RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 13
ARRÊT DU 13 Septembre 2019
(n° , 2 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/09722 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZJMS
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Avril 2016 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 15/01640
APPELANTE
ASSURANCE MALADIE DE PARIS
Direction du contentieux et de la lutte contre la fraude
Pole contentieux général
[Localité 1]
représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
INTIMÉ
Monsieur [F] [I]
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparant en personne, assisté de Me Gisèle MOR, avocat au barreau de VAL D'OISE, toque : PON46
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 2]
[Localité 3]
avisé - non comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Mars 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Elisabeth LAPASSET-SEITHER, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Elisabeth LAPASSET-SEITHER, Présidente de chambre
Mme Chantal IHUELLOU-LEVASSORT, Conseillère
M. Lionel LAFON, Conseiller
Greffier : Mme Typhaine RIQUET, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- délibéré du 14 juin 2019 prorogé au 28 juin 2019 puis au 5 juillet 2019 et au
13 septembre 2019, prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Mme Elisabeth LAPASSET-SEITHER, Présidente de chambre et par Mme Typhaine RIQUET, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par l'Assurance maladie de Paris, Direction du contentieux et de la lutte contre la fraude, d'un jugement rendu le 12 avril 2016 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de PARIS dans un litige l'opposant à M. [F] [I].
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard.
Il convient toutefois de rappeler que M. [I], salarié de la société Rhodia Opérations en qualité de directeur de projet, a été vacciné par le médecin du travail en raison de ses déplacements à l'étranger ; qu'une IRM pratiquée le 14 septembre 2012 a mis en évidence des lésions compatibles avec une affection démyélinisante ; qu'un certificat médical du
Pr [S] en date du 28 juillet 2014 établit que 'Il n'est pas exclu qu'il y ait un lien entre l'aggravation récente des troubles (2012) et le rappel de la vaccination contre l'hépatite B effectué quelques semaines plus tôt au mois de juin 2012.'
L'employeur a régularisé une déclaration d'accident du travail reçue par la caisse primaire d'assurance maladie le 8 septembre 2014 et joint des réserves. Un certificat médical initial a été rédigé le 17 octobre 2014.
La caisse a notifié une lettre du 30 octobre 2014 de refus de prise en charge au motif de l'absence de fait accidentel légalement caractérisé.
M. [I] a contesté le 22 décembre 2014 ce refus devant la commission de recours amiable, laquelle a rejeté explicitement le recours par décision du 6 juillet 2015 ;
M. [I] avait déjà saisi le 16 mars 2015 le tribunal des affaires de sécurité sociale de PARIS qui, par jugement du12 avril 2016 a déclaré recevable comme non prescrite sa demande, dit que la vaccination constituait un accident du travail, dit que la présomption de l'article L.411-1 du code de la sécurité sociale s'applique, constaté que la caisse ne rapportait pas la preuve de la cause totalement étrangère au travail de l'accident, dit que l'aggravation de la sclérose en plaques suite à la vaccination de juin 2012 relève de la législation professionnelle, renvoie M. [I] devant la caisse pour la liquidation de ses droits et déboute ce dernier de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
C'est la décision attaquée par l'Assurance maladie de Paris qui fait soutenir par son conseil des conclusions orales invitant la cour à infirmer le jugement déféré et se rapportant aux conclusions de première instance,
Elle fait valoir à l'appui de son appel que le tribunal des affaires de sécurité sociale s'est fondé sur la jurisprudence applicable en matière de maladie professionnelle pour déclarer la déclaration d'accident du travail non prescrite, qu'il s'agit d'un accident du travail de sorte que le délai de prescription de deux ans était dépassé ; subsidiairement, la caisse rappelle qu'elle est tenue par l'avis de son médecin conseil lequel a estimé que le lien entre le rappel de vaccination contre l'Hépatite B et l'aggravation de la pathologie de
M. [I] n'était pas établi, que la présomption d'imputabilité au travail de la lésion ne peut s'appliquer car l'aggravation est survenue plus de trois mois après le rappel de vaccination, qu'il appartient donc à M. [I] de démontrer le lien entre ces deux événements, qu'il n'est fait état que d'un lien hypothétique, qu'en tout état de cause, il s'agit d'un litige d'ordre médical nécessitant une expertise avant dire droit.
M. [I] fait soutenir et déposer par son conseil des conclusions écrites invitant la cour à confirmer le jugement en toutes ses dispositions, condamner la caisse primaire d'assurance maladie de Paris à prendre en charge au titre de la législation professionnelle l'accident déclaré le 8 septembre 2014 avec effet au 21 juin 2012, date du fait accidentel, renvoyer la caisse à liquider ses droits et condamner celle-ci à lui payer la somme de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [I] fait valoir :
-sur la prescription, que celle-ci ne peut commencer à courir tant que le fait auquel le droit est subordonné ne s'est pas réalisé ou lorsque le créancier ignore l'existence de son droit, qu'il n'a pu avoir connaissance de son droit avant que la maladie ne soit diagnostiquée, ni avant que la relation entre la maladie et la vaccination ne soit porté à sa connaissance, que la maladie a été diagnostiquée par IRM du 14 septembre 2012, la relation entre la maladie et la vaccination a été évoquée par le Pr [S] le 28 juillet 2014, que la déclaration d'accident du travail de l'employeur est du 8 septembre 2014, que son action est donc recevable ;
-sur le fait accidentel, qu'il n'est pas contesté que la vaccination a été administrée par le médecin du travail en raison de ses déplacements professionnels ;
-sur l'imputabilité, que l'avis du médecin conseil n'est ni circonstancié ni précis et ne peut constituer un avis au sens de l'article L.315-1, que l'article L.141-1 du code de la sécurité sociale ne trouve pas à s'appliquer, que la Cour de cassation a jugé que le point de savoir si les troubles présentés par l'assuré trouvent leur origine dans un accident du travail ou dans un état préexistant ne constitue pas une difficulté d'ordre médical, que le juge apprécie souverainement l'imputabilité en fonction des éléments de preuve qui lui sont soumis, qu'il peut fonder sa conviction sur des présomptions, qu'il existe en l'espèce un faisceau de présomptions, que le risque de vacciner les personnes déjà atteintes d'une sclérose en plaques a été formulée par la commission nationale de pharmacovigilance dés le 15 décembre 1994, a fait l'objet d'une diffusion aux praticiens en 1995 et a été insérée dans le Vidal en 1996, qu'il a été sur-vacciné, que le Pr [S], qui a considéré que le rappel de vaccination de 2012 a pu aggraver la maladie, est le meilleur spécialiste français de la sclérose en plaques, que jusqu'à cette date la progression de la maladie avait été plus que modérée ;
-sur la nature de la demande, qu'il est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation de dire que la vaccination est un fait accidentel, qu'il convient donc de renvoyer la caisse à liquider ses droits et diligenter une expertise permettant d'évaluer la date de consolidation et le taux d'incapacité permanente.
Il est renvoyé aux conclusions déposées par les parties pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions.
SUR CE,
Constitue, en application de l'article L.411-1 du code de la sécurité sociale, un accident du travail, un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait où à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci. La maladie consécutive à une vaccination constitue donc un accident du travail dès lors que la vaccination a été effectuée dans le cadre de l'emploi ;
- Sur la prescription :
Il résulte de l'article L.431-2 du code de la sécurité sociale que le délai de prescription en matière d'accident du travail est de deux ans à compter du fait accidentel, sauf exception liée à l'existence d'une rechute.
Cependant, la prescription ne peut commencer à courir qu'à compter du jour où le salarié a eu connaissance du rapport possible entre sa maladie et la vaccination.
En l'espèce, M. [I] a reçu dans le cadre de son activité professionnelle et en raison de ses déplacements à l'étranger une série de vaccins, dont le 21 juin 2012 un vaccin contre l'hépatite B ; il a alors présenté pendant l'été suivant une grande fatigue, une faiblesse dans les jambes, réduisant ses capacités physiques et occasionnant des chutes ; une IRM a été pratiquée le 14 septembre 2012 qui a mis en évidence des lésions compatibles avec une affection démyélinisante ; il a dés lors été suivi à partir d'octobre 2012 à la [Établissement 1] par le Pr [S] ;
Cependant, M. [I] n'a eu connaissance du rapport possible entre sa maladie et la vaccination que par certificat médical du 28 juillet 2014 du Pr [S].
La déclaration d'accident du travail étant du 8 septembre 2014 et le certificat médical initial du 17 octobre 2014, moins de deux ans s'étaient écoulés à cette dernière date. De plus, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris a été saisi le 16 mars 2015. L'action engagée doit être déclarée recevable.
- Sur le lien de causalité entre la vaccination et la maladie de M. [I] :
Le fait accidentel, le rappel de vaccination contre l'Hépatite B au temps et au lieu du travail, ainsi que la lésion, en l'espèce l'aggravation de la maladie de M. [I], ne sont pas contestés.
Il appartient donc à M. [I] de rapporter la preuve du lien de causalité entre la vaccination et la maladie. A cette fin, M. [I] présente à la cour un certificat médical du Pr [S], spécialiste réputé en matière de traitement de la sclérose en plaques.
Il est établi que les premiers symptômes de la maladie de M. [I] datent de 1995 après une première injection et qu'il y a eu aggravation après le rappel de vaccination en 2012, soit moins de trois mois après le rappel. Le médecin traitant, le Dr [J], estime qu'avant cette date, M. [I] était en bon état de santé.
Il résulte de ce certificat médical que le rapport entre la vaccination et la maladie est possible et qu'il n'existe aucune autre cause démontrée que cette vaccination très répétée pouvant justifier à cet instant précis le développement de la maladie. Le certificat établit en effet que 'il n'est pas exclu qu'il y ait un lien entre l'aggravation récente des troubles (2012) et le rappel de la vaccination contre l'hépatite B effectué quelques semaines plus tôt au mois de juin 2012.'
Cependant, la preuve de la probabilité du lien de causalité, qui reste donc hypothétique, est insuffisante à établir l'existence d'un tel lien nécessaire à l'établissement de l'accident du travail au sens de la législation professionnelle.
- Sur la demande d'expertise :
La question de la désignation d'un expert se pose au regard des avis médicaux divergents figurant au dossier. Cependant, M.[I] produit d'ores et déjà aux débats l'avis du
Pr [S], 'meilleur spécialiste français de la sclérose en plaques... reconnu au niveau mondial... [ayant] participé à des travaux de grande portée sur la relation entre SEP et vaccination contre l'hépatite B.', selon les propres dires du salarié.
Il apparaît donc qu'une expertise s'avérerait inutile dés lors que le meilleur spécialiste de la question n'a pas été en mesure d'établir avec certitude le lien de causalité entre le rappel de vaccination de 2012 et l'aggravation de la maladie dont M. [I] souffrait déjà depuis 2015.
La demande d'expertise sera rejetée.
En conséquence, la cour estime qu'elle n'est pas en mesure de retenir avec certitude l'existence d'un accident du travail. Le jugement déféré doit donc être infirmé.
Il ne parait pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie l'intégralité des frais irrépétibles engagées;
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Déclare l'appel recevable et fondé,
Dit l'action engagée par M. [F] [I] recevable,
Infirme le jugement déféré,
Déboute M. [F] [I] de ses demandes,
Déboute l'Assurance maladie de Paris, Direction du contentieux et de la lutte contre la fraude, de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [F] [I] qui succombe aux entiers dépens.
La Greffière,La Présidente,