Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 3
ARRÊT DU 09 SEPTEMBRE 2019
(n°2019/ , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/16687 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4AMT
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Mai 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/08234
APPELANTE
SA GMF ASSURANCES
[Adresse 4]
[Localité 4]
Représentée et assisté de Me Patrice ITTAH de la SCP LETU ITTAH ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0120
INTIMÉS
Monsieur [K] [W]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Madame [M] [B]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Madame [F] [I] née [W]
[Adresse 1]
[Localité 2]
née le [Date naissance 1] 1987 à [Localité 7]
Représentés par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assistés de Me Vincent BOIZARD, avocat plaidant, toque P456
CPAM DE LA HAUTE SAONE
[Adresse 5]
[Localité 3]
Défaillante
CPAM DES HAUTS DE SEINE
[Adresse 3]
[Localité 5]
Défaillante
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Mai 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente, chargée du rapport et Mme Clarisse GRILLON, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente
Mme Clarisse GRILLON, Conseillère
Mme Sophie REY, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Laure POUPET
ARRÊT : Réputé contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente et par Laure POUPET, greffière présente lors du prononcé.
********
EXPOSÉ DU LITIGE :
Le 31 juillet 2000, M. [K] [W], né le [Date naissance 2] 1990 et alors âgé de 10 ans, a été victime d'un accident corporel de la circulation dans lequel a été impliqué un véhicule assuré par la GMF qui ne conteste pas le droit à entière indemnisation de la victime.
M. [W] a été expertisé extra-judiciairement par le docteur [R] qui s'est fait assister du docteur [Y], ophtalmologiste, de Mme [T], neuropsychologue et de M. [D], chirurgien dentiste. Le rapport d'expertise a été clos le 12 avril 2012.
Par jugement du 16 mai 2017 (instance n° 14/08234), le tribunal de grande instance de Paris a :
reçu l'intervention volontaire de Mme [I] née [W],
condamné la GMF à payer à M. [K] [W] la somme de 775 814,75 € à titre de réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non déduites, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,
condamné la GMF à payer à Mme [M] [B] la somme de 15 000 € au titre de son préjudice d'affection avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,
condamné la GMF à payer à Mme [I] la somme de 5 000 € au titre de son préjudice d'affection avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,
dit que les intérêts échus des capitaux produiront intérêts dans les conditions fixées par l'article 1154 du code civil,
condamné la GMF à payer à M. [K] [W] les intérêts au double du taux de l'intérêt légal sur le montant de l'offre effectuée le 14 novembre 2012, avant imputation de la créance des tiers payeurs et déduction des provisions versées, à compter du 31 mars 2001 et jusqu'au 14 novembre 2012,
déclaré le jugement commun à la CPAM des Hauts-de-Seine et de la Haute-Saône,
condamné la GMF aux dépens comprenant les frais d'expertise et à payer à M. [K] [W] la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,
dit que les avocats en la cause en ayant fait la demande, pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Sur appel interjeté par déclaration du 24 août 2017, et selon dernières conclusions notifiées le 12 avril 2019, la GMF assurances demande à la cour de :
infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu l'existence de pertes de gains professionnels futurs et alloué à M. [W] la somme de 520 632 € sur la base d'une perte mensuelle de 1 000 €,
statuant à nouveau, fixer l'entier préjudice de M. [W] tel qu'exposé dans le corps des conclusions :
$gt; total des préjudices patrimoniaux : 71 152,00 €
$gt; total des préjudices extra-patrimoniaux : 184 030,75 €
dire et juger que le montant total des provisions versées par la GMF à M. [W] s'élève à hauteur de 54 073,47 €,
débouter M. [W] de sa demande de réparation au titre des pertes de gains professionnels futurs,
à titre subsidiaire :
$gt; débouter M. [W] de sa demande tendant à voir appliquer le barème de capitalisation publié à la Gazette du Palais de 2018,
$gt;pour le cas où la cour ferait droit à la demande de règlement en capital, appliquer le barème de capitalisation BCRIV 2018,
$gt; en conséquence, fixer les pertes de gains professionnels futurs de M. [W] à la somme de 98 716,20 €,
$gt; enjoindre M. [W] à s'expliquer sur sa situation professionnelle actuelle,
débouter M. [W] du surplus de ses demandes plus amples et/ou contraires,
en tout état de cause, confirmer le jugement entrepris sur les postes de préjudices de M. [W] récapitulés ci-après,
confirmer le jugement entrepris sur le préjudice d'affection des proches de M. [W] :
$gt; Mme [M] [B] : 15 000 €
$gt; Mme [F] [W] épouse [I] : 5 000 €
confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la GMF à payer à M. [W] les intérêts au double du taux de l'intérêt légal sur le montant de l'offre effectuée le 14 novembre 2012, avant imputation de la créance des tiers payeurs et déduction des provisions versées, à compter du 31 mars 2001 et jusqu'au 14 novembre 2012,
condamner M. [W] à restituer à la GMF tout ou partie des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement dont appel,
débouter M. [W] de sa demande formée au titre de l'article 1343-2 du code de procédure civile,
dire et juger que la cour devra statuer en deniers ou quittances, provisions et sommes versées au titre de l'exécution provisoire non déduites,
condamner in solidum M. [W], Mme [M] [B] et Mme [I] à payer à la GMF la somme de 5 000 € au titre au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner in solidum M. [W], Mme [M] [B] et Mme [I] aux entiers dépens.
Selon dernières conclusions notifiées le 21 mars 2019, M. [K] [W], Mme [M] [B] et Mme [F] [W] épouse [I] demandent à la cour de :
confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception des condamnations prononcées au titre des pertes de gains professionnels futurs,
pour ce poste de préjudice :
$gt; porter la réparation allouée au titre des pertes de gains professionnels futurs à la somme en arrérages et capital de 1 194 416,70 €,
$gt; dire que les intérêts échus sur ces sommes comme sur les sommes allouées par le jugement dont la confirmation est demandée produiront intérêts dans les conditions fixées par l'article 1343-2 du code civil,
confirmer le jugement en toutes ses autres dispositions,
condamner la GMF à verser au concluant la somme de 7 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine, destinataire de la déclaration d'appel qui lui a été signifiée à personne habilitée, n'a pas constitué avocat mais a fait savoir par lettre du 15 avril 2015 que le décompte définitif des prestations servies à M. [W] ou pour son compte s'est élevé à la somme de 56 279,61 € ventilée comme suit :
- prestations en nature : 55 583,33 €
- frais futurs : 696,28 €.
La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône , destinataire de la déclaration d'appel qui lui a été signifiée à personne habilitée, n'a pas constitué avocat.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 15 avril 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Les prétentions des parties peuvent être récapitulées comme suit :
jugement
demandes
offres
préjudices patrimoniaux
temporaires
- frais divers
0,00 €
0,00 €
0,00 €
- assistance par tierce personne
1 152,00 €
1 152,00 €
1 152,00 €
permanents
- dép. de santé futures à charge
mémoire
mémoire
- perte de gains prof. futurs
520 632,00 €
1 194 416,70 €
0,00 €
subs. 98 716,20 €
- incidence professionnelle
50 000,00 €
50 000,00 €
50 000,00 €
- préj. scol. universit. de formation
20 000,00 €
20 000,00 €
20 000,00 €
préjudices extra-patrimoniaux
temporaires
- déficit fonctionnel temporaire
36 630,75 €
36 630,75 €
36 630,75 €
- souffrances endurées
30 000,00 €
30 000,00 €
30 000,00 €
- préjudice esthétique temporaire
2 000,00 €
2 000,00 €
2 000,00 €
permanents
- déficit fonctionnel permanent
108 900,00 €
108 900,00 €
108 900,00 €
- préjudice esthétique permanent
1 500,00 €
1 500,00 €
1 500,00 €
- préjudice d'agrément
0,00 €
0,00 €
0,00 €
- préj. sexuel et d'établissement
5 000,00 €
5 000,00 €
5 000,00 €
- totaux
775 814,75 €
1 449 599,45 €
255 182,75 €
Les experts extra-judiciaires ont émis l'avis suivant sur le préjudice corporel subi par M. [W] (concernant le poste restant en litige) :
- blessures provoquées par l'accident : traumatisme crânien avec Glasgow à 6 initialement, contusion cérébrale hémorragique temporo-pariétale gauche, oedème cérébral important, traumatisme thoracique avec fracture de la 11ème côte et contusion pulmonaire droite, fracture du poignet gauche, dents 12 et 13 restées incluses et ankylosées sous le plancher orbitaire droit nécessitant un traitement orthopédique puis une greffe,
- consolidation fixée au 31 juillet 2011 (à l'âge de 21 ans),
- incidence scolaire : avant consolidation, le redoublement de la classe de 4ème est imputable aux conséquences de l'accident du fait des troubles neuropsychologiques,
- déficit fonctionnel permanent : 33 % (séquelles ophtalmologiques et neuropsychologiques)
- préjudice professionnel : apte 'en prenant en compte les séquelles oculaires entraînant une maladresse du geste et une perte d'efficience et des séquelles neuropsychologiques entraînant une difficulté de mise en oeuvre d'une démarche cohérente et constante d'acquisition d'un métier et des difficultés d' apprentissage'.
1. Le litige est circonscrit à l'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs de M. [W], les parties s'opposant sur :
- l'existence d'un préjudice indemnisable,
- le montant de la perte indemnisable de revenus,
- le barème de capitalisation applicable pour la période future (Gazette du Palais 2018 / BCRIV 2018).
Le tribunal a estimé que compte tenu de ses séquelles, la capacité de gains de M. [W] sur le long terme n'était pas supérieure à 600 € par mois et lui a alloué, en retenant qu'il aurait pu percevoir le salaire médian des Français soit 1 600 € mensuel, la somme de 520 632 € après capitalisation viagère.
La GMF conclut, à titre principal, au rejet de la demande à ce titre, en faisant valoir que :
- au vu des conclusions expertales, les séquelles oculaires de M. [W] entraînent une maladresse du geste et une perte d'efficience et ses séquelles neuropsychologiques des difficultés d'apprentissage, mais ni le docteur [R] ni le docteur [Y] n'ont conclu à une impossibilité totale pour M. [W] d'exercer une quelconque activité professionnelle,
- l'expert n'a pas conclu que les séquelles neuropsychologiques empêcheraient M. [W] de s'insérer sur le marché du travail dans un emploi qualifié à temps plein,
- au contraire, l'intéressé a démontré sa capacité à exercer notamment le métier d'animateur pour enfants en centre de vacances à plein temps et il pourrait prétendre à un emploi en qualité d'animateur périscolaire dans la mesure où il est titulaire du BAFA,
- malgré les troubles neurologiques et les séquelles ophtalmologiques dont il est atteint, il a également mis en évidence sa capacité à exercer d'autres types de postes, à savoir plombier, employé de caisse ou employé de magasin,
- sa situation peut paraître précaire au regard des contrats à durée déterminée qui se succèdent mais il n'est pas prouvé que cette situation perdurera et qu'il est dans l'incapacité médicale d'accéder à un contrat à durée indéterminée,
- la signification des conclusions de l'appelante a permis d'apprendre que M. [W] travaillait alors que celui-ci n'en faisait pas état.
A titre subsidiaire, elle prétend que :
- le calcul d'une perte de gains professionnels futurs ne peut être fondé que sur l'allocation d'un SMIC mensuel net,
- les séquelles de M. [W] n'entravant pas son aptitude à une activité professionnelle prenant en compte ses difficultés, il est en capacité d'exercer une profession en Etablissement et Service d'Aide par le Travail (ESAT), qui sera adaptée à son handicap tout en lui permettant de percevoir des revenus avec une rémunération garantie entre 55 % et 110 % du SMIC,
- sa perte de revenu est égale à la différence entre le salaire moyen en ESAT, à savoir 900 €, et un SMIC, sachant qu'il est établi que M. [W] exerce bien une activité professionnelle.
Elle calcule sa perte de gains professionnels futurs à la somme de 98 716,20 € comme suit :
$gt; du 31 juillet 2011 au 31 janvier 2014 avec une moyenne du SMIC à 1 085 € net mensuel sur cette période : 185 € x 30 mois = 5 550 €
$gt; à compter du 1er février 2014 avec un SMIC à 1 113 € net mensuel : 2 556 € par an x 36,45 (euro de rente viagère à 23 ans selon le BCRIV 2018) = 93 166,20 €.
M. [W] répond que :
- son préjudice professionnel est parfaitement caractérisé :
$gt; par les troubles de l'apprentissage ayant émaillé toute sa scolarité conduisant à un échec de celle-ci, de sorte qu'il est sans qualification aucune,
$gt; par de graves troubles de l'attention et de la concentration, une capacité d'apprentissage limitée, une vitesse de traitement pathologique et une fatigabilité importante (rapport de Mme [T]),
$gt; par un trouble ophtalmologique (diplopie) lui interdisant des pans entiers de professions,
- il a toujours été en recherche d'une formation qualifiante, multipliant malheureusement les échecs, malgré ses efforts, compte tenu de ses handicaps,
- il se retrouve sur le marché de l'emploi sans formation aucune puisque n'ayant pas même pu décrocher un BEP ou un CAP,
- il n'a pas cessé de chercher un emploi pour tenter de subvenir à ses besoins et de s'inscrire dans une vie professionnelle, mais rencontre une grande difficulté à s'inscrire durablement dans un emploi,
- il est actuellement réduit à effectuer quelques missions d'intérim ne lui permettant en rien l'espérance d'un revenu régulier,
- il est certain qu'il souffre et souffrira toute sa vie d'une perte de gains professionnels,
- s'agissant d'un dommage affectant un très jeune enfant (10 ans), il convient, pour calculer sa perte de gains professionnels futurs, de raisonner par voie de projection statistique,
- il démontre qu'il suivait une scolarité tout à fait normale (absence de redoublement, premier tiers de la classe), les statistiques de résultat au baccalauréat (près de 70 % d'une classe d'âge) témoignent qu'il aurait eu toutes les chances d'obtenir ce diplôme et d'accéder à une qualification supérieure lui permettant de prétendre à une rémunération équivalente au salaire moyen français et non uniquement au SMIC,
- en 2015, le salaire annuel net moyen des hommes s'établit à 29 256 €, soit 2 348 € par mois,
- compte tenu de son handicap, il ne pourra raisonnablement espérer un revenu supérieur à la moitié d'un SMIC mensuel, soit une capacité à percevoir des revenus qui ne sauraient être supérieurs à 550 € mensuels, puisque la moyenne de ses revenus de 2012 à 2015 a été de 5 710 € soit 475,83 € mensuels.
Il en conclut que sa perte mensuelle est de 1 888 € (2 348 - 550) soit une perte annuelle de 22 656 €, et réclame la somme de 1 194 416,7 € se décomposant comme suit:
- arrérages échus du 31 juillet 2011 au 31 janvier 2019 : 1 888 € x 101 mois = 190 688 €
- capital constitutif au 1er février 2019 : 1 003 728,7 €, correspondant au capital constitutif de la rente de 22 656 € calculée, afin de tenir compte de l'incidence sur la retraite, selon un euro de rente viagère pour une personne de 28 ans de 44,303, issu du barème publié par la Gazette du Palais en novembre 2017.
Mme [T], sapiteur neuropsychologue, a conclu en février 2012 :
'Sur le plan mnésique, la mémoire de travail est préservée et efficiente et les capacités d'apprentissage sont limitées.
Sur le plan des fonctions cognitives globales, l'efficience intellectuelle globale se situe à un QI global de 94, ce qui correspond à un niveau moyen, congruent avec le niveau antérieur de l'intéressé.
Ce résultat ne met pas en évidence de difficultés majeures sur le plan cognitif. Cependant, l'évaluation a pu mettre en évidence des troubles de l'attention-concentration, avec des décrochages attentionnels fréquents, des capacités d'abstraction limitées ainsi qu'une vitesse de traitement pathologique. M. [W] est très lent dans l'exécution de toutes les épreuves et cette lenteur le pénalise, notamment dans les épreuves chronométrées.
La fatigabilité de l'intéressé est également à considérer, dans la mesure où elle est observée pendant la passation et qu'elle impacte la réalisation des épreuves en fin d'évaluation.
M. [W] présente une humeur très fluctuante et se démoralise lorsqu'il prend conscience de ses difficultés. Il manque de confiance en lui et se sent parfois inutile.
L'intéressé, se décourageant régulièrement, abandonne les formations en cours et ne peut poursuivre un projet professionnel. Une insertion professionnelle réussie contribuerait à l'amélioration de l'humeur et à une intégration sociale satisfaisante (quasi inexistante aujourd'hui).'
Le docteur [Y], médecin ophtalmologiste sapiteur, précise à la même époque :
'La diplopie et l'insuffisance de convergence rendent problématique la poursuite du métier de plombier installateur thermique et chauffagiste, poste de travail qui nécessite une bonne vision binoculaire de près, ce qui n'est pas le cas ici. Les séquelles oculaires prises isolément n'entraînent pas d'inaptitude professionnelle absolue mais elles entraînent une maladresse du geste et une perte d'efficience notable.'
Le docteur [R], expert en charge de l'évaluation globale du dommage, indique :
'Sur le plan neurologique, on retient la persistance de difficultés qui ne sont pas majeures. Il existe des troubles attentionnels et de la concentration avec des décrochages fréquents. Les capacités d'abstraction restent limitées, la vitesse de traitement également. On note une lenteur dans l'exécution. L'accident a, par ailleurs, entraîné une modification du caractère avec une certaine impulsivité et irritabilité.'
En conclusion de son rapport, il mentionne, outre les séquelles oculaires :
'Les séquelles neuropsychologiques ont entraîné une difficulté de mise en oeuvre d'une démarche cohérente et constante d'acquisition d'un métier. Les troubles neuropsychologiques entraînent des difficultés pour les apprentissages. Il est apte à une activité professionnelle prenant en compte ces difficultés.'
M. [W], après avoir redoublé la classe de 4ème, a obtenu le brevet des collèges, sa scolarité étant émaillée de troubles du comportement en classe et de journées d'absence.
Il s'est orienté, en premier lieu, vers un BEP de microbiologie qu'il a cessé en raison de difficultés à l'utilisation du microscope du fait de ses troubles ophtalmologistes, en deuxième lieu, vers un BEP de maintenance des systèmes mécaniques automatisés en septembre 2007 mais a échoué à l'examen en juin 2009, et en troisième lieu, vers un CAP d'installateur thermique en alternance en septembre 2009 qu'il a obtenu en juin 2011 (pièces n° 91 et 92), contrairement à ses allégations d'abandon en cours d'études (page 21 de ses conclusions). Toutefois, il a été mentionné supra que le sapiteur ophtalmologiste a considéré que cette activité était incompatible avec ses séquelles oculaires.
Il s'est tourné vers une formation en deux ans afin d'obtenir un CAP en horticulture-travaux paysagers en 2011-2012 et a bénéficié d'un contrat d'apprentissage auprès de la mairie de la [Localité 6] d'une durée initiale de deux ans, mais qui a débuté le 1er septembre 2011 et a pris fin le 10 janvier 2012 (pièces n° 94 et 95).
Il a obtenu le BAFA et effectué quelques missions d'animateur dans des centres de vacances (UCPA : CDD en qualité d'animateur junior du 23 juin au 13 juillet 2012, association Signe de piste : CDD du 12 au 31 juillet 2012, emploi d'animateur à temps plein en CDD auprès de l'association Bleu blanc ciel du 26 juin au 31 août 2013 avec absence quasiment tout le mois d'août).
Il a été embauché en CDD en qualité d'employé de magasin du 24 novembre 2014 au 24 janvier 2015, 24 heures par semaine, puis en qualité d'employé de caisse du 2 février au 15 mars 2015 à temps plein et en qualité d'animateur du 17 avril au 1er mai 2015, puis en intérim en qualité d'aide plombier du 26 au 31 mai 2015, en contrat saisonnier en qualité d'animateur par le comité d'entreprise de la SNCF du 10 juin au 1er septembre 2015 mais sa période d'essai de 6 jours n'a pas été concluante, en CDD du 1er juillet au 11 août 2015 en qualité d'animateur auprès de l'association VTF mais a cessé cet emploi dès le 24 juillet et en qualité d'animateur en contrat saisonnier du 2 au 31 août 2015.
En 2016, l'emploi en CDD auprès de la société FRAM prévu du 13 janvier au 31 octobre a été résilié le 20 juin 2016 d'un commun accord.
Au vu de ses avis d'imposition, ses revenus annuels ont été de 5 088 € en 2012 (avis 2013), 7 310 € en 2013, 7 132 € en 2014, 9 985 € en 2015 et 11 501 € en 2016 (avis 2017). Aucun élément n'est donné sur les revenus postérieurs mais M. [W] admet travailler de manière irrégulière en intérim.
Ces éléments démontrent que malgré ses multiples efforts de formation et de recherches d'emploi, M. [W] est en situation très précaire puisqu'il ne parvient à obtenir ni un emploi fixe ni un contrat à durée indéterminée ni un emploi à temps plein, ses quelques contrats à temps plein n'ayant été que de très courte durée (moins de deux mois) ou résiliés avant le terme prévu.
Ses séquelles oculaires et neuropsychologiques justifiant un déficit fonctionnel permanent de 33 % et entraînant une fatigabilité importante l'empêchent d'exercer un emploi qualifié et à temps plein et sa perte de gains professionnels futurs n'est pas contestable.
S'agissant d'une jeune victime, qui ne percevait pas de gains professionnels à la date du dommage, il convient de prendre en compte pour l'avenir la privation de ressources professionnelles engendrée par le dommage par référence soit à la valeur statistique du salaire médian qu'elle aurait pu percevoir, soit à la valeur du SMIC, en tenant compte de divers paramètres tels que l'âge de la victime à la date de l'accident, son parcours scolaire ou universitaire et ses orientations professionnelles.
Les résultats scolaires de M. [W] le plaçait dans le premier tiers de sa classe en CM1 au moment de l'accident et il sera rappelé que malgré ses séquelles, il a obtenu un CAP d'installateur thermique. Compte tenu des statistiques de réussite au baccalauréat (près de 70 % d'une classe d'âge), il aurait obtenu ce diplôme et il peut raisonnablement être admis, au vu de la volonté de formation dont il a fait preuve, qu'il aurait bénéficié d'une formation professionnelle lui permettant d'accéder à un emploi qualifié.
Le père de M. [W] était coiffeur et sa mère était, au moment de l'expertise, employée dans une caisse de retraite à [Localité 8].
Il s'en déduit que sa perte de gains professionnels futurs doit être calculée sur la base du revenu médian français comme l'ont retenu les premiers juges et non sur celle du SMIC. Les documents produits par M. [W] démontrent que le salaire mensuel médian français pour un homme était de 2 348 € net en 2015 et ce montant sera retenu comme il le demande.
Au vu des avis d'imposition produits, la cour retient une capacité de gains mensuelle de 780 € en infirmation du jugement.
Si M. [W] sollicite à juste titre la capitalisation de sa perte de revenus de manière viagère, pour tenir compte de sa perte de droits de retraite, l'assiette de calcul de cette perte doit correspondre à la moitié du revenu qui aurait dû être le sien, conformément au calcul de la retraite dans le secteur privé et la date de sa retraite prévisible doit être fixée à l'âge de 65 ans.
Enfin, cette capitalisation sera effectuée en application du barème publié par la Gazette du Palais le 28 novembre 2017, lequel est élaboré sur la base des mêmes tables de mortalité 2010-2012 publiées en 2015 et l'évolution du taux de l'inflation durant la même période de référence (2014 à 2016) que le BCRIV 2018, mais retient un taux de rendement des capitaux fondé sur le TEC 10 qui apparaît économiquement pertinent pour un capital indemnitaire.
Ainsi, la perte de gains professionnels futurs est calculée comme suit :
- perte mensuelle de 1 568 € (2 348 € - 780 €) et annuelle de 18 816 €
- arrérages échus du 31 juillet 2011 au 31 août 2019 : 1 568 € x 97 mois = 152 096 €
- capital constitutif du 1er septembre 2019 au 31 mai 2055 : 18 816 € x 31,396
= 590'747,14 € selon l'euro de rente temporaire pour un homme de 29 ans limité à 65 ans, issu du barème publié par la Gazette du Palais en novembre 2017
- pertes de droits de retraite à compter du 1er juin 2055 : 20 976 x 50 % x 17,236
= 162'156,29 €
- total : 904 999,43 €.
Il est alloué à M. [W] la somme de 904 999,43 € au titre de perte de gains professionnels futurs en infirmation du jugement.
2. La GMF a également fait appel du jugement en ce qu'il a ordonné la capitalisation annuelle des intérêts sur le fondement de l'article 1154 du code civil.
M. [W] répond à juste titre que cette capitalisation année par année des intérêts sur les sommes dues est de droit, puisqu'il en a fait la demande pour la première fois le 27 juin 2017, la date de la première demande retenue étant celle des conclusions récapitulatives déposées le 27 juin 2016 devant les premiers juges, faute de justification d'une date antérieure et ce, en application de l'article 1154 ancien du code civil repris par les dispositions de l'article 1343-2 nouveau du même code.
3. Les dépens d'appel doivent incomber à la GMF, partie perdante en appel et débitrice de l'indemnité.
La demande en cause d'appel de M. [W] fondée sur l'article 700 du code de procédure civile sera accueillie pour un montant de 5 000 €.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement en ce qu'il a :
reçu l'intervention volontaire de Mme [F] [I] née [W],
condamné la GMF à payer à Mme [M] [B] la somme de 15 000 € au titre de son préjudice d'affection avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,
condamné la GMF à payer à Mme [F] [I] la somme de 5 000 € au titre de son préjudice d'affection avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,
dit que les intérêts échus des capitaux produiront intérêts dans les conditions fixées par l'article 1154 du code civil,
condamné la GMF à payer à M. [K] [W] les intérêts au double du taux de l'intérêt légal sur le montant de l'offre effectuée le 14 novembre 2012, avant imputation de la créance des tiers payeurs et déduction des provisions versées, à compter du 31 mars 2001 et jusqu'au 14 novembre 2012,
déclaré le jugement commun à la CPAM des Hauts-de-Seine et de la Haute-Saône,
condamné la GMF aux dépens comprenant les frais d'expertise et à payer à M. [K] [W] la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement
Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la SA GMF à payer à M. [K] [W] la somme de 775 814,75 € à titre de réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non déduites, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,
Statuant à nouveau, dans cette limite,
Condamne la SA GMF à payer à M. [K] [W] les sommes suivantes, en réparation de son préjudice corporel, provisions et sommes versées en exécution provisoire du jugement non déduites, avec intérêts au taux légal à compter du jugement à concurrence des sommes allouées par celui-ci et à compter du présent arrêt pour le surplus :
- assistance par tierce personne
1 152,00 €
- perte de gains prof. futurs
904 999,43 €
- incidence professionnelle
50 000,00 €
- préjudice scolaire, universitaire ou de formation
20 000,00 €
- déficit fonctionnel temporaire
36 630,75 €
- souffrances endurées
30 000,00 €
- préjudice esthétique temporaire
2 000,00 €
- déficit fonctionnel permanent
108 900,00 €
- préjudice esthétique permanent
1 500,00 €
- préjudices sexuel et d'établissement
5 000,00 €
Déclare le présent arrêt commun à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône,
Condamne la SA GMF aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la SA GMF à payer à M. [K] [W] la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE