RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRÊT DU 20 Novembre 2019
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/14549 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4SPI
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 Octobre 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F 15/07393
APPELANT
Monsieur [R] [O]
[Adresse 1]
[Localité 1]
représenté par Me Pascal GASTEBOIS, avocat au barreau de PARIS, toque : R188
INTIMEE
SAS PATISSERIE E.LADUREE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
N° SIRET : 572 045 540
représentée par Me Marianne DA SILVA MARTINS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Christine BORDET LESUEUR, avocat au barreau de CHARTRES
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Septembre 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Florence OLLIVIER, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Antoinette COLAS, Présidente de Chambre
Madame Françoise AYMES-BELLADINA, Conseillère
Madame Florence OLLIVIER, Vice Présidente placée faisant fonction de Conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 19 juillet 2019
Greffier : M. Julian LAUNAY, lors des débats
ARRET :
- Contradictoire
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Antoinette COLAS, Présidente de Chambre et par Monsieur Julian LAUNAY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [R] [O] a été embauché par la SAS PATISSERIE E.LADUREE le 4 février 2003 suivant un contrat de travail à durée déterminée en qualité de chef des cuisines.
Les parties ont conclu un contrat à durée indéterminée le 24 février 2003.
Monsieur [R] [O] occupait, en dernier lieu, les fonctions de chef des cuisines France et International.
Par lettre du 13 avril 2015, Monsieur [R] [O] a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, prévu le 27 avril 2015.
Son licenciement pour faute grave lui a été notifié par lettre du 5 mai 2015.
Contestant le bien-fondé de son licenciement et sollicitant le paiement de rappel de salaires et de diverses indemnités, ainsi que la désignation d'expert aux fins d'évaluation du prix des parts sociales objet de la cession entre Monsieur [R] [O] et la société Holder, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, qui, par jugement du 20 octobre 2017, s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce sur la clause « bad leaver », a débouté Monsieur [R] [O] de ses demandes, a débouté la société PATISSERIE E.LADUREE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné Monsieur [R] [O] aux dépens.
Monsieur [R] [O] a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe en date du 15 novembre 2017.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées par voie électronique le 25 juin 2019, il demande à la cour de :
- condamner la société PATISSERIE E.LADUREE à lui payer les sommes suivantes :
* 396 021,82 euros bruts à titre du paiement d'heures supplémentaires, outre 39 602,18 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
* 161 906,19 euros bruts au titre de la contrepartie obligatoire en repos,
* 89 971 euros nets d'indemnité sur le fondement de l'article L. 8223-1 du code du travail,
* 100 000 euros nets de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le harcèlement subi, ou, à titre subsidiaire, du préjudice causé par la souffrance au travail subie,
* 100 000 euros nets de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au manquement de la société PATISSERIE E.LADUREE à son obligation de sécurité de résultat,
* 550 000 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement nul, ou, subsidiairement, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 44 935,20 euros bruts d'indemnité compensatrice de préavis, outre 4 493,52 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
* 41 939,8 euros nets à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
* 179 742 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,
* 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
- ordonner la délivrance par la société PATISSERIE E.LADUREE de bulletins de salaire, d'un certificat de travail ainsi que d'une attestation Pôle Emploi conformes dans les 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées par voie électronique le 24 juin 2019, la société PATISSERIE E.LADUREE demande à la cour de débouter Monsieur [R] [O] de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [R] [O] fait valoir que :
- le forfait en jours sur l'année est irrégulier, il n'avait pas le statut de cadre dirigeant et il est soumis au régime légal des 35 heures, ce qui lui donne le droit de réclamer le paiement des heures supplémentaires,
- il a effectué des heures supplémentaires au-delà du contingent annuel, ouvrant droit à des contreparties obligatoires en repos,
- ses conditions de travail ont commencé à se dégrader en 2013, en raison des agissements de Monsieur [Q], directeur général, et de Monsieur [K], directeur général des opérations et adjoint de Monsieur [Q], caractérisant un harcèlement moral ou, à tout le moins, une souffrance au travail,
- malgré la dénonciation de ses agissements par le salarié, la société PATISSERIE E.LADUREE n'a pas pris les mesures nécessaires, notamment par son refus d'enquêter, et a manqué à son obligation de sécurité,
- le licenciement est intervenu dans des circonstances humiliantes, brutales et vexatoires,
- la société PATISSERIE E.LADUREE avait épuisé son pouvoir disciplinaire pour les faits invoqués au soutien de cette mesure de licenciement (interdiction de se rendre au sein des cuisines du restaurant des Champs-Elysées le 27 mars 2015 et retrait de l'ensemble de ses contacts professionnels),
- les griefs invoqués sont faux et, en tout état de cause, les fautes invoquées ne justifiaient pas un licenciement pour faute grave.
