Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRET DU 27 JUIN 2019
(n° , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/11871 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4ESM
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Mars 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F16/04481
APPELANTE
Madame [D] [L]
Demeurant [Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me Karine GERONIMI, avocat au barreau de PARIS, toque : D1494
INTIMEE
L'association CONSISTORIALE ISRAÉLITE DE PARIS
Sise [Adresse 2]
[Localité 2]
Représentée par Me Emilie LESNE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Mai 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Stéphane MEYER, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
M. Jacques RAYNAUD, Président de chambre
M. Stéphane MEYER, conseiller
Mme Isabelle MONTAGNE, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Marine BRUNIE
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Jacques RAYNAUD, Président de chambre et par Marine BRUNIE, Greffier présent lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [D] [L] a été engagée par l'Association CONSISTORIALE ISRAELITE DE PARIS, pour une durée déterminée à compter du 24 mars au 10 juillet 2014, puis indéterminée à compter du 17 juillet 2014, en qualité de secrétaire de direction.
En dernier lieu, elle percevait un salaire mensuel brut de 2 249,09 euros.
La relation de travail est régie par la convention collective nationale des activités des organisations religieuses.
Par lettre du 30 mars 2016, Madame [L] a déclaré prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur.
Le 25 avril 2016, Madame [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris et formé des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 22 mars 2017, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté Madame [L] de ses demandes et l'a condamnée à payer à l'Association CONSISTORIALE ISRAELITE DE PARIS 2 224,09 euros d'indemnité pour non-respect du préavis.
A l'encontre de ce jugement signifié par acte du 28 août 2017, Madame [L] a interjeté appel le 27 septembre 2017.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 22 mars 2018, Madame [L] demande à la cour d'infirmer le jugement, de déclarer sa prise d'acte aux torts de l'employeur justifiée et de condamner l'Association CONSISTORIALE ISRAELITE DE PARIS à lui payer les sommes suivantes :
- indemnité légale de licenciement : 889,60 euros ;
- indemnité compensatrice de préavis : 4 448,18 euros ;
- congés payés afférents au préavis : 448,81 euros ;
- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 22 240,90 euros ;
- dommages intérêts pour harcèlement moral : 20 000 euros ;
- dommages intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité : 10 000 euros ;
- dommages intérêts pour préjudice moral : 10 000 euros ;
- au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 3000 euros.
Au soutien de ses demandes, Madame [L] expose que :
- elle a été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de la part de sa responsable hiérarchique ;
- l'employeur n'a pas pris les mesures lui incombant lorsqu'elle a dénoncé ces faits mais l'a sanctionnée ;
- ces faits justifiaient sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur ;
- elle établit la réalité de ses préjudices.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 25 avril 2018, l'Association CONSISTORIALE ISRAELITE DE PARIS demande la confirmation du jugement et la condamnation de Madame [L] à lui verser une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle fait valoir que :
- les griefs de Madame [L] à l'égard de sa responsable hiérarchique ne sont pas établis ;
- à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral par Madame [L], elle a exécuté ses obligations de prévention en matière de santé et de sécurité et organisé une enquête interne ;
- Madame [L] ne rapporte pas la preuve des préjudices allégués ;
- la prise d'acte de la rupture n'était pas justifiée et doit donc être qualifiée de démission.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 mai 2019.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'allégation de harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152-1 du même code, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Conformément aux dispositions de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable au litige, il appartient au salarié d'établir des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il juge utiles.
En l'espèce, Madame [L] fait valoir qu'elle a été victime de faits de harcèlement moral de la part de sa supérieure hiérarchique, Madame [Z], à partir du début de l'année 2015, puis que ces faits se sont multipliés à partir de sa reprise le 13 juillet 2015 à la suite d'un arrêt de travail consécutif à une opération du genou.
Elle expose que Madame [Z] la dénigrait, ne cessant de dire à l'ensemble du service qu'elle n'avait pas besoin d'elle sauf comme secrétaire pour rédiger des courriers car elle ne parlait pas bien le français.
Elle ajoute que Madame [Z] la sollicitait afin qu'elle lui rédige des courriers pour les besoins de sa vie privée, pendant et en dehors de ses heures de travail, notamment les week-end et même pendant ses arrêts de travail.
Au soutien de ces allégations, elle produit des copies de SMS échangés avec Madame [Z], en dehors des heures de travail, ainsi que deux courriers qu'elle déclare avoir rédigés pour son compte.
Madame [L] fait également valoir que Madame [Z] cherchait à la déstabiliser en se comportant avec elle de manière tantôt très familière, tantôt très agressive.
Elle ajoute que, dès son retour dans le service le 13 juillet 2015, elle n'a pu exécuter aucune tâche, car Madame [Z] ne lui a jamais donné aucune directive claire et la laissait subir la pression d'autres salariés.
Elle fait également valoir que le 16 octobre 2015, en dehors de ses horaires de travail, elle a fait l'objet de reproches infondés de la part de Madame [Z] au sujet de la commande d'ordinateurs et d'imprimantes et produit la copie d'un SMS ainsi rédigé : ' Nel je crois que tu a pas compris qui est ton chef et que tu peux pas utiser mon email sans ma autorisation c'est grave on parlera lundi '
Elle ajoute que Madame [Z] lui a refusé le bénéfice d'une pause supplémentaire pourtant accordée aux autres salariés.
Elle produit un avis d'arrêt de travail du 13 janvier au 22 janvier 2016, mentionnant ' Troubles anxieux Asthénie ' Vertige Repos'.
Elle expose qu'à la fin du mois de janvier 2016, Madame [Z] lui interdit de prendre des congés payés et cela sans raison objective.
Elle expose qu'à la fin du mois de janvier 2016, elle a verbalement informé le service des ressources humaines d'un harcèlement moral sur sa personne et produit une lettre qu'elle a adressée en ce sens le 9 février 2016.
Elle expose qu'elle a alors été prise à partie par Madame [Z] qui l'a sommée de ne plus sortir de son bureau et a fermé la porte, qu'elle a ainsi été enfermée et 'mise au placard' dans son propre bureau avec interdiction de discuter avec qui que ce soit du service.
Elle produit à cet égard des SMS échangés avec des collègues, se plaignant de sa situation.
Par lettre du 22 février 2016, elle s'est plainte de sa situation auprès de la DIRECCTE.
Ces faits, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.
De son côté, l'association produit la lettre de Madame [Z] à la direction des ressources humaines, expliquant que les deux femmes entretenaient des rapports amicaux en dehors du travail (prêt d'argent par Madame [Z], visite de Madame [L] au domicile de cette dernière, invitation aux mariages de ses enfants), mais que Madame [L] posait des difficultés dans son travail : envoi d'un courriel sans son accord, commande d'imprimantes à partir de son mail personnel sans son autorisation, discussions inappropriées avec les opératrices, harcèlement à l'encontre de l'une d'elles, abus de pauses.
L'existence de relations amicales extra-professionnelles entre ces deux femmes résulte de la copies de SMS échangés entre Mesdames [L] et [Z], ainsi que d'une carte et de photographies, faisant apparaître des relations cordiales.
L'association expose que les opératrices de saisie bénéficiaient effectivement de pauses supplémentaires par rapport à Madame [L], au motif qu'elles accomplissaient des tâches très répétitives contrairement à elle.
Concernant le grief relatif aux congés, l'association produit les attestations de Mesdames [I] et [Y] qui déclarent que Madame [L] s'est offusquée de ce que Madame [Z] ne soit pas disponible immédiatement le jour où elle a sollicité oralement auprès d'elle la prise de congés et que lorsque, le lendemain, cette dernière a abordé le sujet, Madame [L] lui a répondu : 'Non, c'est bon, on n'en parle plus'.
Plus généralement, l'association produit les attestations de Mesdames [T], [I] et [Y] et de Monsieur [G], qui déclarent n'avoir jamais assisté à des faits de harcèlement moral de la part de Madame [Z] à l'encontre de Madame [L], précisant qu'en ce qui concerne la 'mise au placard', Madame [L] a seulement dû rester dans son bureau les derniers jours qui ont suivi une dispute pour ne pas gêner les opératrices avec qui elle bavardait.
Enfin, il est constant que Madame [L] n'a pas transmis à son employeur l'avis d'arrêt de travail du 13 janvier 2016, déclarant préférer prendre ses congés.
Par ailleurs, à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral verbalement à compter de la fin du mois de janvier puis par lettre du 9 février 2016, Madame [L] a été conviée par lettre du même jour à un entretien avec la direction des ressources humaines fixé au 22 février, par lettre de convocation qui est produite.
L'association produit également un courriel du 17 février 2016 aux termes duquel le responsable des ressources humaines a demandé au médecin du travail de convoquer Madame [L] au motif qu'elle se plaignait de harcèlement moral.
Convoquée par le médecin du travail lettre du 19 février 2016, Madame [L] écrivait par courriel du 23 février : '[...] je ne comprends pour quelle raison j'ai reçu hier une convocation devant la médecine du travail pour le 24 février prochain. Comme tu le sais, je ne suis pas malade, je vais très bien et je ne rentre pas d'un arrêt maladie [...] Je suis harcelée, mise au placard mais en aucun cas malade. Si l'objectif de cette convocation chez le médecin du travail est de me faire déclarer inapte à tout poste dans l'entreprise et ainsi pouvoir me licencier en toute impunité, c'est un mauvais calcul [...] '.
Madame [L] a été déclarée apte par le médecin du travail le 24 février 2016.
L'association produit une convocation du CHSCT pour le 9 mars 2016, avec notamment pour ordre du jour un harcèlement moral, ainsi que le compte-rendu de réunion du comité d'entreprise du 13 avril 2016, mentionnant que le CHSCT s'est réuni le 9 mars 2016 en présence du médecin du travail, que 'les accusations de harcèlement moral de la part d'une salariée du siège à l'encontre de sa chef de service' ont alors été évoquées, qu'une enquête a été réalisée, que Madame [L] ainsi que des salariés ont été entendus et que le CHSCT a conclu qu'il existait 'une mésentente entre la chef et l'employée mais pas de harcèlement'. Sont également produites les attestations de Madame [Q], secrétaire du CE, et de Madame [D] qui déclarent que lors de la réunion du CHSCT du 9 mars 2016, qui s'est tenue en présence du médecin du travail, c'est bien le cas de Madame [L] qui a été évoqué.
Enfin, Madame [L] ne fait état d'aucune suite donnée à sa saisine de la DIRECCTE.
Il résulte de ces considérations que si une mésentente a pu s'installer entre Madame [L] et Madame [Z], qui entretenaient pas ailleurs des relations amicales en dehors du cadre professionnel, l'association produit des éléments concordants établissant que les faits énoncés par Madame [L] ne sont pas constitutifs de harcèlement moral.
C'est donc à bon droit que le conseil de prud'hommes a débouté Madame [L] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Sur le manquement allégué à l'obligation de sécurité
Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur a l'obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés et aux termes de l'article L. 4121-2, il met en oeuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
Aux termes de l'article L. 1152-4 du même code, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.
En l'espèce, Madame [L] fait valoir que l'association n'a pas respecté son obligation de sécurité en laissant perdurer une situation de harcèlement moral et en ne prenant pas les mesures qui s'imposaient.
Cependant, il résulte des considérations qui précèdent que les faits de harcèlement moral ne sont pas établis et que dès qu'elle a été saisie de la dénonciation de tels faits, l'association a pris toutes les mesures appropriées.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté Madame [L] de sa demande de dommages et intérêts formée à cet égard.
Sur l'imputabilité de la rupture et ses conséquences
Il est de règle que le salarié peut prendre acte de la rupture du contrat de travail et que cette prise d'acte produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu'il rapporte la preuve de manquements de l'employeur faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, d'une démission.
En l'espèce, Madame [L] motive sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par des faits de harcèlement moral et par un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, qui ne sont pas avérés.
C'est donc à bon droit que le conseil de prud'hommes a estimé que cette prise d'acte n'était pas justifiée et devait produire les effets d'une démission et a débouté Madame [L] de ses demandes afférentes à un licenciement et pour préjudice moral.
Aux termes de l'article L. 1237-1 du code du travail, en cas de démission, l'existence et la durée du préavis sont fixés par la loi, ou par convention ou accord collectif du travail.
En l'espèce, le contrat de travail de Madame [L] prévoyait un délai de préavis d'un mois en cas de démission.
Madame [L] n'ayant pas exécuté son préavis, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné Madame [L] à payer à l'association une indemnité de 2 224,09 euros correspondant à un mois de salaire.
Sur les frais hors dépens
Sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il convient de condamner Madame [L] à payer à l'association une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu'elle a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et qu'il y a lieu de fixer à 500 euros.
Sur les dépens
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, qui dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, ceux-ci seront mis à la charge de Madame [D] [L].
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré ;
Y ajoutant,
Condamne Madame [D] [L] à payer à l'Association CONSISTORIALE ISRAELITE DE PARIS une indemnité de 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Madame [D] [L] aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT