Copies exécutoires République française
délivrées aux parties le :Au nom du peuple français
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 4
ORDONNANCE DU 21 OCTOBRE 2019
(n° 51, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/15549 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5422
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 12 Février 2018 Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2015060449
Nature de la décision : contradictoire
NOUS, Frédéric ARBELLOT, Conseiller, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assisté de Sonia DAIRAIN, Greffière.
Statuant sur le recours formé par :
Société ALTAMIR,
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Frédéric PELTIER de la SELAS DETHOMAS PELTIER JUVIGNY & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0099
DEMANDERESSE
contre
Monsieur [C] [T]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
comparant en personne
SAS MONETA ASSET MANAGEMENT,
[Adresse 3]
[Adresse 1]
représenté par Me Guillaume-denis FAURE du LLP SIMMONS & SIMMONS LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : L0215, substitué par Me Paul LHUILLIER
DEFENDEURS
Et après avoir appelé les parties lors des débats de l'audience publique du 17 Juin 2019 :
EXPOSÉ DU LITIGE
Par décision en référé du 16 mars 2016 rendue par le tribunal de commerce de Paris, M. [T] a été désigné en qualité d'expert afin d'évaluer le préjudice éventuel subi par la société Altamir du fait de la chute de son cours de bourse à la suite de la publication sur le site internet administré par la société Moneta Asset Management d'une note du 17 avril 2015 relative aux frais de gestion de la société Altamir, et au plan de performance de ce fonds, qualifiée de "dénigrante" par la société Altamir étant précisé que la société Moneta Asset Management détenait en avril 2015 une participation à hauteur de 9, 45 % dans le capital de cette société côtée dite de "private equity".
S'agissant des versements des divers acomptes, la société Altamir, demanderesse au principal à la mesure d'expertise judiciaire, a consigné diverses sommes, dont une provision initiale de 5 000 euros le 4 avril 2016, une provision complémentaire de 58 000 euros le 22 novembre 2016 et une seconde provision de 22 500 euros le 23 novembre 2017 pour une somme totale consignée de 85 500 euros, dont il convient de déduire une déconsignation d'un montant de 28 800 euros opérée le 19 juin 2017.
Après le dépôt de son rapport final le 9 février 2018, l'expert a présenté à cette date une demande de rémunération pour un montant total de 93 600 euros TTC.
Par une ordonnance du 12 février 2018, le juge taxateur du tribunal de commerce de Paris a :
- fixé la rémunération totale de M. [T] à la somme de 93 600 euros TTC ;
- autorisé l'expert à se faire remettre par la Régie, jusqu'à due concurrence, la somme consignée de 56 700 euros (correspondant à la somme réellement consignée par la société Altamir) ;
- dit que le solde de la rémunération, soit la somme de 8 100 euros, laquelle excède le montant de la consignation, sera versé à l'expert directement par la société Altamir.
Il convient de préciser qu'il existe, à ce stade, une difficulté en ce que les décomptes figurant sur l'ordonnance querellée mentionnent un remboursement d'un montant de 28 800 euros daté du 19 juin 2017 de M. [T] à la société Altamir correspondant à une déconsignation, cette somme n'ayant pas été déduite de la rémunération définitive allouée à l'expert par le juge taxateur du tribunal de commerce.
Le 16 avril 2018, la société Altamir a formé dans le délai requis un recours contre cette décision devant le délégué du premier président de la cour d'appel de Paris en application de l'article 724 du code de procédure civile.
A l'audience du 17 juin 2019, le conseil de la société Altamir soutient que sa cliente n'était que demanderesse principale à la mesure d'expertise tandis que la société Moneta Asset Management était demanderesse à titre subsidiaire à cette mesure, dont elle a contribué à étendre et à redéfinir la mission de l'expert en mentionnant notamment dans ses écritures devant le tribunal de commerce que "la mission de l'Expert doit être redéfinie afin qu'il soit procédé à l'analyse de l'ensemble des causes endogènes expliquant la performance et la décôte du cours d'ALTAMIR".
La société Altamir, reprenant à l'oral les observations contenues dans sa note de contestation du 11 avril 2018, demande au délégué du premier président de (d') :
- annuler l'ordonnance déféré du 12 février 2018 pour non respect du délai imparti aux parties par les articles 282 et 284 du code de procédure civile pour déposer des observations sur la rémunération proposée par l'expert ;
- mettre la moitié de la rémunération totale de l'expert à la charge de la société Moneta Asset Management, qui est demanderesse subsidiaire à l'expertise judiciaire, l'autre partie demeurant à sa charge comme étant demanderesse principale à cette expertise.
La société Altamir ne sollicite pas une indemnité de procédure en application de l'article 700 du code de procédure civile.
A cette même audience, le conseil de la société Moneta Asset Management, reprenant à l'oral ses conclusions du 14 juin 2019 déposées et visées par le greffe, demande au délégué du premier président de (d') :
- débouter la société Altamir de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner la société Altamir à lui verser la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Altamir aux dépens.
A cette même audience, l'expert, M. [T], a indiqué qu'il avait été payé par la société Altamir de la totalité de sa rémunération définitive.
Cet expert ne sollicite pas une indemnité de procédure en application de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la nullité de l'ordonnance du 12 février 2018 pour non respect du délai imparti aux parties par les articles 282 et 284 du code de procédure civile
Aux termes de l'article 282, alinéa 5, du code de procédure civile : "Le dépôt par l'expert de son rapport est accompagné de sa demande de rémunération, dont il adresse un exemplaire aux parties par tout moyen permettant d'en établir la réception. S'il y a lieu, celles-ci adressent à l'expert et à la juridiction ou, le cas échéant, au juge chargé de contrôler les mesures d'instruction, leurs observations écrites sur cette demande dans un délai de quinze jours à compter de sa réception." ;
Aux termes de l'article 284, alinéa 1er, du code de procédure civile : "Passé le délai imparti aux parties par l'article 282 pour présenter leurs observations, le juge fixe la rémunération de l'expert en fonction notamment des diligences accomplies, du respect des délais impartis et de la qualité du travail fourni. " ;
Il est constant que le juge de la taxe ne peut rendre son ordonnance fixant la rémunération définitive de l'expert judiciaire avant l'expiration du délai de quinze jours donné aux parties pour présenter des observations sur celle-ci sous peine de violer le principe de la contradiction prévu par les articles 16 et 282, alinéa 1er, du code de procédure civile ; à ce titre, l'ordonnance rendue avant l'expiration de ce délai encourt la nullité pour violation des articles 282, alinéa 5, et 284, alinéa 1er, du code de procédure civile ;
En l'espèce, il n'est pas contesté que le rapport de l'expert judiciaire déposé le 9 février 2018 au greffe du tribunal de commerce a été notifié à la société Altamir le 13 février 2018, laquelle a déposé ses observations sur la rémunération totale de l'expert le 23 février 2018, soit dans le délai de quinze jours prévu par l'article 282, alinéa 5, du code de procédure civile ;
Il en résulte que l'ordonnance de taxe arrêtant la rémunération totale de l'expert a été rendue le 12 février 2018, soit avant l'expiration du délai de 15 jours donné aux parties pour présenter leurs observations sur celle-ci qui expirait le mardi 27 février 2018 à minuit, de sorte que cette ordonnance de taxe doit être annulée pour violation des articles 282, alinéa 5, et 284, alinéa 1er, du code de procédure civile ;
Sur la répartition du coût définitif de l'expertise de M. [T] entre les sociétés Altamir et Moneta Asset Management
Aux termes de l'article 284, alinéa 1er, du code de procédure civile : " [...] le juge fixe la rémunération de l'expert en fonction notamment des diligences accomplies, du respect des délais impartis et de la qualité du travail fourni." ;
Aux termes de l'article 724 du code de procédure civile : "Les décisions mentionnées aux articles 255, 262 et 284, émanant d'un magistrat d'une juridiction de première instance ou de la cour d'appel, peuvent être frappées de recours devant le premier président de la cour d'appel dans les conditions prévues aux articles 714 (alinéa 2) et 715 à 718. Si la décision émane du premier président de la cour d'appel, elle peut être modifiée dans les mêmes conditions par celui-ci.
Le délai court, à l'égard de chacune des parties, du jour de la notification qui lui est faite par le technicien.
