Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRÊT DU 24 OCTOBRE 2019
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/07160 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3LFK
Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Avril 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRÉTEIL - RG n° F15/01163
APPELANT
Monsieur [O] [J]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Alfonso DORADO-ESCOBAR, avocat au barreau de PARIS, toque : A0913
INTIMÉE
SA ORANGE CARAIBE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
N° SIRET : 379 98 4 8 91
Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 19 Septembre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Hélène FILLIOL, Présidente de chambre
Mme Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre
M. François MELIN, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Hélène FILLIOL dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Anna TCHADJA-ADJE
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Hélène FILLIOL, Présidente de chambre et par Anna TCHADJA-ADJE, Greffier présent lors de la mise à disposition.
FAITS - PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Monsieur [O] [J] a été engagé à compter du 1er février 2007 jusqu'au 31 janvier 2010 en qualité de directeur des ventes et relations clients en Guadeloupe, statut cadre, bande F par la société Orange Caraïbe dans le cadre d'un 'contrat de détachement d' un agent fonctionnaire de la société France Télécom SA'. Le contrat prévoyait notamment que M.[J] bénéficierait d'un véhicule de service, d'une prime d'éloignement et d'une indemnité temporaire pour son logement de 1500€ par mois.
Par courriers du 26 février 2008 et du 15 décembre 2010 le directeur général de la société Orange Caraïbes soulignant les très grandes compétences professionnelles et managériales de M.[J], l'a proposé pour un passage en bande G.
Ledit contrat a été renouvelé du 1er février 2010 au 31 décembre 2012, du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 et du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2018 dans le cadre de deux contrats de renouvellement de détachement et de deux décisions de la société Orange Caraïbes du 19 décembre 2014 et du 8 novembre 2016. Les deux contrats de renouvellement portaient sur les fonctions de directeur des ventes et relations clients, cadre, niveau F en Guadeloupe et prévoyaient notamment que le salarié bénéficierait d'un véhicule de service et d'une indemnité temporaire pour son logement.
A la fin de l'année 2010 la société Orange Caraïbes SA a lancé un projet de réorganisation de la direction ventes et distribution Caraïbes.
A partir du mois de janvier 2011 le poste de directeur des ventes relations clients occupé par M.[J] en Guadeloupe a été confié à un autre salarié de l'entreprise.
M.[J] a été alors affecté successivement :
- du mois de septembre 2011 au mois de décembre 2012 à la direction technique France - direction d'intervention en qualité de chargé de mission,
- du 1er janvier 2013 jusqu'au 30 juin 2013 à la direction transformation de la division Europe pour exercer une mission temporaire de ' director transformation europe, coordinnation with orange France',
- du 1er juin 2013 au 31 décembre 2013 et du 1er janvier 2014 au 30 juin 2014 à la direction support Pologne de la division Europe pour exercer une mission temporaire de soutien au développement des ventes de VDSL chez Orange Pologne.
- du 1er juillet 2014 au 31 décembre 2014 à la direction transformation de la division Europe pour exercer une mission temporaire de ' director transformation europe, coordination with orange France'.
Ces différentes affectations lui ont été notifiées par décision d'affectation sur une mission temporaire prêt de compétence portant mention de sa signature.
Une nouvelle mission lui a été confiée du 1er mars au 29 août 2015 pour exercer les fonctions de 'chargé de mission, transformation du canal direct', impliquant des déplacements entre la France et le Cameroun.
Il a été victime le 13 mai 2015 d'un agression physique avec vol et séquestration à son domicile au Cameroun.
Les relations contractuelles sont soumises à la convention collective nationale des télécommunications.
M.[J] a saisi le 21 mai 2015 la juridiction prud'homale de demandes de rappel de salaire et de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral.
Par jugement en date du 4 avril 2017, le conseil de prud'hommes de Créteil a :
- condamné la société Orange Caraïbe à payer à M. [J] les sommes de:
.40.000 € à titre de dommages et intérêts forfaitaire pour préjudice moral,
.1.200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. [J] de tous ses autres chefs de demande ;
- débouté la société Orange Caraïbe de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- mis les dépens à la charge de la société Orange Caraïbe.
M. [J] a régulièrement relevé appel de ce jugement le 12 mai 2017.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 juin 2019 M. [J] demande à la cour d'infirmer partiellement le jugement,
= A titre préliminaire, sur la validité de l'appel incident de l'intimée et sur la demande d'irrecevabilité de la nouvelle demande relative aux manquements à l'obligation de sécurité de :
- constater qu'il n'a pas formé appel général sinon partiel et que ce dernier ne tend pas à l'annulation du jugement attaqué dont l'objet du litige n'est pas indivisible,
- dire l'appel incident de l'intimée non-recevable,
- constater que sa nouvelle demande est fondée sur la survenance de faits nouveaux et de la révélation de faits nouveaux, en cause d'appel, du propre aveu de la partie adverse, entre autres,
- dire qu'il remplit les conditions des articles 564 et 565 du CPC
- ordonner la jonction, au fond, de la nouvelle demande aux autres chefs de la demande principale
- rejeter l'ensemble des moyens de faits et de droit de la partie intimée
= A titre principal, au fond de :
- Sur le harcèlement moral, porter le montant alloué au titre du préjudice moral à la somme de 450.000€, constater que le jugement fait défaut dans sa motivation des critères de fixation du montant accordé, notamment en violation du principe de proportionnalité, que le montant accordé n'est pas en adéquation avec la gravité des faits, la durée du harcèlement, la taille de la société et du groupe à laquelle elle est rattachée,
- Sur l'injonction de cessation du trouble et reprise de l'activité du salarié à l'issue de son accident de travail, dire que l'employeur a manqué à son obligation de moyen renforcée, notamment d'évaluer et de prévenir le risque de harcèlement moral, de dire que le principe de cohérence du jugement en premier ressort commande impérativement la cessation du trouble, en l'occurence du harcèlement moral, enjoindre à l'employeur de lui proposer de le reclasser et de l'affecter à un des postes correspondant à son profil, dans le périmètre du groupe ORANGE, ce dans un délai de cent quatre-vingt (180) jours, à compter de la notification du jugement, sous condition suspensive de l'avis favorable du médecin du travail pour la reprise de travail et sous réserve du paiement en sa faveur de la somme de 500€ par jour de retard au titre d'astreinte.
- Sur l'application du taux maximal et rappel du solde de la part variable, condamner la société Orange Caraïbe à lui payer la somme de
98.760,49€ sauf à parfaire, au titre de rappel du solde de la part variable due sur la base de la rémunération brute annuelle de base entre janvier 2011 et jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir.
- Sur le préjudice distinct relatif à l'avancement de carrière et à la perte de chance du fait du harcèlement moral de condamner la société Orange Caraïbe à lui verser la somme de 137.953,68€ au titre de perte de chances liées à l'avancement prévisible de carrière du salarié et à l'impact sur sa retraite, sauf à parfaire.
- Sur le non-respect du contrat de travail relatif à l'indemnité d'éloignement et de logement, de condamner la société Orange Caraïbe à lui payer la somme de 168.418,93€ au titre de rappel des primes d'aide au logement et d'éloignement de mars 2015 à la date du rendu de l'arrêt en cause d'appel,
- Sur le préjudice distinct et manquement à l'obligation de sécurité de condamner l'employeur à lui payer la somme de 60.000€ au titre du préjudice distinct au motif des manquements à l'obligation de sécurité.
- de condamner l'employeur à lui payer la somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi
qu'aux entiers dépens de première et seconde instance.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 2 juillet 2019, la société Orange Caraïbe demande à la cour :
= à titre liminaire :
- sur la portée de l'appel de dire que l'appel formé par M. [J] est un appel général et qu'elle a valablement formé un appel incident par voie de conclusions portant sur l'ensemble du jugement,
- sur l'obligation de sécurité de déclarer irrecevable cette demande nouvelle et à titre subsidiaire de débouter M.[J] de celle-ci.
= sur le fond d'infirmer le jugement, de débouter M.[J] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner au paiement d'une somme de 12.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'instruction a été déclarée close le 3 juillet 2019
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'irrecevabilité de l'appel incident :
Pour conclure à l'irrecevabilité de l'appel incident, l'appelant ne peut valablement faire valoir que son appel étant partiel, l'intimé ne pouvait formé un appel incident sur la totalité du jugement. En effet, lorsque, comme en l'espèce le jugement contient plusieurs chefs distincts et qu'une partie interjette appel de l'un d'eux, l'autre partie peut faire appel incidemment des autres chefs.
L'appelant ne peut pas plus valablement fait valoir, que les premières conclusions de l'intimée du 3 octobre 2017 ne font pas mention d'un appel incident alors que la lecture de celles-ci révèlent le contraire. En effet, aux termes desdites conclusions, l'intimé concluait à l'infirmation du jugement, à l'irrecevabilité de la demande nouvelle tirée du manquement à l'obligation de sécurité et au débouté de l'appelant.
Ce moyen tiré de l'irrecevabilité de l'appel incident doit en conséquence être rejeté.
Sur l'irrecevabilité de la demande relative au manquement à l'obligation de sécurité:
Le salarié réclame pour la première fois en cause d'appel la somme de 60.000€ au titre des divers manquements de l'employeur à son obligation de sécurité.
L'intimé ne peut valablement invoquer les dispositions de l'article 564 du code de procédure civile pour conclure à l'irrecevabilité de cette demande.
En effet, la date de saisine de la juridiction prud'homale est antérieure au 1er août 2016, puisque l'instance a été introduite le 21 mai 2015.
En conséquence l'article R.1452-7 du code du travail, qui permet l'introduction de demandes nouvelles, reste applicable.
Cette demande nouvelle doit donc être déclarée recevable.
Sur le harcèlement moral :
Aux termes de l'article L-1152-1 du code du travail ' aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel '.
L'article L 1154-1 du même code, dans sa version applicable en l'espèce, prévoit qu'en cas de litige le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement;
M.[J] invoque les faits suivants :
- l'arrivée d'un successeur sur son poste aux Antilles en janvier 2011 sans en avoir été informé alors qu'il était officiellement toujours en fonction,
- une placardisation pendant quatre années à compter de 2011 se manifestant notamment par l'absence de réelle affectation de poste, une affectation à la direction générale de façon unilatérale dans le cadre d'une mobilité forcée, une interruption du processus d'avancement en bande G, l'absence d'organisation par l'employeur à son bénéfice de l'accompagnement prévu pour les salariés en mobilité et d'entretien annuel d'évaluation biannuel prévus dans le contrat social, le pénalisant dans l'évolution de sa carrière, et le fait brutalement de ne plus être convoqué aux réunions à [Localité 3],
- le silence de son employeur concernant ses demandes de remboursement de frais professionnels,
- une modification unilatérale de son contrat de travail par son employeur le 18 mars 2015 emportant suppression de l'aide au logement, de la prime d'éloignement et d'avantages en nature,
Il conclut que cette situation a eu des conséquences sur sa santé laquelle s'est dégradée à compter de janvier 2011.
Sur l'éviction de son poste et l'arrivée d'un successeur sans avoir été informé et sans explication de son employeur :
Il produit pour étayer ses allégations :
- un courrier électronique de l'employeur du 19 janvier 2011 informant les salariés de l'entreprise de l'arrivée de M.[T] au poste de directeur ventes et relations clients en Guadeloupe,
- un courrier électronique du 20 janvier 2011 aux termes duquel il reproche à son employeur de ne pas 'parler de lui', 'ni expliquer son départ',
Sur la placardisation et l'absence de poste stable pendant 4 années :
Il ressort des éléments de la cause tels que rappelés dans l'exposé du litige, et des pièces produites par M.[J] qu'à partir du mois de janvier 2011 il n'a plus occupé le poste de directeur des ventes relations clients en Guadeloupe sur lequel il était pourtant toujours positionné et a été affecté à compter du mois de septembre 2011 successivement sur différents postes dans différentes directions de la société Orange Caraïbe puis à l'étranger au Cameroun pour une mission de quelques mois.
Il ressort également des pièces produites par ce dernier que le processus de promotion en bande G initié par le directeur général de l'entreprise par courriers du 26 février 2008 et du 15 décembre 2010 visées dans l'exposé du litige de M.[J] a été interrompu.
M.[J] produit les 158 engagements du nouveau contrat social de l'entreprise qui prévoient notamment eune organisation valorisant le travail de chaque salarié par l'organisation d'entretien individuel et un accompagnement pour les salariés en mobilité.
Il ne résulte pas des éléments de la cause qu'il ait bénéficié de cet accompagnement et d'entretiens annuels d'évaluation.
Il ressort en outre de nombreux courriers électroniques produits aux débats, qu'il a sollicité un poste en France ou à l'étranger notamment en août et septembre 2012 en insistant sur le fait qu'il était en recherche de poste depuis 18 mois et qu'il a rencontré plusieurs directeurs métiers Orange afin de trouver une nouvelle affectation.
Sur le silence de l'employeur concernant ses demandes de remboursement de frais et de validation :
M.[J] produit différents courriers électroniques établissant qu'il a relancé à de multiples reprises son employeur notamment en 2012 pour obtenir la validation de ses déplacement et le remboursement de ses notes de frais.
Sur la modification unilatérale de son contrat de travail :
L'appelant communique :
- une lettre de son employeur en date du 18 mars 2015 l'informant de la suspension à compter de la paie du mois de mars 2015 de l'aide au logement, de la prime d'éloignement.
- un courrier électronique du 23 mars 2015 et une lettre du 24 mars 2015 aux termes desquels il conteste la modification unilatérale de son contrat de travail, rappelant à son employeur que l'aide au logement, la prime d'éloignement avaient été maintenus afin qu'il puisse se loger à [Localité 3] et qu'il se battait tout seul pour trouver un poste étant depuis janvier 2011 dans une situation précaire de mobilité forcée, son successeur ayant été nommé sur son poste de directeur vente relation sans qu'il en soit avisé.
Il produit également des quittances de loyer sur la période de février 2015 à septembre 2015 pour un logement situé dans le 15ème arrondissement de [Localité 3].
Sur la dégradation de son état de santé :
M.[J] produit en particulier :
- un courrier de son psychiatre du 21 avril 2015 indiquant l'avoir reçu trois à quatre fois par an depuis 2011 et avoir constaté qu'il avait été en difficulté sur la plan psychologique de manière croissante 'essentiellement d'origine professionnelle'. Ledit courrier mentionne un sentiment profond de dévalorisation, l'impression croissante d'avoir été trahi, malgré sa forte implication professionnelle, un ébranlement ou altération de l'image de soi.
- deux attestations de son psychiatre du 10 octobre 2015 et 8 septembre 2017 faisant état d' un état post traumatique anxieux aigu d'intensité majeure suite à l'agression subie à l'étranger.
- une attestation de son médecin généraliste du 17 août 2016 aux termes de laquelle ce dernier déclare suivre M.[J] depuis 2011 et avoir constaté une aggravation constante de troubles psychologiques pour des raisons alléguées comme professionnelles.
- un certificat médical de son cardiologue du 13 juillet 2017 indiquant que M.[J] a présenté un infractus de myocadre en 2009 et qu'il a été victime d'un harcèlement moral responsable d'une accentuation symptomatique sous forme notamment d'accès de tachycardies, de poussées tensionnelles et d'épisodes d'oppression thoracique.
Au vu de ces éléments il y a lieu de constater que M. [J] établit l'existence matérielle de faits précis et concordants, qui, pris dans leur ensemble, pourraient permettre de présumer l'existence d'un harcèlement.
La société Orange Caraïbe qui sollicite l'infirmation du jugement de ce chef, réfute les allégations de M.[J] et soutient que la preuve du moindre agissement qui caractériserait un harcèlement moral n'est pas rapportée.
Sur l'arrivée d'un successeur sans avoir informé M.[J] et sans explication:
La société intimée, qui conteste avoir 'évincé' M.[J] du jour au lendemain, ne peut valablement faire valoir sans produire aucun élément probant que la 'note de service' du 19 janvier 2011 n'est pas le moyen par lequel M.[J] a été mis au courant de l'arrivée de son successeur mais que celle-ci a été le dernier élément d'une démarche bien plus longue entrant dans le cadre du projet de réorganisation de la Direction ventes et relations clients dont M.[J], en sa qualité de directeur des ventes et des relations, avait parfaitement connaissance.
