La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/07/2019 | FRANCE | N°14/10976

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 11, 05 juillet 2019, 14/10976


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 11



ARRÊT DU 05 JUILLET 2019



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 14/10976 - N° Portalis 35L7-V-B66-BT64J



Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Mai 2014 -Tribunal de Commerce de NANCY - RG n° 2011000105





APPELANTE



SA FIVES CRYO,

prise en la personne de se

s représentants légaux



[Adresse 1]

[Localité 1]

N° SIRET : 334 961 943 ([Localité 2])



représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

assistée de Me ...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 11

ARRÊT DU 05 JUILLET 2019

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 14/10976 - N° Portalis 35L7-V-B66-BT64J

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Mai 2014 -Tribunal de Commerce de NANCY - RG n° 2011000105

APPELANTE

SA FIVES CRYO,

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Localité 1]

N° SIRET : 334 961 943 ([Localité 2])

représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

assistée de Me Claire DECOUX LAROUDIE, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque: L199

INTIMEE

EURL CONTROL AJC INTERNATIONAL

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : 378 991 657 (Metz)

assistée de Me Sophie BOURETZ, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : D0812

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 Juin 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Michèle LIS SCHAAL, Présidente de la chambre

Mme Françoise BEL, Présidente de chambre

Mme Agnès COCHET-MARCADE, Conseillère

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Saoussen HAKIRI.

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Mme Michèle LIS SCHAAL, Présidente et par Mme Saoussen HAKIRI, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

Faits et procédure :

La société anonyme Fives Cryo était spécialisée dans la fabrication d'équipements aérauliques et frigorifiques industriels.

La société à responsabilité limitée Control Ajc International (ci-après AJC) avait pour activité principale la fourniture de prestations de contrôle technique, qualité, sécurité industrielle, inspections et expertises.

Depuis 1990, la société Control Ajc a fourni diverses prestations de contrôle de ses équipements à la société Fives Cryo et à la demande de cette dernière, à un de ses sous-traitants, la société HB Soudure, prestations effectuées sur le site du sous-traitant HB Soudure. Elle ont été ensuite effectuées exclusivement sur le site de la société Fives Cryo à partir d'avril 2009.

Selon la société Control Ajc, après une dernière commande le 21 août 2009, la société Fives Cryo a rompu brutalement ses relations commerciales sans préavis ni explications, sauf un courrier du 28 janvier 2010 annonçant l'impossibilité de maintenir un volume de prestations et la nécessité pour la société Control Ajc de se diversifier.

Par acte du 23 septembre 2010, la société Control Ajc a assigné la société Fives Cryo devant le tribunal de commerce de Nancy aux fins de la voir condamner à régler 348 461,82 euros de dommages et intérêts pour rupture brutale de relations commerciales établies outre 4000 euros au visa de l'article 700 et les dépens.

Une procédure collective a été ouverte en cours d'instance contre la société HB Soudure.

Par jugement du 16 mai 2014, au bénéfice de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Nancy a rejeté une nouvelle demande de sursis à statuer, constaté une rupture brutale de relations commerciales établies, condamné la société Fives Cryo à régler à la société Control Ajc une somme de 283 932 euros au titre du préjudice lié au non respect du préavis (18 mois), 9 885,82 euros au titre du préjudice dû au licenciement de deux salariés, et 5 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a jugé qu'une bonne administration de la justice s'opposait à un nouveau sursis à statuer au motif d'un pourvoi en cassation contre un arrêt d'appel statuant à l'encontre de la société HB Soudure.

Il a retenu qu'il existait depuis le 28 octobre 1990 jusqu'en août 2009 un flux d'affaires régulier, significatif et stable qui permettait au fournisseur la société Control Ajc d'anticiper une certaine continuité même en présence d'une variation économique du volume d'affaires confié par la société Fives Cryo.

Il a en conséquence fixé le préavis raisonnable à 18 mois et jugé que la société Fives Cryo n'avait pas respecté son obligation d'information de la société Control Ajc.

Il a retenu que la relation avec la société Hb Soudure n'était pas indépendante de la précédente, compte-tenu de ce que la société Fives Cryo était le donneur d'ordre et que le chiffre d'affaire correspondant devait être intégré.

Il a retenu une marge brute mensuelle de 15 774 euros par mois en moyenne sur les trois dernières années, et a donc chiffré le préjudice à 283 932 euros.

Il a jugé que les licenciements économiques étaient bien la conséquence de la brutalité de la rupture et les a donc indemnisés.

La société Fives Cryo a relevé appel de la décision le 22 mai 2014.

Elle a également demandé l'arrêt de l'exécution provisoire, qu'elle a obtenu par ordonnance du 8 août 2014.

Par ordonnance du 22 octobre 2015, le conseiller de la mise en état a ordonné le sursis à statuer dans l'attente de la solution définitive du litige entre la société Fives Cryo et la liquidation de Monsieur [H] exerçant sous l'enseigne HB Soudure.

Le litige dont s'agit opposait aussi les deux sociétés sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Par arrêt du 29 janvier 2016, sur renvoi après cassation du 4 novembre 2014, la cour d'appel a jugé que la société Fives Cryo ne s'était pas rendue coupable d'une rupture de relations commerciales établie avec l'entreprise HB Soudure, et n'avait fait que répercuter la crise et la diminution des commandes de ses propres clients.

Déféré de nouveau à la Cour de cassation, l'affaire a fait l'objet d'un arrêt de rejet le 18 octobre 2017. La Cour de cassation a jugé que les marchés confiés à la société HB Soudure étaient précédés de consultations et de mise en concurrence ce qui excluait le caractère de stabilité de la relation.

L'instance a été reprise le 29 janvier 2018, à la demande de la société Fives Cryo et sur conclusions signifiées le 26 janvier 2018.

Vu les dernières conclusions signifiées par le RPVA le 11 Février 2019, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs, de leur argumentation et de leurs moyens, la société Fives Cryo, sollicite de la cour ;

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

Vu l'article 2224 du Code Civil,

Vu les articles 122 et 700 du Code de procédure civile,

Recevoir la société Fives Cryo en ses conclusions, l'en dire bien fondée et en conséquence:

- Infirmer le jugement entrepris en ce que le tribunal de commerce de Nancy a considéré que la société Fives Cryo avait engagé sa responsabilité à l'égard de la société Control AJC International à raison de la rupture de leur relation commerciale en août 2009 ;

ET STATUANT A NOUVEAU :

- Sur la relation commerciale nouée entre les sociétés Control AJC International et HB Soudure :

- Constater le caractère autonome et distinct de la relation commerciale nouée entre les sociétés Control AJC International et HB Soudure par rapport à celle entretenue entre les sociétés Control AJC International et Fives Cryo ;

- Constater que la société Fives Cryo n'a pas imposé à HB Soudure de travailler avec la société Control AJC International et qu'aucun échange de nature commerciale n'est intervenu entre les sociétés Fives Cryo et Control AJC International s'agissant des commandes passées à cette dernière par la société HB Soudure ;

- Constater que la relation nouée entre la société Fives Cryo et HB Soudure ne relevait pas du champ d'application de l'article L.442-6, I, 5° du Code de commerce, de sorte que les flux d'affaires en découlant entre HB Soudure et la société Control AJC International ne sauraient être appréhendés au travers de ce texte ;

En conséquence :

- Dire et juger qu'il y a lieu d'exclure des débats la relation commerciale nouée et les flux financiers intervenus entre les sociétés Control AJC International et HB Soudure ;

- Sur la prétendue rupture fautive par la société Fives Cryo de sa relation commerciale avec la société Control AJC International :

A titre principal :

- Constater que compte tenu de la nature des prestations accomplies à son profit par la société Control AJC International, la société Fives Cryo était tributaire, pour lui attribuer des commandes, des marchés qu'elle obtenait de ses propres donneurs d'ordre ;

- [Localité 4] égard au caractère cyclique de l'activité de la société Fives Cryo, constater les caractères instable et discontinu de la relation commerciale entretenue entre les sociétés Fives Cryo et Control AJC International ;

En conséquence :

- Dire et juger que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce n'est pas applicable en l'espèce et débouter la société Control AJC International de l'intégralité de ses demandes, en toutes fins, moyens et prétentions qu'elles comportent ;

A titre subsidiaire :

- Constater que l'interruption de la relation commerciale entretenue entre les sociétés Fives Cryo et Control AJC International est exclusivement due à la crise économique qui a frappé la société Fives Cryo en 2009 ;

- Dire et juger que, dans ces conditions, aucune faute ne peut être reprochée à la société Fives Cryo

- Constater que la société Control AJC International a eu une attitude fautive, d'une part, en se plaçant délibérément en état de dépendance économique à l'égard des sociétés Fives Cryo et HB SOUDURE dont l'activité dépendait partiellement de celle de la société Fives Cryo, et, d'autre part, en ne recherchant pas de nouveaux débouchés lorsque le niveau des commandes a baissé ;

- Dire et juger que, dans ces conditions, la société Control AJC International est seule à l'origine des préjudices qu'elle invoque ;

En conséquence :

- Débouter la société Control AJC International de l'intégralité de ses demandes, en toutes fins, moyens et prétentions qu'elles comportent ;

A titre infiniment subsidiaire :

- Constater la relation commerciale entretenue entre les sociétés Fives Cryo et Control AJC International n'a pas duré plus de sept ans (juillet 2002 à septembre 2009) ;

- Dire et juger, en conséquence, que le préavis que la société Fives Cryo aurait dû octroyer à la société Control AJC International aurait dû être de sept mois maximum ;

- Constater que les licenciements auxquels a procédé la société Control AJC International, envisagés dès mars 2009, sont le résultat de la crise économique et non de l'interruption de la relation commerciale qu'elle a entretenue avec la société Fives Cryo ;

- Dire et juger irrecevable, en application des articles 122 du Code de procédure civile et 2224 du Code civil, et en toute hypothèse infondée, la demande de la société Control AJC International, formulée pour la première fois le 15 octobre 2014, tendant à l'allocation de dommages et intérêts d'un montant de 21.000 euros au titre du défaut d'amortissement, en août 2009, du prix d'acquisition prétendu d'un véhicule automobile ;

- Dire et juger, en conséquence, que le préjudice dont la société Control AJC International est fondée à se plaindre ne saurait excéder la somme de 15.745 euros;

- Confirmer le jugement entrepris en ce que le tribunal a débouté la société Control AJC International de sa demande indemnitaire de 221.413 euros au titre de la perte alléguée de certifications et accréditations ;

En tout état de cause,

- Dire et juger que la société Fives Cryo n'a commis aucun abus de droit en saisissant la cour d'appel d'un recours à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Nancy du 16 mai 2014 ;

- Dire et juger que la société Contrôle AJC International ne justifie d'aucun préjudice à ce titre ;

- Débouter en conséquence la société Control AJC International de sa demande tendant à l'octroi de dommages et intérêts de 10.000 euros pour procédure abusive ;

- Débouter la société Control AJC International de toutes autres demandes, fins et prétentions ;

- Condamner la société Control AJC International à payer à la société Fives Cryo la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- Condamner la société Control AJC International aux entiers dépens.

La société Fives Cryo, soutient :

au visa de L442-6 I 5 du code de commerce que les relations entre l'intimée et elle-même d'une part et entre l'intimée et l'entreprise HB Soudure d'autre part sont distinctes.

Elle fait valoir qu'elle n'a nullement imposé son choix de prestataire à son sous-traitant, et que l'entreprise HB Soudure est toujours restée libre de ses choix. Elle souligne qu'elle n'avait pas la maîtrise de la relation entre les deux sociétés et que la société Control Ajc a directement négocié y compris des échéanciers de règlement avec l'entreprise HB Soudure. Elle indique que la seule conséquence en droit qui peut être tirée de la relation de sous-traitance entre la société Fives Cryo et la société Hb Soudure est une action directe en paiement et certainement pas une relation commerciale établie entre le maître d'ouvrage et le sous-traitant.

Elle conclut que seul le chiffre d'affaires direct entre la société Fives Cryo et la société Control Ajc peut être retenu dans le raisonnement.

toujours au visa de L442-6 I 5° que le demandeur à une action en rupture brutale doit établir qu'il pouvait légitimement s'attendre à une poursuite des relations.

Elle fait valoir qu'en l'espèce, le caractère fluctuant des relations, l'absence de contrat cadre et d'engagement de volume et le recours à de la sous-traitance uniquement en cas de pics d'activité doivent conduire la cour conclure, comme dans l'espèce concernant l'entreprise HB Soudure, à l'absence de relation établie. Elle ajoute que l'intimée reconnaît par exemple l'absence totale de commandes du 21 mars 2011 au 20 juillet 2012.

Elle souligne que l'intimée a mis près d' un an et quatre mois avant de faire valoir la rupture de relation, durée similaire à celle qui avait été l'objet d'une absence de commandes.

Elle indique que le courrier du 28 janvier 2010 est par ailleurs adressé à tous les fournisseurs de l'appelante et ne constitue nullement une rupture de relations.

-subsidiairement, au même visa, elle soutient que si la relation établie devait être reconnue, la conjoncture économique et la diminution des volumes de commande du donneur d'ordres est reconnu par la Cour de cassation comme une cause exonératoire exclusive de faute. Elle ajoute que l'appelante ne pouvait nullement anticiper en 2009 l'ampleur de la crise subie. Elle soutient que son activité n'a pas été en croissance et que le tribunal s'est basé sur des chiffres de sa maison mère.

au même visa , elle soutient encore que la société Control Ajc a eu une attitude fautive, en laissant la part de marché de l'appelante dans son chiffre d'affaires de 56% en 2006 à 100% en 2009. Elle fait encore valoir que l'intimée n'a pas réagi aux non réglements de la société HB Soudure.

infiniment subsidiairement elle critique le mode de calcul de l'indemnisation.

Elle émet une première critique sur la base de calcul en ce que le chiffre d'affaires réalisé avec l'entreprise HB Soudure n'aurait pas dû être inclus s'agissant d'un litige avec Fives Cryo.

Elle émet une deuxième critique en ce que l'instabilité des relations et leur totale absence pendant 16 mois entre 2001 et 2002 aurait dû interdire de considérer qu'une relation stable existait avant 2002. Elle en déduit que les relations n'avaient pu durer que 7 années et que le préavis aurait dû être limité à 7 mois.

Elle émet une troisième critique en exposant que le calcul doit se faire non sur la marge brute mais sur la marge brute sur coûts variables, et que compte tenu de l'ajustement des coûts par licenciement, la marge perdue est de 7 141 euros plus 6 fois 1 434 euros.

Elle expose encore que les licenciements ont été évoqués dès mars 2009, cinq mois avant la rupture brutale alléguée, et ne peuvent être la conséquence de la brutalité de la rupture brutale alléguée qui est chronologiquement postérieure. Elle ajoute qu'il n'est pas justifié du coût allégué.

Elle expose enfin que le préjudice de perte d'agrément a été soulevé 5 ans après la rupture supposée, et qu'aucun lien causal ne peut être démontré. Elle rappelle que les quantums ne sont pas démontrés, et que l'intimée confond rupture et brutalité de la rupture.

Sur le fondement de l'article 2224 du code civil, elle fait valoir que les demandes concernant le défaut d'amortissement d'un fourgon, elle expose qu'elles ont été exposées pour la première fois en 2014 , soit après que la prescription à 5 ans ait été acquise. Elle observe en outre l'absence de lien causal avec des décisions de gestion de l'entreprise.

Elle soutient enfin que sa demande en justice n'est en rien abusive, au contraire des demandes de la société Control AJC qui agit de mauvaise foi.

Par conclusions signifiées par le RPVA le 2 octobre 2018, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs, de leur argumentation et de leurs moyens, la société Control Ajc International sollicite de la cour :

CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a :

- constaté la rupture brutale par la société Fives Cryo de ses relations commerciales établies avec la société Control AJC International ;

- condamné la société Fives Cryo à payer à la société Control AJC International une indemnité de 9.885,82 € en réparation du préjudice lié au licenciement économique des deux salariés ;

- ordonné la capitalisation des intérêts ;

- condamné la société Fives Cryo à payer à la société Control AJC International la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

INFIRMER le jugement entrepris pour le surplus et statuant à nouveau :

- condamner la société Fives Cryo à payer à la société Control AJC International une indemnité de 378.576 € avec intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2010, date de l'assignation introductive d'instance, au titre de la perte de marge brute pendant le préavis ;

- condamner la société Fives Cryo à payer à la société Control AJC International une indemnité de 221.413 € en réparation du préjudice lié à la perte des certifications ;

- condamner la société Fives Cryo à payer à la société Control AJC International une indemnité de 21.000 € en réparation du préjudice lié au défaut d'amortissement du fourgon ;

- condamner la société Fives Cryo à payer à la société Control AJC International une indemnité de 10.000 € pour appel abusif ;

- condamner la société Fives Cryo à payer à la société Control AJC International la somme de 10.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Fives Cryo aux dépens.

Intimée, la société Control AJC :

Au visa de l'article L442-6 I 5° elle soutient que le fait qu'elle ait attendu 16 mois pour assigner en rupture brutale est sans conséquence, ainsi qu'il résulte de divers arrêts de cassation.

Elle fait valoir que le chiffre d'affaires utilisé pour le calcul du préjudice doit inclure celui réalisé avec l'entreprise HB Soudure, dans la mesure où c'est à la demande de l'appelante que les contrôles avaient lieu dans cette entreprise.

Elle allègue que l'absence de contrat cadre et de chiffre d'affaires garanti ne fait pas obstacle à l'existence de relations commerciales établies et au surplus qu'il y avait bien un accord cadre même non matérialisé par un écrit. Elle souligne que la variabilité du volume d'affaires ne fait pas non plus obstacle à la relation commerciale établie.

Elle souligne le caractère fautif de la rupture brutale, qui s'est déroulée par arrêt des commandes, en absence de toute information en septembre 2009.

Elle fait valoir que la crise économique dont se prévaut l'appelante n'est pas démontrée, et que l'appelante ne s'est pas contentée de répercuter la baisse de volume mais a cessé toute relation sans chercher à aider son partenaire.

Elle fait valoir qu'il ne peut lui être imputé de faute dans la mesure où il faudrait alors démontrer que la dépendance économique résulte de choix délibéré de la part de la victime de la rupture. Il ne suffit pas d'avoir négligé de se diversifier, il faut l'avoir fait sciemment.

Elle soutient que compte tenu de l'ancienneté des relations, le préavis aurait dû être fixé à 24 mois en indiquant que c'est bien la durée de 20 ans qui doit être prise en compte, les relations ayant été suspendues et non réellement interrompues, et que de plus la suspension a été involontaire.

Elle expose sa marge brute perdue de 378 576 euros qu'elle justifie par les moyennes des trois dernières années.

Elle expose que les préjudices liés aux licenciements (indemnités versées aux salariés, participation au reclassement, etc ..) sont bien issus de la brutalité de la rupture.

Elle fait valoir que cette rupture brutale lui a occasionné la perte de ses certifications et habilitations, pour un préjudice qu'elle chiffre à partir des frais de formation, de certification, et des pertes d'exploitation.

Elle expose encore le préjudice dû au solde d'un contrat correspondant à la location trop vite arrêtée d'un véhicule qui avait été demandé par l'appelante. Elle expose que la demande est recevable.

Enfin elle demande l'indemnisation d'un appel qu'elle considère abusif .

SUR CE ;

Sur la rupture brutale entre la société FIVES CRYO et la société CONTROL AJC International ;

Considérant que l'article L 442-6 I 5° du Code de commerce dispose:« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan:

5°) De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminé, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ( ...)»,

que l'application de ces dispositions suppose l'existence d' une relation commerciale, qui s' entend

d' échanges commerciaux conclus directement entre les parties, revêtant un caractère suivi, stable et habituel laissant raisonnablement anticiper pour l' avenir une certaine pérennité dans la continuité du flux d' affaires entre les partenaires commerciaux,

qu'en outre la rupture doit avoir été brutale, soit sans préavis écrit soit avec un délai de préavis trop court ne permettant pas à la partie qui soutient en avoir été la victime de pouvoir trouver des solutions de rechange et de retrouver un partenaire commercial équivalent;

Considérant qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que depuis 1990, la société CONTROL AJC a fourni à la société FIVES CRYO diverses prestations de contrôle de ses équipements,

qu'en 2003, pour répondre à l'augmentation des commandes, la société FIVES CRYO a confié la fabrication de composants à des sous-traîtants dont la société HB SOUDURE,

qu' au départ, le contrôle de ces composants par AJC était effectué dans les locaux de la société FIVES CRYO,

qu'à partir de juillet 2006 ce contrôle a eu lieu dans les locaux de la société HB SOUDURE et étaient facturés par AJC directement à HB SOUDURE,

que la société HB SOUDURE a été placée en liquidation judiciaire le 15 septembre 2009,

que la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 29 janvier 2016 ( devenu définitif) sur rejet du pourvoi par la Cour de cassation a jugé que la relation commerciale entre FIVES CRYO et HB SOUDURE ne pouvait être qualifiée de relation commerciale établie au sens de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce en raison de la précarité de la relation caractérisée par des commandes systématiquement précédées d'une consultation sur les conditions de prix et le délai de fourniture de la prestation;

Considérant que la société CONTROL AJC soutient qu'après une dernière commande en date du 21 août 2009, la société FIVES CRYO a rompu brutalement ses relations commerciales sans préavis ni explications, sauf un courrier du 28 janvier 2010 annonçant l'impossibilité de maintenir un volume de prestations en raison de la mauvaise conjoncture économique et la nécessité pour la société Control Ajc de se diversifier et à rechercher de nouveaux marchés,

qu'elle fait valoir en outre que le chiffre d'affaires utilisé pour le calcul du préjudice doit inclure celui réalisé avec l'entreprise HB Soudure, dans la mesure où c'est à la demande de l'appelante que les contrôles avaient lieu dans cette entreprise;

que la société FIVES CRYO réplique que compte tenu de la nature des prestations accomplies à son profit par la société Control AJC International, elle était tributaire, pour lui attribuer des commandes, des marchés qu'elle obtenait de ses propres donneurs d'ordre et qu'eu égard au caractère cyclique de son activité, la relation commerciale revêtait un caractère instable et discontinu, aucun contrat-cadre existant entre les parties et aucun chiffre d'affaire minimum n'étant garanti excluant l'application de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce,

mais considérant que à titre préliminaire, si la société FIVES CRYO a mis en relation la société AJC et HB SOUDURE, la société AJC, à qui la preuve incombe, n'a pas établi que la société FIVES CRYO lui ait imposé de travailler avec la société HB SOUDURE et de la facturer directement,

qu'il ne peut donc être tenu compte que du flux d'affaire direct entre FIVES CRYO et AJC,

Considérant qu'il résulte des éléments communiqués que le chiffre d'affaire depuis 1992 entre les deux sociétés a été variable oscillant entre 21 448 euros HT en 1992 et 59 913 euros HT en 2009, le flux d'affaire étant émaillé d' interruptions telles que celle entre mars 2001 et juillet 2002,

que si l'absence de contrat-cadre entre les parties et de chiffre d'affaire minimum garanti et si l'irrégularité du volume des commandes résultant des exigences du marché et du contexte économique, n'excluent pas l'existence d'une relation commerciale établie (en l'espèce à compter de juillet 2002) il n'en demeure pas moins que la société FIVES CRYO a perdu un chiffre d'affaire important suite à la crise économique comme l'indique l'attestation de son commissaire aux comptes pour l'année 2008 «Fort ralentissement économique du marché fin 2008 suite à la crise financière» et qu'en 2009, année de la dernière commande à AJC, le commissaire aux comptes ajoute « fort recul des enregistrements de commandes (- 40 millions euros)», le montant des commandes passant de 57 137 millions d'euros en 2008 à 17 100 millions d'euros en 2009 soit une baisse de 70% des commandes,

que cette chute de ses commandes ne pouvait qu'avoir des répercussions sur les partenaires commerciaux et les sous-traitants de FIVES CRYO tels que la société AJC,

que c'est d'ailleurs pour ce motif que la société FIVES CRYO a informé la société AJC ( et tous ses partenaires) dans son courrier du 28 janvier de l'impossibilité de maintenir un volume de prestations et de la nécessité pour la société Control Ajc de se diversifier et à rechercher de nouveaux marchés,

que la baisse du chiffre d'affaire des commandes de FIVES CRYO inhérente à un marché en crise ne présente aucun caractère fautif et ne peut donc engager sa responsabilité, car cette dernière a été contrainte de la répercuter sur ses partenaires commerciaux et ses sous-traitants, la société FIVES CRYO n'ayant pris aucun engagement de volume envers AJC et ne pouvant être contrainte de maintenir un niveau d'activité auprès d' elle,

qu'ainsi, la société FIVES CRYO n'a commis aucune faute en ne passant plus de commandes ( ou en les réduisant drastiquement) à AJC ,

qu'en conséquence, la rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce n'est pas constituée,

qu'il convient de débouter la société AJC et d'infirmer le jugement entrepris;

Considérant que l'absence de faute de la société FIVES CRYO et la succombance de la société AJC entraînent le débouté de ses demandes d'indemnisation résultant de la rupture brutale tels que l'octroi de dommages et intérêts au titre du défaut d'amortissement en août 2009 du prix d'acquisition d'un véhicule automobile, de dommages et intérêts au titre de la perte de certifications et accréditations, de l'indemnisation du préjudice lié au licenciement économique de deux salariés ainsi que sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive;

Considérant que l'équité impose de condamner la société AJC à payer à la société FIVES CRYO la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

PAR CES MOTIFS ;

La Cour,

INFIRME le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

JUGE que les conditions de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce ne sont pas réunies;

en conséquence,

DEBOUTE la société Control AJC International de sa demande d'indemnisation de son préjudice résultant de la rupture de la relation commerciale ;

LA DEBOUTE de l'ensemble de ses demandes en dommages et intérêts ;

CONDAMNE la société Control AJC à payer à la société FIVES CRYO la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

LA CONDAMNE aux entiers dépens.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 14/10976
Date de la décision : 05/07/2019

Références :

Cour d'appel de Paris J2, arrêt n°14/10976 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-07-05;14.10976 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award