RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 14 Novembre 2019
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/03950 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7TSF
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 Décembre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 12/00851
APPELANTE
Mme [R] [F] [A]
Demeurant [Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Olivier GOZLAN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0668 substitué par Me Cyril GARCIAZ, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
L'association CENTRE INTERNATIONAL DE BAGNOLET POUR LES OEUVRES CHOREGRAPHIQUES SEINE SAINT DENIS représentée par Madame [M] [O], Présidente de l'association munie d'un pouvoir.
Sise [Adresse 2]
[Adresse 2]
N° SIRET : 333 977 114 00045
représentée par Me Sandrine LOSI, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020 substitué par Me Nadia BOUMRAR, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 1er Octobre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle MONTAGNE, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre
Madame Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente
Madame Isabelle MONTAGNE, Conseillère
Greffier : Madame Pauline MAHEUX, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre et par Madame Marine BRUNIE, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
[R] [A] a été engagée par l'association Centre International de Bagnolet pour les Oeuvres Chorégraphiques de Seine Saint Denis (ci-après Ciboc) suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 5 septembre 2005 en qualité d'attachée à l'information en référence à la convention collective nationale des entreprises artistiques et culturelles, classification de techniciens et agents de maîtrise 2 de la filière communication et relations publiques à l'échelon 1 moyennant une rémunération de 1.500 euros mensuels bruts pour 'une durée hebdomadaire moyenne annualisée de travail de 35 heures et qui sera, sauf exception, dans la plage horaire de 10 heures à 18 heures' ; en dernier lieu, par avenant à compter du 1er novembre 2010, le salaire a été fixé à 2.300 euros bruts mensuels.
Par lettre datée du 26 avril 2011, [R] [A] a adressé à l'employeur une lettre de démission à l'issue de son préavis de deux mois, soit à compter du 1er juillet 2011.
Le Ciboc emploie habituellement moins de onze salariés.
Le 5 mars 2012, [R] [A] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny afin d'obtenir la condamnation du Ciboc à lui payer des dommages et intérêts pour harcèlement moral et des heures supplémentaires.
Par jugement prononcé le 16 décembre 2014, auquel la cour renvoie pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, cette juridiction a débouté [R] [A] de ses demandes, a débouté le Ciboc de sa demande reconventionnelle et a condamné [R] [A] aux dépens.
Le 3 avril 2015, [R] [A] a relevé appel à l'encontre de ce jugement.
Par ordonnance du 6 octobre 2015, la cour a ordonné la radiation de l'affaire du rôle des affaires de la cour. [R] [A] a sollicité son rétablissement au rôle suivant demande et conclusions reçues au greffe de la cour le 6 octobre 2017.
Aux termes de ses conclusions visées par le greffier, soutenues oralement à l'audience du 8 octobre 2019 sans ajout ni retrait, [R] [A] demande à la cour d'infirmer le jugement, de dire qu'elle a été victime de harcèlement moral, de condamner le Ciboc à lui payer les sommes suivantes :
* 15.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
* 11.039,61 euros au titre des heures supplémentaires effectuées entre le 1er septembre 2008 et le 1er juillet 2011,
* 1.103,96 euros au titre des congés payés afférents aux heures supplémentaires,
* 2.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
avec intérêts au taux légal et d'ordonner la capitalisation de ceux-ci ainsi que la remise des bulletins de paie, certificat de travail, reçu pour solde de tout compte et attestation destinée à Pôle emploi, de manière rectifiée, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Aux termes de ses conclusions visées par le greffier, soutenues oralement à l'audience sans ajout, ni retrait, le Ciboc demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter [R] [A] de ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 2.500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Conformément aux dispositions de l'article L.1154-1 du même code dans sa rédaction applicable au litige, il appartient au salarié d'établir des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il juge utiles.
[R] [A] fait valoir qu'elle a subi des agissements répétés de harcèlement moral de la part d'[Q] [Y], directrice du Ciboc, se manifestant par des méthodes de gestion violentes et agressives à son encontre mises en oeuvre quotidiennement ; elle décrit des pressions psychologiques, des violences verbales, du dénigrement, des humiliations et des vexations en public ; elle estime qu'elle s'est trouvée sous l'emprise psychologique de sa directrice qui a abusé de son autorité hiérarchique envers elle ; elle précise qu'en octobre 2011, le syndicat de tutelle a alerté la direction des rencontres chorégraphiques, la médecine du travail et les élus du conseil général de Seine Saint Denis de cette situation partagée par d'autres salariés de l'association ; que ces faits l'ont amenée à démissionner.
Au soutien de ses allégations de harcèlement moral, [R] [A] produit des attestations d'anciens collègues, à savoir [A] [P] qui a travaillé avec elle entre octobre 2010 et juillet 2011, [V] [P] [N] [K], qui a travaillé comme secrétaire de direction sous l'autorité d'[Q] [Y] entre octobre 2008 et juillet 2009 puis à partir de septembre 2009 jusqu'en mars 2013 où elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail, [W] [H], qui a travaillé au Ciboc d'octobre 2005 à mars 2012, [C] [R] qui a travaillé avec elle de décembre 2002 au 1er juillet 2011, [Z] [T] qui a travaillé au Ciboc entre avril et novembre 2008, [L] [L] qui a travaillé au Ciboc entre septembre 2008 et octobre 2010, [T] [Q] qui a travaillé au Ciboc entre février 2009 et juin 2012, [E] [C], qui a travaillé avec elle entre janvier et octobre 2011 et [X][B] [M], qui a travaillé aux Rencontres Chorégraphiques entre mars 2008 et juin 2010.
Ces attestations manuscrites relatent chacune sur plusieurs pages des faits précis et datés mettant en cause le comportement estimé abusif d'[Q] [Y] à l'égard de [R] [A] ; les témoins précisent que le bureau d'[Q] [Y] et celui occupé par [R] [A] et la secrétaire de direction se jouxtaient et que la porte de séparation était toujours laissée ouverte ; ils décrivent des sollicitations et des reproches incessants, des remarques répétées et intrusives, des humiliations en public à l'encontre de [R] [A], le tout habituellement formulé d'une voix forte par [Q] [Y], perçue de leur part comme agressive et autoritaire ; ils qualifient ces agissements de pression anormale mise par la directrice sur leur collègue qui s'est retrouvée au fil des années, épuisée et terrorisée par celle-ci au point de redouter anormalement sa réaction si elle lui parlait de son projet de départ de l'association. Les éléments qui suivent méritent en particulier d'être cités.
[A] [P] indique avoir souvent entendu [Q] [Y] adresser des reproches en criant à [R] [A] ; elle cite des paroles dont elle a été témoin, en particulier le 24 janvier 2011, date à laquelle [Q] [Y] est intervenue dans un échange professionnel qu'elle avait avec [R] [A] en lui disant : 'Qu'est-ce que vous faites' [A], tu dois passer par moi si tu veux parler à [R] ([A]), je ne veux pas que tu ailles la voir directement'.
[V] [P] [N] [K] rapporte que lorsqu'elle échangeait avec [R] [A], elle sentait le regard d'[Q] [Y] qui les épiait par la vitre de son bureau ou bien que celle-ci surgissait dans leur bureau pour couper court à leur conversation en leur disant : 'Vous parlez de quoi, là'', 'Je peux connaître le sujet de votre conversation'' ; elle indique que [R] [A] 'm'a fait part de sa décision de quitter les Rencontres chorégraphiques. Elle était terrorisée par le fait d'annoncer sa décision à [Q] [Y]. Elle décida donc de juste parler du fait qu'elle rejoignait son compagnon à [Localité 1] et non des conditions de travail devenues insupportables'.
[W] [H] rapporte que [R] [A] devait faire face à de nombreuses humiliations ou remarques cinglantes d'[Q] [Y] ; que par exemple le 15 mai 2008, en ouverture du festival au forum du [Localité 2], [Q] [Y] s'est mise, devant lui et le public, à hurler sur [R] [A] à cause d'un problème de bus en lui disant : 'Tu es stupide! Tu n'es qu'une idiote [R]!', lui reprochant 'tu ne sais pas gérer les situations !' alors que c'était ce que celle-ci était en train de faire, que [R] [A] a complètement 'craqué', qu'elle était en pleurs et n'arrivait pas à se contenir. Cette scène est également rapportée de manière précise par [C] [R], celle-ci ayant entendu [Q] [Y] lui dire : 'C'est moi qui vous ai embauchée ! Vous me devez tout' et [X] [M]. [W] [H] indique : 'Je lisais la peur chez [R] [A], année après année, elle s'amplifiait. Elle racontait son angoisse et son stress. Ses cauchemars également'.
[C] [R] estime que le regard constant de la directrice sur [R] [A], les ordres donnés à très haute voix par la directrice créaient un 'vase clos', qu'on 'pouvait sentir en entrant dans le bureau une tension constante, très difficilement explicable mais physiquement palpable (nervosité, mouvements brusques, voix plus forte)', que lorsqu'elle était présente, la directrice questionnait [R] [A] sans arrêt à travers la porte ouverte, 'questions sur ses tâches, ce qu'elle faisait, qui elle appelait, ce qu'elle disait... Je me souviens qu'en réunion ou en entretien dans le bureau d'[Q] [Y], celle-ci pouvait couper la discussion pour interrompre [R] [A] dans son travail : '[R], c'était qui au téléphone'', '[R], tu as bien appelé...', '[R] tu veux bien voir pourquoi mon téléphone ne fonctionne pas''...' ; elle estime qu'[Q] [Y] était 'dans un état de quasi-dépendance vis-à-vis de [R] [A]', lui adressant par exemple des textos de sollicitations professionnelles les week-end ; que les fois où [R] [A] a essayé d'aborder avec [Q] [Y] des heures de travail non récupérées ni dédommagées, 'la colère d'[Q] [Y] a été terrible. Elle menaçait [R] [A] : 'Avec tout ce que j'ai fait pour vous', 'N'oubliez pas que j'ai payé vos études !' 'Si c'est comme cela, c'est la dernière fois'. [R] [A] se sentait redevable et coupable au début, puis à force d'accumulation, d'effroi, de non reconnaissance, je l'ai vue prendre conscience que la situation n'était pas normale. La peur des débuts qui faisait que [R] ne pouvait pas dire non, s'est transformée en malaise et [R] [A] avait des accès comme des palpitations nerveuses et pouvait souvent pleurer après des conversations téléphoniques brutales avec [Q] [Y]' ; elle rapporte que [R] [A] lui avait raconté un voyage au festival d'[Localité 3] du 10 au 14 juillet 2009 avec la directrice où elle avait dû partager un studio avec elle, et, ne voulant pas dormir dans la même pièce qu'[Q] [Y], elle avait dormi sur un matelas gonflable dans la cuisine pendant que la directrice dormait dans la pièce principale ; elle indique : 'Elle m'a dit à de nombreuses reprises qu'elle était terrorisée et complètement angoissée de la relation que la directrice tissait avec elle' ; 'Elle se sentait prise au piège entre des temps de flatterie complètement déplacés et des temps de travail très difficiles avec humiliations répétées sans reconnaissance'.
[Z] [T] indique avoir été témoin des 'tensions et des accès de colère imprévisibles d'[Q] [Y]' et des demandes et ordre continuels d'[Q] [Y] envers [R] [A] ; elle estime que : 'Cette attention constante, cette peur de la crise mettait [R] [A] dans un état de stress et d'angoisse permanents'.
[L] [L] décrit les sollicitations constantes d'[Q] [Y] auprès de [R] [A] ; elle précise avoir remarqué que les derniers temps avant son départ, elle sentait [R] [A] 'plus nerveuse et stressée. Elle venait plus souvent dans mon bureau pour me dire que 'ça n'allait pas', qu'elle 'ne supportait plus la pression qu'[Q] (lui) mettait' ; 'elle me montrait les faux plannings qu'elle signait, comme moi, contrainte. Je me souviens que nous en avions parlé et qu'elle m'avait raconté qu'à son arrivée aux Rencontres, elle avait noté ses heures supplémentaires sur son planning. [Q] [Y] lui avait rétorqué que cela ne se faisait pas, surtout lorsque l'entreprise payait une partie de ses études', 'Elle souhaitait partir mais elle avait peur de la réaction d'[Q] [Y]'.
[T] [Q] rapporte la pression 'énorme' mise par [Q] [Y] qu'elle qualifiait 'd'imprévisible' sur [R] [A], décrivant une 'atmosphère de crainte' régnant dans son bureau, l'amplitude importante de présence de [R] [A] au bureau ; elle précise avoir reçu les confidences de [R] [A] sur sa crainte d'annoncer son départ à [Q] [Y].
[E] [C] indique que [R] [A] assistait en permanence [Q] [Y] et qu'elle travaillait énormément.
[X][B] [M] a été témoin de la crainte de [R] [A] d'annoncer son départ à [Q] [Y].
[R] [A] produit en outre des échanges de courriels sur la période comprise entre le 16 et le 24 juin 2011 entre cinq salariés de l'association, dont elle, et [Q] [Y] aux termes desquels ceux-ci ont collectivement demandé à leur directrice une réunion 'rassemblant l'équipe permanente des Rencontres chorégraphiques pour aborder ensemble les points suivants : organisation, conditions et cadre de travail' en lui proposant des dates entre le 21 et le 27 juin 2011 ; il en ressort qu'[Q] [Y] a proposé des dates à compter du 4 juillet 2011 puis en septembre 2011 et que cette demande de réunion n'a en définitive pas eu de suite.
[R] [A] produit aussi un courriel adressé par [O] [G], salarié du Ciboc à ses cinq autres collègues le 13 juin 2011, intitulé 'lettre - top secret', qui débute ainsi : '(...) Après notre échange de jeudi et avoir pris le temps de la réflexion ce w-e, je vous livre comme prévu mon sentiment face à la situation et ma lecture du personnage avec lequel il faut bien composer ici', aux termes duquel il fait part de sa décision de ne pas signer la lettre collective selon la forme proposée au regard des répercussions individuelles prévisibles compte tenu des 'réactions habituelles' du décisionnaire, 'tout en reconnaissant les difficultés rencontrées par tous'.
[R] [A] produit enfin une lettre du syndicat 'Sud Culture' intitulée : 'Alerte relative aux conditions de travail des employés des Rencontres Chorégraphiques internationales de Seine Saint Denis' en date du 18 octobre 2011 et une fiche établie par le docteur [S] [D], médecin du travail suite à une visite dans les locaux de l'association et un entretien avec [Q] [Y] le 19 octobre 2011, aux termes de laquelle est préconisée 'une action permettant de rétablir la communication et le dialogue' et l'intervention 'd'un psychologue du travail pour audit et action préventive'.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que [R] [A] établit des faits permettant de présumer l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral à son encontre.
Il incombe par conséquent au Ciboc de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le Ciboc fait valoir que [R] [A] a démissionné pour des raisons de convenances personnelles, ayant décidé de rejoindre son compagnon à [Localité 1] ; qu'elle n'a pas été harcelée par [Q] [Y] ; que cette procédure est une cabale dirigée contre [Q] [Y] qui dirige l'association depuis 14 ans, menée par deux anciens salariés présentant une certaine ancienneté qui ont revendiqué la mise en place d'une cogestion avec [Q] [Y] et qui ont entraîné [R] [A] et d'autres salariés dans des actions prud'homales ; que dans ces conditions, leurs attestations ne sont pas probantes ; que cette attitude a eu des répercussions sur l'état de santé d'[Q] [Y].
Le Ciboc produit des plannings de temps de travail effectif signés par [R] [A] pour les années 2005, 2006, 2008, 2009, 2010, 2011 ne faisant pas apparaître de dépassement du temps de travail contractuellement prévu ; une attestation de [O] [G], salarié de l'association datée du 29 janvier 2014 décrivant ses réticences face à l'action collective menée par ses collègues et expliquant le sens du courriel adressé le 13 juin 2011 à ses collègues, écrivant qu'[Q] [Y] 'a une forte personnalité, un caractère tranché et exerce pleinement son autorité' et considérant que ce pouvoir n'est pas abusif ; des attestations établies par messieurs [Z], [W], [N] et [I], partenaires de travail de l'association, sur les qualités et l'investissement professionnels d'[Q] [Y] ; des avis d'aptitude de [R] [A] au poste rédigés par le médecin du travail, le dernier datant de trois mois avant sa démission ; des échanges de lettres entre le Ciboc, l'inspection du travail et le syndicat Sud Culture sur le dernier trimestre de l'année 2011 et des certificats médicaux sur l'état de santé d'[Q] [Y].
Le Ciboc dément de manière générale les dires des attestants en stigmatisant leur subjectivité du fait de plusieurs actions prud'homales initiées par certains d'entre eux ; toutefois, il ne fournit par exemple pas sa propre description des faits qui se sont déroulés le 15 mai 2008 à l'occasion desquels plusieurs témoins relatent une scène d'humiliation publique de [R] [A] par [Q] [Y] lors de l'ouverture du festival au forum du [Localité 2] ou ses propres explications sur les allégations de pressions mises quotidiennement sur [R] [A] au bureau par [Q] [Y] et sur les reproches culpabilisants ou dévalorisants rapportés par plusieurs témoins.
Le fait que [R] [A] n'a pas dénoncé de situation de harcèlement moral à l'inspection du travail ni au médecin du travail ne justifie pas que celle-ci, qui se trouvait alors sous le pouvoir hiérarchique direct exercé quotidiennement par [Q] [Y], n'a pas été l'objet de tels agissements de sa part.
La cour considère que le Ciboc ne prouve pas que les faits allégués par [R] [A] ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que ses agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il en résulte que les agissements de harcèlement moral sont établis.
De tels agissements ont causé un préjudice à [R] [A]. Il lui sera alloué à la charge du Ciboc une somme de 10.000,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral qu'elle a subi.
Sur les heures supplémentaires
Selon l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, et au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utile.
Il appartient, cependant, au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement exécutés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.
[R] [A] fait valoir qu'elle a subi une surcharge de travail notamment pendant la période du festival de danse contemporaine organisé chaque année au mois de mai en réalisant de nombreuses heures supplémentaires qui ne lui ont jamais été rémunérées.
Elle produit des décomptes d'heures supplémentaires regroupant l'ensemble des heures effectuées et indiquant les heures de début et de fin de travail, les temps de pause, de transport en cas de déplacement et les jours de congés payés étant retirés, faisant état de 175,83 heures supplémentaires entre le 1er septembre 2008 et le 31 août 2009, 217,44 heures supplémentaires entre le 1er septembre 2009 et le 31 août 2010, 158,58 heures supplémentaires entre le 1er septembre 2010 et le 1er juillet 2011 ; elle produit encore de nombreux courriels professionnels censés démontrer qu'elle travaillait au-delà de l'amplitude journalière de 10 heures à 18 heures dont un certain nombre qu'elle indique avoir rédigés sous la dictée d'[Q] [Y] depuis sa boîte mail ; les attestations d'anciens collègues de travail déjà citées en particulier celles d'[T] [Q], [V] [P] [N] [K], [L] [L] et [E] [C] dont il ressort l'existence d'une pratique au sein de Ciboc consistant à signer pour les salariés des feuilles de temps conformes à la durée légale de travail sans prendre en compte les heures de travail réellement effectuées, les salariés craignant les colères d'[Q] [Y] sur ce sujet, madame [L] indiquant que [R] [A], comme elle, signait des faux plannings sous la contrainte.
La cour considère que [R] [A] étaye par des éléments suffisamment précis sa demande d'heures supplémentaires.
En réponse, le Ciboc fait valoir qu'il n'a jamais été demandé à [R] [A] d'effectuer des heures supplémentaires ; que les dépassements d'horaires intervenus pendant le festival étaient compensés par des jours de récupération pendant la période estivale ; que généralement, les périodes de travail intenses au moment du festival en mai/juin de chaque année se compensaient avec des périodes plus calmes ; que la salariée a toujours signé ses feuilles de temps sans mentionner d'heures supplémentaires ; que les courriels émis par la salariée après 18 heures, de même que ceux envoyés par [Q] [Y] ne sont pas probants.
Au regard des éléments fournis par la salariée et par l'employeur, la cour a la conviction, considérant notamment le harcèlement moral dont a été l'objet [R] [A] de la part d'[Q] [Y], que [R] [A] a accompli des heures supplémentaires.
Il sera fait droit à sa demande à hauteur de la somme demandée de 11.039,61 euros. Une indemnité compensatrice de congés payés incidents de 1.103,96 euros lui sera également allouée.
Sur les intérêts au taux légal
Les sommes de 11.039,61 euros et 1.103,96 euros qui représentent des créances salariales produiront des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par le Ciboc de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes de Bobigny et la somme de 10.000,00 euros qui représente une créance indemnitaire produira des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur la capitalisation des intérêts
Cette demande est formée en cause d'appel. La capitalisation des intérêts sera ordonnée en application de l'article 1343-2 du code civil.
Sur la remise de documents
Au regard de la solution du litige, il sera ordonné au Ciboc de remettre à [R] [A] un bulletin de paie récapitulatif et une attestation destinée à Pôle Emploi conformes aux dispositions du présent arrêt, sans qu'il n'y ait lieu à ordonner une astreinte.
Le surplus des demandes sera rejeté.
Sur les dépens
Le Ciboc qui succombe en ses prétentions sera condamné aux dépens exposés en première instance et en cause d'appel.
Sur les frais irrépétibles
Il convient de condamner le Ciboc à payer à [R] [A] la somme de 2.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition des parties au greffe,
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
CONDAMNE l'association Centre International de Bagnolet pour les Oeuvres Chorégraphiques de Seine Saint Denis (Ciboc) à payer à [R] [A] les sommes suivantes :
* 10.000,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral subi, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
* 11.039,61 euros au titre des heures supplémentaires effectuées entre le 1er septembre 2008 et le 1er juillet 2011,
* 1.103,96 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés incidents,
avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par le Ciboc de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes de Bobigny,
Y ajoutant,
ORDONNE à l'association Centre International de Bagnolet pour les Oeuvres Chorégraphiques de Seine Saint Denis (Ciboc) de remettre à [R] [A] un bulletin de paie récapitulatif et une attestation destinée à Pôle Emploi conformes aux dispositions du présent arrêt,
ORDONNE la capitalisation des intérêts,
CONDAMNE l'association Centre International de Bagnolet pour les Oeuvres Chorégraphiques de Seine Saint Denis (Ciboc) à payer à [R] [A] la somme de 2.000,00 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE les parties du surplus des demandes,
CONDAMNE l'association Centre International de Bagnolet pour les Oeuvres Chorégraphiques de Seine Saint Denis (Ciboc) aux entiers dépens.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE