Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRÊT DU 20 NOVEMBRE 2019
(n° 2019- 384 , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/22675 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4UGA
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Novembre 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/00065
APPELANTE
SCI [1], agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET: [N° SIREN/SIRET 1]
Ayant ses bureaux [Adresse 3]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-olivier D'ORIA de la SCP UHRY D'ORIA GRENIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C1060
Ayant pour avocat plaidant par Me Fabien ESCAVABAJA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1060
INTIMEES
Madame [J] [M]
née le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 4]
Domiciliée [Adresse 4]
[Localité 2]
ET
SOCIÉTÉ [2], prise en la personne de ses représentant légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 2]
Ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 2]
Représentées par Me Vincent CANU, avocat au barreau de PARIS, toque : E0869
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 Septembre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur [professionnel Q] [professionnel E], président de chambre
Madame [professionnel C] [professionnel R], conseillère
Madame [professionnel Y] [professionnel M], conseillère
qui en ont délibéré,
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame [professionnel Y] [professionnel M] dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme [professionnel J] [professionnel U]
Greffière, lors du délibéré: Mme [professionnel N] [professionnel I]
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. [professionnel Q] [professionnel E], Président de chambre et par Mme [professionnel N] [professionnel I], greffière à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Par acte du 31 mars 2004, la Sci [1] a acquis un local commercial situé [Adresse 2], donné à bail commercial, depuis le 1er avril 1995, à Mme [G] épouse [S] pour y exercer une activité médicale ou paramédicale à exclusion de la radiologie.
En 2008, la Sci [1] a sollicité l'assistance de Mme Muriel Dehiles, avocat. C'est dans ces circonstances que, suivant exploit d'huissier de justice du 19 juin 2008, un congé avec offre de renouvellement a été délivré à la locataire, avec déplafonnement du loyer et fixation de celui-ci à la somme annuelle de 50 000 euros. Par courrier électronique de février 2009, le conseil de Mme [S] a refusé cette proposition. Mme [M] a, le 31 août 2009, saisi la commission du conciliation qui lui a indiqué, le 23 septembre suivant, être incompétente s'agissant d'un local à destination d'activité médicale.
Le 23 janvier 2013, M. [W], avocat, a sollicité de Mme [M] la communication de son entier dossier, lui précisant être le nouveau conseil de la Sci [1].
Reprochant à l'avocate un défaut de diligences ayant entraîné la prescription de toute action en réévaluation du loyer, la Sci [1] a fait assigner en responsabilité civile professionnelle Mme [M] et la société [2], le 23 décembre 2015, devant le tribunal de grande instance de Paris, qui, par jugement du 22 novembre 2017, a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, débouté la Sci [1] de ses demandes, l'a condamnée aux dépens et a dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a notamment retenu :
- une faute de l'avocate en ce qu'elle a manqué à son devoir de diligence et de conseil, alors qu'elle a considéré, à tort, n'avoir pas un mandat général portant sur la réévaluation du loyer commercial, que le non paiement des factures d'honoraires n'était pas susceptible d'y mettre fin sans démarche positive de l'avocat en ce sens et que, dès lors, son devoir de conseil l'obligeait à informer sa cliente du risque de prescription et à tout le moins, à tenter de recueillir sa position,
- l'absence de preuve de l'existence et de l'ampleur du préjudice allégué par la Sci [1], de sorte que la mesure d'expertise reviendrait à suppléer sa carence dans l'administration de la preuve, puisque, ayant la possibilité de l'établir autrement que par une telle mesure, elle ne produit que des annonces de baux commerciaux dans le [Localité 1] sans qu'il soit possible de faire un rapprochement avec le bail en cause.
La Sci [1] a interjeté appel de la décision le 11 décembre 2017.
Dans ses dernières écritures du 29 mai 2019, la Sci [1] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu une faute de Mme [M] susceptible d'engager sa responsabilité professionnelle, le réformer pour le surplus et en conséquence de :
- dire et juger qu'elle est recevable à agir en sa qualité de propriétaire des locaux donnés à bail à Mme [S], que Mme [M] a manqué à son devoir de diligence en ne saisissant pas le juge des loyers commerciaux dans le délai de deux ans suivant la date d'effet du congé délivré et a, en tout état de cause, manqué à son devoir de conseil en omettant de l'informer d'un délai de prescription biennale en matière de baux commerciaux et a fortiori en ne lui recommandant pas de saisir le juge des loyers commerciaux dans ce même délai, que le loyer du bail commercial n'était pas soumis à la règle du plafonnement, la durée de ce bail ayant dépassé 12 ans à la date de délivrance du congé avec offre de renouvellement et les locaux étant loués à usage exclusif de bureaux, de sorte que le loyer du bail renouvelé aurait nécessairement été fixé à la valeur locative soit 16 000 euros par an si Me [M] avait saisi le juge des loyers commerciaux avant l'expiration du délai de prescription,
- constater que le loyer du bail renouvelé n'a pas évolué par rapport à celui de l'ancien bail en raison de l'absence de saisine du juge des loyers commerciaux dans les délais,
- dire et juger en conséquence que le préjudice financier subi s'élève, d'une part, à la différence, sur neuf années, entre les loyers appelés et le montant de la valeur locative réévaluée soit la somme de 49 645,11 euros assortie des intérêts légaux à compter de la date initialement prévue pour le renouvellement du bail soit le 1er janvier 2009, et, d'autre part, compte tenu du dispositif de plafonnement du nouvel article L.145-34 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi Pinel du 18 juin 2014, à la somme de 29 951,48 euros qu'elle est bien fondée, en outre, en sa qualité de tiers lésé, à solliciter la condamnation de la société [2], assureur responsabilité civile professionnelle de Mme [M] à lui régler directement le montant correspondant au préjudice subi du fait des fautes commises par son assurée,
- condamner in solidum Mme [M] et la société [2] à l'indemniser et à la désintéresser de l'ensemble de ses préjudices,
- dire et juger que le refus de prise en charge du sinistre par la société [2] s'analyse en un cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol,
- en conséquence, condamner la société [2] à lui payer une somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive du fait de son refus injustifié de prise en charge du sinistre au titre de la police d'assurance,
- rejeter l'ensemble des demandes de Mme [M],
A titre subsidiaire :
- ordonner une mesure d'expertise judiciaire afin de déterminer si le montant de la valeur locative au 1er janvier 2009 équivalait aux 50 000 euros HT et HC annuels sollicités dans le congé délivré avec offre de renouvellement et, à défaut, le montant de la valeur locative des locaux à laquelle elle pouvait prétendre au 1er janvier 2009 et chiffrer les conséquences du nouveau principe de limitation des évolutions de loyers résultant de l'article L. 145-34 du code de commerce dans sa nouvelle rédaction,
- désigner un expert qui aura pour mission d'examiner les locaux objets du bail et les documents des parties, de donner son avis sur la valeur locative des locaux au 1er janvier 2009, fournir les éléments techniques et/ou de faits qui seront utiles à la détermination de tous préjudice éventuellement subis, se faire assister en cas de besoin par tout spécialiste de son choix inscrit sur la liste des experts près la cour d'appel de Paris dans une spécialité différente de la sienne, d'entendre les parties et toute personne informée,
En tout état de cause :
- débouter Mme [M] et la société [2] de l'ensemble de leurs demandes,
- les condamner in solidum à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens dont distraction au profit de Me d'Oria, avocat au barreau de Paris sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile,
- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Dans leurs dernières conclusions du 3 avril 2019, Mme [M] et la société [2], appelantes incidentes, demandent à la cour de réformer le jugement en ce qu'il a retenu une faute de Mme [M] susceptible d'engager sa responsabilité civile professionnelle, le confirmer pour le surplus, débouter la Sci [1] de l'ensemble de ses demandes et la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Canu ainsi qu'à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE,
Sur la faute
La Sci [1] soutient avoir saisi Mme [M] de la défense de ses intérêts dans le cadre de la procédure visant à la réévaluation du loyer de son local commercial, ce qui résulte de la délivrance du congé et de la saisine de la commission qui constituent les premières étapes d'une procédure réglementée dont elle s'est chargée. Elle rappelle que c'est au professionnel de proposer à son client une convention d'honoraires quand il est missionné, de sorte qu'il ne peut lui être opposé l'absence d'écrit. Elle relève que l'avocate ne s'est pas dégagée de sa mission et qu'elle-même n'a pas mis fin au mandat avant 2013, l'absence éventuelle de paiement des honoraires, contesté, ne déchargeant pas, en soi, l'avocat de son mandat. Elle fait état d'un défaut de diligence de son avocate qui n'a pas accompli les actes permettant le déplafonnement des loyers et n'a pas initié l'action en fixation du loyer dans le délai de la prescription ni accompli aucun acte interruptif. Elle mentionne un manquement, à tout le moins, à l'obligation de conseil et d'information de l'avocat, qui n'en est pas déchargé par les compétences éventuelles de son client, en ce qu'il aurait dû l'informer, au vu de la décision de la commission, de la nécessité de saisir le juge des loyers commerciaux pour obtenir la fixation du loyer à la valeur locative dans un délai de deux ans à compter de la date d'effet du congé. Il conteste toute fraude dans l'acquisition du bien.
Mme [M] et la société [2] contestent l'existence d'un mandat général confié par la Sci pour mettre en oeuvre une procédure de déplafonnement de loyer, soulignant que la société ne justifie pas du contraire malgré un gérant habituellement très précis dans ses directives. Elles observent que, sans mandat, l'avocat ne pouvait introduire une instance ni mettre fin à une mission qui ne lui était pas confiée. Elles mentionnent que la Sci, semblant s'être désintéressée de l'affaire jusqu'en 2013, a cessé tout contact à compter de septembre 2009, après avoir été informée de la décision de la commission de conciliation. Elles ajoutent que la Sci n'a d'ailleurs versé aucun honoraire à son conseil, preuve de l'absence de mandat, dont le défaut de paiement le délie en tout état de cause. Elles mentionnent que l'avocat est aussi exonéré de toute responsabilité du fait du défaut d'information de son client, comme en l'espèce, la Sci, dont le gérant est un professionnel averti de l'immobilier, ne lui ayant fourni aucune information permettant d'obtenir le déplafonnement du loyer. Elles indiquent que l'avocat avait eu tout lieu de penser que le gérant continuait les démarches directement avec sa locataire ou avait renoncé au projet et qu'il n'est pas justifié de la suite donnée à ce dossier, de sorte que la volonté de la bailleresse n'est pas démontrée. Elles mentionnent qu'au vu des textes applicables la bailleresse aurait pu tenter de trouver un accord pour procéder à une révision du loyer, de sorte qu'en ne justifiant d'aucune démarche, sa volonté d'obtenir l'augmentation du loyer n'est pas établie. Elles exposent enfin que la Sci se prévaut de sa qualité de propriétaire pour agir alors qu'elle ne peut se prévaloir de sa fraude, ayant acquis le bien en violation de l'article 1596 du code civil.
***
Comme rappelé par les premiers juges, un avocat est soumis à une obligation générale de loyauté, de prudence et de diligence et est tenu à une obligation absolue de conseil comprenant celle d'informer et d'éclairer son client dans la limite de la mission qui lui est confiée. Chargé de représenter son client en justice, l'avocat agit en vertu d'un mandat ad litem. Il est tenu de prendre toutes les initiatives utiles à l'instance qui lui est confiée, de tenir son client informé de la procédure et d'assurer la défense de ses intérêts. Il lui appartient de tout mettre en oeuvre pour assurer sa défense.
En l'espèce, Mme [M] a contacté l'huissier de justice pour la délivrance du congé avec offre de renouvellement du bail délivré le 19 juin 2008, s'adressant à lui en ce sens par courrier du 20 mai 2008, et a saisi ensuite la commission de conciliation, qui lui a répondu le 23 septembre 2009.
Entre-temps, elle a adressé une note d'honoraires à la Sci pour cette affaire, se plaignant, le 15 juillet 2008, d'un impayé. En revanche, s'il résulte des pièces produites que la Sci a pu communiquer avec son avocate par le biais de l'adresse mail d'une autre société ayant le même gérant, la relance du 15 septembre 2008, pour cinq factures restées impayées non jointes, ne peut être rattachée à ce dossier, faute de précision en ce sens.
