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21/11/2019 | FRANCE | N°17/11938

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 21 novembre 2019, 17/11938


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Me Bruno REGNIER

Me Pierre LUBETCOUR D'APPEL DE PARIS

Me Jacques BELLICHACHPôle 6 - Chambre 7



ARRÊT DU 21 NOVEMBRE 2019



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/11938 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4E75



Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Avril 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS -





APPELANT



Monsieur [U] [X]

[Adr

esse 6]

[Localité 2]

Représenté par Me Bruno REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Plaidant Me Sophie TAISNE, avocat au barreau des HAUTS DE SEINE





INTIMÉ...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Me Bruno REGNIER

Me Pierre LUBETCOUR D'APPEL DE PARIS

Me Jacques BELLICHACHPôle 6 - Chambre 7

ARRÊT DU 21 NOVEMBRE 2019

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/11938 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4E75

Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Avril 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS -

APPELANT

Monsieur [U] [X]

[Adresse 6]

[Localité 2]

Représenté par Me Bruno REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Plaidant Me Sophie TAISNE, avocat au barreau des HAUTS DE SEINE

INTIMÉE

SA CVT G.C.S.

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée par Me Pierre LUBET, avocat au barreau de PARIS, toque : R021

Plaidant Me Guy DEDIEU, avocat au barreau de l'ARRIEGE

PARTIE INTERVENANTE :

SAS AIRBUS

Intervenante forçée

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334

Plaidant Me Mathias JOURDAN, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Octobre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre

Madame Hélène FILLIOL, Présidente de chambre

Monsieur François MELIN, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Anna TCHADJA-ADJE

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre et par Anna TCHADJA-ADJE, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [X] a été engagé le 25 mars 2002 par la société CVT GCS en qualité de chauffeur de direction par contrat à durée indéterminée, pour un horaire de travail de 44 heures hebdomadaires, moyennant une rémunération brute de 3015,94€

Le 1er avril 2016, M. [X] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris afin d'obtenir de son employeur une présentation de son bulletin de paie faisant apparaître les heures supplémentaires effectuées, et le paiement de diverses sommes.

Par jugement en date du 27 juillet 2017, le conseil de prud'hommes a débouté M. [X] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens, et débouté la société C de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, le conseil a jugé que la société CVT GCS n'avait commis aucune faute en faisant évoluer la présentation du bulletin de salaire de M. [X] pour faire mention des heures supplémentaires incluses dans ses 44 heures hebdomadaires de travail, et ce à la demande de l'inspection du travail en janvier 2015, au motif que son contrat de travail stipulait une rémunération correspondant à 44 heures hebdomadaires, et en conséquence que cette modification ne constituait pas une modification du contrat.

Le 28 septembre 2017, M. [X] a interjeté appel de ce jugement.

Par courrier du 12 octobre 2017, M. [X] s'est vu notifier un licenciement pour faute grave, qu'il conteste devant la cour.

M. [X] a assigné en intervention forcée la société Airbus, qu'il considère comme co-employeur.

Selon conclusions transmises le 29 août 2019 , M. [X] conclut à l'infirmation de la décision déférée en ce qu'elle l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, et statuant à nouveau, il demande à la cour :

- de condamner la sociétéCVT GCS à lui remettre les bulletins de paie conformes à compter du mois de janvier 2015, sous astreinte journalière de 100 €;

- de condamner la société CVT GCS à lui régler la somme de 1000 € pour résistance abusive;

- de constater la situation de co-employeur de la société Cvt Gcs et de la société Sas Airbus à son égard;

- de condamner solidairement les sociétés CVT GCS et Airbus à payer la somme de 49. 396,66 € brut à titre de rappel de salaires pour la période de janvier 2015 à août 2017;

- de constater la fraude à la loi sur le licenciement économique commise par les sociétés CVT GCS et Airbus;

- d'enjoindre à la société CVT GCS de communiquer sous astreinte de 50 € par jour de retard le registre du personnel des années 2016 et 2017;

- de juger que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse;

- de requalifier son licenciement personnel en licenciement économique ;

- de constater l'irrégularité du licenciement ;

- d'annuler l'avertissement du 31 mai 2017 ;

- de dire que la mise à pied conservatoire qui lui a été imposée était injustifiée ;

- condamner solidairement les sociétés à lui verser les sommes suivantes :

* 7.206,07 € bruts à titre de salaires pour la période du 1er septembre 2017 au 16 octobre 2017,

* 3.008,44 € bruts à titre de solde pour le 13 ème mois,

* 146,30 € à titre de paiement de sa note de frais,

* 28.938,25 € bruts à titre de d'indemnité conventionnelle,

* 6.890 € bruts à titre de d'indemnité de préavis,

* 155.000 € bruts à titre de d'indemnité pour licenciement abusif,

* 41.340 € à titre d'indemnité pour irrégularité de procédure.

A titre subsidiaire,

- constater le licenciement sans cause réelle et sérieuse, et en conséquence:

- condamner solidairement les sociétés CVT GCS et Airbus à lui verser les sommes suivantes :

* 7.206,07 € bruts à titre de salaires pour la période du 1er septembre 2017 au 16 octobre 2017,

* 28.938,25 € bruts à titre de d'indemnité conventionnelle,

* 6.890 € bruts à titre de d'indemnité de préavis,

* 155.000 € bruts à titre de d'indemnité pour licencient abusif.

* 3.008,44 € bruts à titre de solde pour le 13ème mois,

* 146,30 € à titre de paiement de sa note de frais,

- ordonner la remise au salarié de documents conformes à sa situation

- condamner les sociétés CVT GCS et Airbus au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la précédente instance et de 5.000 € pour la présente procédure

M. [X] soutient que la modification de la structure de sa rémunération figurant sur son bulletin de paie et la réduction du montant de son salaire de base constituaient des modifications de son contrat de travail, auxquelles il n'a pas consenti, ce d'autant qu'elle entraînait une réduction de sa rémunération (1000€ par mois). Il relève que le contrat de travail indique un horaire de 44 heures et non de 35 heures avec des heures supplémentaires majorées, et que la compensation prévue est de 16 jours maximum par an et non pas le paiement d'heures supplémentaires. Il ajoute que la clause contractuelle prévoyant une rémunération forfaitaire ne précise pas le nombre d'heures supplémentaires incluses dans le forfait ; qu'en tout état de cause la présentation du bulletin ne correspondait pas au contrat de travail, et qu'il est fondé à en demander la rectification, comme un rappel de salaire.

Concernant son licenciement, il soutient qu'il a été co-employé par les deux sociétés, qu'il a été affecté comme chauffeur de M. [R], directeur du groupe Airbus, bien avant la création de la CVT GCS en 2002 qui de fait à pour objet de gérer le parc automobile des groupes Airbus et Lagardere, ses deux actionnaires, qu'il a toujours reçu les instructions de M. [R] en termes de déplacements et d'horaires, et qu'il existait un lien de subordination directe avec la société Airbus.

Il fait valoir qu'il a fait l'objet d'un licenciement personnel abusif puisque celui-ci dissimulait un licenciement économique justifié par le départ du directeur du groupe Airbus auquel il était rattaché, et le transfert des locaux de la société CVT GCS en province. Il relève que sa situation est identique à celle d'autres salariés qui ont été licenciés pour des motifs curieusement très proches. Il estime que les deux sociétés ont participé à une fraude permettant à la société CVT GCS de procéder à une réduction importante de personnel en faisant l'économie de la procédure de licenciement collectif pour motif économique qui aurait dû être mise en place. Il en déduit que son licenciement doit être requalifié en licenciement pour motif économique dont la procédure spécifique n'a pas été respectée, ce qui justifie selon lui ses demandes indemnitaires et salariales.

Subsidiairement, il relève l'absence de faute grave justifiant son licenciement, ayant toujours été présent à son poste sans refuser les tâches qui lui étaient demandées, faisant observer qu'il n'avait pas de passé disciplinaire et percevait chaque année une prime de qualité de 5000 € pour la dernière en février 2017, ce qui démontre qu'il donnait satisfaction.

Selon des conclusions transmises le 22 février 2018, la société CVT GCS conclut à la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a débouté M. [X] de l'ensemble de ses demandes, et au surplus demande à la cour de juger fondé le licenciement pour faute grave de M. [X], et de condamner le salarié au paiement de la somme de 3.000 € à titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société CVT GCS fait valoir que le contrat de travail de M. [X] n'a pas été modifié unilatéralement s'agissant de la structure de sa rémunération, dès lors qu'elle a seulement procédé à une décomposition de sa rémunération, en conformité avec la réglementation et a procédé à une présentation également conforme du bulletin de paie, faisant apparaître sur celui-ci que les heures supplémentaires étaient contractuelles, au delà de 35 h, à la suite des remarques de l'inspection du travail.

En outre, sur le licenciement de M. [X], la société soulève la défaillance de preuve du salarié concernant la prétendue dissimilation d'un licenciement économique en un licenciement pour motif personnel. Elle ajoute au contraire que le non-respect par M. [X] de la législation relative à la durée du travail à la sécurité en matière de conduite ainsi que des directives de son supérieur hiérarchique justifiait son licenciement pour faute grave. Elle relève que les consignes en matière de temps de travail avaient fait l'objet d'un rappel à tous les chauffeurs, que M. [X] n'a jamais adressé en retour le courrier rappelant la législation applicable et appliqué ces règles.

La société ajoute que les sommes demandées par le salarié à hauteur de quatre ans de salaire en sont pas justifiées au regard des justificatifs produits.

Selon des conclusions transmises le 3 septembre 2019, la société Airbus demande à la cour de juger non démontrée une quelconque situation de co-emploi la concernant, en conséquence de la mettre hors cause, de débouter M. [X] de l'ensemble de ses demandes, et de le condamner au paiement de la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Airbus fait valoir qu'il n'existe aucune situation de co-emploi avec la société CVT GCS, qu'en outre M. [X] n'apporte aucun élément permettant de caractériser une telle situation et notamment une confusion d'intérêt, d'activité et de direction entre la société CVT et elle-même. Elle ajoute que le salarié tenait ses instructions uniquement de la société CVT GCS, que le fait que le bénéficiaire de la prestation Airbus décide de l'itinéraire ou des déplacements ne suffit pas à en faire un co-employeur, ce que confirme M. [R] ancien salarié dans son attestation. Elle ajoute que la confusion et l'immixtion ne peuvent se déduire de la localisation des établissements de CVT GCS puisqu'il est logique que la société affecte ses salariés au plus près de ses clients, qu'il en est de même du fait d'appliquer la même convention collective ou de pouvoir acquérir des prestations du comité d'entreprise d'Airbus qui est une personne morale distincte.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions déposées et développées oralement à l'audience.

MOTIFS

Sur le co-emploi

M. [X] indique que la société CVT GCS est une filiale de la société Airbus, qu'elle a un établissement proche du siège social de cette dernière, que certains de ses chauffeurs sont exclusivement affectés à des courses concernant des cadres de la société Airbus, que les deux sociétés ont la même convention collective et un même comité d'établissement, qu'il était le chauffeur permanent et attitré de M. [R], directeur du groupe Airbus, qu'il répondait aux instructions de ce directeur, et qu'il se trouvait bien dans un lien de subordination face à la société Airbus, de sorte qu'il y avait une situation de co-emploi.

Toutefois, s'il est vrai, de manière générale, que l'existence d'une situation de co-emploi peut résulter d'un lien de subordination juridique avec une société qui n'a pas procédé à l'embauche du salarié, il y a lieu de rappeler qu'il appartient à celui-ci de démontrer que dans l'exécution de son travail, il se trouvait sous la subordination directe d'une autre personne que celle avec laquelle il a contracté.

Or, en l'espèce, M. [X] ne rapporte pas une telle preuve. Il se borne, en substance, à indiquer que ses instructions lui étaient données par le directeur du groupe Airbus au bénéfice duquel il avait la qualité de chauffeur. Toutefois, il indique lui-même que ces instructions concernaient les horaires, les déplacements et les achats de boissons ou de confiserie, de sorte qu'il y a lieu de considérer qu'il s'agissait d'instructions relatives à l'exécution de la prestation de transport qu'il devait fournir et qui lui étaient nécessaires pour travailler, sans que cela n'implique qu'il se trouvait, d'un point de vue juridique, sous la subordination de la société Airbus. M. [X] n'allègue d'ailleurs pas qu'il aurait été soumis aux instructions directes de cette société pour d'autres aspects que ceux liés aux horaires et aux lieux du transport de son directeur.

La société Airbus sera donc mise hors de cause.

Sur la demande de remboursement de frais

M. [X] demande la condamnation de l'employeur à lui payer une note de frais du mois de juillet 2017, d'un montant de 146, 30 euros.

Il ne produit toutefois pas cette note de frais et ne justifie pas, en tout état de cause, du montant réclamé ni du fait que l'employeur devrait la prendre en charge.

La demande sera donc rejetée.

Sur l'avertissement du 31 mai 2017

M. [X] conteste l'avertissement que l'employeur lui a notifié le 31 mai 2017 et qui lui reproche de ne pas avoir retourné à l'employeur, une fois signée, la note du 8 mars 2017 et de ne pas avoir respecté la législation puisque, depuis le 8 mars 2017, le salarié a dépassé le temps de travail hebdomadaire à une reprise et qu'il a déclaré un nombre d'heures supplémentaires non autorisé à plusieurs reprises.

Il y a donc lieu d'examiner si ces trois griefs sont fondés.

Le grief tenant à la réalisation d'heures supplémentaires non autorisées n'est pas matériellement établi par l'employeur, qui procède par une affirmation générale.

Le grief tenant au dépassement du temps de travail hebdomadaire ne peut pas être retenu, car l'obligation de respecter la durée légale du travail pèse non pas sur le salarié mais sur l'employeur et car ce dernier n'explique pas comment le salarié aurait pu lui-même faire en sorte de respecter cette durée alors qu'il était chauffeur du directeur du groupe Airbus et soumis, en tant que tel, aux horaires qui lui étaient demandés.

Le grief tenant à la note de service du 8 mars 2017 n'est pas contesté par le salarié.

Toutefois, il sera retenu que ce grief, seul à être établi, ne peut pas justifier l'avertissement, alors qu'aucun élément du dossier ne permet de retenir que M. [X] n'a pas par ailleurs respecté les éléments de cette note.

Sur la treizième mois

M. [X] demande le paiement de la somme de 3.008,44 € bruts à titre de solde pour le treizième mois.

L'employeur conteste le bien-fondé de cette demande.

Toutefois, il sera fait droit à la demande, dès lors que le contrat de travail prévoit 'une prime annuelle équivalent à un 13ème mois', qui est payée en deux versements.

Sur le licenciement

Par un courrier du 12 octobre 2017, la société CVT a licencié M. [X] pour faute grave, dans les termes suivants :

'Dans le prolongement de l'entretien préalable qui s'est tenu le 26 septembre dernier et auquel vous vous êtes présenté accompagné de votre conseiller j'ai le regret de vous indiquer que j'ai décidé nonobstant vos explications de vous licencier.

En effet, tel que cela vous été exposé notre société a fait l'objet d'un contrôle par les services de l'inspection du travail dans le courant de l'année 2015.

Dans les suites de ce contrôle nous avons fait l'objet d'une mise en garde relativement au respect des temps de travail notamment et il nous a été demandé sous peine de poursuites pénales d'y remédier.

Afin de me conformer à cette mise en garde j'ai adressé à l'ensemble des chauffeurs de la Société CVT une correspondance en date du 8 mars 2017 rappelant l'impérieuse nécessité de respecter les dispositions applicables en matière de temps de travail et de repos.

Le respect de ces dispositions est le support de mon obligation de sécurité envers les salariés et les clients transportés.

Je vous ai demandé de me retourner ce document signé afin de m'assurer qu'il avait été bien pris en compte.

Vous n'avez pas cru bon de me le retourner et j'ai été tenu de vous relancer sans recevoir davantage de réponse. J'ai alors opéré des contrôles qui ont démontré que vous ne respectiez pas les temps de conduite.

Je vous ai alors notifié un avertissement en date du 31 mai 2017. Je vous ai adressé une deuxième note le 30 juin relative aux notes de frais, aux feuilles d'heures hebdomadaire, à la carte carburant ainsi qu'à l'utilisation du véhicule ... afin de pouvoir exercer dans ce cadre mon contrôle.

Vous n'avez pas cru bon de me retourner ce document et vous n'avez au demeurant pas considéré devoir satisfaire à ces demandes de telle sorte par exemple que vous ne m'avez pas adressé les feuilles d'heure dans les temps.

Nous avons par ailleurs opéré de nouveau des contrôles qui ont démontré que vous ne respectiez toujours pas les temps de conduite.

Nous vous avons adressé une troisième correspondance vous indiquant qu'en vertu d'un nouveau dispositif légal mis en place depuis le 1er janvier 2017 il nous appartenait de dénoncer les auteurs d'infraction routière.

Il apparaissait ainsi d'autant plus impérieux d'être destinataire des feuilles d'activité afin d'identifier les conducteurs des véhicules mis à votre disposition.

Là encore vous n'avez pas considéré devoir nous retourner ce document.

Du fait de la permanence de vos agissements et de votre désinvolture à l'égard de nos exigences dont la finalité est d'assurer au premier chef votre sécurité nous avons décidé de vous convoquer à un entretien préalable.

En effet, vous avez continué à nous adresser partiellement et avec retard le compte rendu de votre activité.

Lors de cet entretien préalable vous avez indiqué au demeurant que ces feuilles étaient fausses et que vous continuerez à faire comme vous l'entendiez.

Il va de soi dès lors que nous n'avons d'autre alternative que de prononcer votre licenciement pour faute grave.

En effet, vous faites peser sur vous et ceux que vous transportez un risque en ne respectant pas des règles que nous vous avons rappelé à différentes reprises.

Au demeurant votre attitude est génératrice d'un risque pénal pour la société et ceux qui la représentent.

Compte tenu de votre ancienneté nous avions initialement considéré que l'avertissement notifié le 31 mai dernier serait suffisant pour vous alerter sur la situation et que vous en tireriez les conséquences.

Tel n'est malheureusement pas le cas et nous n'avons pour l'ensemble de ces motifs pas d'autres choix que vous licencier pour faute grave'.

M. [X] conteste ce licenciement, en faisant valoir, à titre principal, que le licenciement pour faute grave dissimule en réalité un licenciement pour motif économique dans le cadre d'une situation de co-emploi avec la société Airbus, et à titre subsidiaire que le licenciement est abusif.

a) En premier lieu, il est donc nécessaire de déterminer si la qualification de licenciement pour motif économique avec une situation de co-emploi doit être retenue.

Concernant la situation alléguée de co-emploi, il a déjà été relevé que la preuve d'un co-emploi n'est pas rapportée.

Concernant l'allégation selon laquelle le licenciement pour faute grave dissimule en réalité un licenciement pour motif économique, M. [X] indique notamment que la société Airbus souhaitait regrouper tous les postes de travail à [Localité 7] et mettre en place une politique de restructuration, que lorsque M. [R] a quitté la société Airbus au cours du mois d'août 2017, il lui a été demandé de prendre des congés, qu'il a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement dès le 13 septembre 2017, que d'autres chauffeurs ont été licenciés entre le mois de mai et le mois de novembre 2017, que la société CVT GCS a quitté son siège social de [Localité 5], qu'il faut en déduire que cette société a réduit ses effectifs en vue de fermer son siège à [Localité 5] et que les sociétés CVT GCS et Airbus ont commis une fraude au licenciement économique.

Cependant, il y a lieu de rappeler, de manière générale, que l'article L 1233-3 du code du travail dispose que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : 1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés ; 2° A des mutations technologiques ; 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; 4° A la cessation d'activité de l'entreprise.

Or, M. [X] ne se réfère à aucun de ces éléments de qualification du licenciement économique. Son allégation selon laquelle son licenciement pour faute grave dissimule un licenciement pour motif économique doit donc être rejetée.

b) En second lieu, puisque la qualification de licenciement économique est écartée, il y a lieu de déterminer si le licenciement litigieux est justifié par une faute grave.

A ce sujet, il y a lieu de rappeler, de manière générale, que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et que la charge de la preuve d'une telle faute pèse sur l'employeur.

Il est donc nécessaire de déterminer si la société CVT GCS rapporte une telle preuve, étant rappelé que le courrier de licenciement fixe les limites du litige et que l'employeur ne peut donc pas utilement invoquer des griefs qui ne sont pas visés dans le courrier, comme par exemple les griefs tenant à l'usage de la 'carte carburant' hors de ses périodes de travail (conclusions p. 10).

Dans ce cadre, il résulte du courrier de licenciement que l'employeur reproche au salarié les éléments suivants :

- M. [X] n'a pas envoyé à l'employeur, après signature, la note du 8 mars 2017 relative à la nécessité de respecter la législation relative aux temps de travail et de repos, une note du 30 juin 2017 relative aux notes de frais, aux feuilles d'heures, la carte de carburant et à l'utilisation du véhicule, pas plus qu'une troisième correspondance indiquant que l'employeur doit dénoncer les auteurs d'infractions routières ;

- suite à des contrôles, il est apparu que M. [X] ne respectait pas les temps de conduite;

- il n'a pas renvoyé à l'employeur ses feuilles d'activité ;

- il adressait à l'employeur, de façon partielle et avec retard, le compte-rendu de ses activités.

Au regard de ces éléments, la cour retient que :

- l'employeur reproche à M. [X] de ne pas lui avoir retourné, après signature, une note du 8 mars 2017. Toutefois, ce grief a déjà été sanctionné par l'avertissement du 31 mai 2017, de sorte que l'employeur ne peut pas s'y référer au soutien du licenciement ;

- l'employeur reproche au salarié de ne pas lui avoir envoyé, après signature, une note du 30 juin 2017, qui a été adressée à tous les chauffeurs et qui donne des directives concernant, par exemple, les feuilles d'heures hebdomadaires, les notes de frais et les frais d'habillement. M. [X] ne conteste pas ne pas avoir retourné cette note à l'employeur mais indique s'être expliqué à ce sujet avant l'entretient préalable au licenciement ;

- l'employeur reproche également à M. [X] de ne pas lui avoir retourné une troisième correspondance, que le salarié conteste avoir reçue et que l'employeur ne prouve pas lui avoir adressé ;

- l'employeur ne peut pas utilement reprocher à M. [X], en se référant à sa pièce 10 constituée des feuilles d'heures du salarié, de ne pas avoir respecté la durée maximale de travail par jour et la durée quotidienne de repos, alors que l'obligation de respecter ces durées pèsent non pas sur le salarié mais sur l'employeur et alors que ce dernier n'explique pas comment le salarié aurait pu lui-même faire en sorte de respecter ces durées alors qu'il était chauffeur du directeur du groupe Airbus et soumis, en tant que tel, aux horaires qui lui étaient demandés ;

- l'employeur reproche au salarié de ne pas avoir renvoyé ses feuilles d'activité mais il procède par une affirmation générale sans indiquer lesquelles, et ce alors qu'il produit par ailleurs lui-même certaines feuilles d'heures (pièce 10) ;

- l'employeur reproche au salarié d'avoir remis partiellement et avec retard le compte-rendu de ses activités. Ici également, l'employeur procède toutefois par une affirmation générale, sans préciser quels sont les compte-rendus qu'il vise.

Au regard de ces éléments, il apparaît que seul le deuxième de ces griefs, concernant une note du 30 juin 2017, est matériellement établi.

Or, ce manquement n 'est pas constitutif d'une faute grave pas plus que d'une cause réelle et sérieuse, dès lors qu'il s'agit d'un manquement unique reposant sur une absence de signature d'une note de service et qu'aucun élément du dossier ne permet de retenir que M. [X] n'a pas par ailleurs respecté les éléments de cette note.

Par conséquent, le licenciement sera jugé sans cause réelle et sérieuse.

L'employeur sera condamné à payer à M. [X] les sommes suivantes, sur la base un salaire moyen de 4 893, 35 euros :

* 7.206,07 € bruts à titre de rappel de salaire,

pour la période de mise à pied du 1er septembre 2017 au 16 octobre 2017,

* 28.938,25 € bruts à titre de d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 6.890 € bruts à titre de d'indemnité de préavis,

* 112 550 € bruts à titre de d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, cette somme permettant de réparer le préjudice subi par M. [X], compte tenu de son ancienneté remontant au 23 septembre 1997 et au fait qu'il avait 60 ans au jour de son licenciement.

Sur la demande de rappel de salaire

M. [X] demande à la cour de condamner solidairement les sociétés CVT GCS et Airbus à payer la somme de 49. 396,66 € brut à titre de rappel de salaires pour la période de janvier 2015 à août 2017. Il indique en substance que :

- l'employeur a procédé à une modification unilatérale de la structure de sa rémunération et à une réduction de son salaire de base, qui a été réduit de 1 009, 48 euro par mois ;

- ainsi, le salaire de base était de 4 082, 88 euros sur le bulletin de paie du mois de décembre 2014 puis a été réduit à compter du mois de janvier 2015 et qu'il était de 3 133, 95 euros en juin 2015.

La société CVT GCS répond que la modification des bulletins de paie s'explique par la nécessité de faire apparaître la prime d'ancienneté, sans perte de salaire, et ce afin de se conformer à la réglementation applicable.

Dans ce cadre, la demande de condamnation de la société Airbus à ce titre sera écartée, dès lors qu'il résulte des motifs précédents qu'il n'y a pas une situation de co-emploi.

Concernant la société CVT GCS, il sera rappelé, de manière générale, que la rémunération du salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifiée ni dans sa structure, ni dans son montant sans son accord, peu important que le nouveau mode de rémunération soit sans effet sur le montant global de la rémunération.

Or, la société CVT GCS admet elle-même que la structure de la rémunération a été modifiée, étant précisé que si elle ajoute que cette modification se justifie par la nécessité de se mettre en conformité avec la législation, elle procède par une affirmation générale, sans indiquer à quelles règles elle entendait de la sorte se conformer.

La demande de condamnation de l'employeur à payer la somme de 49. 396,66 € à titre de rappel de salaires pour la période de janvier 2015 à août 2017 sera donc accueillie, étant relevé que si l'employeur demande par principe le rejet de cette demande, il ne remet pas en cause, à titre subsidiaire, les modalités de calcul retenues par le salarié pour la détermination de ce montant.

En revanche, la demande de condamnation pour résistance abusive de l'employeur, en raison de son refus de régulariser la situation, sera rejetée, dès lors qu'une discussion a pu, sans intention de nuire, se développer entre les parties à ce sujet, l'employeur ayant par ailleurs obtenu gain de cause devant le conseil de prud'hommes.

Sur la demande de documents sociaux

La société CVT GCS sera condamnée à remettre, sans qu'il y ait lieu à astreinte, à M. [X] des bulletins de paie, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes à cet arrêt.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

La société CVT GCS, qui succombe, sera condamnée à payer à M. [X] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Sa demande formée à ce titre sera quant à elle rejetée.

Pour des motifs pris de l'équité, la demande formée par la société Airbus au titre de ce même article 700 sera également rejetée.

Sur les dépens

La société CVT GCS, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, la cour, par un arrêt contradictoire, en dernier ressort, mis à disposition,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 27 juillet 2017 en ce qu'il a:

- débouté M. [X] de sa demande de remise de bulletins de paie conforme à compter du mois de janvier 2015 ;

- condamné M. [X] aux dépens ;

Statuant à nouveau,

Condamne la société CVT GCS à remettre à M. [X] des bulletins de paie conformes à cet arrêt ;

Y ajoutant,

Met hors de cause la société Airbus ;

Juge sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [X] par la société CVT GCS ;

Annule l'avertissement du 31 mai 2017 notifié à M. [X] par la société ;

Condamne en conséquence la société CVT GCS à payer à M. [X] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation pour les sommes à caractère salarial et à compter du prononcé de cet arrêt pour les sommes à caractère indemnitaire, avec capitalisation des intérêts :

- 3 008,44 € à titre de solde pour le treizième mois

- 7 206,07 € à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied,

- 6 890 € à titre de d'indemnité compensatrice de préavis,

- 28 938,25 € à titre de d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 112 550 € bruts à titre de d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 49 396,66 € brut à titre de rappel de salaires pour la période de janvier 2015 à août 2017 ;

Condamne la société CVT GCS à remettre à M. [X] une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes à cet arrêt ;

Condamne la société CVT GCS à payer à M. [X] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette le surplus des demandes formées par les parties ;

Condamne la société CVT GCS à payer les dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 17/11938
Date de la décision : 21/11/2019

Références :

Cour d'appel de Paris K7, arrêt n°17/11938 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-11-21;17.11938 ?
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