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15/10/2019 | FRANCE | N°17/10971

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 15 octobre 2019, 17/10971


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 15 OCTOBRE 2019

(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général :N° RG 17/10971 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B377F



Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Juillet 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° F15/04923





APPELANT



Monsieur [R] [F]

[Adresse 1]

[Localité 1]

Rep

résenté par Me Laurence TAZE BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0241



INTIMÉE



EPIC SNCF MOBILITES

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentée par Me Sabrina ADJAM, avocat ...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRÊT DU 15 OCTOBRE 2019

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général :N° RG 17/10971 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B377F

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Juillet 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° F15/04923

APPELANT

Monsieur [R] [F]

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représenté par Me Laurence TAZE BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0241

INTIMÉE

EPIC SNCF MOBILITES

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentée par Me Sabrina ADJAM, avocat au barreau de PARIS, toque : C1540

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Septembre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sylvie HYLAIRE, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Sylvie HYLAIRE, présidente

Madame Anne HARTMANN, présidente

Monsieur Didier MALINOSKY,vice-président placé

Greffier, lors des débats : Mme Caroline GAUTIER

ARRÊT :

- Contradictoire

- Mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- Signé par Madame Sylvie HYLAIRE, présidente, et par Mme Mathilde SARRON, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 27 septembre 1982, M. [R] [F], né en 1960, a été embauché en qualité d'attaché de groupe par la SNCF devenue l'EPIC SNCF Mobilités, ci-après dénommé SNCF.

Relevant du cadre permanent, ses fonctions ont évolué au cours de sa carrière et dans le dernier état, il occupait le poste de « chef subdivision conduite du changement » au sein de la direction de l'infrastructure, actuellement SNCF Réseau ; il était cadre, qualification H et son salaire de base était de 3.975,03 euros bruts auquel s'ajoutaient diverses indemnités, soit une moyenne de salaire brut au cours des trois derniers mois s'élevant à 4.573,32 euros.

Le 12 février 2015, Monsieur [C] [S], délégué du personnel, portait à la connaissance de M. [M], directeur délégué, la plainte de Mme [G] [Q] à l'encontre de M.[F] pour harcèlement.

Celle-ci, née en 1987, salariée de la société Apside, consultante externe en mission à la SNCF, exerçait les fonctions d'assistante AMOA (assistante à maîtrise d'ouvrage) de M. [F] depuis le 14 octobre 2014 après avoir effectué un stage auprès de lui du 10 juin 2013 au 31 décembre 2013.

Le 25 février 2015, Mme [Q] a déposé plainte pour harcèlement à l'encontre de M. [F].

Suite à l'alerte du délégué du personnel, la SNCF a fait diligenter une enquête par un cabinet extérieur, le cabinet Nayan qui a été saisi le 10 mars 2015 et a déposé, le 11 mai 2015, un rapport comportant 130 pages, versé aux débats.

Le 12 mai 2015, la SNCF a demandé à M. [F] de fournir ses explications dans un délai de 6 jours « suite à des signalements relatifs à des allégations de comportements inappropriés au sein d'ISI TEX CDX » et à l'enquête qui a été diligentée.

La demande d'explication détaillait les faits révélés par l'enquête à savoir notamment « une relation inappropriée avec Mme [Q] dont vous étiez le hiérarchique, en profitant de sa vulnérabilité liée à sa jeunesse et à la précarité de sa situation personnelle et professionnelle (....) et d'avoir eu recours à différents moyens de pression sur elle (...) » en usant de sa position dans l'entreprise et d'éléments de la vie personnelle de la salariée portés à sa connaissance, tels que menaces concernant son emploi ou dénonciations dans le but de remettre en cause la validité de son titre de séjour ...etc et, enfin, d'avoir déclaré le 21 avril 2015 qu'il enregistrait depuis 1992 toutes les conversations téléphoniques sans que ses interlocuteurs en soient informés.

À même date, une mesure conservatoire de suspension a été prononcée à l'encontre de M. [F] qui a fourni ses explications le 17 mai 2015.

.

M. [F] a été convoqué à un entretien le 4 juin 2015, une procédure disciplinaire a été engagée à son encontre et le 29 juin 2015, il a été radié des cadres.

La décision lui a été notifiée par lettre recommandée avec avis de réception de même date l'informant que conformément aux dispositions « Garanties disciplinaires et sanctions » (article 42 du RH0144) et du paragraphe 7 de l'article 2 du chapitre 9 du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel (RH 0001), la rupture du contrat de travail prend effet rétroactivement au premier jour de la suspension soit le 13 mai 2015 et que la radiation des cadres étant due à une faute grave, la cessation de service intervient sans délai-congé, conformément aux dispositions de l'article 10 du chapitre 7 du statut (RH0001).

La décision de radiation est ainsi motivée :

«Suite à des signalements relatifs à des allégations de comportements inappropriés au sein d'ISI TEX CDX, une enquête a été diligentée et les conclusions en ont été remises le lundi 11 mai 2015. Il apparaît que vous avez :

- entretenu une relation inappropriée avec Mme [G] [Q] dont vous étiez le hiérarchique, en profitant de sa vulnérabilité liée à sa jeunesse et à la précarité de sa situation personnelle et professionnelle. Vous lui avez adressé de manière insistante de très nombreux sms et mails, alors même que vous étiez conscient que vos agissements affectaient sa santé ;

- eu recours à différents moyens de pression sur Mme [G] [Q], en usant tant de votre position dans l'entreprise que d'éléments de sa vie personnelle portés à votre connaissance tels que :

menace de lui faire perdre son emploi en intervenant auprès de son nouvel employeur (prestataire SNCF) ;

menace de dénonciation dans le but de remettre en cause la validité de son titre de séjour allant même jusqu'à évoquer un possible emprisonnement ;

demande à son nouvel employeur de lui fournir un téléphone professionnel afin qu'elle réponde aux appels en dehors des heures de travail, alors qu'elle refuse de vous répondre sur son téléphone personnel.

De plus, il a été établi que vous enregistrez les conversations téléphoniques depuis votre téléphone portable personnel, utilisé également dans le cadre professionnel sans que tous vos interlocuteursen soient informés.

Ces faits ont été commis en infraction aux dispositions du RH 0006 « Principes de comportement, prescriptions applicables au personnel ».

Le 16 novembre 2015, M. [F] a saisi le conseil des prud'hommes de Bobigny qui, par jugement rendu le 19 juillet 2017, a fixé son salaire moyen mensuel brut à 4.909,02 €, dit que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et a condamné la Société SNCF Mobilités à lui verser, avec remise des documents conformes, les sommes suivantes, assorties des intérêts légaux à compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances salariales et à compter du jugement pour les créances indemnitaires :

- 1.582,66 euros à titre de rappel de prime plus 158,26 euros pour congés payés afférents, en deniers ou en quittance,

- 9.818,03 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis plus 981,80 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents au préavis,

- 46.871,23 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 1.500 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [F] a relevé appel de la décision le 4 août 2017.

Aux termes de ses conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 4 juin 2019, M. [F] demande à la cour de le recevoir en son appel et de le déclarer bien fondé, de débouter la SNCF de son appel incident, d'infirmer le jugement en ce qu'il a considéré que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et l'a débouté des demandes relatives tant à la rupture de son contrat qu'à l'indemnisation de son préjudice de retraite et, statuant à nouveau des chefs infirmés, de :

- dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner la SNCF à lui payer avec intérêts légaux capitalisés à compter de la saisine, les sommes de :

* 4.909,02 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,

* 29.454,10 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral tiré des motifs infamants et vexatoires du licenciement,

* 88.362,29 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (18 mois),

* 913.476,03 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice de carrière et perte de droits à retraite,

* 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Laurence Taze-Bernard conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Suivant conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 12 juillet 2019, l''EPIC SNCF Mobilités demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de dire que la radiation des cadres dont M. [F] a fait l'objet étant bien fondée, ses demandes sont mal fondées dans leur principe et injustifiées dans leur quantum et, en conséquence, de l'en débouter en le condamnant aux dépens et au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites régulièrement communiquées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 juillet 2019.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'application des dispositions statutaires

M. [F] était cadre permanent de la SNCF et relevait des dispositions statutaires et des règlements du personnel pris en application, régissant les relations collectives entre la SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités avec leurs personnels.

M. [F] soutient que la SNCF a fait une mauvaise application des dispositions du référentiel RH 00144 et considère que l'avis émis par le conseil de discipline ne permettait pas en raison du partage des voix de prononcer à son encontre la radiation des cadres mais au contraire, que la bonne application aurait dû ne faire retenir que la rétrogradation à la qualification inférieure qui correspondait à la sanction la moins sévère.

*

Aux termes des articles 6.10 à 6.11 inclus du Statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel (RH 00001- version 14 du 01-01-2015) et 10.7 du référentiel Ressources Humaines ( RH00144), l'avis du conseil de discipline est pris à la majorité des voix.

Les articles précités envisagent l'hypothèse où plusieurs avis différents sont émis et qu'une majorité ne se dégage pas et indiquent :

- sur le vu de l'avis (ou des avis) émis par le conseil de discipline, le directeur de la région (ou l'autorité assimilée) décide de la sanction à prononcer. Cette sanction peut toujours être inférieure à la sanction proposée (ou à la plus indulgente des sanctions proposées) par les membres du conseil de discipline. Elle ne peut être supérieure à la sanction proposée (ou à la plus sévère des sanctions proposées) par les membres du conseil de discipline. (RH 00001) ;

- lorsqu'une majorité absolue de voix converge vers un niveau de sanction, ce niveau constitue l'avis du conseil de discipline ; il y a alors un seul avis, le directeur de région (ou l'autorité assimilée) ne peut prononcer une sanction plus sévère ;

- lorsqu'aucun niveau de sanction ne recueille la majorité des voix, le conseil émet plusieurs avis.

- lorsqu'une sanction ne recueille pas au moins trois voix, il y a lieu de tenir compte des avis émis par le conseil pour déterminer une majorité ou tout au moins le partage d'avis en 2 parties. Pour ce faire, les voix qui se sont portées sur la plus sévère des sanctions s'ajoutent à l'avis ou aux avis du degré inférieur qui se sont exprimés, jusqu'à avoir 3 voix.

Le directeur de région (ou l'autorité assimilée) peut prononcer une sanction correspondant à l'avis le plus élevé ainsi déterminé.

En l'espèce, dans sa séance du 25 juin 2015, le conseil de discipline composé de six membres a émis l'avis suivant : 3 voix pour la radiation des cadres et 3 voix pour un dernier avertissement avec mise à pied de 12 jours et rétrogradation à la qualification inférieure.

Dès lors, la radiation des cadres étant la sanction la plus sévère, c'est à bon droit et par une application stricte et exacte des textes précités que le directeur a prononcé la radiation des cadres.

Sur les faits reprochés

M. [F] soutient que la sanction prononcée à son encontre, équivalente à un licenciement pour faute grave, est en réalité non fondée en fait et constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il fait valoir que la procédure à son encontre a été engagée de manière partiale, sans prise en compte de ses éléments de défense ; il conteste ainsi le rapport d'enquête du cabinet [A], invoquant trois attestations de personnes qui n'ont pas été entendues dans le cadre de l'enquête, qui témoignent en sa faveur alors que parmi les personnes auditionnées, M. [S], était pressenti pour le remplacer et Mesdames [V] et [X] n'ont fait part que de leur ressenti plutôt que de faits réellement établis.

Il soutient également que les faits qui lui sont reprochés à les supposer fautifs étaient connus depuis plusieurs mois sans que l'employeur ait engagé de mesure à son encontre et sont prescrits et, qu'en outre, par la demande d'explications adressée par l'employeur, celui ci avait purgé son pouvoir disciplinaire.

Il invoque également une dénaturation des faits qui relèveraient selon lui de sa vie privée et ne peuvent fonder un licenciement.

Enfin, il fait valoir que la sanction est disproportionnée compte tenu de ses états de service accompli dans l'intérêt de la SNCF à une époque où il pouvait prétendre accéder au grade de chef de division et alors qu'il était à quatre années et demie de la retraite.

***

Le délai de prescription des faits poursuivis ne court qu'à compter du jour où l'employeur a une connaissance exacte, de la nature et de la réalité des faits reprochés ; en l'espèce, les faits signalés par le délégué du personnel à l'employeur ont nécessité une enquête qui seule a révélé tant les circonstances que l'ampleur des faits de harcèlement dénoncés ; cette enquête a été menée dans un délai normal de réaction de l'employeur qui, alerté le 12 février 2015, a saisi le 10 mars 2015 un cabinet extérieur pour mener une enquête et a ensuite engagé la procédure disciplinaire dès le 12 mai 2015, lendemain de la réception du rapport [A] de sorte que la prescription des faits s ne peut pas être valablement soulevée par l'appelant.

La demande d'explications préalable adressée au salarié ne peut, contrairement à ce que soutient M. [F], être considérée comme une sanction mais constitue un préalable à l'engagement d'une procédure disciplinaire visant à recueillir la version du salarié mis en cause par la plainte de Mme [Q] conformément à l' article 4 du chapitre 9 du statut des relations collectives avec le personnel SNCF, ce qui constitue une garantie essentielle de la procédure disciplinaire et non une sanction, contrairement à ce que soutient l'appelant.

Par ailleurs, l'étude du dossier fait ressortir que non seulement l'employeur n'a pas engagé la procédure à la légère puisque dès l'alerte et le signalement donnés par le délégué syndical, il a fait procéder à une enquête par un cabinet d'éthique extérieur qui a entendu M. [F] ainsi que 21 autres salariés, le rapport précisant que les auditions ont été étendues à des personnes autres que celles identifiées par l'employeur (page 5).

D'une part, M. [F], dont il est précisé dans le rapport qu'il a été entendu deux fois, en début et en fin d'enquête sans que la durée de l'entretien ne soit limitée, ne justifie pas avoir demandé au cabinet [A] l'audition de trois anciens salariés dont il communique les attestations à la cour qui, selon les conclusions de la SNCF, non démentie sur ce point, ont été produites devant le conseil de discipline.

D'autre part, M. [F], régulièrement convoqué par lettre du 26 mai2015 dont il a accusé réception le 29, à l'entretien préalable fixé au 4 juin, a été entendu par le conseil de discipline après avoir pu prendre connaissance du dossier au moins 8 jours calendaires (article 10.1 du RH 00144) avant la réunion qui s'est tenue le 25 juin 2015, de sorte qu'il ne peut être reproché à la SNCF de n'avoir mis à disposition le dossier que le 15 juin 2015 comme le soutient l'appelant.

Au regard de ce qui précède et de ce qui a été chronologiquement exposé ci-avant, la cour considère que la procédure disciplinaire a été loyalement menée et sans partialité à l'encontre de M. [F].

Sans contester la réalité des faits révélés par le rapport [A] qui mettent en évidence l'existence de centaines de messages et SMS qu'il a adressés à Mme [Q] tant sur sa messagerie ou téléphone personnels que professionnels, pendant et en dehors des heures de travail, M. [F] soutient que les faits ont été très largement dénaturés et voit dans la plainte de Mme [Q] et l'alerte donnée par le délégué syndical à l'employeur, une stratégie visant, sur la suggestion de son adjoint, M. [C] [S], qui lui a succédé après son éviction, à obtenir son départ sur la foi de faits calomnieux et infamants.

Cette analyse de la part de l'appelant est erronée et ne repose que sur ses propres affirmations et son interprétation des conséquences de son comportement qui ne reposent sur aucun fait ni élément tangible.

Si les trois attestations invoquées par M. [F] le décrivent comme un personnage chaleureux, toujours prêt à rendre service et que Mme [Y] [Z] dont il a été le maître de stage et dont elle dit le considérer comme un ami, indique qu'elle craignait que Mme [G] [Q] le manipule et profite de sa gentillesse et « de la bonté d'un homme au grand coeur » et qu'aucune des rédactrices de ces trois attestations ne fasse part d'un comportement déplacé de l'appelant à l'égard de Mme [G] [Q], il ressort au contraire du rapport [A], qui offre toutes les qualités d'impartialité et de sérieux nécessaires, suite à l'audition de 21 salariés du service et à la transcription des messages que M. [F] a adressé à Mme [G] [Q] dès le début de son stage et qui se sont poursuivis dans le temps jusqu'à l'alerte qui a été donnée par le délégué syndical et la plainte déposée par Mme [Q], qu'il était un manager qui ne savait pas d'une manière générale placer correctement le curseur des relations à entretenir avec ses stagiaires, essentiellement des jeunes femmes étrangères, telle Mme [Q] , en situation de fragilité envers lesquelles il aimait à se montrer tout puissant.

Il ressort en effet des innombrables échanges entre M. [F] et Mme [Q], que dès la période de stage, M. [F] lui a adressé des mails ambigus, lui faisant des commentaires sur son physique et que, jeune et isolée de sa famille en Algérie, si au début, elle le trouvait gentil et paternel, elle indique toutefois elle-même dans sa plainte : « une fois, il m'a envoyé un message dans lequel il me disait « je me languis de toi », à partir de là j'ai ressenti un certain malaise et je lui ai fait remarquer que sa démarche était inappropriée.»

M. [F] inondait la jeune stagiaire de messages, étrangers à son rôle de maître de stage et y compris la nuit ou pendant les congés de l'un ou l'autre ; le rapport d'enquête note par exemple 109 pages de journal de SMS entre le 15 mai 2013 et le 18 septembre 2013.

Par ailleurs, plusieurs messages témoignent de la conscience qu'il avait du caractère inapproprié de la relation qu'il avait avec Mme [Q] qui, à plusieurs reprises, a tenté en vain de d'enrayer son comportement : à titre d'exemples :

- le 14 septembre 2013 : « (...), je te dis que je t'aime, que je ferais tout pour toi, que tu me manques, que j'ai besoin de toi, que j'aurais voulu partager ma vie avec toi si cela avait été possible, que je pense à toi, qu'à défaut d'être ton compagnon, je veux t'adopter, ainsi plus de risque d'arrières pensées » ;

- le 18 juillet 2013, Mme [Q] lui écrit : « (...) Je sais que tu veux bien faire et m'aider chose que j'apprécie énormément mais j'ai l'impression de bcp compter sur toi et ça c'est pas bien (...) » ;

- le 6 septembre 2013, M. [F] écrit à Mme [Q] : « Que tu ne veuilles plus de mon aide, je peux comprendre. (...) Je ne te proposerai vraiment plus rien si cela ne vient pas d'une demande de toi (...). Sans t'accompagner à [Adresse 3], tu aurais pu passer un peu de temps avec moi, non '

Pourquoi me fuis-tu '

Pourquoi ne m'écris-tu plus comme avant '

Pourquoi tu ne me réponds même plus ' » ;

- le 9 septembre 2013, M. [F] écrit à Mme [W] : « Je vois bien qu'elle n'ose même plus venir dans mon bureau pour le travail par peur de ce que peuvent penser les autres. Crois moi, elle n'a pas de gêne par rapport à moi (...) »;

- le 4 décembre 2014, Mme [Q] lui écrit : « inutile de vous inquiéter. Je suis bien entourée pour me rétablir. Je n'ai pas besoin d'aide comme déjà dit » ;

- le12 février 2014, M. [F] écrivait à Mme [G] [Q] que son comportement envers elle peut relever d'un harcèlement sexuel et lui indique qu'il ne peut plus avoir de contact avec elle, contacts qui continueront néanmoins ;

- le 8 novembre 2014, il lui écrit : « Quant à moi, ce que j'attends de toi, c'est que tu sois sincère et franche ce que tu as souvent été avec moi bien plus qu'avec d'autres. Je t'en suis énormément reconnaissant (...) Mais c'est pas tout le temps, ce qui explique mes «colères» personnelles et professionnelles » ;

- le 13 janvier 2015 : M. [F] écrit à Mme [Q] : « on veut l'exclusivité en amitié comme en amour (...) Le temps où j'étais ton tuteur, je retrouvais un enfant avide de connaissance pour qui son papa (ou sa maman) c'est l'univers tout entier. Je savais bien qu'il aurait fallu que je te renvoie un peu plus à ton bureau le matin mais je m'en fichais car tu étais là (...) je suis jaloux de tes rires, de tes échanges avec les autres parce que je me sens isolé et seul ».

Il ressort d'une lettre de l'employeur de Mme [Q] adressée au cabinet [A], qu'à compter du 26 janvier 2015, elle a été en arrêt de travail ; le 23 février 2015, le médecin du travail indiquait que la reprise du travail ne pourrait se faire que dans d'autres conditions de travail « voire un changement de mission ».

Dans sa plainte, Mme [G] [Q] indique :« Au travail, il appelle mon commercial et menace parfois d'obtenir mon licenciement vu que je suis titulaire d'une carte de séjour et que mon embauche dépend de mon statut, il menace de mettre fin à mon contrat (ce que confirme la société APSIDE) pour que je ne puisse pas renouveler mon titre, il m'a clairement menacée de prison en disant qu'il allait me dénoncer au cas où je me trouvais en situation irrégulière.... Vu la pression que je subissais de sa part, j'ai eu à me mettre en arrêt maladie deux fois déjà et présentement j'y suis pour une troisième fois ».

Entendu dans le cadre de l'enquête du cabinet Nayan, le 21 avril 2015, l'appelant reconnaît que dans son bureau il lui a dit qu'elle pouvait aller en prison et qu'il a dit à son adjointe qu'il partait à la préfecture mais qu'il n'y est pas allé.

L'employeur verse aux débats la plainte déposée le 9 octobre 2012 pour harcèlement moral à l'encontre de M. [R] [F] par l'une des anciennes stagiaires de ce dernier ([B] [V]) qui indique qu'il lui adressait une quarantaine de mails et SMS par jour, qu'il lui a adressé une lettre d'amour, qu'il lui écrivait qu'elle devait avoir des sentiments pour lui, qu'elle lui avait demandé de cesser mais qu'il se montrait intrusif dans sa vie, qu'elle avait dû supprimer ses comptes pour ne plus recevoir ses mails.

Il ressort de l'ensemble des éléments versés aux débats que M. [F] a eu une conduite inappropriée à l'égard d'une stagiaire, devenue ensuite salariée d'un prestataire placée auprès de lui pour une mission de sorte qu'elle se trouvait sous son autorité et qu'il a également tenu des propos au sujet de sa carte de séjour légitimement ressentis comme des menaces par Mme [Q], travailleur étranger, s'auréolant d'une toute puissance et exerçant une emprise sur elle, ce qui la conduira à un arrêt de travail, le médecin du travail préconisant un changement de mission.

Au cours de son enquête le rapport [A] a mis en évidence la réalité de l'ensemble des faits qui sont visés à l'appui de la décision de radiation des cadres, lesquels sont établis ; le comportement manifesté par M. [F] à l'égard de sa stagiaire puis d'une prestataire extérieure est suffisamment grave et sérieux pour justifier la mesure de radiation des cadres laquelle n'est pas disproportionnée au regard de la gravité des faits commis à l'égard de cette jeune femme étrangère, en situation de vulnérabilité et que M. [F] maintenait sous son emprise en exerçant une pression manifeste sur elle tant en ce qui concerne le maintien de sa mission auprès de la SNCF que des conséquences éventuelles d'une dénonciation de sa part auprès de la préfecture sur les conditions supposées d'hébergement.

Ni l'ancienneté du salarié au service de la SNCF, ni le fait qu'il se soit trouvé à quelques années de la retraite ne peuvent diminuer la gravité de son comportement inadapté et répréhensible à l'égard de Mme [Q] dont rien n'établit qu'elle ait manifesté un comportement autre qu'amical à l'égard de son supérieur et ait suscité ou entretenu une attitude pouvant expliquer et justifier l'emprise que M. [F] exerçait sur elle en la menaçant de prises de position auprès d'APSIDE pouvant conduire au non renouvellement de sa mission auprès de la SNCF, voire de partir effectuer des dénonciations auprès de la Préfecture concernant le renouvellement de la carte de séjour de cette travailleuse étrangère.

La qualité du travail de Mme [Q] n'était pas la cause des menaces de M. [F] ainsi qu'il ressort de la lettre de la société Apside adressée au cabinet Nayan, puisque Mme [P], responsable à la SNCF, a informé la société Apside, de son intention de mettre un terme à la mission de Mme [G] [Q] le 27 février dans les équipes de M. [F] mais vouloir la conserver en la basculant dans une autre équipe à compter du 2 mars, ce qui a été effectivement fait, la salariée n'ayant plus eu d'arrêts de travail à compter du 3 mars 2015 et ayant été déclarée apte par le médecin du travail qu'elle a rencontré le 9 mars 2015.

Par conséquent, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a considéré que le licenciement de M. [F] ne reposait pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes à caractère financier

Le jugement déféré a condamné la SNCF à payer à M. [F] la somme de 1.582,66 euros à titre de rappel de prime plus 158,26 euros pour congés payés afférents, lesdites sommes en deniers ou quittance.

M. [F] sollicite l'infirmation du jugement seulement en ce qu'il a considéré que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et l'a débouté des demandes relatives à la rupture de son contrat et à l'indemnisation de son préjudice de retraite.

La SNCF qui demande l'infirmation du jugement dans toutes ses dispositions ne fait toutefois valoir aucun argument pour remettre en cause la condamnation en deniers ou quittances prononcée par le conseil des prud'hommes et ne justifie pas du paiement de cette somme ; il n'y a pas lieu en conséquence de réformer le jugement de ce chef.

Il convient en revanche de rejeter les autres demandes de M. [F] (indemnité pour non respect de la procédure, dommages intérêts pour préjudice moral, dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et dommages intérêts pour préjudice de carrière et perte de droit à la retraite).

En effet, il résulte des pièces versées aux débats et de la chronologie des faits rappelée ci-avant que la procédure disciplinaire a été parfaitement respectée ainsi que prévue au RH 00001 et RH 0144 et que M. [F] a bénéficié de toutes les garanties disciplinaires avant la prise de décision avec possibilité de prendre connaissance de son dossier, conformément aux délais statutaires et réglementaires, avant comparution devant le conseil de discipline et prise de la décision en sorte que la procédure est régulière.

Par ailleurs, la mesure de radiation des cadres reposant sur une faute grave, les autres demandes doivent être rejetées, M. [F] n'établissant pas le caractère abusif ou vexatoire de la rupture, parfaitement justifiée après que l'employeur a mis en oeuvre les garanties statutaires et fait diligenter une enquête préalable. .

Sur les demandes accessoires

M. [F], qui succombe en son recours, supportera les dépens mais au regard de la situation respective des parties, il y a lieu de dire que chacune des parties conservera la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a condamné l'EPIC SNCF Mobilité à verser à M. [R] [F] en deniers ou quittance avec intérêts légaux à compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation les sommes de 1 582,66 euros à titre de rappel de prime plus 158,26 euros pour congés payés afférents avec remise du bulletin de salaire correspondant et attestation Pôle Emploi rectifiés,

Statuant à nouveau,

DIT que la radiation des cadres de M. [R] [F] est régulière et bien fondée,

DÉBOUTE M. [R] [F] de l'intégralité de ses demandes afférentes à cette radiation,

DIT que chacune des parties conservera la charge de ses entiers frais irrépétibles,

CONDAMNE M. [R] [F] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 17/10971
Date de la décision : 15/10/2019

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°17/10971 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-10-15;17.10971 ?
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