Les courriels et courrier échangés avec la Sci de février à avril 2009 font apparaître qu'à la suite du refus de l'offre par la locataire, la Sci a demandé à Mme [M] de la joindre 'avant de contacter son confrère', puis lui a demandé des informations sur ce que voulait l'avocat adverse afin de pouvoir prendre sa décision, ce à quoi Mme [M] a répondu le relancer faute de réponse.
Par courrier électronique du 15 février 2013, l'avocat qui, en prenant sa suite, lui a demandé la restitution de son dossier, précise que celui-ci comprenait notamment : la copie d'un congé avec refus de renouvellement du bail du 29 septembre 2003, l'avis de la commission de conciliation des baux commerciaux, les conclusions relatives à la procédure initiée devant le tribunal de grande instance de Paris, le jugement intervenu le 05 juillet 2005, les conclusions en appel de la Sci du 25 novembre 2005 et celles de la partie adverse du 30 janvier 2006, le dossier de plaidoiries en appel, sans que toutes les pièces visées ne s'y trouvent, l'arrêt de la cour d'appel du 23 novembre 2006, le congé avec renouvellement du 19 juin 2008.
Il résulte de ce qui précède, que Mme [M] a eu communication par la Sci des informations nécessaires à la procédure de congé avec offre de renouvellement et déplafonnement du loyer, et était même avisée de difficultés antérieures alors qu'une instance judiciaire avait été initiée au renouvellement précédent du bail. Elle a entrepris les premières étapes, préalables à l'engagement d'une action en justice, avec la délivrance du congé et la saisine de la commission de conciliation. Elle a conservé le dossier de sa cliente jusqu'en 2013.
Le non paiement des factures ne décharge pas l'avocat de sa mission sans démarche positive de sa part, démarches que Mme [M] n'allègue ni ne justifie avoir effectuées. De même, les connaissances éventuelles du client, certes gérant de diverses Sci dans le secteur de l'immobilier, au demeurant non démontrées s'agissant de la prescription applicable au litige, ne déchargent pas plus l'avocat de ses propres obligations.
Enfin, s'agissant de la fraude alléguée dans l'acquisition du local commercial, il apparaît de la lecture du bail conclu en 1995, que l'actuel gérant de la Sci [1] est intervenu à l'époque en qualité de gérant de la société gestionnaire du bien. Pour autant, l'acquisition de celui-ci par la Sci [1] a eu lieu en 2004 soit près de dix ans plus tard sans qu'il soit justifié que son gérant était toujours chargée de la gestion du bien à cette époque, ni qu'il ait été informé, dans le cadre de cette dernière fonction, du projet de vente des propriétaires, ni qu'il ait été chargé de celle-ci, ce qu'il conteste. Il en résulte que la fraude alléguée au soutien de l'inopposabilité de l'acquisition n'est pas caractérisée.
Il résulte de ce qui précède, qu'il n'est pas justifié d'un mandat exprès, nécessaire, donné par la Sci à Mme [M] pour saisir le juge d'une action en fixation du loyer renouvelé, de sorte qu'aucun défaut de diligence ne peut être retenu de ce chef à son encontre. Néanmoins, il appartenait à l'avocate, à réception de l'avis d'incompétence de la commission de conciliation, de solliciter les instructions de sa cliente et, en tout état de cause, d'attirer son attention sur les délais de prescription applicables au contentieux résultant de l'article L. 145-60 du code de commerce, de deux ans à compter de la date d'effet du congé, ce qu'elle ne justifie pas avoir fait.
Le jugement déféré sera ainsi confirmé, en ce qu'il a retenu un manquement de l'avocat à son obligation de conseil et d'information.
