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04/07/2019 | FRANCE | N°18/20508

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 04 juillet 2019, 18/20508


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 04 JUILLET 2019



(n° 357 , 13 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/20508 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6LCK



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 23 Août 2018 - Président du Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 18/8017029



APPELANT



LE GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE DE CHINE AGISSANT PAR L'IN

TERMÉDIAIREDE L'ARMÉE DE L'AIR DE LA RÉPUBLIQUE DE CHINE (ROCAF), élisant domicile au Cabinet de Maître NYSSEN,

[Adresse 1]

[Localité 1]



Représenté par Me Sylvi...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 04 JUILLET 2019

(n° 357 , 13 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/20508 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6LCK

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 23 Août 2018 - Président du Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 18/8017029

APPELANT

LE GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE DE CHINE AGISSANT PAR L'INTERMÉDIAIREDE L'ARMÉE DE L'AIR DE LA RÉPUBLIQUE DE CHINE (ROCAF), élisant domicile au Cabinet de Maître NYSSEN,

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représenté par Me Sylvie KONG THONG de l'AARPI Dominique OLIVIER - Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0069

Assisté par Me Xavier NYSSEN du PARTNERSHIPS DECHERT (PARIS) LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J096

INTIMÉE

SAS MATRA DEFENSE prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 2]

N° SIRET : 342 360 005

Représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistée par Me Pierre DUPREY du LLP LINKLATERS LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J030 et Me François DE BERARD de l'AARPI DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R170

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Mai 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Bernard CHEVALIER, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Bernard CHEVALIER, Président

Mme Véronique DELLELIS, Présidente

Mme Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère

Qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : M. Aymeric PINTIAU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Bernard CHEVALIER, Président et par Anais SCHOEPFER, Greffière.

Le 18 novembre 1992, la SAS Matra Défense (ci-après 'Matra') a conclu avec l'armée de l'air de la République de Chine (Taïwan) (ci-après la 'Rocaf') un contrat prévoyant la livraison de missiles et la fourniture d'un soutien logistique pour leur entretien.

Les missiles ont été livrés à la Rocaf et le prix, soit 1 564 910 310, 62 euros, a été payé.

Le contrat, à son article 20, interdisait à Matra d'accorder une gratification ou une commission à l'un des mandataires ou employés de l'acheteur.

Il stipulait, à l'article 20.3 :

'Au cas où il serait établi que le vendeur aurait violé les dispositions de la précédente clause 20 en ce qu'elles portent sur le paiement d'une commission, un pourcentage, une commission de courtage ou un honoraire conditionnel, l'acheteur sera en droit de (i) mettre fin au contrat de vente [...] ou (ii) déduire du contrat de vente un montant égal à celui de ladite commission, pourcentage, commission de courtage ou honoraire conditionnel payé par le vendeur'.

Il énonçait, à la clause 25 qu'il devait être régi et interprété conformément au droit français. Cette clause prévoyait également que les différends entre les parties non résolus seraient tranchés par un tribunal arbitral conformément au règlement de conciliation et d'arbitrage de la Chambre de Commerce International. Elle énonçait aussi à son paragraphe 9 que les parties renoncent expressément à tout moyen de défense fondé sur l'immunité juridictionnelle et/ou d'exécution pour une cause quelconque, comme l'identité de leurs actionnaires respectifs, ou la nature du présent contrat d'achat et des produits concernés.

Le 29 octobre 2012, la Rocaf a déposé une requête à fin d'arbitrage auprès du secrétariat de la Cour Internationale d'Arbitrage de la CCI.

Dans sa sentence prononcée le 11 janvier 2018, le tribunal arbitral a jugé que Matra avait versé des commissions d'un montant de 103 957 835,50 euros à [C] [H] en violation de la clause 20 du contrat de vente des missiles.

Il a ordonné à Matra de rembourser à la Rocaf la somme de 103 957 835,53 euros et de payer à celle-ci les intérêts produits par cette somme au taux Euribor à six mois composé annuellement, du 29 octobre 2012 jusqu'au paiement intégral.

Le tribunal arbitral a également pris acte de la réserve faite par Matra de son droit de réclamer devant toute juridiction ou tribunal compétent le remboursement des sommes qui constitueraient pour la Rocaf une double indemnisation si cette dernière recouvrait des sommes provenant de la procédure de restitution engagée en Suisse à l'encontre d'[C] [H] et des membres de sa famille.

Matra n'a pas contesté cette sentence arbitrale qui a été revêtue de l'exequatur le 23 mars 2018.

Par ordonnance rendue le 5 février 2018 sur requête de Matra, le président du tribunal de commerce de Paris a autorisé celle-ci à consigner la somme de 103 957 835,50 euros auprès de la Caisse des Dépôts et Consignation jusqu'à l'obtention par la République de Chine d'une décision définitive prononcée par les autorités suisses compétentes au sujet de la remise des sommes saisies ou qui seraient saisie en Suisse au titre du contrat du 18 novembre 1992 ou d'un accord définitif entre la République de Chine et Matra réglant le différend de la double indemnisation.

L'ordonnance précisait aussi :

'Disons que, dans l'hypothèse d'une décisions des autorités suisses définitives, qui refuse la remise à la République de Chine des fonds saisis ou qui seraient saisis en Suisse au titre du contrat du 18 novembre 1992 et à compter de la signification de cette décision au séquestre et à Matra, le séquestre sera immédiatement levé et intégralement libéré au profit de la République de Chine ;

Disons que, dans l'hypothèse d'une décisions des autorités suisses définitives qui ordonne la remise à la République de Chine de tout ou partie des fonds saisis ou qui seraient saisis en Suisse au titre du contrat du 18 novembre 1992, le séquestre sera immédiatement levé à compter de la signification au séquestre et aux parties concernées d'une décision définitive sur le différent relatif à la double indemnisation rendue par un tribunal arbitral ou à défaut par toute juridiction compétente au profit et selon les termes et modalités définis par ladite décision définitive ;

[...]

Fixons la durée de la consignation à une période de deux ans à compter de la consignation effective des sommes ;

Disons que la partie la plus diligente nous saisira en référé pour statuer sur les suites à donner au séquestre si, dans un de délai de deux ans à compter de la consignation effective des sommes, (i) aucune décision définitive des autorités suisses concernant la remise des fonds saisis ou à saisir en Suisse au titre du contrat du 18 novembre 1992 n'est intervenue ou n'a été signifiée au séquestre et à la société Matra ou (ii) aucun accord définitif n'a été conclu entre la société Matra et la République de Chine réglant le différend relatif à la double indemnisation, dans les conditions rappelées ci-avant.'

Par acte du 29 mars 2018, la République de Chine agissant pour le compte de la Rocaf a fait assigner Matra devant le président du tribunal de commerce de Paris auquel elle a demandé de :

- constater que les conditions d'application des articles 493 et 873 du code de procédure civile ne sont pas réunies ;

- rétracter l'ordonnance rendue le 5 février à la requête de la société Matra ;

- lever la consignation sous mains de justice de la somme totale de 104 274 474, 23 euros;

- condamner la société Matra à lui verser la somme de 75 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Matra aux entiers dépens.

Par ordonnance contradictoire rendue le 23 août 2018, la juridiction saisie a :

- dit n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance du 5 février 2018 et a débouté le Gouvernement de la République de Chine agissant pour le compte de la Rocaf de ses demandes ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et débouté les parties de leur demande respective à ce titre ;

- condamné le Gouvernement de la République de Chine agissant pour le compte de la Rocaf aux dépens de l'instance.

Le président du tribunal de commerce a fondé sa décision sur les motifs suivants :

- le tribunal arbitral dans sa sentence du 11 janvier 2018 a pris note de la réserve des droits de Matra de demander le remboursement de toute somme qui constituerait une double indemnisation de la Rocaf, ce tribunal a noté que celle-ci avait elle-même insisté sur la connexion entre la procédure pénale en Suisse et la procédure arbitrale, il a indiqué, par un raisonnement que le juge consulaire fait sien, que, malgré la différence de nature et d'objectifs de ces deux procédures, le succès de la République de Chine en Suisse ne rendait pas improbable une double indemnisation ;

- une telle occurrence peut faire grief à Matra dans la mesure où la logique ayant présidé aux dispositions du contrat du 16 novembre 1992 fondant l'accord des parties en ce que celle-ci concerne l'interdiction de régler des commissions trouvant sa contrepartie dans l'obligation de rembourser l'acheteur du même montant si un tel règlement était intervenu - aboutissant à une réduction correspondante du prix d'achat - ne trouverait plus à s'appliquer ; cette rupture de l'équilibre contractuel pourrait amener Matra à régler à son cocontractant des sommes qui pourraient, ultérieurement, s'avérer indues ;

- le caractère imminent du dommage résulterait de la création d'une situation ou cette dernière se trouverait dans l'impossibilité d'attraire la République de Chine ou d'intervenir dans une procédure contre elle en arguant d'une double indemnisation, la République de Chine soulignant que Matra ne peut intervenir à la procédure suisse à laquelle elle n'est pas partie et qui concerne des sommes qui ne lui appartiennent pas et une même incertitude existe au regard de la possibilité d'une action directe à l'encontre de la République de Chine en qualité d'État souverain.

Par déclaration en date du 30 août 2018, le Gouvernement de la République de Chine agissant pour le compte de la Rocaf a fait appel de tous les chefs du dispositif de cette ordonnance.

