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28/11/2019 | FRANCE | N°18/24001

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 9, 28 novembre 2019, 18/24001


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9



ARRÊT DU 28 NOVEMBRE 2019



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/24001 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6W4N



Décision déférée à la Cour : Arrêt du 26 Septembre 2018 - Cour de Cassation de PARIS - RG n° 753 F-D





APPELANT :



Monsieur [F] [Y]

né le [Date naissance 1] 1960 à [Localit

é 1]

Demeurant [Adresse 1]

[Adresse 1]



représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,

représenté par M...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9

ARRÊT DU 28 NOVEMBRE 2019

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/24001 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6W4N

Décision déférée à la Cour : Arrêt du 26 Septembre 2018 - Cour de Cassation de PARIS - RG n° 753 F-D

APPELANT :

Monsieur [F] [Y]

né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 1]

Demeurant [Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,

représenté par Me Me Guillaume ABOU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0074

INTIMÉ :

Monsieur [Q] [J]

Demeurant [Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Valérie GONDARD de la SELARL VALERIE GONDARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0125,

représenté par Me Audrey ZANINI, avocat au barreau de PARIS, toque : P 0125

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Octobre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Michèle PICARD, Présidente de chambre et Madame Aline DELIERE, Conseillère.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Michèle PICARD, Présidente de chambre

Mme Isabelle ROHART-MESSAGER, Conseillère.

Mme Aline DELIERE, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Cyrielle BURBAN

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Michèle PICARD, Présidente de chambre et par Madame Hanane AKARKACH, Greffière présente lors du prononcé.

*****

FAITS ET PROCÉDURE :

M. [Q] [J], actionnaire de la société [W], a cédé le 30 mars 2007 à M. [F] [Y], alors actionnaire majoritaire et président de la société, la totalité de sa participation dans le capital de celle-ci, soit 377 303 actions (1,88%) au prix de 825 135 euros.

L'article 3-2 du protocole d'acquisition dispose : «''Le cédant déclare que ses droits vis-à-vis de la société ont été intégralement satisfaits et renoncer, définitivement et irrévocablement, à faire valoir une réclamation ou à intenter une procédure de quelque nature que ce soit à l'encontre de Monsieur [F] [Y] et/ou de la société au titre de la participation au capital de la société'».

A la suite de la cession, le 16 novembre 2007, à la société Veolia Propreté, de la totalité des parts sociales de la société [W] à un prix supérieur à celui payé à M. [J], celui-ci a assigné M. [Y] devant le tribunal de commerce de Paris, le 25 novembre 2008, sur le fondement du dol et en réparation de son préjudice.

Par jugement du 15 juin 2012 le tribunal de commerce, après avoir retenu que le consentement de M. [J] a été vicié, que le protocole d'acquisition est entaché de nullité et que la clause de renonciation à recours ne peut être valablement invoquée, a condamné M. [Y] à payer à M. [J] les sommes de 2 182 165 euros en compensation de la nullité de la cession et de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, avec exécution provisoire.

M. [Y] a fait appel le 1er août 2012.

Par arrêt du 17 septembre 2013 la cour d'appel de Paris a retenu la réticence dolosive, dit que la clause de renonciation à recours n'est pas détachable du protocole et ne peut être opposée à M. [J], et a confirmé le jugement sauf en ce qui concerne le montant de la condamnation principale ramené à la somme de 1 393 304 euros.

M. [Y] a formé un pourvoi en cassation et par arrêt du 23 juin 2015 la cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 17 septembre 2013 dans toutes ses dispositions aux motifs suivants :

«'Attendu que pour écarter la fin de non-recevoir, l'arrêt retient que la validité de cette clause est subordonnée à celle du contrat et donc au bien-fondé du moyen tiré de la réticence dolosive invoquée par Monsieur [J], étant de nature à vicier le consentement à l'acte, lequel constituait un tout indivisible dont la clause n'est pas séparable

Qu'en statuant ainsi, alors que M. [J] demandait, non pas l'annulation de l'acte mais des dommages-intérêts pour réticence dolosive la cour a violé les textes susvisés'».

Saisie sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Paris a, par arrêt du 13 septembre 2016, déclaré irrecevable, en application de la clause de renonciation à recours, l'action engagée par M. [J] aux motifs que la demande a pour objet, non pas l'annulation du protocole, mais l'allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la réticence dolosive du cessionnaire et que la clause de renonciation à recours doit être appliquée car la validité du protocole d'acquisition n'est pas remise en cause.

M. [J] a formé un pourvoi en cassation et par arrêt du 26 septembre 2018 la cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 13 septembre 2016 dans toutes ses dispositions aux motifs suivants:

«'Attendu que pour accueillir la fin de non-recevoir, l'arrêt retient que dès lors que la validité du protocole d'acquisition d'actions n'est pas remise en cause, il y a lieu de faire application de l'article 3-2 (') ;

Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. [J] qui soutenait que la partie auteur d'une réticence dolosive et d'un manquement au devoir de loyauté ne peut se prémunir contre ses effets par le biais d'une clause de renonciation à recours, ce dont il déduisait que M. [Y] ne pouvait se prévaloir de la clause de renonciation à recours stipulée dans le protocole de cession d'actions, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé'» .

Les 12 novembre et 28 novembre 2018, M. [Y] a saisi la cour d'appel de Paris sur renvoi après cassation.

* * *

M. [Y] expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 12 mars 2019, auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

Il conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de dire irrecevable l'action engagée par M. [J] à son encontre, en application de la clause de renonciation à recours.

A titre subsidiaire il demande à la cour de débouter M. [J] de toutes ses demandes.

A titre très subsidiaire il demande à la cour de juger qu'en tout état de cause le montant des dommages et intérêts alloués à M. [J] ne peut excéder une faible fraction de la somme totale de 1 361 568 euros.

Il réclame la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [J] expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 9 mai 2019, auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

Il conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu'il a prononcé la nullité du protocole de cession d'actions du 30 mars 2007, et en ce qui concerne le montant de la condamnation prononcée à l'encontre de M. [Y].

Il demande à la cour de condamner M. [Y] à lui verser la somme de 1 624 768,20 euros, à titre de dommages et intérêts, outre celle de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1) Sur le dol et la recevabilité de la demande

M. [Y] soutient que M. [J] n'a pas sollicité la nullité du contrat, que la clause de renonciation à recours, stipulée en contrepartie d'une clause de non garantie, doit dès lors s'appliquer. Il ajoute que M. [J] n'apporte pas la preuve d'une fraude de nature à écarter l'application de la clause de renonciation ou d'une faute lourde dans l'exécution du contrat constitutive d'un dol.

M. [J] répond que la clause de renonciation à recours litigieuse vise uniquement les actions qu'il pourrait entreprendre au titre «'de sa participation au capital de la société [W]'» et non au titre de la cession de ses actions et que son action concerne le manque de loyauté de M. [Y] dans le cadre de cette cession. Il ajoute que la clause ne peut être considérée comme la contrepartie de la clause de non garantie car celle-ci s'explique uniquement par le fait que M. [Y] était actionnaire majoritaire et dirigeant de [W] et était donc parfaitement informé de la teneur de l'actif et du passif.

Si la cour estime que la clause de renonciation à recours peut s'appliquer, il soutient qu'elle pourrait être privée de tout effet en raison de la fraude à M. [Y] et rappelle que l'auteur d'une fraude ou d'un dol ne peut se prémunir d'une action fondée sur la réticence dolosive alors même qu'il est à l'origine du vice de consentement de son cocontractant.

Contrairement à ce que soutient M. [J] la clause de renonciation à recours, qui est insérée dans un protocole de cession d'actions, a une portée globale et s'applique à tout recours, quelle qu'en soit la cause, contre M. [Y] ou la société [W] à l'occasion de la cession.

M. [J] ne sollicite pas la nullité du protocole d'acquisition d'actions de la société [W] en date du 30 mars 2007. Mais il soutient que la clause de renonciation à recours stipulée à l'article 3-2 du protocole n'est pas opposable à M. [Y], en raison de sa réticence dolosive et de la violation de son obligation de loyauté.

Il y a donc lieu de statuer sur ces moyens avant d'apprécier la recevabilité de la demande.

M. [Y] expose que c'est à la demande de M. [J] que la cession est intervenue comme en attestent les termes de l'acte de cession du 30 mars 2007. Il fait valoir que le mail invoqué pour démontrer une manoeuvre visant à obtenir la cession des titres sous un prétexte erroné avait pour seul objet d'établir le prix de cession et non le principe de la cession, qu'il émane d'un tiers au protocole d'acquisition et ne peut être constitutif d'un dol et que la référence à la régularisation de sa situation vis-à-vis de ses enfants était une réalité. Il conteste avoir manqué de loyauté dans la communication des différents actes se rapportant à la cession, rappelant qu'ils sont couverts par le secret des affaires et qu'il a produit des constats d'huissier permettant de connaître les éléments pertinents de la cession. S'agissant de la dissimulation des négociations en cours, il expose que le devoir de loyauté ne porte pas sur une simple éventualité ou des informations que son cocontractant aurait dû connaître. Il fait valoir que le point de départ des négociations pour la cession d'actions à la société Veolia Propreté est nécessairement l'accord de négociation du 15 mai 2007, postérieur à la cession du 30 mars 2007, et que l'invitation à entrer en pourparlers ne s'est manifestée que par la lettre du 3 mai 2007.

Il soutient que la seule proximité des dates ne permet pas d'établir l'existence de pourparlers antérieurs au 30 mars 2007 et que la réalisation définitive de la cession n'est intervenue que le 13 février 2008 après levée de diverses conditions suspensives. Il fait également valoir que la tendance récente des grands groupes à investir dans le marché du recyclage ne pouvait être ignorée de M. [J], qui a été, en sa qualité de directeur commercial naturellement impliqué dans la collecte et la préparation des audits réalisés par la société Veolia Propreté.

Il soutient que M. [J] n'a commis aucune erreur déterminante alors que la cession est intervenue à sa demande, qu'il était parfaitement à même d'évaluer la valeur des actions dont il sollicitait le rachat et que la dissimulation de l'estimation de la valeur de la prestation par son cocontractant ne peut être constitutive d'un dol.

M. [J] répond qu'il n'a jamais été à l'origine de la cession contrairement à ce que laisse entendre la clause de style de l'acte de cession et qu'il ressort d'un mail du directeur administratif et financier de la société [W] du 15 mars 2007 que c'est M. [Y] qui est à l'origine de la cession sous le prétexte erroné de la régularisation de la situation vis-à-vis de ses enfants. Il précise qu'il ne souhaitait pas être entraîné dans un conflit familial et risquer de rester bloqué avec une participation minoritaire.

Il conteste l'existence d'une dégradation des résultats du groupe qui l'aurait conduit à vouloir céder ses titres et avoir été impliqué dans la collecte et la préparation des audits réalisés par la société Véolia Propreté et rappelle qu'il n'avait pas connaissance des informations qui démontreraient l'activité déficitaire du groupe.

Il soutient également que, compte tenu de l'ampleur de l'opération de rachat par la société Veolia Propreté, les pourparlers étaient nécessairement entamés au moment de la cession de ses actions le 30 mars 2007, ce qui ressort du constat d'huissier du 6 mars 2019, et rappelle que M. [Y] en refusant de produire les documents concernant la cession, alors qu'il pouvait demander l'autorisation du cessionnaire pour lever la clause de confidentialité, n'a pas concouru loyalement à la manifestation de la vérité.

Il fait enfin valoir que M. [Y] n'a pas respecté la convention du 17 septembre 2003, par laquelle il lui a cédé des actions de la société [W], car il ne l'a pas informé dans les 15 jours, comme il y était tenu, d'une offre d'acquisition de 100 % des actions, et que le dirigeant qui achète les titres d'un associé sans l'informer des négociations qu'il a entamées parallèlement pour la revente des parts à un prix supérieur, commet une réticence dolosive.

Le courriel du directeur financier de la société [W] adressé à M. [J] le 15 mars 2007 indique : «'[F] régularise actuellement sa situation vis-à-vis de ses enfants. Aussi une réponse rapide de ta part l'arrangerait (...)'» . Ce document établit, contrairement à ce qu'allègue M. [Y], que ce n'est pas M. [J] qui voulait vendre en urgence ses titres. Au regard de cet élément, la clause du protocole d'acquisition litigieux indiquant : «'M. [Q] [J] a manifesté le souhait de céder l'intégralité de sa participation dans le capital social de la société, dans les plus brefs délais (...)'» doit s'analyser en une clause de style et ne permet pas d'écarter le moyen tiré de l'absence de loyauté et de la réticence dolosive.

S'agissant du prétexte invoqué par M. [Y], soit la régularisation de sa situation vis-à-vis de ses enfants, celui-ci n'est corroboré par aucune autre pièce. Notamment la seule donation de la somme de 275 000 euros en avancement de part successorale le 23 juin 2007 à l'un de ses cinq enfants ne peut s'analyser en une «'régularisation de la situation'».

Le protocole d'acquisition d'actions du 30 mars 2007 prévoit la cession «'pour le prix visé au présentes, en considération d'accords conclus entre les parties alors qu'elles étaient actionnaires de la société [W], nonobstant la caducité desdits accords'»; ces accords résultent de la convention du 17 septembre 2003 entre les actionnaires historiques, M. [J] et Mme [R] [J].

L'article 4 de cette convention stipule : «'Dans l'hypothèse où interviendrait une offre écrite d'acquisition de 100% des titres de la société, et que cette offre était acceptée par les actionnaires historiques représentés par Monsieur [F] [Y], ce dernier s'engage à transmettre dans les quinze jours de la réception de ladite offre, par lettre recommandée avec accusé de réception, les principaux termes de ladite offre à Monsieur et Mademoiselle [J] (...)'»

Il s'en déduit qu'il existait un véritable devoir de loyauté explicitement et implicitement reconnu entre les parties s'agissant de toute offre d'achat de 100% des actions de la société.

Les documents relatifs à la cession des actions de la société [W] à la société Veolia Propreté et à l'ensemble du processus révèlent les éléments suivants :

- selon le constat d'huissier du 6 mars 2019, le 3 mai 2007 la société Veolia Propreté a adressé à M. [Y] un courrier précisant : «'Dans l'état actuel de notre connaissance de votre groupe et sous réserve de la réalisation des audits d'acquisition, nous avons valorisé [W] à environ 189 millions d'euros pour 100 % des titres en prenant en compte un endettement de 29 millions d'euros[...]. Toutefois, les informations et documents comptables qui nous ont été remis, bien que très utiles, sont sommaires et ne permettent pas de lever toutes nos interrogations'»

- le même jour la société Veolia Propreté a adressé un courrier à M. [A], de la Banque Lazard, qui précise : «'nous désirons acquérir 100% de [W]'».

Il apparaît donc que le 3 mai 2007, la société Veolia avait déjà informé M. [Y] de sa volonté d'acquérir 100% des actions de la société, qu'elle avait déjà proposé une estimation précise de la valeur de la société et que les documents nécessaires à cette évaluation lui avaient déjà été en partie communiqués.

M. [Y], dans ses conclusions, reconnaît qu'à la date de la cession litigieuse, le 30 mars 2007, des documents avaient déjà été communiqués à la société Veolia Propreté. Il soutient que M. [J] en avait connaissance sans en apporter la preuve et alors même que son poste de directeur commercial n'était pas de nature à lui donner accès à ce type d'informations nécessairement confidentielles.

La communication de documents comptables confidentiels de la société [W], avant le 30 mars 2007, démontre qu'à cette date, M. [Y] avait non seulement connaissance de la volonté de la société Veolia Propreté d'acquérir la société mais était également entré en pourparlers avec celle-ci. Il connaissait l'importance de cette information, l'a volontairement dissimulée et a cherché à acquérir rapidement les actions de M. [J], afin de bénéficier, seul, de la proposition avantageuse de la société Veolia Propreté.

Il est donc établi qu'à la date de la cession litigieuse M. [Y] a manqué à son obligation de loyauté envers M. [J] en lui dissimulant une information, qu'il était tenu de lui communiquer et qui était de nature à influer, de façon déterminante, sur la décision de M. [J]. En effet, tenu au courant, celui-ci aurait pu négocier un prix plus élevé ou encore céder ses actions directement à la société Veolia Propreté.

Dans ces conditions, la clause de renonciation à recours, qui permet à M. [Y] de se prémunir des conséquences du manquement à son obligation de loyauté, présente un caractère frauduleux et n'est pas opposable à M. [J].

L'action de M. [J] sera donc déclarée recevable et le jugement, qui n'a pas dans son dispositif expressément statué sur la recevabilité, sera complété en ce sens.

2) Sur la réparation du préjudice

Il est démontré ci-dessus que M. [Y] a usé de manoeuvres dolosives pour amener M. [J] à signer le protocole de cession d'actions du 30 mars 2007 et M. [Y] est tenu de réparer le préjudice subi par M. [J].

M. [J] fait valoir que M. [Y] a finalement indiqué que le prix de cession à la société Veolia s'élève à 147 314 000 euros. Il reconnaît l'existence du règlement de la somme de 17 000 000 euros en application d'une clause de garantie d'actif et de passif. Il estime que son préjudice s'évalue à la somme de [ (147 314 000-17 000 000) x 1,88% ] - 825 135 euros, soit 1 624 768,20 euros.

M. [Y] répond que le préjudice de M. [J] ne peut s'analyser qu'en une perte de chance et que son évaluation ne peut représenter qu'une fraction de l'avantage espéré. Il fait valoir qu'à la date de la cession des actions de M. [J], le prix de cession à la société Veolia Propreté n'était pas encore fixé et que rien n'établit qu'elle aurait acquis les titres de M. [J] au même prix que celui payé à M. [Y] pour le contrôle de la société.

Il conteste par ailleurs le calcul de M. [J] et relève qu'en exécution d'une clause de la cession, la société Veolia Propreté a renoncé à la branche chinoise de la société [W], obligeant M. [Y] à la racheter pour un montant de 4 500 000 euros qui doivent être déduits du prix de vente. Il sollicité également la déduction de la somme de 25 000 000 euros au titre d'une garantie à première demande et de la somme de 1 500 000 euros au titre de frais d'arbitrage et d'honoraires d'avocats.

En cédant ses actions à M. [Y] dès le 30 mars 2007, dans l'ignorance du projet de cession à la société Veolia Propreté, M. [J] a subi un préjudice au titre de la perte de chance de ne pas avoir pu céder ses actions à un meilleur prix.

Compte tenu de la volonté affichée de la société Veolia Propreté d'acquérir la totalité du capital social de la société [W], de la rapidité de l'opération qui démontre l'importance qu'elle y attachait et sa détermination à la voir aboutir, et compte-tenu également du fait que M. [J] pouvait ne pas céder ses actions dès le 30 mars 2007, attendre l'issue des négociations avec la société Veolia Propreté et négocier leur prix avec les associés majoritaires, la probabilité qu'il cède ses actions à un prix très proche de celui obtenu par M. [Y] est très élevée, d'autant qu'il ne cédait qu'une très faible partie, du capital social, soit 1,88 %.

Le préjudice subi par M. [J] sera donc fixé, au prorata de sa participation au capital social et après déduction du prix déjà perçu, à 90 % du montant du prix payé par la société Veolia Propreté le 16 novembre 2007.

Le prix de cession à celle-ci s'est finalement établi à la somme de 147 314 000 d'euros comme en atteste le constat d'huissier du 14 janvier 2013.

M. [Y] ne justifie ni du rachat de la branche chinoise pour 4 500 000 euros, ni des frais d'arbitrage et des honoraires d'avocats. Il produit deux garanties à première demande actionnées en application de l'article 9 d'un contrat de cession qu'il ne produit pas et qui ne permet pas d'établir la cause de la garantie.

M. [J] reconnaît pour sa part que M. [Y] a été tenu d'une garantie d'actif et de passif à hauteur de 17 000 000 d'euros qui seront donc seuls déduits du prix de vente.

En conséquence il y a lieu, après infirmation du jugement, d'allouer à M. [J] la somme de 1 462 291,38 euros de dommages et intérêts calculée ainsi : [ (147 314 000 ' 17 000 000) x 1,88% ] - [ 825 135 ] x 90% .

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

DÉCLARE recevable l'action engagée par M. [J],

INFIRME le jugement en ce qu'il a condamné M [Y] à payer à M [J] la somme de 2 182 865 euros en compensation de la nullité de la cession des titres,

LE CONFIRME pour avoir condamné M. [Y] aux dépens et à payer une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

CONDAMNE M. [Y] à payer à M. [J] la somme de 1 462 291,38 euros de dommages-intérêts,

DÉBOUTE M. [Y] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

LE CONDAMNE aux dépens et à payer à M. [J] la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente

Hanane AKARKACH Michèle PICARD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 18/24001
Date de la décision : 28/11/2019

Références :

Cour d'appel de Paris I9, arrêt n°18/24001 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-11-28;18.24001 ?
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