Sur le préjudice et le lien de causalité
La Sci [1] expose que le juge des loyers commerciaux n'ayant pas été saisi dans les délais, elle a perdu une chance d'obtenir la fixation du loyer à la valeur locative. Elle précise que la durée du bail ayant excédé douze ans par l'effet d'une tacite prolongation, la règle du plafonnement n'était pas applicable, de sorte que le loyer du bail commercial aurait dû être fixé à la valeur locative. Elle ajoute qu'il en était également ainsi du fait que les locaux étaient loués à usage exclusif de bureau et observe que, d'ailleurs, la commission de conciliation s'est déclarée incompétente. Elle en conclut que la perte de chance est certaine et totale, aucun aléa ne pouvant être retenu, étant ajouté que les lieux bénéficiaient d'une excellente situation géographique.
La Sci [1] indique justifier que le loyer actuel, indexé, n'est pas fixé à la valeur locative qui n'a cessé d'augmenter depuis lors, mais reste plafonné et indique qu'un rapprochement des parties est une simple faculté, illusoire en l'espèce alors que la valeur locative est très favorable au locataire. Elle expose avoir fait procéder à une expertise immobilière par M. [P], expert judiciaire, qui retient une valeur locative annuelle au 1er janvier 2009 de 16 000 euros, soit un préjudice pour la période échue entre le 1er janvier 2009 et le 31 mars 2019 de 49 645,11 euros outre les intérêts sur cette somme au regard de l'importance et de l'ancienneté de la dette. Elle fait état de son préjudice lié à la Loi Pinel qui limite à partir du 1er janvier 2018 toute augmentation de loyer à 10 % par an et de celui né de l'indexation du loyer, dont la moyenne s'élève à 3 %, soit une perte supplémentaire de 29 951,48 euros sur la période du 1er juillet 2008 au 30 juin 2025 sur la base d'une valeur locative de 21 440 euros au 1er janvier 2018. Elle sollicite une mesure d'expertise si celle qu'elle produit est écartée, en soulignant qu'elle n'aurait, dans le contexte précédent, pas pour objet de suppléer la carence des parties.
Mme [M] et la société [2] répliquent que l'expertise ne peut suppléer la carence des parties et que l'existence même du préjudice n'était pas justifiée en première instance, pas plus que les montants sollicités, variables. Elles observent que désormais la Sci produit deux avis, non contradictoires, de M. [P] portant, l'un, sur la valeur locative au 1er janvier 2009 et, l'autre, sur la valeur locative au 1er janvier 2018. Elles ajoutent qu'elle ne démontre pas avoir été dans l'impossibilité de bénéficier d'une augmentation du loyer déplafonné lors des révisions, qu'il lui appartient de démontrer qu'elle a entamé des démarches pour voir le loyer révisé sauf à se contredire, et que, tout en soutenant qu'aucun déplafonnement n'est intervenu, les loyers sont modifiés entre 2010 et 2014. Elles ajoutent que la Sci ne peut confier à un expert le soin de rechercher la discussion qui aurait pu s'établir si l'action en fixation de loyer renouvelé avait été introduite.
***
A défaut de rapporter la preuve qu'il a rempli son devoir de conseil, l'avocat doit réparer le préjudice direct, certain et actuel en relation de causalité avec le manquement commis. Il lui appartient de tout mettre en oeuvre pour assurer la défense de son client sauf à devoir réparer la perte de chance résultant de son manquement, dès lors qu'aurait disparu, de façon actuelle et certaine, une éventualité favorable.
En l'espèce, le bail commercial a été initialement conclu avec la locataire à effet au 1er avril 1995 pour une durée de trois, six ou neuf ans, moyennant un loyer annuel de 49 696 francs, révisable. Si un congé avec refus de renouvellement a été délivré en 2003, il est constant que le bail s'est poursuivi. Puis, le congé litigieux a été délivré le 19 juin 2008, à effet au 31 décembre 2008, avec offre de renouvellement à compter du 1er janvier 2009.
Par l'effet de ce congé, et les parties ne s'étant pas mis d'accord sur le prix du nouveau loyer, le bail s'est trouvé renouvelé au prix de l'ancien jusqu'au 31 décembre 2017.
Sans que le déplafonnement du loyer à la date du congé soit réellement contesté, il sera précisé sur ce point que la commission de conciliation, rappelant n'être compétente que pour les litiges nés de l'application de l'article L. 145-34 du code de commerce propre aux loyers plafonnés, a considéré ne pas l'être au cas d'espèce compte tenu de l'usage des locaux. En effet, la locataire est médecin et les lieux lui ont été loués 'afin de ne pouvoir y exercer qu'une activité médicale ou paramédicale à l'exclusion de la radiologie.' Par application des articles R.149-9 à R. 145-11 du code de commerce, les locaux à usage de bureaux sont exclus du plafonnement. En tout état de cause, la durée du bail a excédé douze années depuis son origine par l'effet de la tacite prorogation, de sorte que le plafonnement du loyer n'était pas plus applicable, par l'effet des dispositions de l'article L.145-34 du code de commerce.
La Sci produit deux avis datés d'avril 2018, d'un même expert judiciaire, M. [P], discuté contradictoirement dans le cadre de la présente procédure.
Ces avis sont circonstanciés et ont été délivrés après visite sur place des locaux, précisément décrits de même que leur environnement. Ont été pris en compte par l'expert, dans son premier avis, au titre des éléments de comparaison, quatre références de loyers déplafonnés fixés judiciairement, les prix locatifs du marché pour des nouveaux baux avec trois références et les prix locatifs du marché pour des baux renouvelés avec quatre références, toutes également précisément décrites. Dans son second avis, en lien avec la valeur locative actuelle du bien, l'expert a pris en compte au titre des éléments de comparaison, trois références de loyers déplafonnés fixés judiciairement, les prix locatifs du marché pour des nouveaux baux avec cinq références et les prix locatifs du marché pour des baux renouvelés avec deux références, toutes précisément décrites.
Dans ce contexte, ses conclusions, qui ne sont pas contestées en elles-mêmes, serviront de support de la présente décision sans qu'il soit besoin de recourir à une mesure d'instruction complémentaire.
L'expert a retenu une valeur locative théorique plafonnée au 1er janvier 2009, en appliquant au loyer d'origine l'évolution indiciaire sur la période, de 11 601,83 euros au 1er janvier 2009.
Le gestionnaire de biens a appelé, après régularisation indiciaire qu'il a sollicitée et appliquée selon lettre du 10 janvier 2014 adressée en ce sens à sa locataire, un loyer plafonné de 9 496,17 euros en lieu et place du montant retenu par l'expert. Pour autant, l'appel par la Sci d'un montant inférieur à ce à quoi il aurait pu prétendre au moment du congé est sans lien avec la faute reprochée à Mme [M].
Dès lors, la différence éventuelle entre le montant du loyer plafonné et celui du loyer déplafonné, sera appréciée par rapport au seul montant théorique du loyer plafonné retenu par l'expert.
S'agissant du montant du loyer déplafonné, l'expert a retenu, compte tenu de la situation secondaire du local et de ses aménagements et équipements plutôt quelconques, la plus faible des références judiciaires, soit 300 euros le m², valeur non contestée par la Sci, soit une valeur locative arrondie à 16 000 euros pour le local.
L'expert a, dès lors, calculé ainsi qu'il suit le préjudice théorique lié à l'absence de déplafonnement du loyer au 1er janvier 2009, tenant compte de la révision du loyer aux échéances triennales, et sur la base du loyer théorique plafonné de :
- 13 194, 51 euros du 01 janvier 2009 au 31 décembre 2011 (11 601,83 € - 16 000 €),
- 11 832,08 euros du 01 janvier 2012 au 31 décembre 2014 (11 832,08 € - 16 317,54 €),
- 12 040,06 euros du 01 janvier 2015 au 31 décembre 2017 (12 040,06 € -16 604,35 €),
soit un total de 40 343, 78 euros.
Le terme du bail renouvelé étant le 31 décembre 2017, la Sci, qui pouvait délivrer congé et ne justifie pas de la situation locative actuelle du bien, n'est pas légitime à intégrer dans le calcul de son préjudice, les échéances postérieures à cette date.
En revanche, si les parties peuvent se rapprocher en cours de bail afin de fixer amiablement un nouveau loyer, il s'agit d'une simple faculté, de sorte qu'il ne peut être fait reproche à la Sci de n'avoir pas procédé à une telle démarche, et ce d'autant que les éléments précédents font la preuve d'une augmentation et non d'une diminution de la valeur locative du bien sur la période.
Il est constant que la Sci n'allègue ni ne justifie avoir sollicité de révision du loyer durant le temps du bail renouvelé mais il n'est pas justifié davantage qu'un déplafonnement, tel que visé à l'article L. 145-3 du code de commerce, aurait pu intervenir à chaque période triennale faute d'établir une modification notable des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une augmentation de plus de 10 % de la valeur locative. En effet, les annonces internet de baux commerciaux dans le [Localité 1] ne sont pas probantes alors qu'elles ne permettent pas de faire un rapprochement avec celui en cause.
Par ailleurs, la Sci se prévaut d'une valeur locative du bien de 21 440 euros au 1er janvier 2018 à dire d'expert, pour indiquer que la loi Pinel, intervenue entre-temps, limite désormais toute augmentation de loyer à 10 % par an, ce qui aggrave d'autant son préjudice. Cependant, le bail renouvelé étant parvenu à son terme, la Sci, qui y a déjà procédé par deux fois par le passé, pouvait délivrer congé à sa locataire et ne justifie pas, en tout état de cause, de la situation locative, à cette date et depuis lors, des lieux. Elle ne peut dès lors légitimement arguer d'un préjudice en lien avec la faute de son conseil, pour la période postérieure à l'échéance du bail renouvelé.
Enfin, il convient de retenir que la Sci qui, en 2014, n'avait encore procédé à aucune revalorisation indiciaire du loyer depuis l'origine du bail, à laquelle elle pouvait pourtant prétendre, ne s'est préoccupé du devenir de la procédure de renouvellement du bail avec fixation d'un nouveau loyer qu'en 2013 soit quasiment quatre ans après la délivrance du congé. Elle n'allègue ni ne justifie, en outre, avoir engagé une action à cette fin au terme du bail renouvelé.
Dès lors, il convient d'évaluer à 25 % la perte de chance de la Sci, du fait du manquement de son conseil, de voir son loyer déplafonné sur la période du bail renouvelé dans des proportions comparables à celles proposées par l'expert, soit la somme arrondie de 10 000 euros.
S'agissant d'une indemnisation, cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
Sur les dommages-intérêts pour résistance abusive
La Sci [1] expose enfin, avoir une action directe contre la compagnie d'assurances qui a refusé sa garantie alors que le comportement délibéré de son assuré a désorganisé sa trésorerie et engendré une perte de rentabilité de loyers.
Mme [M] et la société [2] soutiennent que cette demande est particulièrement mal venue alors qu'elles réclament depuis avril 2014 les justificatifs permettant d'évaluer le préjudice allégué et le bien fondé de la réclamation, ce à quoi la société n'a procédé qu'en avril 2018. Elles relèvent que les deux avis d'expert que la société a alors produits, font en outre la preuve que ses demandes étaient jusqu'alors très largement surévaluées, de sorte qu'il était justifié de ne pas y donner suite.
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Alors que la Sci n'a apporté des éléments permettant d'évaluer son préjudice qu'au cours de la procédure d'appel, il n'est pas justifié d'une résistance abusive de la part des intimées, de sorte qu'ajoutant à la décision déférée, la Sci sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les intimées seront condamnés, in solidum entre elles, aux dépens de première instance et d'appel avec possibilité de recouvrement direct au profit de Me Jean-Olivier d'Oria, avocat au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à verser à la Sci la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
la cour,
Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 22 novembre 2017 en ce qu'il a retenu un manquement de Mme [J] [M] à son obligation de conseil et d'information et dit n'y avoir lieu à article 700 du code de procédure civile ;
L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau,
Condamne, in solidum, Mme [J] [M] et la société [2] à verser à la Sci [1] la somme de 8 000 euros en réparation de son préjudice de perte de chance résultant de cette faute ;
Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires ;
Condamne, in solidum, Mme [J] [M] et la société [2] à verser à la Sci [1] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne in solidum entre elles, Mme [J] [M] et la société [2] aux dépens de première instance et d'appel avec possibilité de recouvrement direct au profit de Me Jean-Olivier d'Oria, avocat au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT