Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRÊT DU 20 NOVEMBRE 2019
(n° 2019- 383 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/22434 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4TH2
Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Novembre 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 17/11021
APPELANTE
Madame [B] [H]
née le [Date naissance 1] 1941 à [Localité 4] (92)
Domiciliée [Adresse 6]
[Localité 5] (SUISSE)
Représentée par Me Arnaud GUYONNET de la SCP SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044
Ayant pour avocat plaidant Me Thierry MAREMBERT de la SCP KIEJMAN & MAREMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0200
INTIME
Monsieur [E] [D]
Domicilié Chez Maître Thierry Marembert, avocat, [Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant Me Julie FABREGUETTES de l'AARPI FABREGUETTES AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : E0485
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 Septembre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Christian HOURS, président de chambre
Madame Marie-Claude HERVE, conseillère
Madame Anne de LACAUSSADE, conseillère
qui en ont délibéré,
Un rapport a été présenté à l'audience par Mme Marie-Claude HERVÉ dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme Cyrielle BURBAN
Greffière, lors du délibéré: Mme Delphine DENEQUE
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Christian HOURS, Président de chambre et par Mme Delphine DENEQUE, greffière à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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En 2009, Mme [H] souhaitant vivre en Suisse, a fait appel aux conseils de M. [D] de la selas d'avocats De Gaulle [D] & associés, pour restructurer son patrimoine immobilier situé en France.
A la suite de ces opérations, Mme [H] et M. [D] ont fait l'objet de poursuites ayant abouti à un jugement du tribunal correctionnel de Paris du 13 avril 2015, confirmé par un arrêt de la cour d'appel du 17 mai 2017, aux termes duquel M. [D] a été condamné à une sanction pénale pour complicité d'organisation frauduleuse d'insolvabilité et, sur demande de la direction générale des finances publiques (DGFP), partie civile, déclaré solidairement tenu avec Mme [H] au paiement des impôts fraudés IR et ISF et aux pénalités afférentes dus par cette dernière au titre des années 2007 à 2010, sur le fondement de l'article 1745 du code général des impôts.
Mme [H] et M. [D] ont formé chacun un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
A la suite du jugement du 13 avril 2015 du tribunal correctionnel, la DGFP a, le 25 juin 2015, à titre conservatoire, saisi les parts détenues par M. [D] dans la selas De Gaulle [D] en garantie de sa créance fixée à 2 730 215 € représentant l'IR et l'ISF 2009 et 2010 dus par Mme [H], outre les pénalités et majorations de retard.
Le 28 juillet 2017, M. [D] a assigné à jour fixe sur autorisation présidentielle, Mme [H] devant le tribunal de grande instance de Paris qui, par un jugement du 7 novembre 2017, :
- a rejeté la demande de sursis à statuer formée par Mme [H],
- l'a déboutée de sa fin de non-recevoir tiré du défaut d'intérêt à agir,
- a déclaré M. [D] recevable en son action,
- a condamné Mme [H] à le garantir intégralement à l'euro près, sur simple présentation de quittance, de tout paiement que celui-ci pourra être amené à effectuer entre les mains de l'administration fiscale, au titre de l'exécution de la condamnation solidaire au paiement des impôts IR et ISF fraudés par Mme [H] en 2009 et 2010, prononcée par le tribunal correctionnel de Paris le 13 avril 2015 et confirmée par l'arrêt rendu le 19 mai 2017 par la cour d'appel de Paris,
- a débouté les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles,
- a condamné Mme [H] aux dépens.
Mme [H] a interjeté appel le 7 décembre 2017.
Dans ses dernières conclusions du 31 mai 2019, Mme [H] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- de surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour de cassation,
- de constater le défaut d'intérêt à agir de M. [D],
-de constater l'absence de toute garantie légale ou contractuelle de Mme [H] à l'égard de M. [D],
- de débouter M. [D] de toutes ses demandes,
- de condamner M. [D] à verser 5 000 euros à Mme [H] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions du 17 juin 2019, M. [D] demande à la cour de :
- le recevoir en ses demandes, fins et prétentions,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé qu'il est titulaire d'une garantie légale et conventionnelle à l'égard de Mme [H] qu'il est fondé à mettre en 'uvre,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Mme [H] à le garantir intégralement à l'euro près, sur simple présentation de quittance, de tout paiement que celui-ci pourra être amené à effectuer entre les mains de l'administration fiscale, au titre de l'exécution de la condamnation solidaire au paiement des impôts IR et ISF fraudés par Mme [H],
- en tout état de cause, débouter Mme [H] de ses prétentions,
- condamner Mme [H] à lui régler la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par lettre du 27 septembre 2019, à la demande de la cour, M. [D] a fait savoir que l'audience devant la chambre criminelle de la Cour de cassation avait été reportée au 20 novembre 2019.
MOTIFS DE LA DECISION :
- Sur le sursis à statuer :
Mme [H] sollicite qu'il soit sursis à statuer sur le fondement du dernier alinéa de l'article 4 du code de procédure pénale et de l'article 378 du code de procédure civile, pour une bonne administration de la justice appréciée souverainement par le juge civil. Elle fait valoir que l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation aura une incidence sur la condamnation solidaire de M. [D] et risque, en cas de cassation, de créer une contradiction de décisions avec le jugement du tribunal correctionnel, contraire à une bonne administration de la justice.
Mme [H] ajoute que dans l'instance civile, M. [D] met en cause la mesure de solidarité prononcée par la juridiction pénale et que les deux procédures pénale et civile ont le même objet, savoir le paiement à l'administration fiscale des impôts fraudés et des pénalités afférentes. Elle soutient que la solidarité entre co-débiteurs constitue une mesure à caractère pénal et qu'il n'appartient pas au juge civil de la priver d'effet.
M. [D] rappelle que le sursis à statuer n'est pas obligatoire en l'espèce ainsi que l'a retenu le jugement entrepris. Il conteste ensuite qu'il soit nécessaire à une bonne administration de la justice de surseoir à statuer. Il déclare que son action ne fait pas échec au droit de poursuite de la DGFIP et qu'en outre, l'arrêt de la Cour de cassation n'est pas susceptible de modifier la contribution à la dette de Mme [H] qui in fine est tenue pour le tout en application de l'article 1745 du code général des impôts. Il ajoute que si l'arrêt de la cour d'appel est cassé, la DGFIP ne le poursuivra pas en recouvrement de l'impôt. Enfin il considère que Mme [H] ne peut s'ériger en garante du respect d'une mesure dont elle affirme le caractère pénal.
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Le jugement du tribunal de grande instance de Paris doit être approuvé en ce qu'après avoir retenu que le sursis à statuer n'était pas obligatoire, il a estimé que celui-ci n'était pas nécessaire au regard des exigences d'une bonne administration de la justice. Il a effectivement justement retenu qu'un rejet du pourvoi n'aura aucune incidence sur la présente décision et qu'une censure de l'arrêt du 19 mai 2017 n'aura pas non plus d'incidence sur son contenu mais uniquement sur sa mise en oeuvre.
Par ailleurs, les demandes de M. [D] ne visent pas à remettre en cause les dispositions pénales de l'arrêt correctionnel non plus que les conséquences civiles à l'égard de la DGFP mais uniquement à organiser les rapports entre les deux co-débiteurs.
Ainsi le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer.
- Sur la recevabilité des demandes de M. [D] :
Mme [H] relève que la saisie conservatoire que M. [D] invoque, date de juin 2015 et qu'elle n'a été suivie d'aucune mesure d'exécution. Elle ajoute qu'aucune action en recouvrement n'a été introduite à son encontre, que sa défaillance n'est dès lors pas établie et que M. [D] n'est ainsi pas devenu, à ce stade, personnellement débiteur de l'administration fiscale. Elle fait valoir que M. [D] dispose d'une action récursoire qui n'est ouverte qu'à la suite du paiement de la dette du contribuable. Elle estime ainsi que l'intérêt à agir de M. [D] est éventuel et elle relève que le tribunal ne s'est appuyé que sur une simple perspective en retenant une conversion potentielle de la saisie conservatoire. Elle soutient que les différentes décisions invoquées par M. [D] à l'appui de la recevabilité de sa demande, concernent des situations différentes soit en fait soit en droit.
M. [D] déclare que le bénéficiaire d'une garantie a un intérêt à agir contre le garant avant même d'être poursuivi en paiement et que la jurisprudence autorise l'introduction d'actions préventives, qu'elles soient conservatoires ou déclaratoires, en se fondant sur les règles de droit commun. Il ajoute que son intérêt actuel apparaît suffisamment caractérisé au regard du but recherché consistant à obtenir la consécration des droits qu'il tire des obligations souscrites à son profit. Il fait valoir que la DGFP ne dispose pas de la possibilité de discuter les biens de Mme [H] et que c'est sur son propre patrimoine qu'elle exécutera la condamnation à payer l'impôt pour les années 2009-2010, que Mme [H] est elle-même tenue à plus de dix millions d'euros et que si elle ne paie pas par priorité les 2, 7 millions pour lesquels elle est tenue avec lui, il risque de supporter seul les poursuites alors qu'il ne dispose pas de garantie sur la solvabilité de son ex-cliente. Il soutient que la présente action est destinée à rendre effective la promesse que lui a faite Mme [H] et que ses chances d'obtenir un emprunt bancaire seront plus importantes s'il dispose d'ores et déjà d'un titre exécutoire contre Mme [H].
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L'action de M. [D] vise essentiellement à faire établir la réalité, la nature et la portée de l'engagement que Mme [H] aurait souscrit à son égard dans une lettre qu'elle lui a adressée le 20 septembre 2015.
M. [D] ne peut connaître le moment où l'administration fiscale lui demandera le paiement de la dette d'impôt, néanmoins, il a un intérêt actuel à obtenir dès maintenant les moyens qui selon lui, lui permettront d'agir sans délai en recouvrement des sommes qu'il devra régler si la condamnation est confirmée, afin de reconstituer le plus vite possible son patrimoine qu'une telle condamnation est susceptible de gravement affecter.
Le jugement entrepris sera donc également confirmé en ce qu'il a déclaré M. [D] recevable à agir.
- Sur le bien-fondé de la demande de M. [D]:
Mme [H] conteste que la lettre qu'elle a écrite le 20 décembre 2015 à M. [D], puisse constituer un engagement à son bénéfice alors qu'elle s'est contentée de mentionner qu'elle s'acquitterait personnellement de sa dette fiscale en cas de rejet du pourvoi. Elle explique que cette lettre qui écarte toute hypothèse de défaillance de sa part, ne contient aucun mécanisme de garantie ni aucune promesse de paiement au profit de l'intimé. Elle soutient que cette missive informelle ne constitue pas une lettre d'intention au sens de l'article 2322 du code civil alors qu'elle ne fait pas apparaître un engagement de garantir M. [D] mais seulement la volonté de payer sa dette à l'administration fiscale. Elle ajoute que cette lettre contient une réserve tenant à l'existence d'une condamnation définitive et qu'à ce jour, deux pourvois sont pendants devant la Cour de cassation.
Mme [H] soutient également que M. [D] ne peut invoquer une garantie légale alors que l'action récursoire ouverte au co-débiteur solidaire sur le fondement de l'article 1745 du code général des impôts, ne peut être exercée qu'après paiement de la totalité des sommes dues.
M. [D] maintient qu'il dispose d'une garantie conventionnelle résultant de la lettre écrite par Mme [H] le 20 décembre 2015, que celle-ci s'analyse en un engagement unilatéral ou en une lettre d'intention. Il rappelle que la lettre d'intention n'est soumise à aucune exigence de forme particulière et que l'engagement n'a pas besoin d'être chiffré pour être déterminé. Il reprend les termes du jugement entrepris pour relever que cet écrit ne s'analyse pas en une simple promesse d'ordre moral mais contient l'engagement autonome, sans limite ni réserve, de la garantir afin qu'il ne soit pas inquiété sur ses biens personnels.
M. [D] ajoute qu' aux termes de l'article 1745 du code général des impôts, le co-débiteur solidaire dispose d'un recours pour le tout à l'encontre du contribuable. A titre subsidiaire, si la cour infirmait la décision du tribunal, il demande qu'elle condamne Mme [H] par substitution de motifs en se fondant sur les droits dont il jouit sur le fondement de la garantie légale.
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L'article 2322 du code civil énonce que : ' la lettre d'intention est l'engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l'exécution de son obligation envers son créancier.'
Le 20 décembre 2015, Mme [H] a écrit à M. [D] :
'Si par malheur....je devais être condamnée à payer cette somme, je les paierai sans qu'il soit besoin d'avoir recours à vos biens.
Je tenais à vous le dire et à manifester ma colère et mon incompréhension contre tout ce fatras fiscal'.
Dans cette lettre, Mme [H] s'en prend à l'administration fiscale en lui reprochant de poursuivre le paiement d'une dette qu'elle conteste mais en cas de condamnation définitive, elle prend l'engagement de l'acquitter sans qu'il soit nécessaire d'avoir recours aux biens de M. [D].
Par ses propos, Mme [H] assure M. [D] de ce qu'il ne sera pas obligé de payer la dette fiscale avec son propre patrimoine; la signataire s'engage ainsi à un résultat qui est de protéger les biens de M. [D] de toute action en recouvrement du fisc. Cet engagement est suffisamment ferme pour qu'il ne soit pas considéré comme n'engendrant qu'une obligation morale ou de moyen.
Cet engagement en outre est déterminé dans son objet : payer la dette pour laquelle Mme [H] a été déclarée co-débiteur solidaire et dans son montant puisque précédemment, Mme [H] a rappelé que le fisc poursuit le paiement de la somme de 2, 7 millions à l'égard de M. [D].
Néanmoins l'engagement de Mme [H] est soumis à la condition que la condamnation à son égard soit devenue définitive alors qu'elle conteste être débitrice à l'égard du fisc.
Or à ce jour, la condition n'est pas remplie et Mme [H] qui déclare ne faire l'objet d'aucune demande en paiement, n'a pas encore été mise en situation de devoir s'acquitter de la dette pour laquelle l'intimé est co-débiteur solidaire de sorte qu'à ce stade, aucun élément ne permet de retenir qu'elle n'assumera pas l'obligation qu'elle a ainsi contractée vis à vis de son co-obligé.
Dès lors, l'obligation souscrite par Mme [H] de s'acquitter de sa dette dès que celle-ci sera devenue définitive n'est pas encore née et il n'y a pas lieu de la condamner à garantir intégralement M. [D] de tout paiement que celui-ci pourra être amené à effectuer entre les mains de l'administration fiscale au titre de la condamnation solidaire prononcée par le tribunal correctionnel de Paris du 13 avril 2015 et confirmée par l'arrêt du 19 mai 2017, décisions non définitives, alors qu'au surplus à ce stade aucun élément ne permet de retenir que l'appelante ne remplira pas son obligation à l'égard du fisc et du co-débiteur solidaire.
Par ailleurs, en l'absence de tout paiement réalisé par lui, M. [D] ne peut utilement se prévaloir de l'action récursoire fondée sur l'article 1745 du code général des impôts.
Le jugement du 7 novembre 2017 doit donc être infirmé et M. [D] être débouté de sa demande à l'égard de Mme [H].
Il sera alloué à Mme [H] la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 7 novembre 2017 sauf en ce qu'il a débouté Mme [H] de sa demande de sursis à statuer et de la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir;
Statuant à nouveau dans ces limites :
Déboute M. [D] de ses demandes ;
Condamne M. [D] à payer à Mme [H] la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne M. [D] aux dépens.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT