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/08534 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZB7M

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Mars 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 14/13960

APPELANTE

Mme [N] [D]

[Adresse 2]

représentée par Me Judith BOUHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C0656

INTIMEE

SAS GEVERS & ORES venant aux droits de la société CABINET ORES SA

[Adresse 1]

N° SIRET : 722 027 695

représentée par Me Joëlle HOFFMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0206

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 Octobre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Anne BERARD, Présidente de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Nadège BOSSARD Conseillère, dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Pauline MAHEUX, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Anne BERARD, Présidente de chambre et par Madame Pauline MAHEUX, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

Par promesse d'embauche acceptée en date du 26 décembre 1988, Madame [N] [D] a été engagée selon contrat à durée indéterminée à temps plein, à compter du 1er janvier 1989 en qualité d'ingénieur en propriété industrielle par la société Cabinet Ores SA avec un salaire fixe annuel de 200 000 francs (soit 30 489,80 euros).

La société Cabinet Ores S.A a pour activité le conseil en propriété industrielle. Elle emploie plus de 50 salariés. Elle a pour société mère la société Cabinet B.Ores conseil SARL.

Selon avenant au contrat de travail du 2 janvier 2001, un forfait annuel de 212 jours a été convenu par les parties avec une rémunération mensuelle brute forfaitaire de 64 000,00 francs (soit 9 756,74 euros) versée sur 13 mois.

Au jour de son licenciement, Mme [D] occupait les fonctions d'ingénieur brevet en propriété industrielle, secteur biologie, position cadre avec une rémunération brute annuelle de 177 736,00 euros soit 14 811,33 € bruts mensuels.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 octobre 2013, la société Cabinet Ores S.A a notifié à Mme [D] une proposition de modification de son contrat de travail pour motif économique comprenant une baisse de 15 % de sa rémunération brute fixe annuelle ainsi que la mise en place d'une part variable dans la structure de la rémunération liée à l'atteinte d'objectifs définis chaque année par l'employeur.

Par courrier du 17 novembre 2013, Mme [D] a refusé la modification de son contrat de travail.

A la suite de ce refus, la société Cabinet Ores S.A a présenté à Mme [D] deux propositions de reclassement.

La première en date du 23 décembre 2013 concernait un poste d'Ingénieur CPI Biologie à mi-temps, avec une rémunération annuelle brute de 75 538 euros pour une durée hebdomadaire de travail de 17,5 heures. Mme [D] a refusé cette première proposition de reclassement.

La seconde en date du 8 janvier 2014 concernait un poste d'Ingénieur CPI Biologie expérimenté, avec une rémunération annuelle brute de 88 000 euros pour une durée annuelle de travail de 212 jours. Mme [D] a également refusé cette seconde proposition de reclassement.

Le 12 février 2014, le comité d'entreprise a été consulté sur le projet de licenciement des trois salariés ayant refusé la modification de leur contrat de travail.

Le 13 février 2014, Mme [D] a été convoquée à un entretien préalable en vue de son licenciement, fixé au 27 février 2014.

Le 11 mars 2014, la société Cabinet Ores S.A lui a notifié son licenciement pour motif économique.

Le 14 mars 2014, Mme [D] a signé le contrat de sécurisation professionnelle proposé par son employeur de sorte que le contrat de travail a été rompu le 20 mars 2014.

Le 25 avril 2014, elle a demandé à bénéficier de la priorité de réembauchage.

Un seul emploi lui a été proposé le 14 mai 2014 par la société Cabinet Ores S.A dans le cadre de la priorité de réembauchage auquel Mme [D] n'a pas donné suite.

Le 3 novembre 2014, Mme [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris afin de voir juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le 19 novembre 2015, la société Cabinet Ores a fait l'objet d'une transmission universelle de patrimoine à son associé unique la société Cabinet B. Ores SARL laquelle a elle-même fait l'objet d'une transmission universelle de patrimoine à la société Gevers France qui était devenue son associé unique. La société Gevers France devenue Gevers & Ores vient aux droits de la société Cabinet Ores.

Le 18 mars 2016, le conseil de prud'hommes a débouté Mme [D] de ses demandes ainsi que la société Gevers & Ores de sa demande reconventionnelle.

Mme [D] a interjeté appel le 15 juin 2016.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe, visées par le greffier le 29 octobre 2019 et auxquelles la cour se réfère expressément, Mme [D] demande de :

- juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

- condamner la société Gevers & Ores à lui verser les sommes suivantes :

- Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 355.472,00 euros

- Indemnité compensatrice de préavis : 44 433,99 euros

- Congés payés sur indemnité compensatrice de préavis: 4.443,39 euros

- Dommages-intérêts pour non-respect de la priorité de réembauchage : 88.868,00 euros ;

vu la sommation et itérative sommation de communiquer infructueuses délivrées par elle les 23 juin 2017 et 9 avril 2018,

- faire injonction à la société Gevers & Ores de communiquer les documents suivants :

1. Annexes comptables des années 2012 et 2013 complètes et Bilan compte de résultat et annexe 2014 de la société CABINET ORES S.A ;

2. Imprimés 2059-F « Composition du capital social » et 2059-G « Filiales et participations » de l'année 2014 ;

3. Registre des mouvements des titres et feuilles de présence de l'assemblée générale de la société CABINET ORES S.A des années 2012 et 2013 ;

4. Documentation remise au CE pour la réunion du 29 janvier 2014 ;

5. Procès-verbal du Conseil d'administration du 8 septembre 2014 ;

6. Société « SAS GEVERS & ORES » venant aux droits de la « S.A Cabinet ORES » :

- les comptes annuels arrêtés au 31 mars 2011 ;

- la liasse fiscale établie au titre de l'exercice clos le 31 mars 2011 ;

- le rapport du Commissaire aux comptes, exercice clos le 31 mars 2011 ;

- le rapport de gestion du conseil d'administration à l'assemblée générale ordinaire appelée à statuer sur les comptes de l'exercice clos le 31 mars 2011 ;

- le procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire appelée à statuer sur les comptes de l'exercice clos le 31 mars 2011 ;

- les comptes annuels arrêtés au 31 mars 2013 ;

- la liasse fiscale établie au titre de l'exercice clos le 31 mars 2013 ;

- le rapport du commissaire aux comptes, exercice clos le 31 mars 2013 ;

- le contrat de travail, les avenants et les bulletins de salaire de Monsieur [Y] [J] de 2013 et 2014 ;

- le protocole d'accord de cession de titres au profit de la société GEVERS France portant création de la SAS Gevers & Ores venant aux droits du Cabinet Ores;

7. Société « SARL Cabinet B ORES CONSEIL » :

- les comptes annuels arrêtés au 31 mars 2011 ;

- la liasse fiscale établie au titre de l'exercice clos le 31 mars 2011 ;

- le rapport du Commissaire aux comptes, exercice clos le 31 mars 2011 ;

- les comptes annuels arrêtés au 31 mars 2013 ;

- la liasse fiscale établie au titre de l'exercice clos le 31 mars 2013 ;

- le rapport du Commissaire aux comptes, exercice clos le 31 mars 2013 ;

- le rapport de gestion de la gérance présenté à l'assemblée générale ordinaire appelée à statuer sur les comptes des exercices clos les 31 mars 2011, 31 mars 2012 et 31 mars 2013 ;

- le procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire appelée à statuer sur les comptes de l'exercice clos le 31 mars 2011, le 31 mars 2012 et le 31 mars 2013;

sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, la cour d'appel se déclarant compétente pour liquider l'astreinte ordonnée;

- ordonner à la société Gevers & Ores la remise des documents légaux : certificat de travail, bulletins de salaires, attestation Pôle Emploi rectifiés conformément à l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt, la cour se déclarant compétente pour liquider l'astreinte ordonnée;

- condamner la société Gevers & Ores à payer la somme de 12 384,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- fixer le salaire brut moyen de Mme [D] à la somme de 14 811,33 euros,

- fixer l'intérêt au taux légal sur toutes les sommes allouées par le jugement à intervenir,

- prononcer la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1154 du code civil,

- condamner la société Gevers & Ores aux entiers dépens.

Selon conclusions remises au greffe, visées par le greffier le 29 octobre 2019 et auxquelles la cour se réfère expressément, la société Gevers &Ores demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

en conséquence :

à titre principal :

- juger que le licenciement pour motif économique de Mme [D] est justifié ;

- juger que la société Gevers & Ores a respecté son obligation de reclassement ;

- juger que la société Gevers & Ores a respecté sa priorité de réembauchage ;

- débouter Madame [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions;

à titre subsidiaire :

- constater que Madame [D] n'apporte pas la preuve d'un quelconque préjudice au soutien de ses demandes ;

- débouter Mme [D] de l'ensemble de ses demandes,

en tout état de cause,

- condamner Mme [D] à payer à la société Gevers & Ores la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [D] aux entiers dépens.

MOTIFS :

Sur la demande de communication sous astreinte de documents comptables :

La cour constate que la société intimée a versé aux débats les pièces comptables essentielles à l'appréciation de la cause de sorte qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la communication de pièces complémentaires. La demande de ce chef est rejetée.

Sur le motif économique du licenciement :

Selon l'article L1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.

La lettre de licenciement de Mme [D] expose que le cabinet est, d'une part, mis en concurrence dans la mesure où les clients institutionnels ont mis en place des appels d'offre ce qui a conduit à la perte de plusieurs marchés d'institutionnels, d'autre part connaît une baisse de son chiffre d'affaire en biologie en raison d'une politique des offices de brevet aboutissant à une diminuation du nombre de dépôts, qu'il en résulte à la fois une baisse de chiffre d'affaires et une contraction des marges qui impacte particulièrement la société en ce que 40% de ses conseils en propriété industrielle relève de l'activité biologie et que 36% de sa clientèle relève du secteur institutionnel. La société ajoute qu'au cours de l'exercice 2010-2011 elle a profité d'une situation économique favorable pour procéder à des créations de poste ce qui a augmenté ses charges salariales. La baisse de chiffre d'affaires au cours des deux années suivantes a impacté le résultat d'exploitation. Elle ajoute qu'après avoir réduit les frais de fonctionnement, elle a gelé les salaires, n'a pas remplacé les départs définitifs ni les absences de longue durée et a réduit de 15% la rémunération de sa dirigeante mais que cela n'a pas été suffisant de sorte qu'elle a été contrainte d'envisager une réorganisation avec une proposition à tous les conseillers en propriété intellectuelle d'une réduction de leur rémunération.

Les difficultés économiques s'apprécient au niveau du secteur d'activité du groupe.

La société Cabinet Ores a une activité de conseil en propriété industrielle. Au sein du groupe, elle est la seule société à avoir une activité opérationnelle dans la mesure où la société mère a une activité administrative, financière et de fonctions supports tels que informatique et courrier. Le groupe n'étant composé que de ces deux sociétés, il convient d'examiner les résultats de la société Cabinet Ores afin d'apprécier les difficultés économiques au niveau du secteur d'activité du groupe.

Les documents comptables de la société Cabinet Ores et les documents remis au comité d'entreprise pour consultations révèlent qu'au cours des exercices 2011/2012, 2012/2013 et 2013/2014, non seulement le chiffre d'affaires a diminué passant de 17 221 127 euros à 15 605 2040 euros mais le résultat d'exploitation déficitaire s'est accru de 2012 à 2014 de - 594 747 euros à - 1 285 276 euros ce qui a abouti à des pertes de - 571 954 euros au 31 /03/2012, puis de - 634 986 euros au 31/03/2013 et de -1 337 379 euros au 31/03/2014.

Le versement d'un dividende au cours de l'exercice clos au 31/03/2012, allégué par la salarié, n'est pas démontré. La société établit au contraire par la production du procès-verbal d'assemblée générale du 25 septembre 2013, qu'elle n'a versé aucun dividende au titre de l'exercice 2011/2012 et que les derniers dividendes versés l'ont été au titre de l'exercice 2010/2011 antérieurs de plus de deux années à la réorganisation objet du litige.

S'agissant de la rémunération de prestations d'assistance d'un montant de 773 858 euros à la société mère sur l'exercice 2013, il s'agit non pas de dividendes mais du paiement de prestations d'assistance.

La situation de la société Cabinet B.Ores s'est elle-même dégradée, le résultat de l'exercice clos au 31/03/2014 étant déficitaire de 573 907 euros après avoir été faiblement bénéficiaire à hauteur de 7209 euros lors de l'exercice précédent clos au 31/03/2013. Le moyen selon lequel la société B.Ores aurait été favorisée aux dépens de la société Cabinet Ores n'est donc pas fondé.

Sont caractérisées des difficultés économiques pendant trois exercices successifs lesquelles se sont poursuivies au cours de l'exercice 2013/2014 conclu par une perte de 1 337 379 euros et de 1 770 626 euros au 31/03/2015 rendant les capitaux propres de la société négatifs ce qui a conduit à l'engagement d'une procédure d'alerte en août 2015 par le commissaire aux comptes.

Quant au rapprochement avec la société Gevers France ayant abouti, après transmission universelle du patrimoine de la société à son associé unique la société Cabinet B. Orès Conseil le 19 novembre 2015, à la transmission universelle de patrimoine le même jour de la société Cabinet B. Orès Conseil à la société Gerves France SAS, son associé unique, il est la conséquence des difficultés économiques de la société Cabinet Ores et non sa cause.

Ces difficultés ont rendu nécessaire une réorganisation dans le cadre de laquelle la société a proposé à Mme [D] ainsi qu'à tous les conseillers en propriété industrielle, une réduction de 15% de sa rémunération brute mensuelle et l'adjonction d'une rémunération variable.

Mme [D] soutient que la proposition de modification de son contrat de travail était déloyale au motif que les objectifs de chiffre d'affaires étaient irréalisables à court terme et potestatifs au sens où, selon elle, leur atteinte dépendait du pouvoir de gestion et de direction de l'employeur qui est maître de l'affectation au conseiller du nombre et de la nature des dossiers.

Les projections réalisées par Mme [D] soulignent certes le caractère aléatoire d'une rémunération variable en fonction du chiffre d'affaires réalisé et de l'objectif fixé. Pour autant, la stipulation d'une rémunération variable comme mode de rémunération est admise par le droit positif lequel autorise le salarié à en solliciter le versement au besoin judiciairement s'il estime que la rémunération variable due ne lui a pas été versée à tort. La proposition de modification de la composition de la rémunération n'est dès lors pas déloyale.

La modification du contrat de travail proposée à Mme [D] était justifiée par une cause économique réelle de sorte que le refus par la salariée de cette modification autorisait l'employeur à procéder à son licenciement pour motif économique.

Sur l'obligation de reclassement :

En vertu de l'article L1233-4 du code du travail, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

La société Cabinet Ores a proposé deux postes successifs à Mme [D] à savoir un poste d'Ingénieur CPI Biologie à mi-temps puis après le refus de ce poste par cette dernière, un poste d'ingénieur CPI Biologie expérimenté avec une durée de travail de 212 jours par an et une rémunération fixe annuelle de 88 000 euros.

L'employeur a en revanche omis de proposer à Mme [D] le poste objet de la modification du contrat de travail refusé par elle alors que la société avait l'obligation de proposer à la salariée tous les postes disponibles dont celui-ci.

La société n'a donc pas respecté son obligation de reclassement ce qui rend le licenciement de Mme [D] dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Selon l'article L1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9.

Eu égard à l'ancienneté de 25 ans cumulée par Mme [D], à son âge de 60 ans lors de son licenciement, à son salaire brut mensuel moyen de 14 811 euros, à la perte de droits à la retraite et au caractère temporaire de ses emplois postérieurs, son préjudice sera réparé par une indemnité de 250 000 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis :

Le licenciement pour motif économique étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, le contrat de sécurisation professionnelle devient sans cause et l'employeur est tenu à l'obligation du préavis et des congés payés afférents, sauf à tenir compte des sommes déjà versées à ce titre en vertu dudit contrat.

Le préavis applicable à la rupture du contrat de travail de Mme [D] étant de trois mois, celle-ci est bien fondée à solliciter la condamnation de la société Gevers & Ores à lui payer la somme de 44 433 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 4 443 euros de congés payés y afférents, aucune somme n'ayant déjà été versée à ce titre.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur le remboursement des allocations versées à Pôle emploi :

L'article L 1235-4 du code du travail prévoit que dans les cas prévus aux articles 1235-3 et L 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Le texte précise que ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Sur la base de ces dispositions, et compte tenu du licenciement sans cause réelle et sérieuse de Mme [D], il y a lieu d'ordonner à la société de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées au salarié du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d'indemnités, avec déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail déjà versée.

Il sera ajouté au jugement entrepris de ce chef.

Sur la priorité de réembauche :

Selon l'article L 1233-45 du Code du travail, le salarié licencié pour motif économique bénéficie d'une priorité de réembauche durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de son contrat s'il en fait la demande au cours de ce même délai.

Dans ce cas, l'employeur informe le salarié de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification. En outre, l'employeur informe les représentants du personnel des postes disponibles.

Mme [D] a exercé sa priorité de réembauche par courrier en date du 25 avril 2014. Dans l'année qui a suivi, le poste d'ingénieur conseil brevet biologie senior, de statut cadre, avec une rémunération de 95 000 euros bruts annuels auxquels s'ajoutait une part variable ne pouvant excéder 30% du salaire annuel lui a été proposé par la société Gevers & Ores.

En revanche, la société ne lui a pas proposé le poste d'ingénieur Brevet junior pour lequel elle a recruté un salarié, considérant que ce poste était inférieur au niveau de qualification de Mme [D].

Or, l'emploi compatible ne s'entend pas d'un emploi identique de sorte que l'employeur doit proposer au salarié licencié demandant à bénéficier de la priorité de réembauche, tout emploi pour lequel il dispose de la qualification requise même si ledit emploi est de niveau inférieur. La société Gevers & Ores n'a donc pas respecté son obligation de réembauche.

Mme [D] ayant au moins deux ans d'ancienneté dans une entreprise occupant habituellement au moins 11 salariés, le non-respect de la priorité de réembauche est sanctionné en vertu de l'article L1235-13 du code du travail par l'octroi au salarié d'une indemnité spéciale qui ne peut être inférieure à deux mois de salaire.

Le préjudice subi par Mme [D] de ce chef sera réparé par l'allocation de la somme de 30 000 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

Conformément aux dispositions de l'article 1231-6, les créances salariales sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes soit le 7 janvier 2014 pour celles qui étaient exigibles au moment de sa saisine.

Selon les dispositions de l'article 1231-7 du code civil, les dommages et intérêts alloués sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

En application de l'article 1343-2 du code civil, les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Partie perdante, la société Gevers &Ores est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et au paiement de la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau,

REJETTE la demande de communication de pièces sous astreinte,

DIT que le licenciement de Mme [N] [D] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Gevers &Ores à payer à Mme [N] [D] :

- la somme de 250 000 euros (deux cent cinquante mille euros) à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- la somme de 44 433 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 4 443 euros de congés payés y afférents,

- la somme de 30 000 euros à titre d'indemnité pour manquement à l'obligation de réembauche,

DIT que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 7 janvier 2014 et les créances indemnitaires produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,

ORDONNE la capitalisation des intérêts échus sur une année entière,

ORDONNE à la société Gevers &Ores de remettre à Mme [N] [D] un certificat de travail, un bulletin de paie et une attestation destinée à Pôle emploi conformes au présent arrêt,

DIT n'y avoir lieu de prononcer une astreinte;

y ajoutant,

CONDAMNE la société Gevers & Ores à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Mme [N] [D] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d'indemnités, avec déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail déjà versée,

CONDAMNE la société Gevers & Ores à payer à Mme [N] [D] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Gevers & Ores aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 16/08534
Date de la décision : 11/12/2019

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°16/08534 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-12-11;16.08534 ?
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