La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/10/2019 | FRANCE | N°19/05356

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 8, 25 octobre 2019, 19/05356


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 8



ARRÊT DU 25 OCTOBRE 2019



(n°316 , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/05356 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7P4X



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 26 Décembre 2018 -Tribunal de Commerce de LYON - RG n° 2018R1240



APPELANTE



Société EIFFAGE INFRASTRUCTURES, agissant poursuites et di

ligences de ses représentants légaux, domiciliés ès-qualités audit siège

[Adresse 1]

[Localité 1]



Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 8

ARRÊT DU 25 OCTOBRE 2019

(n°316 , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/05356 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7P4X

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 26 Décembre 2018 -Tribunal de Commerce de LYON - RG n° 2018R1240

APPELANTE

Société EIFFAGE INFRASTRUCTURES, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés ès-qualités audit siège

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assistée par Me Xavier LACAZE du Cabinet DS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : T07

INTIMÉE

Société RENAULT TRUCKS prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés audit siège

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée par Me Dimitri LECAT et Me Jérôme PHILIPPE du Cabinet Freshfields Bruckhaus Deringer LLP, avocats au barreau de PARIS, toque : J007

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 19 Septembre 2019, en audience publique, rapport ayant été fait par M. Thomas VASSEUR, Conseiller conformément aux articles 785, 786 et 905 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sylvie KERNER-MENAY, Présidente

M. Thomas VASSEUR, Conseiller

Mme Isabelle CHESNOT, Conseillère

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Anaïs SCHOEPFER

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sylvie KERNER-MENAY, Présidente et par Lauranne VOLPI, Greffière.

Par une décision du 19 juillet 2016 (affaire AT.39824), la Commission, sanctionnant plusieurs sociétés productrices de camions, a retenu que la société Renault Trucks avait participé à la conclusion d'ententes sur la fixation et l'augmentation des prix de camions dans l'espace économique européen, entre le 17 janvier 1997 et le 18 janvier 2011. Faisant bénéficier la société Renault Trucks de la procédure de clémence, et réduisant ainsi son amende de 40 %, la Commission a notamment infligé une amende de 468.855.017 euros à trois sociétés tenues solidairement, dont la société Renault Trucks.

Près de deux années plus tard, la société de construction et de concession Eiffage Infrastructures a demandé à la société Renault Trucks la communication d'une série de documents se rapportant à cette procédure, exposant qu'ayant acquis entre 1997 et 2010 pour plus de 54 millions d'euros de camions, elle avait été victime de ce cartel.

En l'état du refus qui lui a été opposé, et après avoir été autorisée le 30 octobre 2018, à introduire une procédure de référé d'heure à heure, la société Eiffage Infrastructures a fait assigner, par acte du 31 octobre 2018, la société Renault Trucks devant le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon afin qu'il lui soit ordonné de communiquer dans un délai de trois jours ouvrés les pièces suivantes :

la communication de griefs que la Commission européenne lui a adressée, et les pièces venant à son soutien ;

les pièces communiquées par Renault Trucks dans le cadre de la procédure de clémence ;

les versions confidentielles d'une partie des pièces visées dans la décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016.

Par ordonnance du 26 décembre 2018, le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon a :

dit que la société Renault Trucks avait soulevé des moyens de défense constituant une contestation sérieuse au sens de l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile ;

En conséquence,

dit que les demandes formulées par la société Eiffage Infrastructures excédaient les pouvoirs du juge des référés et l'a renvoyée à mieux se pourvoir devant les juges du fond si elle l'estimait nécessaire ;

condamné la société Eiffage Infrastructures à verser la somme de 10.000 euros à la société Renault Trucks en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la société Eiffage Infrastructures aux dépens.

Par déclaration du 8 mars 2019, la société Eiffage Infrastructures a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises le 6 septembre 2019, auxquelles il est renvoyé s'agissant des moyens qui y sont développés, la société Eiffage Infrastructures demande à la cour de :

déclarer recevable son appel formé à l'encontre de l'ordonnance de référé rendue par le tribunal de commerce de Lyon le 26 décembre 2018 en ce qu'il tend à la réformation et/ou à l'annulation de la décision qualifiée de rendue en dernier ressort ;

infirmer dans son intégralité l'ordonnance de référé rendue par le tribunal de commerce de Lyon le 26 décembre 2018, en ce qu'elle a :

dit que la société Renault Trucks soulève des moyens qui constituent une contestation sérieuse ;

dit que les demandes de la société Eiffage Infrastructures tendant à obtenir la communication, sous astreinte, des griefs que la commission européenne a adressés [à] la société Renault Trucks de la liste des pièces venant à son soutien, des pièces communiquées par la société Renault Trucks dans le cadre de la procédure de clémence, des versions confidentielles d'une partie des pièces visées dans la décision européenne, et de la liste de prix bruts du niveau de ses marges et de ses coûts pratiqués en France entre 1997 et janvier 2013, excèdent les pouvoirs du juge des référés et renvoyé cette dernière à se pourvoir devant le juge du fond, a débouté la société Eiffage Infrastructures de sa demande formulée au titre de l'article 700, l'a au contraire condamnée à une somme de 10.000 euros au titre ainsi qu'aux dépens.

Et, statuant à nouveau :

déclarer recevable la demande additionnelle formée contradictoirement par elle en première instance et reprise dans les présentes écritures, consistant à la demande de communication par la société Renault Trucks de ses listes de prix bruts, du niveau de ses marges et de ses coûts pratiqués en France et cela entre janvier 1997 et 2013 ;

ordonner à Renault Trucks de communiquer, dans un délai de dix jours ouvrés à compter du prononcé de l'arrêt, et passé ce délai sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, les pièces suivantes :

la communication de griefs que la commission européenne lui a adressés ;

la liste des pièces venant au soutien de la communication de griefs de la commission européenne ;

les listes de prix bruts de Renault Trucks pratiqués en France et cela entre janvier 1997 et 2013 ;

les coûts et les marges réalisés en France par Renault Trucks entre 1997 et 2013 ;

les pièces communiquées par Renault Trucks à la commission européenne dans le cadre de la procédure de clémence et qui sont relatives aux prix bruts des camions, aux augmentations de prix bruts, aux remises définies entre les participants des cartels, aux coûts liés aux normes d'émission Euro 3, 4 et 5 qui ont été répercutés sur les clients et plus généralement tout élément relatif à la politique de prix pratiquée en France ;

les versions confidentielles des pièces visées dans la décision de la commission européenne du 19 juillet 2016, aux numéros de bas de page suivants : 10, 11, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44 et 45 ;

se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte au sens de l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution ;

en tout état de cause, condamner la société Renault Trucks à payer à Eiffage Infrastructures la somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner Renault Trucks aux entiers dépens

Dans ses dernières conclusions remises le 11 septembre 2019, auxquelles il est renvoyé s'agissant des moyens qui y sont développés, la société Renault Trucks demande à la cour de :

constater que les nouveaux moyens de la société Eiffage Infrastructures figurant en page 14 à 21 de ses conclusions d'appel signifiées le 6 septembre 2019 ne viennent au soutien d'aucune prétention de la société Eiffage Infrastructures ;

constater qu'aux termes des conclusions des parties, la cour n'est saisie d'aucune fin de non-recevoir fondée sur les dispositions des articles L. 420-7 et R. 420-5 du code de commerce ;

dans l'hypothèse où la cour déciderait de soulever d'office un moyen d'irrecevabilité de l'appel de la société Eiffage Infrastructures, révoquer l'ordonnance de clôture et fixer un calendrier pour permettre aux parties de s'expliquer sur cette question conformément aux dispositions de l'article 16 alinéa 3 du code de procédure civile ;

En tout état de cause :

dire et juger que la référence impropre à l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile dans l'ordonnance de référé rendue le 26 décembre 2018 par M. le président du tribunal de commerce de Lyon ne justifie pas l'infirmation de l'ordonnance ;

dire et juger que les demandes de production additionnelles de documents formulées le 26 novembre 2018 relatives aux listes de prix bruts de Renault Trucks pratiqués en France et cela entre janvier 1997 et 2013 et aux coûts et marges réalisés en France par Renault Trucks entre 1997 et 2013 sont irrecevables;

dire et juger que la demande de production forcée de documents de la société Eiffage Infrastructures est inutile en vue du litige ultérieur envisagé ;

dire et juger que la demande de production forcée de documents de la société Eiffage Infrastructures est disproportionnée, insuffisamment déterminée et excède manifestement le cadre du litige envisagé ;

dire et juger que la demande de production forcée de documents de la société Eiffage Infrastructures porte sur des éléments confidentiels dont l'accès porterait une atteinte disproportionnée au secret des affaires, à la confidentialité et à l'attractivité des procédures de clémence ;

dire et juger que la demande d'astreinte est injustifiée ;

dire et juger la société Eiffage Infrastructures infondée en l'ensemble de ses demandes ;

En conséquence :

confirmer l'ordonnance de référé rendue le 26 décembre 2018 par M. le Président du tribunal de commerce de Lyon en ce qu'elle a débouté Eiffage Infrastructures de l'ensemble de ses demandes ;

débouter Eiffage Infrastructures de l'ensemble de ses prétentions ;

condamner la société Eiffage Infrastructures à payer à la société Renault Trucks 30.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société Eiffage Infrastructures aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers au profit de la SELARL Lexavoué Paris-Versailles par application de l'article 699 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR,

Sur la procédure :

En premier lieu, contrairement à ce qu'indique l'ordonnance attaquée, cette décision n'est pas rendue en dernier ressort, ce qui n'est au demeurant pas contesté par les parties.

Par ailleurs, bien qu'aucune partie ne soulève désormais l'incompétence de la cour de céans, il convient de relever que la présente demande de production de pièces, qui se rapporte à une procédure de condamnation par la Commission pour des pratiques anticoncurrentielles, relève du dispositif prévu aux articles L. 420-7 et R. 420-5 du code de commerce, de sorte que la cour d'appel de Paris est compétente pour connaître de l'appel formé contre la décision attaquée rendue par le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon. En effet, de même que seuls certains tribunaux ont le pouvoir de connaître de ces contentieux spécifiques du droit de la concurrence, y compris lorsqu'est demandée une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile (Com. 17 janvier 2018, Bull. IV n° 2, pourvoi n° 17-10.360), seule la cour d'appel de Paris peut connaître des recours formés contre les décisions de ceux-ci rendues en cette matière.

Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Renault Trucks :

Bien que l'ordonnance dont il a été interjeté appel ne le précise pas, il est constant que la procédure en première instance a été celle d'un référé d'heure à heure.

Aucune des parties ne produit aux débats la requête que la société Eiffage Infrastructures a dû remettre au juge de première instance afin d'être autorisée à assigner son adversaire d'heure à heure, conformément à l'article 485 alinéa 2ème du code de procédure civile.

Ainsi, la société Renault Trucks, qui critique la recevabilité des demandes additionnelles formulées après l'assignation d'heure à heure, ne met pas la cour en mesure d'apprécier quelles ont été ces demandes par rapport aux demandes originelles.

Au demeurant, selon la société Renault Trucks, les demandes de production additionnelles de documents qui avaient été formulées le 26 novembre 2018 seraient irrecevables pour avoir été formulées par la société Eiffage Infrastructures postérieurement à la requête qu'elle avait déposée afin d'être autorisée d'assigner à jour fixe. Or, en l'état d'une procédure de référé, c'est l'article 485 alinéa 2 du code de procédure civile qui s'applique et qui concerne le référé d'heure à heure. La procédure à jour fixe quant à elle, prévue aux articles 788 et suivants s'agissant du tribunal de grande instance, n'a pas vocation à recevoir application s'agissant d'un référé d'heure à heure. Aussi l'irrecevabilité des demandes additionnelles formulées par la société Renault Trucks en première instance ne pouvait-elle pas reposer sur une obligation pour son adversaire d'annexer ses conclusions à la requête à fin d'être autorisée à jour fixe, telle que prévue par l'article 788 alinéa 2 du code de procédure civile.

Au surplus, en raison de l'effet dévolutif de l'appel, la cour d'appel est tenue de statuer sur ces demandes additionnelles.

Aussi convient-il de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la société Renault Trucks.

Sur le motif légitime relatif à la demande de communication de pièces :

Contrairement au juge de première instance qui s'est fondé sur l'article 873 alinéa 2ème du code de procédure civile, inapproprié pour le présent litige et au demeurant non visé par la société Eiffage Infrastructures dans le dispositif de ses écritures, il convient d'examiner la présente demande de communication à l'aune des articles 145 du code de procédure civile et des articles L. 483-1 et R. 483-1 du code de commerce.

L'article L. 483-1 du code de commerce dispose :

'Les demandes de communication ou de production de pièces ou de catégorie de pièces formées en vue ou dans le cadre d'une action en dommages et intérêts par un demandeur qui allègue de manière plausible un préjudice causé par une pratique anticoncurrentielle mentionnée à l'article L. 481-1 sont régies par les dispositions du code de procédure civile ou celles du code de justice administrative sous réserve des dispositions du présent chapitre.

Lorsqu'il statue sur une demande présentée en application du premier alinéa, le juge en apprécie la justification en tenant compte des intérêts légitimes des parties et des tiers. Il veille en particulier à concilier la mise en 'uvre effective du droit à réparation, en considération de l'utilité des éléments de preuve dont la communication ou la production est demandée, et la protection du caractère confidentiel de ces éléments de preuve ainsi que la préservation de l'efficacité de l'application du droit de la concurrence par les autorités compétentes.'

L'article R.483-1 du code de commerce dispose :

'La catégorie de pièces mentionnée à l'article L. 483-1 est identifiée, de manière aussi précise et étroite que possible, par référence à des caractéristiques communes et pertinentes de ses éléments constitutifs, tels que la nature, l'objet, le moment de l'établissement ou le contenu des documents dont la communication ou la production est demandée.'

Quant à l'article 145 du code de procédure civile, il prévoit que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

En l'état de ces textes, il convient d'examiner point par point les demandes formulées par la société Eiffage Infrastructures.

Sur la communication des griefs que la commission européenne a adressés à la société Renault Trucks :

La communication des griefs adressés par la Commission à la société Renault Trucks, qui a vocation à être personnalisée à l'égard de chacun des participants à l'infraction et partant, à la société Renault Trucks elle-même, est de nature à fournir à la société Eiffage Infrastructures une description détaillée des infractions, avec les éléments de preuve retenus par la Commission. Elle est ainsi susceptible de procurer à la société Eiffage Infrastructures des éléments autres que la seule décision de la Commission et cette communication revêt dès lors un caractère utile afin d'étayer le dossier que la société Eiffage Infrastructures est légitimement en droit de vouloir constituer, compte-tenu de l'importance du nombre de camions achetés susceptibles d'avoir fait l'objet d'une entente sur les prix à son détriment. Si la société Renault Trucks indique que ces éléments ne se rapportent qu'à ce qu'elle a commis indépendamment de l'effet des ententes sur le marché, il demeure que la société Eiffage Infrastructures est légitimement en droit de connaître plus avant ce que la société Renault Trucks désigne être son comportement infractionnel car ces éléments participent de ceux dont la société Eiffage Infrastructures peut déduire des circonstances de fait et de temps quant aux majorations qu'elle s'est vue possiblement pratiquer de manière indue.

Susceptibles de permettre à la société Eiffage Infrastructures de bâtir de manière effective son dossier pour obtenir réparation, ces pièces, concernent une procédure désormais close.

En considération de ces éléments, il convient, en infirmant l'ordonnance entreprise, d'ordonner la communication sous astreinte de cette pièce.

Sur la liste des pièces venant au soutien de la communication de griefs de la commission européenne :

A l'instar de la communication des griefs, la liste des pièces sur lesquelles la Commission s'est basée pour établir ladite communication est de nature à permettre à la société Eiffage Infrastructures de recueillir des informations susceptibles de lui donner la possibilité de mieux constituer sa demande de réparation à venir, dont il convient d'assurer la mise en oeuvre effective, ainsi que l'indique l'article L. 483-1 du code de commerce.

La société Renault Trucks, qui connaissant ces pièces est la mieux à même d'indiquer en quoi la confidentialité de ces pièces devrait être préservée, se borne à critiquer de manière générale l'utilité de celles-ci pour son adversaire, sans faire état de manière circonstanciée de quelque problème que ce soit qui serait généré par cette communication.

Aussi convient-il d'accueillir également cette demande de communication.

Sur les listes de prix bruts de Renault Trucks pratiqués en France entre janvier 1997 et 2013:

La société Eiffage Infrastructures indique que cette liste lui permettra d'évaluer ce qu'elle désigne être le surcoût concurrentiel.

Cependant, cette demande se heurte à l'exigence de l'article R.483-1 du code de commerce qui dispose que la catégorie de pièces demandées doit être est identifiée, de manière aussi précise et étroite que possible. Or, la présente demande de la société Eiffage Infrastructures n'est ni étroite ni précise.

Cet article précise encore que la catégorie en question est définie par référence à des caractéristiques communes et pertinentes de ses éléments constitutifs, tels que la nature, l'objet, le moment de l'établissement ou le contenu des documents dont la communication ou la production est demandée. Or, les listes de prix bruts, puisque tel est l'objet de la demande de la société Eiffage Infrastructures, peuvent potentiellement se rapporter à un très grand nombre de produits dont la société Renault Trucks indique, sans être contredite à cet égard, qu'il peut s'agir de milliers de références, relatives aux différents composants et options des camions et à leurs combinaisons.

Ainsi, cette demande doit être rejetée en raison de son imprécision.

Sur les coûts et les marges réalisés en France par Renault Trucks entre 1997 et 2013 :

A l'instar de la précédente, cette demande formulée par la société Eiffage Infrastructures doit être rejetée en raison d'une part de son imprécision et d'autre part de l'indétermination du support des pièces demandées : imprécision parce que l'information concernant les coûts et les marges, sans autre indication, sur une période de seize années n'est pas circonscrite dès lors que ne sont pas indiqués quels coûts et quelles marges, et pour quels produits ou sous-catégories de produits sont concernés ; indétermination parce que cette demande concerne une information et non pas des documents déterminés. Or, la cour ne peut s'abstraire, en analysant une demande de communication, de la nécessité de rendre une décision dont la compréhension et l'exécution soient dépourvues d'équivoque et qui fasse en conséquence l'objet d'une interprétation commune et incontestable de la part des parties.

Au surplus, cette demande n'est pas proportionnée à l'atteinte qu'elle porterait à la société Renault Trucks, dans ses négociations à venir avec la société Eiffage Infrastructures et au secret de ses affaires pour la définition de ses prix à venir. A cet égard, de telles informations, qui seraient susceptibles de ne pas seulement servir à étayer la demande indemnitaire que compte former la société Eiffage Infrastructures pour ses achats passés, n'ont pas lieu d'être recueillies dans le cadre de la présente procédure, alors même que la société Renault Trucks expose, sans être contestée sur ce point, que les deux parties continuent d'être en relation d'affaires pour l'achat de nouveaux camions.

Aussi convient-il de rejeter cette demande formulée par la société Eiffage Infrastructures.

Sur les pièces communiquées par Renault Trucks à la commission européenne dans le cadre de la procédure de clémence et qui sont relatives aux prix bruts des camions, aux augmentations de prix bruts, aux remises définies entre les participants des cartels, aux coûts liés aux normes d'émission Euro 3, 4 et 5 qui ont été répercutés sur les clients et plus généralement tout élément relatif à la politique de prix pratiquée en France :

A l'instar des demandes précédentes, cette prétention de la société Eiffage Infrastructures se heurte à l'exigence de précision mentionnée à l'article R. 483-1 du code de commerce. En effet, faire droit à une telle demande en l'assortissant d'une mesure d'astreinte, ainsi que le souhaite la société Eiffage Infrastructures, ne pourrait que mener à des divergences quant à la portée d'une telle obligation, qui seraient fondées sur le caractère flou de la catégorie des pièces demandées. Ainsi, s'il est bien établi qu'il convient de s'attacher à permettre à la société Eiffage Infrastructures de constituer un dossier susceptible de lui assurer de manière effective un droit à réparation, ainsi qu'il résulte de l'article L. 483-1, alinéa 2ème, du code de commerce, il demeure que la demande telle que formulée méconnaîtrait, s'il y était fait droit, la sécurité juridique à laquelle la société Renault Trucks peut prétendre. Du reste, la demande portant sur tout élément relatif à la politique des prix pratiquée en France illustre, par l'indétermination même de son énoncé, que les pièces en cause ne se rapportent pas à une catégorie circonscrite et pouvant faire l'objet d'une appréhension indiscutable.

Au surplus, une telle demande doit être considérée comme disproportionnée au regard de la préservation de l'efficacité du droit de la concurrence, qui est un critère à prendre en compte au regard de l'article L. 483-1 du code de commerce. Il convient à cet égard d'éviter que les entreprises ayant sollicité une clémence de la Commission et ayant collaboré se trouvent défavorisées par rapport à l'hypothèse où elles n'auraient pas coopéré ou par rapport à d'autres opérateurs n'ayant pas coopéré. En divulguant des éléments remis par la société Renault Trucks, celle-ci se retrouverait désavantagée du fait de son attitude coopérative.

Aussi ce chef de demande sera-t-il également rejeté.

Sur les versions confidentielles des pièces visées dans la décision de la commission européenne du 19 juillet 2016, aux numéros de bas de page suivants : 10, 11, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44 et 45 :

Il convient d'analyser point par point si les documents correspondant à ces notes de bas de page de la décision de la Commission sont susceptibles de pouvoir nourrir utilement le dossier à venir que la société Eiffage Infrastructures aspire à constituer dans le cadre de son action envisagée contre la société Renault Trucks, étant observé que cette dernière, pour chacune de ces demandes, ne prétend pas ne pas être en possession des documents en cause.

En considération de cette analyse sélective, il convient d'ordonner la communication des pièces visées dans les notes suivantes de la décision :

la note n° 10 renvoie à une liste des prix bruts harmonisés dans l'ensemble de l'EEE : cette information est assurément pertinente pour la société Eiffage Infrastructures et proportionnée quant à son objet aux intérêts des parties en cause. Au demeurant, la société Renault Trucks ne se prononce pas spécifiquement sur cette prétention. Aussi convient-il d'y faire droit.

la note n° 11 qui concerne les listes des prix pour l'EEE contenant les prix de tous les modèles d'utilitaires moyens et de poids lourds ainsi que des options montées en usine ;

la note n° 18, concernant les augmentations décidées par les participants de leurs prix respectifs ;

les notes n° 19 et 20, concernant les échanges d'informations qui sont intervenus entre les participants aux réunions sur l'harmonisation de la liste des prix bruts et sur les prix nets ;

la note n° 21 concernant les frais supplémentaires appliqués pour l'introduction de technologies en matière d'émissions conformes aux normes européennes ;

la note n° 22, qui concerne les informations qui étaient programmées sur les prix bruts ;

la note n° 24, qui concerne les échanges intervenant au-delà des réunions, par téléphone ou par courriels ;

la note n° 25, qui concerne une réunion intervenue dès le 17 janvier 1997, ce qui correspond au premier jour de l'infraction retenue, de sorte que cette note est susceptible de permettre de mieux appréhender les montants des premières hausses injustifiées ;

la note n° 26, particulièrement importante, car concernant les augmentations intervenues en France ;

la note n° 27, concernant les prix applicables en considération de l'introduction de la norme Euro 4 ;

les notes n° 27 à 31, concernant des échanges d'informations portant notamment sur les prix, qui sont intervenus au niveau des filiales allemandes, étant observé que, comme l'indique le paragraphe 74 de la décision, ces réunions avaient un impact pour l'ensemble de l'EEE ;

les notes n° 32 à 34, qui portent sur la formalisation croissante des échanges entre les participants à l'entente, notamment de feuilles de calcul applicables à des modèles de camion standard ;

les notes 35 et 36, qui concernent notamment les augmentations de prix bruts en 2007 et 2008 ;

les notes n° 37 et 38, qui concernent les planifications d'augmentation de prix bruts pour les années civiles à venir ;

les notes n° 39 à 44, qui portent sur les modalités d'échanges d'informations au niveau des filiales allemandes, lesquels avaient une répercussion au niveau de l'EEE comme l'indique le paragraphe 74 de la décision, pour les années 2004 à 2008, concernant notamment les augmentations de prix décidées pour l'introduction des normes Euro 4 et Euro 5 :

la note n° 45, qui porte sur une note récapitulative faite par l'un des participants à l'entente au sujet des informations transmises par tous les autres.

En revanche, la société Eiffage Infrastructures ne démontre pas l'utilité des pièces visées aux notes suivantes en bas de page de la décision de la Commission :

la note n° 17 qui concerne le nom des participants aux réunions des sociétés condamnées pour entente ;

la note n° 23, qui concerne les ententes concernant les délais de livraison et les prévisions générales marché par marché, ce point ne se rapportant pas à l'augmentation des prix ;

PAR CES MOTIFS

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société Renault Trucks relatives aux demandes de productions additionnelles de documents formulées le 26 novembre 2018 relatives aux listes de prix bruts de Renault Trucks pratiqués en France entre janvier 1997 et 2013 ainsi qu'aux coûts et marges réalisés en France par Renault Trucks entre 1997 et 2013 ;

Infirme l'ordonnance entreprise ;

Statuant à nouveau,

Ordonne la communication par la société Renault Trucks à la société Eiffage Infrastructures, dans un délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, sous astreinte provisoire de 1.000 euros (mille euros) par jour de retard passé ce délai et pendant une durée de trois mois à l'expiration desquels il pourra de nouveau être statué, des pièces suivantes :

les griefs que la Commission européenne a adressés à la société Renault Trucks;

la liste des pièces venant au soutien de la communication de griefs de la Commission européenne ;

les versions confidentielles des pièces visées dans la décision de la commission européenne du 19 juillet 2016, aux numéros de bas de page suivants : 10, 11, 18, 19, 20, 21, 22, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44 et 45 ;

Rejette les demandes formulées par la société Eiffage Infrastructures concernant :

les listes de prix bruts de Renault Trucks pratiqués en France entre janvier 1997 et 2013 ;

les coûts et les marges réalisés en France par Renault Trucks entre 1997 et 2013;

les pièces communiquées par Renault Trucks à la Commission européenne dans le cadre de la procédure de clémence et qui sont relatives aux prix bruts des camions, aux augmentations de prix bruts, aux remises définies entre les participants des cartels, aux coûts liés aux normes d'émission Euro 3, 4 et 5 qui ont été répercutés sur les clients et plus généralement tout élément relatif à la politique de prix pratiquée en France ;

les versions confidentielles des pièces visées dans la décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016, aux numéros de bas de page 17 et 23 ;

Condamne la société Renault Trucks aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne la société Renault Trucks à verser à la société Eiffage Infrastructures la somme de 10.000 euros (dix mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Greffière, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 19/05356
Date de la décision : 25/10/2019

Références :

Cour d'appel de Paris A8, arrêt n°19/05356 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-10-25;19.05356 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award