La société PATISSERIE E.LADUREE fait valoir que :
- Monsieur [R] [O] n'a pas été victime de harcèlement moral ou de souffrance au travail,
- il n'existe aucune violation de l'obligation de sécurité de la part de l'employeur,
- Monsieur [R] [O] tente de se présenter en qualité de victime alors que son comportement est celui d'un harceleur à l'égard de salariés dont la fragilité est indéniable,
- à la fin du mois de mars 2015, la société PATISSERIE E.LADUREE, dans l'attente de pouvoir vérifier la réalité de la situation portée à sa connaissance, va demander à Monsieur [R] [O] de ne pas être en contact avec les équipes de la cuisine [Localité 2], le convoquer à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire, qu'elle annule ensuite pour vérifier la réalité des faits dénoncés,
- les salariés ont fait état du fait qu'ils étaient terrorisés, victimes de racisme, de pressions et de faits d'esclavagisme,
- la société, qui a une obligation de sécurité, ne pouvait rester inactive,
- Monsieur [R] [O] a cherché à déstabiliser Monsieur [Q], en propageant des rumeurs inventées, et son comportement visait à nuire au bon fonctionnement de l'entreprise,
- le contrat de travail du salarié est régi par les dispositions du code du travail relatives au cadre dirigeant (troisième rémunération la plus élevée de la société, associé, autonomie et indépendance totales dans l'organisation de son emploi du temps).
L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 juin 2019 et l'audience de plaidoirie s'est tenue le 19 septembre 2019.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés, aux conclusions respectives des parties.
MOTIFS
Sur les heures supplémentaires
L'article L. 3111-2 du code du travail dispose que les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions des titres II et III.
Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.
Le contrat de travail de Monsieur [R] [O] stipulait : « votre rémunération ne comporte aucune référence à un horaire défini. Vous vous engagez à consacrer le temps requis à l'exécution des tâches de votre emploi. Vous ne sauriez en conséquence, prétendre à une majoration de rémunération à quelque titre que ce soit au motif du dépassement d'horaires. »
En l'espèce, il est constant qu'aucun convention de forfait n'était applicable à la relation contractuelle, mais la société PATISSERIE E.LADUREE affirme que Monsieur [R] [O] avait le statut de cadre dirigeant.
La cour observe, cependant, que si Monsieur [R] [O] avait des responsabilités importantes, impliquant une large indépendance dans l'organisation de son temps de travail et s'il percevait l'une des rémunérations les plus élevées de l'établissement, il n'est pas démontré qu'il était habilité à prendre des décisions de manière largement autonome et qu'il participait à la direction de l'entreprise. Les éléments du dossier, et notamment, l'exclusion du comité de création salé, alors qu'il souhaitait y participer, la nomination de Monsieur [Y] et la promotion de Monsieur [E], sans qu'il soit consulté ou sans son accord, établissent, au contraire, qu'il était exclu des prises de décisions relatives à la direction de l'entreprise.
Dès lors, la société PATISSERIE E.LADUREE ne peut soutenir que les règles relatives à la durée du travail n'étaient pas applicables à Monsieur [R] [O].
Aux termes de l'article L. 3171-4 du Code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.
Monsieur [R] [O] affirme avoir effectué 3292 heures supplémentaires entre juin 2012 et le 5 mai 2015.
Pour étayer sa demande, il verse aux débats un tableau récapitulatif et des tableaux de calcul des heures supplémentaires, mentionnant ses horaires et ses jours de travail, les jours fériés et les jours de congés, ainsi que des courriers électroniques et des billets d'avion pour ses déplacements professionnels.
La société PATISSERIE E.LADUREE ne verse aux débats aucun élément pour justifier des horaires de travail effectivement réalisés par le salarié.
La cour relève que l'envoi de courriers électroniques matinaux ou tardifs par le salarié ne permet pas de démontrer qu'il s'est tenu à la disposition de son employeur de manière continue entre ces envois, et retient que Monsieur [R] [O] a effectué des heures supplémentaires, strictement nécessaires à l'accomplissement de ses missions, dans la limite de 600 heures majorées à 25 % pour la période considérée, sans avoir dépassé le contingent annuel d'heures supplémentaires.
La société PATISSERIE E.LADUREE sera ainsi condamnée au paiement de la somme de 64 278 euros à ce titre, outre la somme de 6 427,80 euros au titre des congés payés y afférents, et le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
Il résulte des éléments ci-dessus que le contingent annuel d'heures supplémentaires n'a pas été dépassé et le jugement ayant débouté Monsieur [R] [O] de sa demande relative à la contrepartie obligatoire en repos sera confirmée.
Sur le harcèlement moral
L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit assurer la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise et notamment prévenir les faits de harcèlement moral.
Dès lors que de tels faits sont avérés, la responsabilité de l'employeur est engagée, ce dernier devant répondre des agissements des personnes qui exercent de fait ou de droit une autorité sur les salariés.
Selon les dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L. 1152-2 du même code dispose qu'aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
Enfin, l'article L. 1154-1 du même code prévoit, qu'en cas de litige, si le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, Monsieur [R] [O] invoque les faits suivants :
- une mise à l'écart et des propos désobligeants et humiliants : il indique avoir été écarté de la réunion du comité de création salé au cours de l'année 2013, il lui a été demandé de ne plus s'occuper des cuisines France en juin 2014, à la suite de la nomination de Monsieur [Y] aux fonctions de chef du restaurant des Champs-Elysées, il n'a pas été consulté à l'occasion de la nomination de Monsieur [E] le 1er janvier 2015,
- la mise en 'uvre de procédures disciplinaires brutales, vexatoires et injustifiées : convocation à un conseil de discipline sans explication en mai 2013, interdiction de se rendre dans les cuisines des Champs-Elysées le 27 mars 2015, retrait de l'ensemble des contacts professionnels de son téléphone portable, abandon de la première procédure disciplinaire sans explication puis nouvelle convocation signifiée par voie d'huissier, interrogatoire lors de l'entretien préalable,
- l'absence de mesure prise par la société PATISSERIE E.LADUREE qui a refusé de prendre en compte ses alertes,
- l'invention de faits fautifs pour le licencier.
Pour étayer ses affirmations, Monsieur [R] [O] produit notamment :
- les échanges de courriers électroniques le 5 avril 2013 avec Monsieur [K], relatifs à la réunion du comité de création salé, dans lequel ce dernier écrit « en tant que directeur général des opérations, je vous fais intervenir quand je pense bon de le faire sur les périmètres que je dirige. J'estime donc pas dommage que vous soyez prévenu à ce stade car vous êtes en plein dans les réunions préparatoires »,
- les échanges de courriers électroniques du 17 et 18 juin 2014 à la suite de la nomination de Monsieur [Y],
- les courriers électroniques adressés à Monsieur [Q] les 6 janvier et 11 février 2015 relatifs à la promotion de Monsieur [E] sans consultation de Monsieur [R] [O],
- les courriers adressés à Monsieur Holder le 20 mai 2013 et au mois de juin 2014, dans lesquels le salarié dénonce les attaques et le comportement de Monsieur [K] et de Monsieur [Q],
- le courrier électronique du 27 mars 2015 dans lequel Monsieur [Q] indique « merci d'appliquer ma décision de procédure d'urgence suivante. Arrêt immédiat de vos passages en contact avec les équipes cuisine des Champs-Elysées », et la lettre de convocation à un entretien préalable à une sanction disciplinaire datée du 27 mars 2015,
- la signification par voie d'huissier le 13 avril 2015 de la lettre de convocation à l'entretien préalable à un éventuel licenciement,
- les échanges de courriers électroniques du 15 avril 2015, relatifs au retrait des contacts professionnels du téléphone portable de Monsieur [R] [O], pour lequel Monsieur [Q] indique « je ne vois pas de quoi vous parlez concernant le sujet de vos contacts téléphoniques ' Je me rapproche des RH et de la DSI »,
- des attestations d'anciens collaborateurs, faisant état des qualités de Monsieur [R] [O] au travail,
- l'attestation de Monsieur [Z] [S] qui indique notamment « j'ai alors pris sur moi de conseiller à [A] de cesser un tel comportement, surtout que lui-même me disait qu'il avait eu une mauvaise interprétation de la sévérité et de la rigueur de M. [O] sur le lieu de travail (compris par lui et ses camarades comme une haine). Je me souviens que [A] m'a promis de réunir ses camarades à son retour en France, et de faire un courrier de clarification sur leurs intentions non malveillantes »
La cour observe, en premier lieu, que le retrait des contacts téléphoniques de son téléphone portable et sa convocation à un conseil de discipline en mai 2013 ne sont pas établis par les éléments du dossier.
Par ailleurs, si les éléments versés aux débats démontrent que le salarié a pu être en désaccord avec Monsieur [K] et Monsieur [Q] à trois reprises, à propos de sa participation à une réunion et de la nomination de deux collaborateurs, la cour observe que les décisions prises relevaient du pouvoir de direction de l'employeur, que ces différends sont intervenus de manière ponctuelle, à plusieurs mois d'écarts, et sans pouvoir caractériser des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail, laquelle n'est aucunement étayée par le salarié par le versement de documents médicaux, notamment.
La cour constate également que la convocation à l'entretien préalable par voie d'huissier ne saurait s'apparenter à des faits de harcèlement moral et qu'il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir diligenté d'enquête interne sur les agissements dénoncés par Monsieur [R] [O], qui ne sont pas susceptibles de caractériser des faits de harcèlement moral.
Il apparaît, en outre, que la mise en 'uvre de la procédure d'alerte, interdisant à Monsieur [R] [O] de se rendre à la cuisine des Champs-Elysées, à la suite de la dénonciation de ses propres agissements par des salariés de ce restaurant, constituait une mesure indispensable au respect par l'employeur de son obligation de sécurité et relevait de son pouvoir de direction, comme la mise en 'uvre d'une procédure disciplinaire pour sanctionner ces faits.
La cour observe, enfin, que les pièces produites ne permettent pas d'étayer la thèse selon laquelle les griefs invoqués au soutien du licenciement seraient inventés de toute pièce pour le licencier, étant précisé que de nombreuses attestations de salariés font état du comportement agressif et dénigrant de Monsieur [R] [O] et que les attestations favorables produites par ce dernier n'excluent pas la commission de faits de harcèlement à l'encontre d'autres salariés.
Il résulte de ces éléments que les faits dénoncés, pris dans leur ensemble, ne permettent pas de présumer l'existence de faits de harcèlement moral.
De même, ni l'existence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ou d'un préjudice moral tiré de la souffrance au travail subie par Monsieur [R] [O] ne sont établies.
Ainsi, le jugement ayant débouté Monsieur [R] [O] de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral, pour souffrance au travail, pour manquement à l'obligation de sécurité et pour licenciement nul sera confirmé.
Sur le licenciement
Aux termes de l'article L. 1332-2 du code du travail, lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié.
Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise.
Au cours de l'entretien, l'employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié.
La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d'un mois après le jour fixé pour l'entretien. Elle est motivée et notifiée à l'intéressé.
Une même faute ne peut faire l'objet de deux sanctions successives.
Constitue une faute grave un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation de ses obligations d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il incombe à l'employeur d'établir la réalité des griefs qu'il formule.
En l'espèce, la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :
« (...)
* Il y a 5 ans environ, nous avons été alertés par des équipes de cuisine de différents sites, qui avaient dénoncé votre attitude à l'égard de certains salariés.
Certains dénonçaient ainsi des faits répétitifs d'humiliation, de racisme et de harcèlement de votre part.
Les salariés avaient alors débrayé, avec occupation des locaux de notre établissement [Localité 2].
Nous avons pris différentes mesures et l'an dernier il ne vous a plus été confié la gestion des équipes de cuisines Parisiennes en direct, mais un rôle d'auditeur et formateur, régulant vos actions auprès des Chefs et Encadrants de cuisine.
Vous passez donc notamment dans les cuisines des établissements parisiens périodiquement pour effectuer des audits et les lancements de nouvelles cartes saisonnières.
Vous procédez ensuite à l'envoi de compte-rendus et vous vous adressez au chef de la cuisine et le directeur concerné, pour émettre d'éventuelles remarques.
A cette occasion, nous constatons que sur le site [Localité 2] particulièrement, lorsque vous vous rendez en cuisine, vous n'adoptez pas une attitude constructive.
Vous portez atteinte à l'esprit d'équipe et vous vous adressez directement aux équipes de manière humiliante.
Nous avons été récemment alertés par des membres du personnel, et des représentants du personnel.
Nous avons décidé de procéder à une vérification au titre de la dénonciation des plaintes tant écrites que verbales des salariés de la société et dénonçant des actes répétés qualifiables de harcèlement.
Nous avons pris la décision de réunir les délégués du personnel, membres du comité d'entreprise, ainsi que le CHSCT, en présence du médecin du travail, compte-tenu de la gravité de tels faits portés à notre connaissance.
Les révélations au titre de la souffrance endurée par certains membres du personnel de notre société, et après vérification de ces faits,nous ont particulièrement stupéfaites.
Il est révélé ainsi le caractère humiliant des propos que vous avez tenu à l'encontre de Monsieur [A], tels que «tu sers à rien... tu sais rien faire...tu connais rien.... », alors que vous effectuez un audit le 05.03.2015 dans la cuisine.
Cette humiliation est de surcroît effectuée en prenant à témoins d'autres salariés, en disant à haute voix au chef de cuisine « pourquoi tu le mets au poisson, il sait rien faire, il sert à rien ».
Ce même jour, vers 13h00, vous vous êtes à nouveau campé devant Monsieur [A] et lui avez demandé à plusieurs reprises, de façon insistante, en se moquant de lui, avec un rire narquois pour le ridiculiser devant le reste de l'équipe : « combien tu sors de plats par jour ''
Faits non seulement inacceptables mais d'autant plus étonnants que vous avez vous-même promu Monsieur [A] à deux reprises lorsque vous étiez en charge de la gestion des équipes de cuisines parisiennes.
Ce dernier s'est senti ridiculisé face au reste de l'équipe.
Vous vous permettez également de dire à certains salariés lors de vos passages en cuisine, que vous préféreriez « embaucher des gens dans la rue, plutôt que de travailler avec eux ».
L'une de nos salariées actuellement embauchée au Printemps Haussmann est en situation de souffrance psychologique. Celle-ci, qui a été en période de suspension de son contrat de travail, nous a fait part le 10 avril 2015, de son angoisse à la seule idée de vous rencontrer, et que vous puissiez de nouveau l'humilier et, entre autre, en lui indiquant « dégage la vieille.. ».
Le 9 avril 2015, une autre collaboratrice nous a révélé vos agissements à son encontre tels qu'une mise à l'écart volontairement dégradante au sein du service auquel elle était affectée.
Vous n'hésitiez pas à la traiter de «conne».
Vous vous êtes adressé à elle de façon méprisante.
Il n'est pas admissible que vous vous permettiez de claquer des doigts pour interpeller cette collaboratrice.
Celle-ci nous fait part que l'origine de sa démission réside dans votre comportement à son égard.
Vous faites régner au sein des équipes un climat de peur incompatible avec une exécution normale de vos fonctions en contact permanent avec des collaborateurs.
Il vient de nous être révélé certains de vos agissements pour lesquels nous étions loin d'imaginer leur existence, et ce à titre d'exemple :
· heures supplémentaires non comptabilisées, retrait dans les enveloppes des feuilles avec solde de congés, et heures de modulation,
· Vous avez indiqué à l'un des salariés « au Mali même le Président est moins bien payé que toi...tu as beaucoup de chance alors m'embête pas avec ça... »,
· fermeture à clef de la porte de communication de la cuisine pour que personne ne sorte et aille aux toilettes vers les vestiaires.
Une des apprenties a d'ailleurs uriné dans son pantalon en travaillant à son poste.
· Un de nos salariés sur le site [Localité 2] s'est coupé au bras et n'a pas eu votre autorisation pour aller se soigner, il a dû continuer de travailler en saignant, étant terrorisé.
Nous avons pu ainsi vérifier l'existence d'une véritable souffrance psychologique de certains membres de notre personnel compte-tenu de vos agissements.
Nous ne pouvons accepter ainsi une telle situation.
Nous vous rappelons que nous avons une obligation de sécurité de résultat et devons garantir à nos salariés de bonnes conditions de travail.
Par vos agissements, vous anéantissez tous les efforts de communication et de rapprochement entrepris depuis quelques années entre les membres de la direction opérationnelle des Champs Elysées et les salariés en cuisine.
* De plus, vous êtes à l'origine de rumeurs déstabilisantes à l'égard de la Direction Générale.
Vous affirmez auprès de certains membres de la Direction que le Directeur Administratif et Financier nouvellement embauché sera le futur Directeur Général de la société LADUREE en lieu et place du Directeur Général actuel.
Votre comportement vise à décrédibiliser le Directeur Général à l'égard des équipes, tant à l'étranger qu'en France.
Les rumeurs infondées que vous colportez visent à rompre la cohésion d'équipes qui doit être instaurée.
Votre objectif est indéniablement de nuire au bon fonctionnement de la société, déstabilisant la Direction et plaçant en situation délicate le Directeur Général vis-à-vis tant de sa hiérarchie que de ses équipes.
(...) »
La cour observe, à propos de l'impossibilité de cumuler les sanctions invoquée par le salarié, que la mesure d'urgence tendant à interdire à Monsieur [R] [O] les passages en contact avec les équipes cuisine des Champs-Elysées, dans l'attente de l'engagement de la procédure disciplinaire, ne constituait pas une sanction disciplinaire, mais une mesure ayant pour objet d'assurer la sécurité des salariés qui s'imposait à l'employeur en application de son obligation de sécurité, et n'emportait pas modification durable du contrat de travail.
Par ailleurs, la cour relève que l'entretien préalable fixé au 7 avril 2017 a été annulé, qu'il n'a pas été suivi de la notification d'une quelconque sanction, et que la société PATISSERIE E.LADUREE, qui n'avait alors pas épuisé son pouvoir disciplinaire, pouvait engager une procédure de licenciement, après avoir procédé à des investigations internes lui permettant d'avoir une connaissance précise des griefs reprochés, observation étant faite que le licenciement est intervenu dans le délai d'un mois suivant la date prévue pour l'entretien annulé.
A propos des griefs invoqués, la cour constate que la réalité du comportement dénigrant et agressif, que Monsieur [R] [O] a pu avoir avec ses collaborateurs, pendant de nombreuses années, est établie par les nombreuses attestations précises et circonstanciées de salariés versées aux débats et par le procès-verbal des réunions extraordinaires des délégués du personnel des Champs-Elysées, du comité d'entreprise et du CHSCT qui se sont tenues le 10 avril 2015, au cours desquelles des salariés ont pu dénoncer les faits commis par Monsieur [R] [O] entre 2006 et le mois de mars 2015, dont l'employeur n'avait pas connaissance jusqu'alors, et repris dans la lettre de licenciement.
La cour souligne que, nonobstant les allégations de Monsieur [R] [O], aucun élément du dossier ne permet d'établir que ces dénonciations sont le fruit d'une cabale montée contre lui par Monsieur [K] et Monsieur [Q].
La cour constate que les agissements reprochés à Monsieur [R] [O] sont susceptibles de caractériser des faits de harcèlement moral et qu'ils rendaient impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, observation étant faite que, tenue d'une obligation de sécurité, la société PATISSERIE E.LADUREE était tenue d'y mettre fin sans délai.
En conséquence, le licenciement était justifié et le jugement ayant débouté Monsieur [R] [O] de ses demande d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera confirmé.
Sur le licenciement vexatoire
Il résulte des développements précédents que la mesure tendant à interdire à Monsieur [R] [O] d'entrer en contact avec les équipes des cuisines des Champs-Elysées puis la mise à pied à titre conservatoire étaient justifiées par la nature des faits dénoncés par les salariés et que le retrait de l'ensemble des contacts professionnels du téléphone du salarié n'est pas établi.
Par ailleurs, si la procédure disciplinaire engagée le 27 mars 2015 a finalement été abandonnée, la cour observe qu'elle n'a donné lieu à aucune sanction et qu'aucune irrégularité de procédure n'est établie.
La cour relève, enfin, que si la convocation à l'entretien préalable au licenciement a été signifiée par voie d'huissier, aucun élément du dossier ne permet d'établir que l'employeur a donné un caractère public aux griefs reprochés ou au licenciement, qu'il a tenu des propos dénigrants ou injurieux ou qu'il s'est comporté de manière brutale à l'égard du salarié.
Ni le manquement de l'employeur à ses obligations, ni le préjudice particulier qui en serait résulté ne sont établis et le jugement déféré ayant débouté Monsieur [R] [O] de cette demande sera confirmé.
Sur le travail dissimulé
L'article L8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié.
Aux termes de l'article L8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Aucun élément produit aux débats ne démontre la réalité de l'intention frauduleuse de l'employeur de recourir au travail dissimulé.
Le jugement déféré ayant débouté Monsieur [R] [O] de cette demande sera ainsi confirmé.
Sur la remise de documents sociaux
Compte tenu des développements qui précèdent, il convient de faire droit à la demande de remise des bulletins de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi conformes, dans les termes du dispositif sans qu'il n'y ait lieu d'assortir cette remise d'une astreinte.
Sur les frais de procédure
La société PATISSERIE E.LADUREE, succombant partiellement à l'instance, sera condamnée aux entiers dépens.
L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté Monsieur [R] [O] de sa demande relative au paiement des heures supplémentaires,
L'infirme sur ce point,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la SAS PATISSERIE E.LADUREE à payer à Monsieur [R] [O] la somme de 64 278 euros au titre des heures supplémentaires, outre la somme de 6 427,80 euros au titre des congés payés y afférents,
Ordonne la remise par la SAS PATISSERIE E.LADUREE à Monsieur [R] [O] des bulletins de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi conformes à la présente décision dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt,
Rejette la demande d'astreinte,
Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SAS PATISSERIE E.LADUREE aux dépens de l'entière procédure.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE