Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 9
ARRÊT DU 28 NOVEMBRE 2019
(n° , 13 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/16019 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B56IW
Décision déférée à la Cour : Jugement du 2 novembre 2015 -Tribunal d'Instance de MELUN - RG n° 51-14-000005
Arrêt du 16 mars 2017 - Cour d'appel de PARIS - Pôle 4 chambre 9 - RG n° 15/22334
Arrêt du 31 mai 2018 - Cour de cassation - n° 516 F-P+B
DEMANDEUR À LA SAISINE
Madame [I] [D] épouse [L]
née le [Date naissance 1] 1938 à [Localité 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
NON COMPARANTE
représentée par Me Bernard MANDEVILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : W06
DÉFENDEUR À LA SAISINE
Monsieur [Q] [B]
né le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 3] (77)
[Adresse 2]
[Localité 4]
COMPARANT EN PERSONNE
assisté de Me Christine HEUSELE, avocat au barreau de MEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 octobre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Philippe DAVID, Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Philippe DAVID, Président
Mme Fabienne TROUILLER, Conseiller
Mme Agnès BISCH, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Camille LEPAGE
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Philippe DAVID, Président et par Mme Camille LEPAGE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par acte authentique reçu le 23 août 1974 par Me [S], notaire à [Localité 3], Mme [D] épouse [L] consentait à M. et Mme [B] un bail rural pour 12 récoltes sur la ferme de [Localité 5] comprenant bâtiments d'habitation et d'exploitation, jardin, terres et prés situés commune de [Localité 5] d'une contenance de 186ha, 65a et 9ca.
Par acte authentique en date du 21 décembre 1979 par Me [O], notaire à PARIS, Mme [D] épouse [L] et M. et Mme [B] convenait de résilier le bail à compter du 30 octobre 1979 et leur consentait un nouveau bail rural pour 18 ans à compter du 1er novembre 1979 sur une superficie totale de 186ha, 7a et 39ca sur la commune de [Localité 5].
Par acte en date du 16 juin 1983, M. [R] [B], fils de M. et Mme [B], se voyait céder les droits au bail.
Le 8 novembre 1985, le bail faisait l'objet d'une résiliation partielle à compter du 1er novembre 1985 pour ne plus porter que sur une superficie de 185ha, 27a et 9ca.
Le 31 décembre 2008, M. [R] [B] cédait ses droits au bail à M. [Q] [B] avec l'accord de Mme [D] épouse [L].
Par acte en date du 18 avril 2014, Mme [D] donnait congé à M. [Q] [B] pour reprise au profit de M. [L] [V], pour le 31 octobre 2015.
Par acte en date du 11 août 2014, M. [Q] [B] saisissait le tribunal paritaire des baux ruraux de MELUN aux fins de voir prononcer la nullité du congé du 18 avril 2014.
Par jugement contradictoire en date du 2 novembre 2015, le tribunal paritaire des baux ruraux de MELUN :
- rejetait la demande d'annulation du congé donné par Mme [D] épouse [L] à M. [B],
- disait que M. [L] ne remplissait pas les conditions de reprise des terres litigieuses de sorte que le congé du 18 avril 2014 était privé d'effet et rejetait en conséquence l'intégralité des demandes de Mme [D] épouse [L],
- condamnait Mme [D] à payer [L] à payer à M. [B] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par déclaration en date du 20 novembre 2015, Mme [L] a relevé appel de la décision.
Par arrêt en date du 16 mars 2017 la cour d'appel de PARIS confirmait le jugement dans toutes ses dispositions et condamnait Mme [L] à payer à M. [B] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel.
Mme [D] se pourvoyait en cassation.
Par arrêt en date du 31 mai 2018, la Cour de cassation'a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de PARIS mais seulement en ce qu'il disait que M. [L] ne remplissait pas les conditions de reprise des terres litigieuses, de sorte que le congé du 18 avril 2014 était privé d'effet et rejetait en conséquence l'intégralité des demandes de Mme [D].
La Cour retenait qu'en jugeant M. [L] comme ne justifiant pas d'une autorisation d'exploiter à la date d'effet du congé par application des dispositions de l'article R. 331-7 du code rural et de la pêche maritime dans leur rédaction issue du décret du 22 juin 2015, alors que l'arrêté portant schéma directeur régional des exploitations agricoles de la région dans laquelle est située l'exploitation était entré en vigueur le 29 juin 2016 et que le congé avait été délivré pour le 31 octobre 2015, la cour d'appel a violé l'article 4 du décret du 22 juin 2015.
Par déclaration de saisine en date du 28 juin 2018, Mme [D] saisissait la cour d'appel de PARIS.
Dans ses dernières conclusions déposées à l'audience du 22 octobre 2019, Mme [D] demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux de MELUN le 2 novembre 2015 en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation du congé à M. [B],
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que M. [L] ne remplirait pas les conditions de reprise,
- valider le congé délivré le 18 avril 2014 à M. [B],
- ordonner l'expulsion de M. [B] [Q] et de tous ses occupants de son chef des biens objets du congé à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, au besoin avec le concours de la force publique, sous astreinte de 500 euros par jour de retard,
- débouter M. [B] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner M. [B] à payer à Mme [D] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, l'appelante fait valoir que la cour d'appel de PARIS a fait une interprétation erronée de l'article 4 du décret du 22 juin 2015 en méconnaissant les règles relatives à l'application de la loi dans le temps et a été cassé et annulé sur ce point, de sorte que les modifications apportées par le décret du 22 juin 2015 sont indifférentes à la solution du litige et que c'est bien l'article R. 331-7 du code rural et de la pêche maritime dans son ancienne version qu'il convient d'appliquer.
L'appelante soutient que M. [V] [L] réunit l'ensemble des conditions exigées du bénéficiaire de la reprise de sorte que le congé signifié à M. [B] est valide, notamment en ce qu'il justifie d'avoirs non bloqués d'un montant de 500 000 euros et qu'il dispose d'un brevet d'études professionnelles agricoles (BEPA) lui conférant indéniablement la capacité agricole. L'appelante fait valoir que M. [L] possède ainsi une qualité suffisante pour mettre en valeur l'exploitation, tel que l'ont retenu sans difficulté le tribunal paritaire des baux ruraux de MELUN le 2 novembre 2015 et la cour d'appel de PARIS le 16 mars 2017.
Sur la demande reconventionnelle de M. [B] pour l'octroi d'une indemnité de sortie, l'appelante soutient que l'intimé ne fournit aucun élément de nature à caractériser une amélioration et justifier la désignation d'un expert judiciaire, qui n'est pas de droit ne saurait compenser la défaillance du preneur dans la preuve des améliorations qu'il invoque, lesquelles ne sauraient être démontrées par le prévisionnel établi par celui-ci, n'étant qu'une hypothèse de travail.
L'appelante ajoute qu'en tout état de cause, rien ne saurait justifier son maintien sur les terres, un congé valide lui ayant été délivré, commandant dès lors son départ depuis le 31 octobre 2015.
Dans ses dernières conclusions déposées à l'audience du 22 octobre 2019, M. [B] demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 2 novembre 2015 par le tribunal paritaire des baux ruraux de MELUN en ce qu'il a dit que M. [L] ne remplissait pas les conditions de reprise des terres litigieuses, pour en déduire que le congé du 18 avril 2014 était privé d'effet et a, en conséquence, rejeté l'intégralité des demandes de Mme [D],
- confirmer le jugement rendu le 2 novembre 2015 par le tribunal paritaire des baux ruraux de MELUN en ce qu'il a condamné Mme [D] à payer à M. [B] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- y ajoutant, condamner Mme [D] à lui payer une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [D] aux entiers dépens de la procédure,
- à titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse improbable où la cour validerait le congé reprise délivré à M. [B] à la requête de Mme [D] le 18 avril 2014 pour le 31 octobre 2015, fixer l'indemnité de sortie ferme due par Mme [D] à M. [B],
- avant dire droit sur le montant de l'indemnité de sortie, désigner tel expert qu'il plaira à la cour de désigner, avec mission de déterminer l'indemnité de sortie due par Mme [D] à M. [B],
- condamner Mme [D] à lui payer une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure.
Au soutien de ses prétentions, l'intimé fait valoir que la Cour de cassation a cassé l'arrêt du 16 mars 2017 sur la base de la deuxième branche du moyen de cassation, pour violation de l'article 4 du décret n° 2015-713 du 22 juin 2015 et n'a pas retenu le moyen de violation de l'article 2 du code civil, ensemble les articles 93 de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 et L.411-59 du code rural, de sorte que la cour doit rechercher si, à la date d'effet du congé au 31 octobre 2015, les conditions pour bénéficier du régime déclaratif posées au nouvel article L. 331-2 II du code rural et de la pêche maritime étaient satisfaites.
L'intimé fait valoir que la condition tenant à la capacité professionnelle du bénéficiaire de la reprise, visée au 1°, n'est satisfaite qu'en apparence puisque le Brevet d'Etudes Professionnelles Agricole est un diplôme de niveau V, niveau le plus bas ne lui donnant pas la qualification nécessaire pour gérer et mettre en valeur 185 hectares. M. [B] expose qu'en revanche, quant au 2°, les biens ne sont pas libres de location puisqu'ils sont donnés à bail rural à l'intimé, de sorte que le congé délivré n'est pas valide.
M. [B] soutient que M. [L] n'est pas en règle avec le contrôle des structures, notamment en ce qu'il n'a sollicité aucune autorisation préalable d'exploiter avant la date d'effet du congé et que son activité d'agent d'assurance est manifestement incompatible avec la mise en valeur d'un parcellaire de plus de 185 hectares, éloigné de 65 kilomètres de son appartement parisien.
M. [B] expose ainsi que M. [L] n'était pas, à la date de prise d'effet du congé, en état d'exploiter de manière effective et permanente les biens repris, n'ayant en outre pas même fait l'acquisition du matériel d'exploitation nécessaire, de sorte que le congé pour reprise ne saurait être valide.
M. [B] relève que le revenu prévisionnel de M. [L] est voisin de 0 euros, voire négatif, de sorte que son projet est techniquement et économiquement irréalisable, de sorte qu'il ne peut en ressortir la volonté de mener à terme le projet d'exploitation des terres objet de la reprise.
Subsidiairement, M. [B] sollicite une indemnité de sortie et soutient en ce sens que Mme [L] reconnaît elle-même la réalité des améliorations apportées au fonds loué par l'intimé puisqu'elle verse aux débats deux versions d'un document intitulé « prévisionnel acquisition exploitation 180 ha 2ème version » et qu'elle admet donc le principe d'une indemnité au preneur sortant, dont elle limite le quantum à la somme de 600 euros par hectare, qui est insuffisante.
Lors des débats, l'appelante a subsidiairement demandé, s'il était fait droit à la demande d'expertise, que cette mesure d'instruction porte également sur les moins-values qui pourraient résulter de l'exploitation du preneur.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
1- Par jugement en date du 2 novembre 2015, le tribunal paritaire des baux ruraux de MELUN a rejeté la demande d'annulation du congé donné par Mme [I] [D] épouse [L] à M. [Q] [B].
Cependant, il a été retenu que M. [V] [L] ne remplissait pas les conditions de reprise des terres litigieuses, de sorte que le congé du 18 avril 2014 est privé d'effet et a, en conséquence, rejeté l'intégralité des demandes de Mme [I] [D] épouse [L].
Mme [I] [D] épouse [L] a relevé appel du jugement du 2 novembre 2015, sollicitant aux termes de ses conclusions déposées le 20 juin 2016, la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation du congé signifié le 18 avril 2014, mais concluant à son infirmation « en ce qu'il a dit que M. [L] ne remplirait pas les conditions de reprise au seul motif que le préavis de six mois prévu par son contrat d'agent général ferait obstacle à une exploitation personnelle et effective des biens et par conséquent dit que le congé devrait être privé d'effet ».
L'appelante demandait à la cour d'appel de valider le congé délivré le 18 avril 2014 à M. [Q] [B], d'ordonner l'expulsion de M. [Q] [B] « à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, au besoin avec le concours de la force publique, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ».
Par un arrêt rendu le 16 mars 2017, la cour d'appel de PARIS avait confirmé le jugement entrepris dans toutes ses dispositions et condamné Mme [I] [L] à payer à M. [Q] [B] la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de sa décision, la cour avait retenu : « les conditions tenant à l'exploitation des terres objets de la reprise doivent s'apprécier à la date d'effet du congé » et « la date d'effet du congé (soit le 31 octobre 2015 à minuit) étant postérieure à la date d'entrée en vigueur de la loi 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt dont les parties ne contestent pas l'application, c'est l'article L331-2 du code rural dans sa rédaction issue de ladite loi qui doit s'appliquer ».
Elle rappelait les conditions posées par l'article L. 331-2 II pour bénéficier du régime de déclaration préalable :
« 1 ° Le déclarant satisfait aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnées au a du 3° du I ;
2° Les biens sont libres de location ;
3° Les biens sont détenus par un parent ou allié, au sens du premier alinéa du présent II, depuis neuf ans au moins ;
4° Les biens sont destinés à l'installation d'un nouvel agriculteur ou à la consolidation de l'exploitation du déclarant, dès lors que la surface totale de celle-ci après consolidation n'excède pas le seuil de surface fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles en application du II de l'article L. 312-1. »
La cour d'appel de PARIS concluait, s'agissant de la condition posée au bénéfice du régime déclaratif par l'article L. 331-2 I 2° du code rural et de la pêche maritime tenant à ce que « les biens sont libres de location », que « c'est non pas à la date de la déclaration que doit s'apprécier la condition de l'article L. 331-2 2° susvisé mais à la date d'effet du congé et dès lors que celui-ci est contesté par le preneur, il ne pouvait être considéré que les biens objets de la reprise sont libres de toute occupation à la date de celui-ci et force est de constater que Mr [L], à défaut de justifier de l'obtention de l'autorisation d'exploiter à la date d'effet du congé, ne remplissait pas les conditions lui permettant de bénéficier du congé pour reprise délivré le 18 avril 2014 et celui-ci ne peut être validé ».
Elle confirmait donc le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, par substitution de motifs.
La Cour de cassation a censuré la motivation de la Cour d'appel de PARIS, pour violation de l'article 4 du décret du 22 juin 2015, en ce qu'elle a considéré qu'il convenait d'appliquer les dispositions de l'article R. 331-7 du code rural et de la pêche maritime dans leur rédaction issue du décret du 22 juin 2015, alors que l'arrêté portant schéma directeur régional des exploitations agricoles de la région dans laquelle est située l'exploitation est entré en vigueur le 29 juin 2016 et que le congé avait été délivré pour le 31 octobre 2015.
Il n'en reste pas moins que la Cour de cassation n'a pas expressément écarté l'application de la loi du 13 octobre 2014 et qu'il convient d'analyser l'appel formé par Mme [I] [L] en regard de cette jurisprudence.
2- Mme [L] rappelle que le bénéficiaire de la reprise doit, en application des dispositions des articles L. 411-58 et L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime, justifier :
- qu'il satisfait aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle des articles L. 331-2 à L. 331-5 du code rural et de la pêche maritime ou justifier d'une autorisation préalable d'exploiter ;
- qu'il possède le matériel nécessaire à l'exploitation des biens repris ou, à défaut, les moyens de les acquérir ;
- qu'il occupe lui-même les bâtiments d'habitation du bien repris ou une habitation située à proximité du fonds ;
- qu'il respecte les règles relatives au contrôle des structures.
La jurisprudence contrôle, en outre, la volonté du bénéficiaire de la reprise d'exploiter réellement et personnellement les biens repris à la date de la reprise, le bénéficiaire de la reprise devant, en effet, conformément à l'article L. 411-59, al. 1er du code rural et de la pêche maritime : « à partir de celle-ci, se consacrer à l'exploitation du bien repris pendant au moins neuf ans soit à titre individuel, soit au sein d'une société dotée de la personnalité morale, soit au sein d'une société en participation dont les statuts sont établis par un écrit ayant acquis date certaine. Il ne peut se limiter à la direction et à la surveillance de l'exploitation et doit participer sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation ».
Les conditions de fond de la reprise s'apprécient à la date pour laquelle le congé est donné, et non à la date de délivrance dudit congé mais il doit être tenu compte des faits survenus depuis la date d'effet du congé.
A cet égard, Mme [L] fait valoir que la reprise des biens loués à M. [B] serait soumise, non pas à une autorisation préalable d'exploiter, mais « à simple déclaration auprès des services préfectoraux ».
Aux termes de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 :
« II. Par dérogation au I, est soumise à déclaration préalable la mise en valeur d'un bien agricole reçu par donation, location, vente ou succession d'un parent ou allié jusqu'au troisième degré inclus lorsque les conditions suivantes sont remplies :
1° Le déclarant satisfait aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnée au 3° du I ;
2° Les biens sont libres de location au jour de la déclaration ;
3° Les biens sont détenus par ce parent ou allié depuis neuf ans au moins ».
La loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, a modifié l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime, qui dispose désormais que :
« II.- Les opérations soumises à autorisation en application du I sont, par dérogation à ce même I, soumises à déclaration préalable lorsque le bien agricole à mettre en valeur est reçu par donation, location, vente ou succession d'un parent ou allié jusqu'au troisième degré inclus et que les conditions suivantes sont remplies :
1° Le déclarant satisfait aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnées au 3° du I ;
2° Les biens sont libres de location ;
3° Les biens sont détenus par un parent ou allié, au sens du premier alinéa du présent II, depuis neuf ans au moins ;
4° Les biens sont destinés à l'installation d'un nouvel agriculteur ou à la consolidation de l'exploitation du déclarant, dès lors que la surface totale de celle-ci après consolidation n'excède pas le seuil de surface fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles en application du II de l'article L. 312-1.
Pour l'application du présent II, les parts d'une société constituée entre les membres d'une même famille sont assimilées aux biens qu'elles représentent. »
S'agissant des dispositions légales applicables au congé pour reprise signifié à M. [B], à effet du 31 octobre 2015, il convient de relever que le nouvel article L. 331-2 II du code rural et de la pêche maritime, issu de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, est entré en vigueur le 15 octobre 2014, soit avant la date d'effet du congé, et était donc applicable au congé à effet du 31 octobre 2015, ce que ne contestait pas initialement Mme [L].
La règle de principe est fixée par l'article 1er du code civil qui prévoit que les lois entrent en vigueur à la date qu'elles fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication au Journal Officiel.
En ce qui concerne, la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt (LAAF), elle est entrée en vigueur le lendemain du jour de sa publication au Journal Officiel de la République française, soit le 15 octobre 2014, à l'exception des dispositions dont elle a expressément entendu différer l'application.
Au nombre de ces dispositions, seuls les articles L. 331-3, portant sur la publicité des demandes d'autorisation d'exploiter, et L. 312-1, relatif aux schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles, intéressent le contrôle des structures.
S'agissant des dispositions relatives aux schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles, l'article 93 de la loi dispose que :
« IX.- (...) Jusqu'à l'entrée en vigueur du schéma directeur régional des exploitations agricoles, le contrôle des structures s'applique selon les modalités, les seuils et les critères définis par le schéma directeur des structures agricoles de chaque département.
Les unités de référence arrêtées par le représentant de l'Etat dans le département s'appliquent jusqu'à l'entrée en vigueur du schéma directeur régional des exploitations agricoles ».
« Seuls les modalités, les seuils et les critères » nécessaires au traitement des demandes d'autorisation d'exploiter ou des déclarations restent soumis aux schémas directeurs départementaux des structures jusqu'à l'édiction des schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles (SDREA).
Les dispositions législatives nouvelles dont l'application n'est pas subordonnée aux seuils et critères posés par les SDREA - tels, notamment, les nouveaux champs de la déclaration fixés à l'article L. 331-2 - sont d'application immédiate.
Les dispositions de l'article L. 331-2 2° du code rural et de la pêche maritime, dans leur rédaction issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, sont donc applicables au congé pour reprise dont la date d'effet est postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 13 octobre 2014.
C'est le sens de l'arrêt du 31 mai 2018 de la Cour de cassation, implicitement mais nécessairement, puisqu'alors que Mme [L] faisait valoir, à titre principal, que l'applicabilité des dispositions relatives au contrôle des structures de la loi du 13 octobre 2014 était subordonnée à l'entrée en vigueur, dans chaque région, du schéma directeur régional des exploitations agricoles.
La Cour de cassation n'a en effet pas retenu ce moyen de violation de l'article 2 du code civil, ensemble les articles 93 de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 et L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime puisqu'elle a cassé l'arrêt du 16 mars 2017 sur la base de la deuxième branche du moyen de cassation, pour violation de l'article 4 du décret n° 2015-713 du 22 juin 2015.
Il est en outre de principe qu'une loi nouvelle s'applique immédiatement aux effets à venir des situations juridiques non contractuelles en cours au moment où elle entre en vigueur.
3- S'agissant de la condition tenant à la capacité professionnelle du bénéficiaire de la reprise, visée au 1°, Mme [L] verse en effet, aux débats le Brevet d'Etudes Professionnelles Agricoles Option Travaux Agricoles et Conduite d'Engins obtenu par son fils [V] [L] le 26 juin 2012 afin de préparer la reprise des biens loués à M. [B].
Toutefois, le Brevet d'Etudes Professionnelles Agricole correspond au diplôme du niveau d'études le plus bas, soit le niveau V.
Il atteste, selon le site du Ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation et de la Forêt, « de l'acquisition d'une qualification pour exercer les fonctions d'ouvrier spécialisé dans les domaines de l'agriculture et de l'agroalimentaire ».
Le Brevet Professionnel Responsable agricole lui est de niveau IV.
Ainsi le bénéficiaire de la cession ne justifie d'aucune expérience personnelle, ni d'une réelle formation générale garantissant son aptitude à l'exploitation du fonds en cause.
Ceci est corroboré par la liste du matériel, l'absence de production du certificat individuel d'utilisation de produits phytosanitaires, dit « certiphyto », versés aux débats par Mme [L], qui révèlent une parfaite méconnaissance, et du fonctionnement, et des règles de gestion d'une exploitation agricole, ainsi que des obligations réglementaires conditionnant le versement des aides PAC
4- Par ailleurs, si les conditions prévues aux 3° et 4° de l'article L. 331-2 sont manifestement remplies, en revanche, les biens ne sont pas libres de location puisqu'ils sont donnés à bail rural à M. [Q] [B], qui a contesté le congé pour reprise qui lui a été signifié le 18 avril 2014, ledit congé n'ayant pas été validé à sa date d'effet.
En effet, l'article L. 331-2 II du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006, posait comme condition au bénéfice du régime dérogatoire de la déclaration préalable, que : « 2° Les biens sont libres de location au jour de la déclaration ».
L'article L. 331-2 II issu de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 prévoit désormais : 2° Les biens sont libres de location ;
Ne peut donc être considéré comme libre de location un bien faisant l'objet d'un congé-reprise. En cohérence, l'article R. 331-7 ne précise plus que, dans le cas d'une reprise, le bénéficiaire adresse sa déclaration à la DDTM au plus tard dans le mois qui suit le départ effectif du preneur.
En cas de contestation de la reprise dans le cadre d'un bail en cours devant le tribunal, celle-ci peut donc être subordonnée à une autorisation d'exploiter en application de l'article L. 411-58.
Dans ces conditions, le régime déclaratif ne peut donc trouver à s'appliquer et la reprise est subordonnée à une autorisation préalable d'exploiter dès lors que :
- le parcellaire repris excède le seuil de superficie fixé à 120 hectares par le Schéma Directeur Départemental des Structures de Seine-et-Marne, encore en vigueur à la date d'effet du congé (art. L. 331-2, I, 1°),
- la reprise ramènerait la superficie de l'exploitation de M. [B] très en deçà du seuil de superficie de 120 hectares puisque la superficie de l'exploitation ne serait plus que de 38 hectares environ après reprise (art. L. 331-2, I, 2° a),
- le bénéficiaire de la reprise est pluriactif et ses revenus extra-agricoles excédent 3 120 fois le montant horaire du salaire minimum de croissance (art. L. 331-2, I, 3° c).
Cependant M. [L] n'a sollicité aucune autorisation préalable d'exploiter avant la date d'effet du congé, alors que lorsqu'une autorisation préalable d'exploiter est requise la demande doit être déposée avant la date d'effet du congé et ce dernier n'est donc pas en règle avec le contrôle des structures, ce qui justifie là encore que le congé ne soit pas validé, conformément aux dispositions des articles L. 411-58 et L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime.
5- Enfin, c'est au regard des termes du congé tel qu'il a été donné que doivent être appréciées les conditions de la reprise.
En l'espèce, le congé délivré en application de l'article L. 411-47 du code rural et de la pêche maritime par Mme [I] [L] le 18 avril 2014, mentionnait que le bénéficiaire du congé était son fils « M. [L] [V], né le [Date naissance 3] 1963 à [Localité 6] (Hauts-de-Seine), âgé de 50 ans au jour de la signification du présent acte, fils de Mme [L] [I] la requérante, nu propriétaire des biens, titulaire d'un brevet d'étude professionnelle agricole, agent d'assurance, résidant actuellement [Adresse 3] et dont l'adresse du domicile après la reprise sera celle de la maison d'habitation objet du bail ».
A aucun moment il n'était précisé dans le congé du 18 avril 2014 que M. [L] abandonnait sa profession d'agent d'assurance pour se consacrer à l'exploitation des terres reprises, ce qui permet de penser que le bénéficiaire de la reprise continuerait à exercer son activité professionnelle d'agent général d'assurance.
La déclaration sur l'honneur de l'intéressé ne saurait être regardée comme probante.
C'est en effet au regard des termes du congé que doivent être appréciées les conditions de la reprise au profit de M. [V] [L].
L'activité d'agent d'assurance est manifestement incompatible avec la mise en valeur d'un parcellaire de plus de 185 hectares, éloigné de 65 kilomètres de son appartement parisien.
Ce n'est qu'au cours de la procédure qu'il a été précisé que M. [V] [L] avait l'intention d'abandonner sa profession d'agent général d'assurance pour se consacrer à l'exploitation des terres reprises. L'intéressé a cependant précisé lors des débats à l'audience que l'activité serait exercée par une société. Cette précision est loin de démentir que M. [L] souhaite abandonner son activité d'agent d'assurance et à ce jour, celui-ci n'a pas renoncé à son activité d'agent général d'assurance.
Par conséquent, au vu des termes du congé, la condition tenant à la démonstration de la volonté d'exploitation effective et personnelle exigée du bénéficiaire de la reprise n'est pas satisfaite.
Il en est de même de la condition d'habitation, qui ne saurait se confondre avec la notion de domicile.
L'article L. 411-47 du code rural et de la pêche maritime n'exige pas, à peine de nullité du congé, que son auteur précise le domicile futur du candidat à la reprise, mais bien l'habitation qu'il occupera ensuite de la reprise.
C'est donc à juste titre que le tribunal paritaire des baux ruraux de MELUN a retenu que : « l'existence de ce préavis de six mois, si elle n'altère pas la volonté d'exploiter de M. [V] [L], sera néanmoins de nature à l'empêcher - au moins pendant la durée dudit préavis - de se consacrer pleinement à l'exploitation du fonds. Le cumul de professions n'est pas interdit par la loi mais il appartient au tribunal, en cas de cumul et même pour une durée de six mois, de vérifier si le reprenant remplit bien toutes les conditions énumérées par l'article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime ».
Or, ainsi qu'il a été rappelé ci-avant, la loi imposait à M. [V] [L], dès le 31 octobre 2015 à minuit, d'exploiter personnellement le fonds repris sans se limiter à la direction et à la surveillance de l'exploitation et il lui aurait fallu, dès cette date, être en mesure de participer sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente.
Manifestement, cette participation s'apprécie selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation mais en l'espèce l'importance de l'exploitation (plus de 185 hectares de terres à cultiver) ne permet pas à M. [V] [L] de se consacrer à d'autres tâches professionnelles.
Son activité d'agent général d'assurance fait manifestement obstacle, compte tenu de la nature et de la superficie du bien en cause, à ce que M. [V] [L] l'exploite personnellement à la date d'effet du congé, d'autant qu'il ne détaille pas suffisamment de quelle façon il entend procéder pour travailler à son exploitation agricole durant ces six mois de préavis.
Par ailleurs, si l'on s'en tient à l'étude prévisionnelle de Mme [L], les revenus annuels jusqu'en 2021 devraient être compris entre 20 123 euros en 2015, soit 1 677 euros par mois, et 22 150 euros en 2021, soit 1 846 euros par mois alors que les avis d'imposition de M. [V] [L] mettent en évidence, en 2014, des recettes à hauteur de 248 057 euros.
Dans ces conditions, il est peu crédible que M. [L] soit prêt à renoncer aux revenus que lui procure son activité d'agent d'assurance, pour se consacrer à l'exploitation de terres qui devrait, selon les termes mêmes de l'étude prévisionnelle dégager des revenus très faibles, voire négatifs, étant relevé cette étude, après sa mise à jour retient des exercices complets et identiques en termes de chiffres d'affaires et de charges sur 10 exercices, ce qui est totalement irréaliste compte tenu de la volatilité du prix des céréales, du coût des intrants et de la baisse constante du montant des aides PAC.
En outre, l'assolement ne prévoit pas de surface en jachère, de sorte que l'obligation de 5 % de la surface arable en Surface d'Intérêt Ecologique (SIE), qui conditionne le « paiement vert » dans le cadre de la PAC, ne serait pas satisfaite.
Par ailleurs, les charges d'entretien, de carburants, d'assurance ne sont pas comptabilisées et le parc matériel d'occasion ne comprend pas de moissonneuse-batteuse pour la récolte des productions et le compte de résultat ne comporte pas de poste « récoltes réalisées par un tiers ».
Ces seuls éléments permettent de considérer que le projet présente un manque sérieux de viabilité sur les aspects économiques et financiers, ce qui démontre l'absence de volonté de M. [L] de mener à terme le projet d'exploitation des terres objet de la reprise.
6- Dans ces conditions, le congé pour reprise ne peut donc être validé et le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de MELUN rendu le 2 novembre 2015 doit dès lors être confirmé et Mme [I] [L] être déboutée de l'ensemble de ses demandes.
7- Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a condamné Mme [I] [D] épouse [L] à payer à M. [Q] [B] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il paraît équitable d'allouer sur ce même fondement une somme de 5 000 euros en cause d'appel.
Enfin, Mme [I] [L] succombant en son appel sera condamnée en tous les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
- Confirme le jugement rendu le 2 novembre 2015 par le tribunal paritaire des baux ruraux de MELUN en ce qu'il a dit que M. [V] [L] ne remplissait pas les conditions de reprise des terres litigieuses, pour en déduire que le congé du 18 avril 2014 était privé d'effet et a, en conséquence, rejeté l'intégralité des demandes de Mme [I] [D] épouse [L] et condamné cette dernière à payer à M. [Q] [B] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Y ajoutant :
- Condamne Mme [I] [D] épouse [L] à M. [Q] [B] payer une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Le greffierLe président