Au terme de ses conclusions communiquées par voie électronique le 12 avril 2019, il a demandé à la cour, sur le fondement des articles 493, 700, 873 et 875 du code de procédure civile, de :

- annuler et réformer l'ordonnance rendue le 23 août 2018 par le président du tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions ;

statuant à nouveau,

- rétracter l'ordonnance rendue le 5 février 2018 par le président du tribunal de commerce de Paris ;

- condamner Matra à payer la somme de 200 000 euros à la Rocaf au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du même code.

Le Gouvernement de la République de Chine agissant pour le compte de la Rocaf a fait valoir en substance les éléments suivants :

- le juge des référés n'a pas le pouvoir d'ordonner la consignation des fonds demandée par Matra ; en effet, Matra n'a pas d'intérêt à agir, n'ayant aucun droit sur les fonds objet des poursuites en Suisse et les mesures ordonnées ne sont ni provisoires ni proportionnées ;

- Matra ne justifie pas d'un dommage ou d'un préjudice résultant de la méconnaissance de ses droits ;

- en effet, à supposer que les autorités suisses autorisent la restitution des sommes saisies, cela n'aurait pas pour effet une réduction supplémentaire du prix convenu au contrat, puisque le prix qui doit lui revenir est le prix d'achat des missiles réduit du montant des commissions illicites et la restitution des fonds en Suisse, appartenant aux ayants droit d'[C] [H], ne changerait rien à cela ;

- l'exécution de la sentence arbitrale ne priverait pas Matra d'un droit d'agir ou d'une voie de recours effective en cas de double indemnisation ;

- ainsi, Matra ne dispose pas d'un droit d'agir sur le fondement d'une double indemnisation aux motifs, premièrement, qu'une situation de double indemnisation ne donne pas droit à la partie qui a payé en premier d'agir contre celle qui a reçu le paiement; une situation de double indemnisation permet seulement au juge statuant en second de réduire ou d'annuler la seconde condamnation financière afin d'éviter la double indemnisation ; en l'espèce, il incomberait au juge suisse de se prononcer sur l'existence d'un risque de double indemnisation lorsqu'il statuera sur la demande de restitution, comme la Cour européenne des Droits de l'Homme l'a jugé dans l'affaire Colazzo / Italie ; les autorités suisses le savent et, dans le cadre du dossier des Frégates, dans lequel la même question a été posée, le tribunal pénal fédéral a dit que la question de la double indemnisation pourrait être examinée dans le cadre de la décision au fond statuant sur la restitution des fonds ; et l'ordonnance sur requête, comme il est prévu dans son dispositif, a été signifiée aux autorités suisses ; deuxièmement, Matra n'a pas d'intérêt à agir sur le fondement d'une double indemnisation, puisque les fonds en Suisse ne lui appartiennent pas et leur restitution n'aurait pas pour conséquence de diminuer le prix d'achat des missiles auquel elle a droit ; de même, l'obligation qui lui incombe en vertu de l'article 20.3 du contrat de rembourser une commission illicite ne disparaîtrait pas ;

- à supposer que Matra puisse agir sur le fondement d'une double indemnisation, l'exécution de la sentence arbitrale ne la priverait pas de ce droit ; Matra pourrait, en effet, engager une procédure arbitrale contre l'appelante en vertu de l'article 25.4 du contrat ; contrairement à ce que l'intimée a soutenu, la République de Chine ne pourrait pas se prévaloir de l'immunité de juridiction dans le cadre de cette procédure arbitrale en raison, d'une part, de la nature commerciale du contrat, l'achat des missiles ne constituant pas un acte participant à l'exercice de sa souveraineté, d'autre part, de la clause compromissoire stipulée à l'article 25.4 du contrat et de la renonciation par l'appelante, dans celle-ci, à son immunité juridictionnelle ;

de même, l'appelante ne pourrait pas non plus se prévaloir de l'immunité d'exécution, puisqu'elle y a renoncé expressément à l'article 25.9 du contrat et l'article L 111-1-2 du code des procédures civiles d'exécution français prévoyant qu'un Etat peut faire l'objet de voies d'exécution s'il y a consenti ;

- une éventuelle restitution des fonds saisis en Suisse n'entraînerait pas une rupture de l'équilibre contractuel ; ce moyen retenu par le premier juge n'avait pas été évoqué par les parties au cours des débats ; et il n'est pas fondé puisque cette restitution ne constituerait pas une réduction supplémentaire du prix des missiles dû à Matra ;

- le dommage prétendu par Matra n'a aucun caractère imminent ; en effet, les autorités suisses compétentes conditionnent la restitution des sommes saisies en Suisse au prononcé par les juridictions taïwanaises d'une décision de confiscation exécutoire et définitive ; or, le prononcé d'une telle décision est improbable, puisque, comme l'intimée l'indique elle-même, après plus de 20 ans d'enquête et d'instruction, la République de Chine n'a pas été en mesure d'identifier le moindre fait pénal en lien avec le contrat des missiles ; et dans l'affaire des frégates, la demande de restitution présentée aux autorités suisses est pendante depuis plus de 12 ans ; quant au dommage imminent retenu par le président du tribunal de commerce, fondé sur le paiement de la somme due en vertu de la sentence arbitrale, il ne se rattache pas à la rupture de l'équilibre du contrat qui dépend elle-même de conditions qui ne sont pas remplies ;

- enfin, la mesure ordonnée, bien qu'elle le soit pour deux ans, a en réalité un 'parfum d'éternité', de sorte qu'elle ne relève pas des pouvoirs du juge des référés.

Matra, par conclusions transmises par voie électronique le 16 avril 2019, a demandé à la cour, sur le fondement des articles 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, 4 du code civil, 493, 497, 873 et 875 du code de procédure civile, de :

- rejeter les prétentions, moyens et demandes du Gouvernement de République de Chine;

- confirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 23 août 2018 en toutes ses dispositions ;

- condamner le Gouvernement de la République de Chine à lui payer la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel conformément à l'article 699 du même code.

Matra a exposé en résumé ce qui suit :

- le tribunal arbitral a reconnu que la République de Chine pouvait obtenir une double indemnisation et que, dans ce cas, l'intimée pourrait faire valoir ses droits au fond ; après le prononcé de cette sentence, elle a écrit à l'appelante l'accepter sans réserve si celle-ci abandonnait toute velléité d'être indemnisée deux fois ; l'appelante lui a opposé une fin de non-recevoir et poursuit son action en restitution des avoirs de la famille [H] saisis en Suisse ; si le séquestre était levé, Matra perdrait de fait son droit effectif et fondamental d'agir en réparation sur le fondement de la double indemnisation ;

- dans le cadre de l'affaire des frégates, l'appelante a reconnu l'existence d'un risque de double indemnisation, puisque, alors que le montant des commissions versées par Thalès à M. [H] a été estimé par le tribunal arbitral à 660 millions d'euros, le protocole transactionnel conclu le 12 mai 2007 par la République de Chine et Thales prévoyait que cette société s'engageait à payer 240 millions de dollars si la Suisse acceptait de restituer 420 millions de dollars à la République de Chine sur les fonds gelés de la famille [H] ;

- comme dans l'affaire des frégates, indépendamment du fait que l'action arbitrale et l'action en restitution puissent avoir des fondements juridiques distincts et viser des personnes différentes, elles tendent au même but, tenant à la restitution au vendeur du surcoût qu'il a payé ;

- à cet égard, l'appelante, afin d'être autorisée à produire devant le tribunal arbitral des pièces qu'elle avait obtenues de la part des autorités suisses dans le cadre de l'entraide pénale internationale et qu'il soit dérogé ainsi à l'article 74 de la loi Fédérale suisse du 20 mars 1981 sur l'entraide internationale en matière pénale (EIMP), s'est prévalue de 'l'exception de la victime' et a soutenu la procédure arbitrale était le volet civil de son action pénale, c'est-à-dire que l'action en réparation prévue à l'article 20.3 du contrat était ouverte pour indemniser le préjudice subis par l'infraction ;

- Matra n'a aucune voie de droit dans l'instance en restitution pendante en Suisse et cette instance n'est pas publique, de sorte qu'elle n'a aucune information sur celle-ci ;

- le juge des référés avait le pouvoir de prononcer la consignation contestée ; en effet, il a le pouvoir d'ordonner une mesure conservatoire afin d'éviter la perte d'un droit ; le séquestre a pour unique objectif de prévenir la perte d'un recours effectif de Matra en cas de double indemnisation ; et le caractère provisoire d'une mesure de référé ne signifie pas systématiquement qu'elle est temporaire ;

- l'existence du dommage est caractérisée par la perte immédiate et irréversible d'une voie de recours lui permettant d'obtenir la restitution effective des sommes versées à l'appelante en cas de double indemnisation du préjudice de celle-ci ; et le droit à un recours effectif, garanti par la CEDH, comprend non seulement l'accès à un tribunal mais aussi la possibilité d'exécuter la décision ; dans l'affaire en examen, Matra n'a aucune information sur la procédure de restitution et l'appelante, qui poursuit son action en restitution, conteste la notion même de double indemnisation ;

- en outre, Matra a fait l'objet en qualité de tiers saisi d'une saisie attribution diligentée à la requête d'un autre partenaire commercial de l'appelante, lequel s'efforce depuis près de quinze ans de recouvrer une créance de 3 millions de dollars ;

- la mesure ordonnée est donc justifiée et proportionnée aux droits de chacun, puisqu'elle garantit le droit de chaque partie jusqu'à la décision des autorités suisses ;

- contrairement à ce que l'appelante soutient, la concluante dispose bien d'un droit à agir sur le fondement de la double indemnisation car il ne ressort d'aucun texte qu'il reviendrait au 'second' juge suisse d'éviter une telle situation, cela d'autant moins que Matra ne sera pas partie à l'instance en Suisse et ne pourra pas défendre ses droits ;

- en tout état de cause, cela ne saurait empêcher la concluante de vouloir prévenir le risque que ce 'second' juge ne tienne pas compte du paiement déjà effectué et le fait que l'ordonnance sur requête a été notifiée aux autorités suisses ne saurait lui conférer une garantie suffisante ;

- l'argument selon lequel le juge ne saurait réduire l'indemnisation du demandeur au vu d'événements hypothétiques est inopérant puisque le séquestre en cause est une mesure conservatoire ;

- la concluante dispose bien d'un intérêt à voir réduit le montant qu'elle devra payer définitivement à l'appelante ;

- l'argumentation de l'appelante tenant au renoncement à ses immunités n'est pas non plus probante dès lors, premièrement, que la concluante n'aura pas d'information sur la restitution des sommes saisies par les autorités suisses, deuxièmement qu'il est à craindre que, devant le juge saisi, l'appelante oppose la nature non contractuelle des sommes ainsi restituées ;

- le dommage imminent retenu par le premier juge a fait l'objet d'un débat contradictoire, le dommage allégué par la concluante consistant à soutenir que, en cas de restitution, l'appelante obtiendrait deux fois la réduction du prix du contrat ;

- l'imminence du dommage ne dépend pas de la restitution des avoirs de la famille [H] par les autorités suisses mais de l'exécution de la sentence arbitrale et, en appel, de la levée du séquestre ; en outre, ce séquestre n'est pas destiné à se maintenir indéfiniment mais a été ordonné pour une durée de deux ans.

SUR CE LA COUR

En vertu de l'article 875 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut ordonner sur requête, dans les limites de la compétence du tribunal, toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement.

Selon l'article 873 du code de procédure civile, il peut, dans les limites de la compétence de ce tribunal et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent.

Suivant l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère 'civil'.

Cet article s'applique lorsqu'il existe une contestation sur un droit qu'une partie peut revendiquer de manière défendable en droit interne. Le droit qu'il consacre doit être concret et effectif. Le tribunal auquel il garantit l'accès se caractérise au sens matériel par son rôle juridictionnel : trancher, sur la base de normes de droit, avec plénitude de juridiction et à l'issue d'une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence. Il n'est pas contesté que le tribunal arbitral visé à l'article 25.9 du contrat conclu par les parties relativement à la vente de missiles revêt les caractères d'une juridiction au sens de l'article 6, précité.

Le risque d'être privé de fait de la possibilité d'exercer le droit conféré à cet article constitue un

dommage imminent que le président du tribunal de commerce peut prévenir en ordonnant sur requête, lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement, toute mesure conservatoire telle qu'un séquestre.

Selon l'article 496 du code de procédure civile, lorsqu'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance.

L'article 497 du même code dispose que ce juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l'affaire.

Ces dispositions ont été interprétées comme visant, après la notification de l'ordonnance sur requête lors de l'exécution de la mesure, à rétablir le contradictoire et à permettre ainsi au juge qui l'a rendue d'examiner à nouveau la requête qui lui avait été soumise en présence de celui à l'encontre duquel l'ordonnance a été obtenue. Elles ont ainsi pour effet de replacer le juge et le requérant dans la même situation que celle précédant l'élaboration de l'ordonnance, en présence cette fois de l'adversaire et en introduisant la contradiction.

Le juge de la rétractation doit néanmoins se placer au jour où il statue en considération de la situation qui existe à cet instant. Il s'ensuit, pour que la mesure sollicitée au motif de l'imminence d'un dommage soit prononcée, que l'imminence de ce dommage puisse être constatée à cette date.

Sur l'existence du droit de Matra et de son intérêt à agir

Le tribunal arbitral, dans sa sentence prononcée le 11 janvier 2018, a ordonné à Matra de rembourser à la Rocaf la somme de 103 957 835,53 euros au motif que celle-ci avait versé des commissions de ce montant à [C] [H] en violation de la clause 20 du contrat de vente des missiles.

Il a également pris acte de la réserve faite par Matra de son droit de réclamer devant toute juridiction ou tribunal compétent le remboursement des sommes qui constitueraient pour la Rocaf une double indemnisation si elle recouvrait des sommes provenant de la procédure de restitution entreprise en Suisse relative à [C] [H] et aux membres de sa famille.

Dans les motifs de sa sentence, le tribunal arbitral a retenu que, si la Rocaf s'opposait à la demande de Matra au motif que les procédures devant la juridiction arbitrale et en restitution devant les autorités suisses sont de nature différente, il n'en demeurait pas moins que la Rocaf, durant la 'phase d'admissibilité supplémentaire', a soutenu qu'elle était couverte par l'exception de la victime prévue par le droit suisse et a insisté sur la connexion entre la procédure pénale pour laquelle l'assistance judiciaire a été accordée et la procédure d'arbitrage, de sorte 'qu'il n'est donc pas improbable que, si la Rocaf reçoit une indemnisation du montant des commissions versées à [[C]] [H] par Matra aux termes du présent arbitrage et que la même somme lui est attribuée dans la procédure pénale taïwanaise, cela pourrait être équivalent à une double indemnisation'.

Le tribunal arbitral a ainsi admis que la restitution par les autorités suisses à la République de Chine d'une somme équivalente au montant de la commission que Matra s'est vue ordonner de payer à la Rocaf dans la sentence rendue le 11 janvier 2018 pouvait éventuellement constituer une double indemnisation au titre de l'article 20.3 du contrat.

En d'autres termes, bien que la Rocaf soutienne, dans le cadre de la présente instance, que son action devant les autorités suisses a pour but la confiscation de fonds appartenant aux ayants droit d'[C] [H] afin d'empêcher l'utilisation d'actifs ayant une provenance criminelle, le tribunal arbitral a estimé que la remise de ces fonds à la Rocaf pouvait néanmoins constituer une double indemnisation au regard de ce qu'elle a été jugée en droit d'obtenir sur le fondement du contrat du 18 novembre 1992.

Et dans la sentence rendue le 29 avril 2010 dans l'affaire des frégates, le tribunal arbitral, dans un contexte semblable dans lequel la République de Chine et la Marine de la République de Chine estimaient qu'elles devaient recouvrer un montant minimum de 660 000 000 dollars sur le fondement d'une clause rédigée dans les mêmes termes que l'article 20.3 du contrat de vente des missiles, a retenu qu'une double imposition devait être évitée (point 570).

Ainsi, dans cette affaire, la République de Chine et la Marine de la République de Chine ont conclu un accord transactionnel avec les sociétés Thales et Thales Naval selon lequel, si le juge d'instruction suisse ordonnait la restitution à la République de Chine d'au moins 420 millions de dollars US des fonds gelés sur les comptes bancaires suisses appartenant à [C] [H] ou à des entités contrôlées par lui, Thales et Thales Naval s'engageaient à lui payer 240 millions de dollars et ce paiement mettrait fin à tout différend entre les parties portant sur les frégates.

Le juge d'instruction suisse n'ayant pas ordonné la restitution des actifs gelés, le tribunal arbitral a été amené à statuer et, notamment, à se prononcer sur la demande de suspension de la procédure présentée par les sociétés Thales et Naval Thales.

Le tribunal a rejeté cette demande de suspension et a évoqué la question de la double indemnisation au point 570 de sa sentence dans des termes qui peuvent être traduits en français comme suit :

'La question de la double indemnisation doit être traitée par les parties au cours de la phase qui suit la reddition de la présente Sentence sur laquelle le Tribunal arbitral n'aura pas le pouvoir de statuer puisqu'il sera alors functus officio. Le Tribunal arbitral note toutefois l'attitude de coopération manifestée par les Parties sur la question de la double indemnisation lors de l'exécution de l'Accord transactionnel du 12 mai 2007 pour une suspension temporaire du présent arbitrage (paras. 187 et seq.) et exprime le souhait que la double indemnisation soit en tout état de cause évitée. À cet égard, le Tribunal arbitral est convaincu que les parties seront en mesure de trouver une solution convenue mutuellement s'agissant de cette question si et lorsqu'elle se présente.'

Il s'en déduit que le tribunal arbitral qui a statué dans l'affaire des Frégates a estimé, d'une part, qu'une clause rédigée comme l'article 20.3 du contrat de vente des missiles ne devait pas permettre à l'acquéreur de recevoir à la fois de son vendeur le remboursement des commissions payées par lui à un intermédiaire dans le cadre de ce contrat et la restitution par les autorités suisses du montant équivalent à ces commissions saisies sur les comptes de cet intermédiaire et, d'autre part, que, si une telle occurrence survenait après le prononcé de sa sentence, il incombait aux parties de prendre les mesures nécessaires afin d'éviter cette double imposition.

L'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 9 juin 2011 sur le recours formé par Thales contre cette sentence arbitrale ne met pas en cause l'analyse qui précède En effet, la partie appelante faisait grief au tribunal arbitral d'avoir violé l'ordre public international et méconnu sa mission en ce qu'il aurait permis une double indemnisation par son refus de statuer sur les mesures tendant à prévenir une telle situation. La cour a estimé que le tribunal n'avait pas refusé de trancher une partie du litige ni méconnu sa mission en ce qu'il avait statué sur les demandes qui lui avaient été soumises.

Par ailleurs, il ne saurait être tenu pour établi à ce stade que les autorités suisses, bien que l'ordonnance sur requête autorisant Matra à consigner la somme mise à sa charge par la sentence arbitrale du 11 janvier 2018 leur ait été notifiée, tiendront compte de celle-ci afin d'éviter une double indemnisation de la Rocaf.

La cour retiendra donc que la République de Chine réclame la restitution des sommes saisies sur les comptes des ayants droit d'[C] [H] à concurrence du montant de la commission payée par Matra à celui-ci dans le cadre du contrat de vente des missiles et que le tribunal arbitral, dans sa sentence du 11 janvier 2018, a estimé qu'une telle restitution pouvait constituer une double indemnisation qui pourrait être contraire à l'article 20 du contrat conclu par les parties.

Il se déduit ainsi des éléments susvisés que le droit revendiqué par Matra d'agir contre la Rocaf en cas de restitution par les autorités suisses à la République de Chine d'un montant équivalent à tout ou partie de celui des commissions que le tribunal arbitral l'a condamnée à payer repose sur des fondements sérieux.

Il convient encore de relever, à cet égard, que l'appelante, au soutien de son argumentation relativement à l'absence de dommage imminent, soutient, certes, à titre subsidiaire, que, en cas de restitution des fonds saisis en Suisse, Matra pourrait saisir le tribunal arbitral sur le fondement de l'article 25 du contrat du 18 novembre 1992, ce qui ne peut s'interpréter que comme une reconnaissance du droit de Matra à exercer une action en justice ayant pour objet d'éviter une double indemnisation, droit dont la préservation constitue l'objet de la procédure en examen.

Et contrairement à ce que l'appelante soutient, Matra dispose bien d'un intérêt à agir afin de préserver l'exercice de ce droit d'agir qui, selon elle, pourrait aboutir à la réduction ou à l'annulation de sa dette à concurrence des montants restitués par les autorités suisses.

Sur le dommage imminent

La sentence arbitrale rendue le 11 janvier 2018 a fait l'objet d'une ordonnance d'exequatur en date du 23 mars 2018, de sorte qu'elle peut faire l'objet d'une exécution forcée.

En outre, en l'état des débats, au vu de la contestation par l'appelante de toute possibilité de double indemnisation et de son refus d'informer Matra de l'issue de la procédure de restitution des avoirs des ayants droit d'[C] [H] engagée devant les autorités suisses, il apparaît que Matra, qui n'a pas qualité à intervenir à cette procédure, n'a aucun moyen d'être informée de l'issue de celle-ci.

Il sera donc retenu à ce stade que Matra ne dispose d'aucun moyen d'être informée de l'issue de la procédure engagée par la République de Chine auprès des autorités suisses afin d'obtenir la restitution des sommes saisies sur les comptes des ayants droit d'[C] [H].

Le recouvrement par la République de Chine de la somme mise à la charge de Matra par la sentence arbitrale aurait donc pour conséquence, en fait, de priver cette dernière de la possibilité, en cas de restitution par les autorités suisses d'un montant équivalent à tout ou partie de cette somme, d'engager une action lui permettant de demander la réduction de sa dette à concurrence de ce montant.

L'imminence du dommage est donc constituée en l'espèce non par la restitution à la République de Chine des sommes saisies par les autorités suisses sur les comptes des ayants droit d'[C] [H] mais par le risque de recouvrement par la Rocaf de la somme que Matra a été condamnée à lui payer dans la sentence arbitrale du 11 janvier 2018 et ce risque, en l'état des débats, doit être tenu pour avéré.

L'affirmation de la Rocaf selon laquelle une décision rendue par le tribunal arbitral ou une autre juridiction qui la condamnerait à rembourser à Matra tout ou partie de la somme acquittée par celle-ci en vertu de la sentence arbitrale du 11 janvier 2018 pourrait être rendue et exécutée en raison de la renonciation par la République de Chine à ses immunités de juridiction et d'exécution ne saurait mettre en cause l'analyse qui précède dès lors que, de facto, Matra, faute d'être informée de l'issue positive de la procédure de restitution en Suisse, serait dans l'impossibilité d'engager une telle action.

Matra justifie, par conséquent, que l'exécution de la sentence arbitrale constitue un risque de dommage imminent en ce qu'elle aurait réglé l'intégralité de la somme qu'elle a été condamnée à payer dans la sentence arbitrale du 11 janvier 2018 sans pouvoir exercer aucun recours en cas de restitution à la République de Chine des fonds saisis sur les comptes des ayants droit d'[C] [H] d'un montant équivalent à tout ou partie de sa dette.

Sur le caractère proportionné de la mesure de séquestre

Contrairement à ce que l'appelante soutient, la mesure de séquestre ordonnée n'aboutit pas, compte tenu de la longueur prévisible de l'action en restitution engagée devant les autorités suisses telle qu'elle peut être déduite de son déroulement dans l'affaire des frégates, à conférer à cette mesure conservatoire et, partant, provisoire, 'un parfum d'éternité'.

Le juge a, en effet, limité dans le temps les effets de sa décision dans les termes suivants:

'Fixons la durée de la consignation à une période de deux ans à compter de la consignation effective des sommes ;

Disons que la partie la plus diligente nous saisira en référé pour statuer sur les suites à donner au séquestre si dans un de délai de deux ans à compter de la consignation effective des sommes (i) aucune décision définitive des autorités suisses concernant la remise des fonds saisis ou à saisir en Suisse au titre du contrat du 18 novembre 1992 n'est intervenue ou n'a été signifiée au séquestre et à la société Matra ou (ii) aucun accord définitif n'a été conclu entre la société Matra et la République de Chine réglant le différend relatif à la double indemnisation, dans les conditions rappelées ci-avant.'

Il importe de préciser que le séquestre ordonné ne préjuge pas du bien fondé de l'argumentation de Matra selon laquelle une restitution par les autorités suisses des fonds saisis sur les comptes des ayants droit d'[C] [H] constituerait une double indemnisation contraire à l'article 20.3 du contrat du 18 novembre 1992 mais qu'il a seulement pour but de garantir à celle-ci l'exercice du droit d'engager une action en justice lui permettant de faire valoir cette argumentation et, le cas échéant, d'obtenir une restitution de tout ou partie des sommes mises à sa charge dans la sentence arbitrale du 11 janvier 2018 si elle était déclarée fondée.

Il a été vu également ci-dessus que l'exercice de ce droit dépend en premier lieu de l'information de la société Matra de l'issue de la procédure en restitution engagée par la République de Chine devant les autorités suisses et que, en l'état des débats, l'appelante refuse de l'informer sur ce point sans expliquer le motif de ce refus.

Cette dernière ne saurait donc faire grief à la décision attaquée d'avoir ordonné le séquestre en cause pour une durée de deux ans alors qu'il lui serait loisible de prendre à l'égard de l'intimée l'engagement de lui permettre d'engager effectivement cette action en cas de restitution par les autorités suisses des sommes saisies sur les comptes des ayants droit d'[C] [H].

La mesure ordonnée fait également un juste équilibre entre les droits des parties, puisque la consignation à la Caisse des Dépôts et Consignation de la somme due en vertu de la sentence arbitrale du 11 janvier 2018 garantit à la Rocaf le paiement de sa créance tout en préservant le droit de recours de Matra.

La mesure ordonnée par l'ordonnance sur requête du 5 février 2018 relève, par conséquent, des pouvoirs du juge des référés et elle est proportionnée au but poursuivi.

Par ailleurs, il n'est pas contesté que la requête et l'ordonnance précitée ont justifié qu'il soit dérogé au principe du contradictoire, la requête ayant exposé sur ce point qu'une action en référé, à cause des délais inhérents à cette procédure, permettrait à la Rocaf de poursuivre l'exécution forcée de la sentence arbitrale et l'ordonnance rendue le 5 février 2018 ayant adopté ce motif.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le premier juge a fait une application équitable de l'article 700 du code de procédure civile et fondée de l'article 696 du même code. L'ordonnance attaquée doit aussi être confirmée en ce qu'elle a fait application de ces articles.

En cause d'appel, l'appelante, dont le recours est rejeté, devra supporter les dépens, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

Le conseil de Matra pourra recouvrer directement les dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande de décharger la partie intimée des frais non répétibles qu'elle s'est trouvée contrainte d'exposer. Il lui sera alloué la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 23 août 2018 ;

Ajoutant à celle-ci,

Condamne le Gouvernement de la République de Chine agissant par l'intermédiaire de l'armée de l'air de la République de Chine aux dépens d'appel ;

Dit que le conseil de la SAS Matra Défense pourra recouvrer directement les dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision ;

Condamne le Gouvernement de la République de Chine agissant par l'intermédiaire de l'armée de l'air de la République de Chine à payer à la SAS Matra Défense la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. 

La Greffière, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 18/20508
Date de la décision : 04/07/2019

Références :

Cour d'appel de Paris A2, arrêt n°18/20508 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-07-04;18.20508 ?
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