Le recours et le délai pour l'exercer ne sont pas suspensifs d'exécution. Le recours doit, à peine d'irrecevabilité, être dirigé contre toutes les parties et contre le technicien s'il n'est pas formé par celui-ci." ;
Le premier président, motivant sa décision au regard des diligences accomplies et de la qualité du travail fourni par l'expert judiciaire, fixe la rémunération due à ce dernier à la somme qu'il retient ;
S'agissant du respect du délai imparti, l'expert, M. [T], a déposé son rapport au greffe du tribunal de commerce le 9 février 2018 après avoir été désigné le 16 mars 2016, sans qu'aucune des parties ne dénonce de manquement de celui-ci à déposer son rapport dans un délai raisonnable, de sorte qu'aucun manquement de celui-ci relatif au respect du délai imparti pour accomplir sa mission n'est établi en l'espèce ;
S'agissant des diligences accomplies et de la qualité du travail fourni, l'expert a notamment rédigé un rapport complet de 98 pages, comprenant des avis de divers économistes et financiers et des réponses circonstanciées aux nombreux dires des parties étant précisé, en outre, qu'il est établi que la société Altamir était demanderesse principale à la mesure d'expertise tandis que la société Moneta Asset Management était demanderesse à titre subsidiaire à cette mesure, dont elle a contribué à étendre et à redéfinir la mission de l'expert en mentionnant notamment dans ses écritures devant le tribunal de commerce que "la mission de l'Expert doit être redéfinie afin qu'il soit procédé à l'analyse de l'ensemble des causes endogènes expliquant la performance et la décôte du cours d'ALTAMIR" ;
Par ailleurs, aucune des parties ne conteste les diligences accomplies et de la qualité du travail fourni par l'expert dans ce dossier ;
S'agissant du montant total de la rémunération allouée à l'expert, il existe une incohérence au sein du dispositif de l'ordonnance querellée que le délégué du premier président a annulé pour violation des articles 282, alinéa 5, et 284, alinéa 1er, du code de procédure civile, entre le montant arrêté à concurrence de 93 600 euros TTC de la rémunération définitive de l'expert et le cumul des montants des provisions qu'il a réellement perçues pour un total de 56 700 euros et non de 85 500 euros ;
Il en résulte qu'il convient de (d') :
- fixer la rémunération totale de M. [T] à la somme de 64 800 euros TTC et non à celle de 93 600 euros TTC qui n'est pas justifiée par les pièces produites aux débats ;
- autoriser l'expert à se faire remettre par la Régie, jusqu'à due concurrence, la somme consignée de 56 700 euros déjà versée par la société Altamir ;
S'agissant du solde de la rémunération de l'expert à concurrence de 8 100 euros, il ressort des pièces versées aux débats que, même si la société Altamir était demanderesse principale à la mesure d'expertise, la société Moneta Asset Management était également demanderesse à titre subsidiaire à cette mesure, dont elle a contribué à étendre et à redéfinir la mission de l'expert en mentionnant notamment dans ses écritures devant le tribunal de commerce que "la mission de l'Expert doit être redéfinie afin qu'il soit procédé à l'analyse de l'ensemble des causes endogènes expliquant la performance et la décôte du cours d'ALTAMIR" ; pour ce motif, le délégué du premier président considère qu'il convient de mettre à la charge de la société Moneta Asset Management le solde de la rémunération de cet expert, soit la somme de 8 100 euros, que cette société devra directement versée à l'expert ;
L'équité commande de rejeter la demande présentée par la société Moneta Asset Management relative à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile étant précisé que les autres parties, à savoir la société Altamir et M. [T], l'expert, ne présentent aucune demande sur ce fondement ;
Enfin, il convient de condamner les sociétés Altamir et Moneta Asset Management, parties perdantes, à payer les dépens ;
PAR CES MOTIFS
Vu l'article 16 du code de procédure civile ;
Vu les articles 282, alinéa 5, et 284, alinéa 1er, du code de procédure civile ;
ANNULONS l'ordonnance déférée du 12 février 2018 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
FIXONS la rémunération totale de l'expert, M. [T], à la somme de 64 800 euros TTC ;
AUTORISONS l'expert à se faire remettre par la Régie, jusqu'à due concurrence, la somme consignée par la société Altamir de 56 700 euros ;
DISONS que le solde de la rémunération, soit la somme de 8 100 euros, laquelle excède le montant de la consignation déjà versée par la société Altamir, sera versé à l'expert directement par la société Moneta Asset Management, demanderesse à titre subsidiaire à la mesure d'expertise judiciaire ;
REJETONS la demande présentée par la société Moneta Asset Management en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNONS in solidum aux dépens les sociétés Altamir et Moneta Asset Management ;
REJETONS toute autre demande ;
ORDONNANCE rendue par M. Frédéric ARBELLOT, Conseiller, assisté de Mme Sonia DAIRAIN, greffière lors de la mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
La Greffière, Le Conseiller,