Les deux documents de présentation du projet direction vente et distribution de septembre 2011 et de la transformation de l'organisation Ventes et Distributions Caraïbe du 12 mars 2012 que l'employeur produit aux débats, ne prouvent pas qu'il a informé M.[J] de sa décision de nommer sur son poste en janvier 2011 un autre salarié.
Sur la placardisation et l'absence de poste stable pendant 4 années :
L'employeur fait valoir qu'il lui a toujours été confié des postes en adéquation avec ses compétences et son profil professionnel. Il souligne à juste titre que le conseil de prud'hommes ne pouvait conclure que M.[J] s'est trouvé sans travail alors que l'examen de son curriculum vitae établi par ses soins révèle qu'il s'est vu confier différentes missions sur la période 2011 à 2015. Il souligne encore à juste titre que le fait qu'il ait réclamé le remboursement de note de frais établit la réalité d'une activité professionnelle. Il relève encore que le salarié ne s'est jamais plaint de harcèlement moral et qu'il n'a alerté son employeur de faits de placardisation qu'en 2015.
Il fait valoir que M.[J] a donné toute satisfaction dans l'exercice de ses attributions ce qui n'éclaire pas la cour sur les raisons pour lesquelles il n'a pas eu de postes stables durant 4 ans alors qu'il était toujours positionné sur le poste de directeur de directeur des ventes relations clients en Guadeloupe.
L'employeur ne justifie pas plus pourquoi aucun poste stable ne lui a été attribué durant cette période alors que M.[J] en avait fait la demande à de multiples reprises.
L'employeur produit sur l'interruption alléguée du processus d'avancement de M.[J] en bande G proposé par le directeur général en 2008 :
- une attestation de ce dernier, lequel explique qu'il avait convenu avec M.[J] qu'il candidate sur des postes de directeur d'unités dans des directions orange en métropole mais qu'il n'avait pris aucun engagement de recrutement, n'étant pas décideur au niveau national comme au niveau des directions orange de Métropole.
- une note en date du 17 janvier 2011 relative aux principes généraux de la promotion,
- la charte de fonctionnement du comité bande G dont il ressort que ce comité détient le pouvoir décisionnaire relatif à l'évolution des cadres vers le niveau G.
- une note interne relatif à la promotion qui précise notamment que la promotion s'accompagne souvent d'un plan de promotion individuel.
La pièce n°14 qui contient un échange de courriers électroniques entre M.[J] et M.[F] entre le 19 février 2010 et le 15 février 2011 ne permet de tirer aucune conséquence sur l'absence de mise à l'écart de M.[J] dans le processus de recrutement interne.
La cour relève que l'employeur ne justifie pas de l'organisation d'entretien d'évaluation, ni d'un plan de promotion individuel mis en place au profit de M.[J] alors qu'il résulte de la note du 17 janvier 2011 précitée que l'entretien individuel est une étape indispensable pour permettre au salarié une évolution professionnelle qui se traduira par une promotion.
Le fait invoqué par l'employeur, au demeurant non démontré, tiré de l'absence de promotion en bande G dans l'entreprise durant ces six dernières années, n'est pas de nature à justifier l'absence d'organisation au bénéfice de M.[J] d'entretiens d'évaluation.
Sur la modification unilatérale de son contrat de travail :
L'employeur fait valoir que les deux primes d'éloignement et de logement ont été suspendues à compter du début de la mission de M.[J] au Cameroun en mars 2015 et remplacées par une prime d'éloignement. Il estime que lui verser en même temps la prime d'éloignement et la prime de logement aurait abouti à l'indemniser deux fois pour le même objet. Il ajoute que le salarié n'a jamais vécu en Guadeloupe mais vit en Corse.
La cour relève que la suppression d'une prime d'origine contractuelle ne peut être imposée au salarié et qu'en l'espèce les primes d'éloignement et de logement sont d'origine contractuelle de sorte que les arguments précités pour expliquer leur suppression sont inopérants.
Sur l'absence de réponses de son employeur à ses demandes de validation de ses déplacements et notes de frais :
L'employeur produit un récapitulatif des frais de déplacement remboursés à M.[J] de 2011 à 2014, sans toutefois expliquer les raisons pour lesquelles le salarié a été obligé à de multiples reprises de le relancer pour obtenir la validation de ses déplacement et le remboursement de ses notes de frais.
Sur la dégradation de son état de santé :
L'employeur ne peut valablement soutenir que l'appelant ne produit aucun élément corroborant ses dires alors que ce dernier verse aux débats, comme il l'a été ci-dessus rappelé, des éléments qui établissent un lien entre la dégradation effective de son état de santé à partir de 2011 et son environnement professionnel, peu importe que les lettres des médecins précitées fassent état du harcèlement moral subi par M.[J] et ce faisant rapportent les propos de ce dernier à ce sujet.
Il résulte de ce qui précède que l'employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par M.[J] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement de sorte que le harcèlement moral est établi.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, le préjudice moral subi par M.[J] dont le montant a été justement apprécié par les premiers juges, sera réparé par l'allocation d'une somme de 40.000€ à titre de dommages et intérêts.
Le jugement est confirmé sur ce point.
Sur le manquement à l'obligation de sécurité :
C'est à juste titre que le salarié fait valoir que l'employeur tenu à une obligation de sécurité doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés et notamment prendre les mesures nécessaires à la prévention des risques professionnels liés au harcèlement moral.
Force est de constater en l'espèce que l'employeur ne justifie d'aucune mesure concrète prise en ce domaine lesquelles auraient pu éviter que M.[J] soit, durant plusieurs années, après avoir été évincé de son poste, affecté successivement sur différents postes et ce faisant maintenu dans une situation professionnelle instable de nature à avoir des conséquences graves sur sa santé physique et mentale.
Le préjudice subi par M.[J] résultant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, doit être réparé par l'allocation d'une somme de 3000€ à titre de dommages et intérêts.
Sur l'injonction de cessation du trouble et reprise de l'activité du salarié à l'issue de son accident du travail :
Le salarié ne peut valablement demander à la cour d'enjoindre à l'employeur de lui proposer, de le reclasser et de l'affecter sur un des postes correspondant à son profil, sous astreinte, sur le fondement de l'article 1152-4 du code du travail relatif à l'obligation générale de prévention de l'employeur en matière d'agissements de harcèlement moral.
En effet cet article ne permet pas au juge dans la situation de l'espèce d'un salarié victime de harcèlement moral, absent de l'entreprise pour cause d'accident du travail qui n'a pas encore été soumis à un examen médical de reprise, d'exercer un tel pouvoir d'injonction, alors au surplus comme le relève justement la société Orange Caraïbe, qu'à ce stade aucun reproche ne peut lui être fait concernant un manquement à son obligation de reclassement.
Cette demande n'étant pas fondée, il y a lieu de confirmer le jugement qui a débouté M.[J] de celle-ci.
Sur le préjudice distinct relatif à l'avancement de carrière et à la perte de chance de M.[J] du fait du harcèlement moral :
La réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. Elle implique seulement la privation d'une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable et non un caractère certain.
L'employeur ne conteste pas que M.[J] n'a pas bénéficié d'entretien d'évaluation depuis 2011. Le droit de l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction d'évaluer les salariés et de les promouvoir, ne le dispensait pas d'organiser au profit de M.[J] des entretiens réguliers afin de déterminer l'évolution de sa carrière. L'absence d'organisation pour ce dernier sur la période précitée de tout entretien d'évaluation avec sa hiérarchie, a privé M. [J] d'une chance de voir évoluer sa carrière et d'accéder à la bande G. Cette privation présente au regard des éléments de la cause un caractère de probabilité très raisonnable.
Compte tenu de ce qui précède, son préjudice sera réparé par l'allocation d'une somme de 10.000€ à titre de dommages et intérêts.
Sur l'application du taux maximum et rappel de la part variable de rémunération:
Le salarié, se prévalant de l'article 2 du contrat de travail, réclame la somme de 98.760.49€ au titre du solde de la part variable sur la période allant de janvier 2011 jusqu'au prononcé de l'arrêt.
Cet article prévoit que la rémunération brute de base de M.[J] d'un montant de 5416.87€ sera complétée par une part variable annuelle comprise entre 0 et 20 % de la rémunération brute annuelle de base laquelle sera liée à ses résultats spécifiques et à ses performances selon les règles en vigueur à Orange Caraïbe.
C'est à juste titre que M.[J] fait valoir que la part variable de la rémunération dont le montant maximum est fixé, doit être payée intégralement au salarié si l'employeur qui devait fixer unilatéralement les objectifs ne l'a pas fait.
En l'espèce, l'employeur n'a pas fixé d'objectifs au salarié. Il ne peut dans ce contexte valablement contester le taux de 20% réclamé par le salarié en faisant valoir qu'il lui a déjà versé les parts variables auxquelles il avait droit sur la période précitée alors que l'examen du tableau figurant page 33 de ses écritures révèle qu'il a appliqué un taux inférieur à 20%.
Sur le fondement du décompte produit par le salarié, non sérieusement discuté par l'employeur, qui tient compte de la part variable déjà versée par ce dernier, il y a lieu d'accueillir la demande du salarié à hauteur du montant réclamé sur la période de janvier 2011 au 13 mai 2015 correspondant au solde restant dû au titre de la part variable au taux de 20% après déduction des primes versées par l'employeur.
Sur la période postérieure à son accident du travail survenu le 13 mai 2015, il ressort de l'examen de ses bulletins de salaire que M.[J] a bénéficié du maintien de son salaire par l'employeur. Il avait donc droit en application de la convention collective au versement de la part variable de sa rémunération au taux de 20%.
Comme relevé précédemment le tableau produit par l'employeur révèle que ce dernier a appliqué un taux inférieur à 20% sur la période postérieure à l'accident du travail. Il ne communique pas à titre subsidiaire un décompte sur la base du taux de 20% de nature à faire douter de la justesse du calcul effectué par M.[J].
Il convient en conséquence sur la base du décompte produit par le salarié d'accueillir la demande à hauteur du montant réclamé sur la période du 13 mai 2015 jusqu'au 31 décembre 2018 correspondant au solde restant dû au titre de la part variable de sa rémunération au taux de 20% après déduction des primes versées par l'employeur.
Sur l'indemnité d'éloignement et de logement.
La suppression d'une prime d'origine contractuelle ne peut être imposée au salarié.
En application de ce principe c'est à juste titre que le salarié fait valoir que l'employeur ne pouvait unilatéralement suspendre le paiement de la prime d'éloignement et de l'aide au logement prévues par son contrat de travail sans son accord au seul motif visé par la lettre du 18 mars 2015 qu'il n'avait plus d'activité à Orange Caraïbe.
L'employeur ne peut pas valablement, pour s'opposer à la demande, faire valoir que le salarié a perçu à compter de mars 2015 une prime de mobilité internationale, le versement de cette prime ne le dispensant pas de l'obligation qui était la sienne de recueillir l'accord du salarié quant à la suppression de la prime de logement et de la prime d'éloignement.
Sur le fondement du décompte produit par le salarié, non discuté par l'employeur il y a lieu d'accueillir sa demande à hauteur du montant réclamé.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Les dispositions du jugement relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens sont confirmées.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de M.[J] les frais qu'il a exposés en cause d'appel non compris dans les dépens. L'employeur doit être condamné à lui payer une somme de 3000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Attendu que les dépens d'appel resteront à la charge de l'employeur.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arret contradictoire prononce publiquement par mise a disposition au greffe ;
Rejette le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'appel incident.
Déclare recevable la demande nouvelle de dommages et intérêts pour manquement de la société Orange Caraïbe à son obligation de sécurité.
Confirme le jugement :
- en ce qu'il a débouté M.[J] de sa demande relative à l'injonction de reprise d'activité à l'issue de son arrêt de travail.
- en ses dispositions relatives au harcèlement moral, à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau :
Condamne la société Orange Caraïbe à payer à M.[J] les sommes de :
- 10.000€ au titre de la perte de chance de voir évoluer sa carrière.
- 98.760.49€ correspondant au solde restant dû au titre de la part variable de la rémunération sur la période de janvier 2011 à fin 2018.
- 168.418.93€ au titre du rappel de prime au logement et d'éloignement.
Y ajoutant,
Condamne la société Orange Caraïbe à payer à M.[J] la somme de 3000€ à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité.
Condamne la société Orange Caraïbe à payer à M.[J] la somme supplémentaire de 3000€ en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Orange Caraïbe aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE