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12/09/2019 | FRANCE | N°17/22688

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 9, 12 septembre 2019, 17/22688


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9



ARRÊT DU 12 SEPTEMBRE 2019



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/22688 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4UG6



Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Décembre 2017 -Tribunal de commerce de PARIS - RG n° 2014066194





APPELANTS :



Madame [F] [I]

née le [Date naissance 2] 1941 à

[Localité 12]

Demeurant [Adresse 7]

[Localité 9]



Représentée par Me Sandrine VICENCIO, avocat au barreau de PARIS, toque : A0939





Monsieur [T] [H]

né le [Date naissance 3] 19...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9

ARRÊT DU 12 SEPTEMBRE 2019

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/22688 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4UG6

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Décembre 2017 -Tribunal de commerce de PARIS - RG n° 2014066194

APPELANTS :

Madame [F] [I]

née le [Date naissance 2] 1941 à [Localité 12]

Demeurant [Adresse 7]

[Localité 9]

Représentée par Me Sandrine VICENCIO, avocat au barreau de PARIS, toque : A0939

Monsieur [T] [H]

né le [Date naissance 3] 1950 à [Localité 13] ( 45)

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par Me Charles-hubert OLIVIER de la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0029

Représenté par Me Pierre-edouard GONDRAN DE ROBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : G0210

Représenté par Me Lucas VERGNAUD, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

Madame [F] [I]

née le [Date naissance 2] 1941 à [Localité 12]

Demeurant [Adresse 7]

[Localité 9]

Représentée par Me Sandrine VICENCIO, avocat au barreau de PARIS, toque : A0939

Monsieur [T] [H]

né le [Date naissance 3] 1950 à [Localité 13]

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par Me Charles-hubert OLIVIER de la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0029

MINISTÈRE PUBLIC Représenté par Monsieur le Procureur Général près la Cour d'Appel de [Localité 8], élisant domicile en son Parquet au Palais de Justice

[Adresse 6]

[Localité 8]

SCP B.T.S.G.² prise en la personne de Maître [V] [G] es qualités

de liquidateur de la SARL CONSEIL ET STRATEGIE

Immatriculé au RCS de NANTERRE sous le numéro 434 122 511

Ayant son siège social [Adresse 4]

[Localité 10]

Représentée par Me Fabrice DALAT de la SELEURL DALAT - WERNERT - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0373

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

COMPOSITION DE LA COUR :

    En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Juin 2019, en audience publique, devant Madame Michèle PICARD, Présidente de chambre, Madame Isabelle ROHART-MESSAGER, Conseillère et Madame Aline DELIERE, Conseillère.

           Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de Procédure Civile.

Greffier, lors des débats : Madame Hanane AKARKACH

MINISTÈRE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par M. François VAISSETTE, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Michèle PICARD, Présidente de chambre et par Madame Hanane AKARKACH, Greffière présente lors du prononcé.

*****

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Conseil et Stratégie, dont l'activité est la prestation de conseil en ingénierie financière est détenue à 100% par la société Discovery. Elle a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 15 février 2012. La Scp BTSG a été désignée en qualité de liquidateur.

La liquidation a été étendue à la société Discovery, maison mère également des sociétés Noego Sas et Alp by Noego par jugement du 13 septembre 2012.

Par jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 décembre 2017, sur assignation de la Scp BTSG, le fondateur et associé de la Sarl Conseil et Stratégie M. [T] [H], dirigeant de fait et la dirigeante de droit Mme [F] [I] ont été condamnés à une contribution à l'insuffisance d'actif d'un montant de 827.742 euros. Ils ont également été condamné à une mesure de faillite personnelle de 10 ans pour Monsieur [H] et de 7 ans pour Madame [I].

Par déclarations respectives du 11 décembre 2017 et du 14 décembre 2017, Monsieur [H] et Madame [I] ont interjeté appel du jugement. Les deux appels ont été enregistrés séparément.

Il convient d'ordonner la jonction de ces deux procédures ouvertes sous les numéros 17/22990 et 17/22688 sous ce dernier numéro.

***

Vu les dernières conclusions de M. [H] signifiées par voie électronique le 23 janvier 2019, par lesquelles, il est demandé à la cour de :

- recevoir et juger Monsieur [T] [H] recevable en son appel, fins et prétentions,

- constater que le jugement du Tribunal de commerce de [Localité 8] en date du 5 décembre 2017 a statué ultra petita, en méconnaissance des droits de la défense, n'a pas apprécié tous les arguments soulevés en défense,

En conséquence,

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de [Localité 8] en date du 5 décembre 2017 notamment en ce qu'il a dit que Monsieur [T] [H] a qualité de dirigeant de fait de la société conseil et stratégie, que les fautes de gestion qui lui sont imputables ont contribué pour partie à l'insuffisance d'actif, l'a condamné à payer la somme de 827.742 € à la Scp BTSG prise en la personne de Maître [V] [G] ès qualité de liquidateur de la sarl conseil et stratégie au tire de la contribution à l'insuffisance d'actif, et en ce qu'il a prononcé une mesure de faillite personnelle d'une durée de 10 ans à l'encontre de Monsieur [T] [H]

Statuant à nouveau,

- dire et juger que Monsieur [T] [H] n'a pas la qualité de dirigeant de fait ;

- dire et juger que les faits visés par le demandeur ne constituent pas des fautes de gestion au sens de l'article L 651-2 du Code de commerce ;

- dire et juger en tout état de cause que l'insuffisance d'actif ne trouve pas son origine dans les prétendues fautes de Monsieur [H] ,

- déclarer la SCP B.T.S.G., prise en la personne de Maître [G] ès qualité de liquidateur de la société conseil et stratégie mal fondée en ses demandes ;

- constater l'absence de demandes relatives à des mesure de faillite personnelle à l'égard de Monsieur [H] ;

- constater l'impossibilité pour les juridictions de s'autosaisir en matière de faillite personnelle ;

- constater la prescription de l'action en faillite personnelle à l'égard de Monsieur [H];

En conséquence,

- débouter la Scp BTSG, prise en la personne de Maître [G], es qualité de liquidateur

de la société conseil et stratégie de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'égard

de Monsieur [H] ;

- ne prononcer aucune condamnation ou sanction à l'encontre de Monsieur [H] ;

- condamner la Scp BTSG, prise en la personne de Maître [G] ès qualité de liquidateur de la société conseil et stratégie à payer à Monsieur [T] [H] 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- dire et juger que les dépens seront à la charge de la procédure de liquidation judiciaire.

***

Vu les dernières conclusions signifiées le 6 avril 2018 par la Scp BTSG, ès qualités de liquidateur de la société Conseil et Stratégie, par lesquelles, il est demandé à la cour :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de [Localité 8] en ce qu'il a dit que Monsieur [H] a qualité de dirigeant de fait de la société Conseil et Stratégie, et que les fautes de gestion imputables à Monsieur [H] et Madame [I] ont contribué pour partie à l'insuffisance d'actif de la société Conseil et Stratégie,

En conséquence,

- condamner solidairement Monsieur [H] et Madame [I] à payer la somme de 2.350.978,90 € au profit de la Scp BTSG en la personne de Maître [G], ès qualités, au titre de leur contribution à l'insuffisance d'actif de la société Conseil et Stratégie ;

- condamner solidairement Monsieur [H] et Madame [I] à payer la somme de 15.000 € au profit de la Scp BTSG en la personne de Maître [G], ès qualités, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- dire que ceux d'appel pourront être directement recouvrés par la selarl LEXAVOUE [Localité 8]-[Localité 14], conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,

***

Vu les dernières conclusions de madame [F] [I] signifiées par voie électronique le 12 mars 2019 par lesquelles elle demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

- constater que le tribunal a statué ultra petita en condamnant Madame [I] à une mesure de faillite personnelle,

- constater que le tribunal de commerce de Paris n'avait pas compétence pour ordonner dans sa formation de jugement toute mesure utile en application de l'article L 651-4 du code de commerce,

En conséquence,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris du 5 décembre 2017 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté les demandes du mandataire tendant à voir constater le défaut de déclaration de cessation des paiements,

- condamner la Scp BTSG prise en la personne de Maître [G] ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société Conseil et Stratégie à payer à Madame [I] une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ,

- condamner la Scp BTSG prise en la personne de Maître [G] ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société Conseil et Stratégie en tous les dépens.

***

Vu l'avis du Ministère Public en date du 18 janvier 2019, par lequel, il est demandé à la cour de d'infirmer le jugement sur les sanctions personnelles, de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la direction de fait de M. [H] et retenu les deux griefs reprochés mais d'infirmer la condamnation sur le quantum et de condamner solidairement M. [H] et Mme [I] à la somme de 100 000 euros au titre de leur contribution à l'insuffisance d'actif.

SUR CE,

Sur la compétence du tribunal

Sur le prononcé des sanctions personnelles et sur les mesures conservatoires

Monsieur [H], Madame [I] et le ministère public constatent que le tribunal a excédé ses pouvoirs en prononçant des sanctions personnelles d'office, sans débat contradictoire et dont l'action était prescrite au jour de l'audience, alors qu'il n'avait été saisi par la Scp BTSG que d'une action en insuffisance d'actif.

Sur la contestation du prononcé de toute mesure conservatoire utile à l'égard des biens de M. [H] et Mme [I] le ministère public soutient que le tribunal a excédé ses pouvoirs en ordonnant toute mesure conservatoire utile à l'encontre des dirigeants car cette compétence relève du Président du tribunal de commerce en vertu de l'article L. 651-4 du code de commerce.

La cour constate que le tribunal n'était pas saisi d'une demande de sanctions personnelles à l'égard de Monsieur [H] et de Madame [I] d'une part et d'autre part qu'une telle action était prescrite.

Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Sur la qualité de dirigeant de fait de M. [H]

Monsieur [H] soutient que la preuve de sa qualité de dirigeant de fait n'est pas rapportée par la Scp BTSG. En effet, il soutient que le bénéfice d'un bail d'habitation financé par la société ne saurait caractériser une gestion de fait dans la mesure où il ne s'agit pas d'un acte positif de gestion. Il ajoute que le tribunal de commerce échoue à démontrer que Monsieur [H] a accompli des actes de gestion en toute indépendance car les actes réalisés ou dont a bénéficié M. [H] ont été obtenus avec les pouvoirs du gérant de droit Madame [I]. Il soutient que l'absence de contestation de la décision de l'AGS est due à sa position d'associé de la société.

La Scp BTSG soutient que M. [H] doit être considéré comme dirigeant de fait de la société Conseil et Stratégie. M. [H] est fondateur et associé de la Sarl Conseil et Stratégie et détenteur unique des parts de la société mère Discovery. Or la filiale a été mise en liquidation judiciaire et la procédure a été étendue à la société mère détentrice à 100% du capital de la filiale par un jugement du 13 décembre 2012 en raison de flux financiers anormaux. De plus M. [H] a signé une convention de trésorerie d'un montant élevé en tant que représentant de Conseil et Stratégie avec la société Discovery ce qui traduit l'influence prédominante de la société mère sur sa filiale. Elle fait valoir de plus que l'absence de contestation de M. [H] de la décision des AGS serait un indice de son aveu de position en tant que gérant de fait.

Le ministère public est d'avis que de nombreux éléments tendent à démontrer la gestion de fait de M. [H].

La cour relève que Monsieur [H] a créé la société Conseil et Stratégie en 1987 et qu'il détient 100% du capital de la société mère, la société Discovery depuis novembre 2011, laquelle détient 100% des parts sociales de Conseil et Stratégie. La procédure collective de Conseil et Stratégie a été étendue à la société Discovery sur le fondement de la confusion des patrimoines en septembre 2012. Il s'est avéré en effet que la société Conseil et Stratégie avait viré 1.000.000 euros à la société Discovery. Cette opération a été effectué par Monsieur [H] en vertu d'une convention de trésorerie signée par lui entre les deux sociétés.

Monsieur [H] a signé le contrat de location gérance au nom de la société Conseil et Stratégie avec la Maison de l'Investissement. Il occupe une villa à [Localité 11] louée par la société Conseil et Stratégie. Il n'a pas contesté l'absence de prise en charge par l'AGS pour le paiement de ses indemnités de licenciement.

Monsieur [H] a représenté la société Conseil et Stratégie aux audiences de contestation de créances, à l'audience de conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire et était présent aux rendez vous fixés par l'administrateur judiciaire au cours de la période d'observation.

Enfin, Monsieur [H], qui se dit salarié de la société a bénéficié d'avances sur salaire importantes de la part de la société Conseil et Stratégie.

Monsieur [H] a donc effectué des actes positifs de gestion de la société en signant en son nom une convention de trésorerie avec la société mère et en signant le contrat de location gérance. Ces actes additionnés au fait qu'il disposait d'une maison dont le loyer était payé par la société, avantage en général réservé aux dirigeants sociaux, et au fait qu'il n'a pas réclamé d'indemnités de licenciement et que la société lui a octroyé des avances sur salaire montrent que Monsieur [H] était dirigeant de fait de la société. Cela est corroboré par sa participation active à la procédure collective.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments un faisceau d'indices montrant que Monsieur [H] dirigeait bien la société Conseil et Stratégie, qu'il en retirait des avantages importants pour lui personnellement et pour sa société Discovery allant au delà de l'intérêt d'un simple associé.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur la qualité de dirigeante de droit de Madame [I]

Madame [I] a été dirigeante de droit de la société Conseil et Stratégie à compter du 14 septembre 2011. Elle a déclaré la cessation des paiements le 17 décembre 2011.

Sur l'insuffisance d'actif

La cour constate que l'insuffisance d'actif de la société Conseil et Stratégie et de la société Discovery s'élève à 2.353.631, 90 euros.

Les fautes de gestion reprochés aux deux dirigeants sont les suivantes :

Le retard dans le dépôt de la déclaration de cessation des paiements

La Scp BTSG reproche à Madame [I] d'avoir tardé à déposer la déclaration de cessation de paiements.

Madame [I] ne conclut pas sur ce grief.

La cour relève que la date de cessation des paiements fixée par le tribunal est le 27 juin 2010 alors que la déclaration de cessation des paiements a été effectuée en décembre 2011.

Au cours de la période du 27 juin 2010 au 17 décembre 2011 le passif s'est aggravé d'un montant minimum de 447.550 euros, somme constituée notamment des créances des bailleurs Borrel et UFFI.

Le retard pris pour déclarer la cessation des paiements a donc contribué à augmenter l'insuffisance d'actif et constitue une faute de gestion. Cependant Madame [I] n'est devenue gérante de droit qu'en septembre 2011 et elle a déclaré la cessation des paiements en décembre 2011, soit peu de temps après. Il n'est pas démontré qu'elle ait immédiatement réalisé que la société était en état de cessation des paiements au moment où elle en a pris la gérance.

Cette faute ne sera donc pas retenue à son encontre.

Sur le non paiement des créances fiscales et sociales

La Scp BTSG reproche à Madame [I] et à Monsieur [H] d'avoir créé un passif fiscal et social de 658.249 euros, créances admises à titre définitif. La poursuite de l'activité alors que la cessation des paiements était avérée a contribué à aggraver le passif. La faute de gestion est caractérisée par le non-paiement des cotisations sociales et fiscales augmentant le passif d'une exploitation déficitaire.

Monsieur [H] soutient que le non-paiement des créances fiscales et sociales ne saurait caractériser un maintien artificiel de l'activité constituant une faute de gestion en raison de l'absence de date certaine des créances fiscales et sociales.

Madame [I] fait valoir qu'elle n'a dirigé la société que pendant trois mois et qu'elle ne peut donc être condamnée à payer l'insuffisance d'actif constitué des dettes fiscales alors qu'il n'est pas établi que ces créances sont nées pendant sa gérance.

La cour relève que le montant des créances fiscales et sociales s'élève à 658.249 euros, créances admises à titre définitif. Lorsque l'exploitation est déficitaire et que la société ne peut faire face à ses charges de fonctionnement courantes, elle laisse les dettes fiscales et sociales s'accumuler ce qui constitue une faute de gestion.

Ce grief sera donc retenu mais seulement à l'encontre de Monsieur [H],. Il n'est pas établi que l'augmentation de l'insuffisance d'actif ait eu lieu au cours de la période où Madame [I] était gérante.

Sur la gestion contraire à l'intérêt de la société

La Scp BTSG soutient que M. [H] en signant la convention de trésorerie entre les sociétés Conseil et Gestion et Discovery a accordé un prêt de 1 million d'euros de la première vers la seconde laquelle somme a été investie ensuite dans une société exploitant un club de tennis, la société Alp by Noego, détenue à 100% par la société Noego Sas qui s'avère être contrôlée par le fils de M. [H], [M] [H] et dont la société Discovery est associée. Ce prêt a entraîné les difficultés financières de la filiale, qui avant ce prêt était toujours rentable, ce qui caractérise une politique de groupe contraire à l'intérêt de la société débitrice et constitutif d'une faute de gestion. Il ajoute que la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire a été principalement motivée par ce prêt. Ce prêt est, contrairement aux affirmations de Monsieur [H], établi par ses propres déclarations à Maître [O] et par les déclarations de Madame [I] qui a précisé au tribunal de commerce lors de l'audience de plaidoirie avoir émis des chèques importants à l'odre de Discovery. Le fait que cette créance soit maintenant éteinte du fait de la confusion des patrimoines entre les deux sociétés ne fait pas disparaître la faute de gestion.

Monsieur [H] soutient que les flux financiers pour un montant de 1 million d'euros ne doit pas être pris en compte dans la contribution à l'insuffisance d'actif dans la mesure où cette créance litigieuse n'est pas incluse dans la demande indemnitaire, dès lors la société Conseil et Stratégie n'aurait ni qualité ni intérêt à agir au titre de ce virement. De plus le demandeur n'apporte pas la preuve de la date à laquelle ce virement a été effectué pour démontrer le préjudice perçu par la société conseil et stratégie.

Madame [I], qui affirme que le liquidateur n'établit pas la réalité du prêt et sa date, soutient que la confusion des patrimoines entre les deux sociétés a eu pour effet d'anéantir le flux d'une part et d'autre part que l'apport de la somme de 1M€ à la société Alp by Noego a été effectuée par la société Discovery. Il n'appartenait pas à la société Conseil et Stratégie de s'immiscer dans l'utilisation de ces fonds. De plus le liquidateur aurait dû poursuivre les dirigeants de Discovery et non ceux de Conseil et Stratégie. Elle soutient qu'il ne s'agit pas d'une faute de gestion mais d'une faute dans l'exploitation de l'entreprise. Enfin elle fait valoir que ce n'est pas le prêt lui même qui est à l'origine des difficultés de Conseil et Stratégie mais l'incapacité de Discovery de rembourser ce prêt. Elle

La cour relève en premier lieu qu'il est constant que le compte courant de Discovery présentait au 19 décembre 2011 un solde créditeur de 1.092.804, 97 euros et que l'historique de ce flux n'a pu être reconstitué faute pour la société d'avoir remis sa comptabilité au mandataire. Cependant, au cours de l'audience Madame [I] a révélé qu'elle avait émis plusieurs chèques à l'ordre de Discovery pour des montants pouvant atteindre 40.000 euros à 50.000 euros de sorte que le tribunal en a justement conclu qu'avec ce niveau d'émission il 'était possible d'atteindre 1 M€ sans difficultés'.

Par ailleurs, Maître [O] dans son rapport précise que d'après les informations fournies par Monsieur [H], la société Discovery était dans l'impossibilité de rembourser à Conseil et Stratégie sa dette de 1 M€, dette née à la suite d'un investissement opéré par Discovery dans une société exploitant un club de tennis.

Il est donc établi que cette somme de 1 M€ a bien été versée par Conseil et Stratégie à Discovery, sa société mère, qui a ensuite versé cette somme à la société Noego qui l'a ensuite transféré à Alp by Noego pour financer l'exploitation d'un club de tennis.

La justification d'un tel investissement par la société Conseil et Stratégie, société de conseil en finance et la société Alp by Noego société ayant une activité dans le domaine sportif, bénéficiaire final du prêt, se limite au fait que [M] [H], le fils de [T] [H], dirigeait les sociétés Noego et Alp by Noego.

Maître [O], dans son rapport souligne que la société Conseil et Stratégie ne connaissait pas de difficultés opérationnelles structurelles et que les difficultés à l'origine de la procédure collective sont dues à des problèmes de trésorerie et notamment, mais pas exclusivement, au prêt litigieux.

La cour confirmera donc le jugement déféré qui a retenu une faute de gestion dans ce prêt indirect de 1 M€ à une société qui n'avait aucun lien stratégique ou d'intérêt avec elle sauf le lien de famille des dirigeants et qui a contribué à l'ouverture de la procédure collective. Les deux dirigeants sont responsables de cette faute.

Sur la faute de gestion dans l'intérêt personnel de Monsieur [H]

La Scp BTSG reproche à M. [H] d'avoir bénéficié d'un bail d'habitation à Chatou signé par la dirigeante de droit de la société Conseil et Stratégie alors qu'aucun élément ne justifiait cet avantage d'autant que le siège social de la société se trouve à [Localité 8]. Cela caractérise une faute de gestion dans l'intérêt personnel du dirigeant aggravant le passif de la société d'un montant de 169.493, 18 euros.

Monsieur [H] soutient que l'avantage en nature dont il bénéficiait n'est pas une faute de gestion. Il y serait éligible en sa qualité de salarié comme il ressort des informations fournies par l'Urssaf. Il s'agit d'une contrepartie de son travail et cet avantage est repris dans ses bulletins de paie. De plus concernant la contribution des loyers impayés à 169.493, 18 euros, l'appelant soutient que cette somme concerne la période d'octobre 2008 à février 2012, ce qui comprend une période antérieure à celle où a été constaté une dégradation de la situation économique et financière de la société Conseil et Stratégie débutant au premier semestre 2011.

Madame [I] fait valoir que la location de la villa date de 2008 antérieurement à sa prise de fonction.

La cour relève que le fait de faire apparaître l'avantage en nature que constitue le logement sur les bulletins de salaire ne suffit pas à exonérer le bénéficiaire de toute faute. Il ressort des bulletins de salaires produits par Monsieur [H] que ce dernier percevait un salaire de base de 10.000 euros en sus de l'avantage en nature que constituait la mise à disposition de la villa pour un loyer de 4.800 euros et qu'il remboursait à la société un prêt de 4.000 euros.

Alors que la société connaissait des difficultés financières au moins depuis le début de l'année 2011, Monsieur [H] a conservé cet avantage dont le coût n'était pas négligeable. De même Madame [I] aurait du résilier le bail dès son arrivée en qualité de dirigeante de la société alors qu'elle n'avait pu que constater très vite qu'elle ne pouvait plus payer les charges ni les loyers.

La cour relève avec le tribunal qu'un tel avantage n'était pas justifié et que le montant du prix des loyers, soit 169.493 euros pour toute la période allant de 2008 à 2012, le bail ayant été résilié en février 2012 et Monsieur [H] ayant continué à occuper le logement jusqu'en mars 2012 a contribué à l'insuffisance d'actif.

Ce grief sera donc retenu mais dans une moindre mesure pour Madame [I], l'avantage en nature ayant préexisté à son arrivée dans la société.

Sur le lien de causalité entre les fautes de gestion et l'insuffisance d'actif

Monsieur [H] fait valoir que selon le rapport de maître [O] les deux principales cause des difficultés rencontrées par la société Conseil et Stratégie sont un risque inhérent au fonctionnement de la société, qui s'est réalisé et l'existence d'un jugement pénal le condamnant et qui a été depuis lors réformé par la cour d'appel, le relevant indemne de tous les chefs d'accusation. En tout état de cause il est, selon lui, impossible d'établir la contribution à l'insuffisance d'actif :

- Des flux financiers à hauteur de 1 million d'euros dans la mesure où ils ne sont pas établis par le demandeur qu'ils ont été effectués dans le cadre d'une convention de trésorerie, et qu'ils sont justifiés par une activité bénéficiaire de la société,

- de l'avantage salarial en nature de Monsieur [T] [H] dans la mesure où il s'agit précisément d'un salaire en contrepartie d'une mission définie de conseil financier.

La cour relève que Maître [O] qui souligne dans son rapport que la société ne connaissait pas de difficultés financières jusqu'au début de l'année 2011 a constitué un passif en raison notamment de l'indisponibilité de la créance de 1 M€ sur Discovery. La condamnation pénale a accentué les difficultés mais n'en est pas à l'origine. Quand au problème structurel dû au fait que le besoin en fond de roulement à financer était important puisque la société n'était payée qu'en fin de mission, il n'était pas nouveau.

Dès lors l'insuffisance d'actif est bien dû au prêt litigieux et également en partie à l'avantage en nature que constituait la mise à disposition d'un logement de fonction à Monsieur [H] qui obérait la trésorerie et à la continuation de l'activité alors que le charges sociales et fiscales ne pouvaient plus être payées..

Sur le montant de la condamnation à la contribution pour insuffisance d'actif

Monsieur [H] soutient que le montant de la condamnation à la contribution à l'insuffisance prononcée par le tribunal de commerce de Paris, soit la somme de 827. 742 euros, excède ses capacités financières alors que sur les 12 derniers mois a perçu un salaire mensuel moyen de 1.270 euros. A fortiori les demandes de la Scp BTSG qui s'élèvent à plus de 2,3 millions d'euros dépassent largement ses capacités.

La Scp BTSG soutient que les dirigeants ont commis des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif. Dès lors il y a lieu de les condamner solidairement à supporter cette charge de 2.350.978, 90 euros en vertu de l'article L. 651-2 du code de commerce.

Le Ministère Public est d'avis compte tenu de la situation financière des appelants faisant l'objet d'une procédure de surendettement d'abaisser le quantum à 100.000 euros.

La cour relève que l'insuffisance d'actif n'est pas totalement due aux fautes de gestion des dirigeants et limitera donc la condamnation à la somme retenue par le tribunal de commerce soit 827.742 euros étant précisé que Monsieur [H] et Madame [I] ne sont pas identiquement responsables de l'insuffisance d'actif de la société et notamment que Madame [I] n'a été gérante de droit que pendant quelques mois et qu'elle a hérité d'une situation qu'elle n'a pas personnellement créée.

Dés lors le jugement sera confirmé sur le montant de l'insuffisance d'actif à rembourser mais Madame [I] verra sa condamnation limitée à 80.000 euros.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Il serait inéquitable de laisser à la Scp BTSG la charge des frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens. Il lui sera allouée la somme de 5.000 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

ORDONNE la jonction des deux procédures ouvertes sous les numéros 17/22990 et 17/22688 sous ce dernier numéro,

INFIRME le jugement rendu le 5 décembre 2017 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a condamné Monsieur [T] [H] et Madame [F] [I] à une mesure de faillite personnelle.

CONFIRME le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de Monsieur [T] [H] et de Madame [F] [I] à l'insuffisance d'actif de la société Conseil et Stratégie,

CONFIRME le jugement sur le montant de la condamnation mise à la charge de Monsieur [H],

INFIRME le jugement sur le montant de la condamnation mise à la charge de Madame [I] qui sera limitée à 80.000 euros,

CONDAMNE solidairement Monsieur [T] [H] et Madame [F] [I] à payer à la Scp BTSG la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNE solidairement Monsieur [T] [H] et madame [F] [I] aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La Greffière La Présidente

Hanane AKARKACH Michèle PICARD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 17/22688
Date de la décision : 12/09/2019

Références :

Cour d'appel de Paris I9, arrêt n°17/22688 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-09-12;17.22688 ?
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