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21/06/2019 | FRANCE | N°17/05903

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 3, 21 juin 2019, 17/05903


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 3



ARRÊT DU 21 JUIN 2019



(n° , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/05903 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B24SE



Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Janvier 2017 -Tribunal d'Instance de PARIS 11ème arrondissement - RG n° 11-16-000280





APPELANT



Monsieur [B] [F]

Né le [Date naissa

nce 1] 1964 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représenté et ayant pour avocat plaidant Me Antoine GUITTON, avocat au barreau de PARIS, toque : C1032



(bénéficie d'une aide...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 3

ARRÊT DU 21 JUIN 2019

(n° , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/05903 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B24SE

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Janvier 2017 -Tribunal d'Instance de PARIS 11ème arrondissement - RG n° 11-16-000280

APPELANT

Monsieur [B] [F]

Né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté et ayant pour avocat plaidant Me Antoine GUITTON, avocat au barreau de PARIS, toque : C1032

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2017/034523 du 25/10/2017 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

INTIMEE

Organisme CPAM [Localité 3]

Agissant poursuites et diligences de son représentant légal y domicilié en cette qualité

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentée et ayant pour avocat plaidant Me Rachel LEFEBVRE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Mai 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Philippe JAVELAS, Conseiller, Mme Pascale WOIRHAYE, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Daniel FARINA, Président

M. Philippe JAVELAS, Conseiller

Mme Pascale WOIRHAYE, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Viviane REA

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Philippe JAVELAS, Conseiller, et par Viviane REA, Greffière présente lors de la mise à disposition

***

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Monsieur [W] [F] et son épouse Madame [H] [N] étaient locataires depuis avril 1957 selon bail soumis à la loi du 1er septembre 1948 d'un appartement sis [Adresse 3] appartenant à la Caisse Primaire Centrale de Sécurité Sociale de la Région Parisienne.

La Caisse primaire d'assurance maladie de Paris (la Cpam de Paris), venant aux droits de celle-ci, a souhaité vendre l'immeuble qui constituait son ancien siège social. Dans le cadre de ce projet, la Cpam de Paris a proposé aux époux [F] un relogement dans un appartement à rénover sis [Adresse 1] qu'ils ont refusé le 8 septembre 1997. Des pourparlers se sont engagés.

Un protocole transactionnel a été conclu le 16 février 1998 pour un emménagement au 12 février 1998 dans ce local rénové avec cave selon un bail soumis à la loi du 6 juillet 1989 à l'exception de certaines de ses dispositions et pendant la vie durant des locataires, des avantages particuliers étant par ailleurs prévus.

Par suite d'impayés, la Cpam a découvert le décès de Monsieur [W] [F] survenu en 2008 et celui de Madame [H] [F] en date du [Date décès 1] 2014, leur fils [B] [F] restant seul dans l'appartement.

Par courrier recommandé réceptionné le 13 mars 2015, la Cpam de Paris a mis en demeure Monsieur [B] [F] de restituer les clés et de quitter les lieux. Par courrier en date du 7 avril 2015, Monsieur [B] [F] a revendiqué le bénéfice de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989.

Par ordonnance en date du 17 mai 2016, le président du Tribunal d'instance de Paris 11ème, saisi en référé par assignation de la Cpam de Paris en date du 21 juillet 2015, a dit n'y avoir lieu à référé et il a renvoyé l'affaire au fond du droit à la demande de la Cpam de Paris au visa de l'article 847-5 du Code de procédure civile.

La Cpam de Paris a alors sollicité, avec bénéfice de l'exécution provisoire, du Tribunal d'instance de Paris 11ème qu'il :

- constate que Monsieur [B] [F] ne disposait d'aucun titre locatif concernant l'appartement situé [Adresse 1] ;

- constate qu'il ne pouvait revendiquer ni transfert de bail ni maintien dans les lieux ;

- ordonne l'expulsion de l'intéressé et de tous occupants de son chef avec le concours de la force publique s'il y a lieu, sous astreinte de 500 € par jour ;

- fixe l'indemnité mensuelle d'occupation à la somme de 300 € à compter du 25 septembre 2014;

- ordonne le transport et la séquestration des meubles garnissant les lieux dans un garde-meuble au choix du tribunal, en garantie de toutes sommes dues ;

- condamne Monsieur [B] [F] à lui payer une indemnité de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [B] [F] a demandé reconventionnellement au tribunal de :

- constater que le bail lui avait été transféré en application de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 et débouter la Cpam [Localité 3] de l'ensemble de ses demandes ;

- d'enjoindre à la Cpam [Localité 3] de lui remettre un bail conforme à l'article 3 de la loi du 6 juillet 1989, avec un loyer mensuel de 53,86 € et avec pour durée, toute la vie ou à défaut pour six ans, sans clause résolutoire et avec exclusion de l'action en revalorisation du loyer manifestement sous-évalué ;

- la fixation d'une astreinte à 400 € par mois de retard en l'absence de remise d'un bail ;

- la remise de l'accès de la porte d'accès aux caves, sous astreinte de 100 € par jour de retard;

- le paiement de la somme provisionnelle de 1292,80 € au titre de la perte du droit aux Apl et la compensation de cette somme avec la créance de loyer de la Cpam de Paris ;

- le paiement d'une indemnité de 1.500 € au titre de la privation de jouissance de la cave ;

- le paiement d'une indemnité de 2.000 € au titre du préjudice moral ;

- le paiement d'une indemnité de 3.000 € en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par jugement contradictoire en date du 26 janvier 2017, le Tribunal d'instance de Paris 11ème a :

- constaté que Monsieur [B] [F] ne bénéfice pas du droit au maintien dans le logement de ses parents, suite au décès de ceux-ci, logement loué par la Cpam de Paris à Monsieur [W] [F] et Madame [H] [N] épouse [F] suivant protocole d'accord du 6 février 1998,

- constaté en conséquence que Monsieur [B] [F] est occupant sans droit ni titre sur le logement susvisé situé [Adresse 1] et ce depuis le [Date décès 1] 2014,

- ordonné l'expulsion de Monsieur [B] [F],

- dit qu'à défaut pour Monsieur [B] [F] d'avoir volontairement libéré le logement susvisé dans les 2 mois du commandement de quitter les lieux qui lui sera délivré, il sera procédé à son expulsion et à celle de tous occupants de son chef,

- dit que cette expulsion pourra se faire avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier et que le sort des meubles et effets se trouvant sur place sera régi selon les modalités fixées par les articles L433-1 et L433-2 du Code des procédures civiles d'exécution,

- condamné Monsieur [B] [F] à payer à la Cpam [Localité 3] à compter du 25 septembre 2014 et jusqu'à libération des lieux, une indemnité d'occupation égale au montant du loyer et des charges normalement exigibles si le bail s'était poursuivi, avec possibilité d'indexation sur la base des clauses contractuelles et de la régularisation des charges sur justificatif,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné Monsieur [B] [F] aux dépens.

La Cour est saisie de l'appel interjeté par Monsieur [B] [F] à l'encontre de ce jugement selon déclaration en date du 20 mars 2017.

Au dispositif de ses conclusions d'appel notifiées par la voie électronique le 20 juin 2017, Monsieur [B] [F] sollicite de la Cour, au visa des articles 14 de la loi du 6 juillet 1989 et 1162 du Code civil, qu'elle :

' Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

' Dise et juge que le bail lui a été transféré en application de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989,

' Déboute la Cpam [Localité 3] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions;

A titre reconventionnel,

' Enjoigne à la Cpam [Localité 3] de lui remettre un bail conforme aux dispositions de l'article 3 de la loi du 6 juillet 1989, et avec les caractéristiques suivantes :

- loyer mensuel de 53,86 €,

- durée : pour la vie durant, à défaut pour une durée de 6 années,

- aucune clause résolutoire,

- exclusion de l'action en revalorisation du loyer manifestement sous-évalué,

' Assortisse cette injonction d'une astreinte de 400 € par mois de retard;

' Ordonne la suspension du loyer jusqu'à la régularisation du bail écrit;

' Condamne la Cpam [Localité 3] à lui remettre la clé de la porte d'accès aux caves, sous astreinte de 100 € par jour de retard ;

' Condamne la Cpam [Localité 3] à lui payer la somme de 1.777,60 € au titre de la perte du droit aux Apl;

' Ordonne la compensation de cette somme avec la créance de loyer de la Cpam de Paris;

' Condamne la Cpam [Localité 3] à lui payer la somme de 2.000 € au titre de la privation de jouissance de la cave;

' Condamne la Cpam [Localité 3] à lui payer la somme de 2.000 € au titre de son préjudice moral;

' Condamne la Cpam [Localité 3] à lui payer une somme qui ne saurait être intérieure à 4.000€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

' Dise que les dépens de première instance et d'appel seront à la charge de la Cpam de Paris.

Au dispositif de ses conclusions d'intimée notifiées par la voie électronique le 9 août 2017, la Cpam [Localité 3] sollicite de la Cour qu'elle :

' Confirme le jugement déféré en ce qu'il :

- a constaté que Monsieur [B] [F] ne dispose d'aucun titre locatif concernant l'appartement sis [Adresse 1],

- a constaté que Monsieur [B] [F] est occupant sans droit ni titre,

- a ordonné l'expulsion de Monsieur [B] [F] et de tous occupants de son chef de l'appartement sis [Adresse 1], avec le concours de la force publique s'il y lieu,

' La reçoive en son appel incident et l'y déclarer bien fondée ;

En conséquence,

' Prononce une astreinte de 500 € par jour de retard à défaut de libération spontanée des lieux, et à compter de la signification de 'l'ordonnance à intervenir' ;

' Dise et juge que l'astreinte courra pendant un délai de trois mois et que passé ce délai elle pourra être liquidée par 'le tribunal de céans' ;

' Fixe l'indemnité mensuelle d'occupation à la somme de 300 € à compter du décès du dernier parent, soit à compter du 25 septembre 2014 ;

' Condamne Monsieur [B] [F] à lui verser, du chef de son occupation illicite des lieux, une indemnité d'occupation mensuelle courant à compter du 25 septembre 2014 d'un montant de 300 € et ce, jusqu'à la libération effective des lieux ;

' Ordonne le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux dans un garde meubles qu'il plaira 'au tribunal' de désigner ou dans tel autre lieu du choix du propriétaire, et ce, en garantie de toutes sommes qui pourraient être dues ;

' Condamne Monsieur [B] [F] à lui verser la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

' Condamne Monsieur [B] [F] en tous les dépens ;

En toutes hypothèses,

' Déboute Monsieur [B] [F] de l'ensemble de ses demandes en appel.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 18 avril 2019.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur la portée du protocole en date du 16 février 1998 à l'égard de Monsieur [B] [F] de transfert du bail

Aux termes du protocole d'accord en date du 16 février 1998, il est prévu que "Monsieur et Madame [F] ne pourront céder leurs droits au bail, ni sous-louer les lieux à une quelconque personne et qu'aucun héritier ni ayant-droit ne pourra se prévaloir de l'existence dudit bail, du droit à maintien dans les lieux consenti par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie à Monsieur et Madame [W] [F]".

Monsieur [B] [F] fait grief au premier juge d'avoir interprété, motif pris de son ambiguïté, en faveur de la Cpam [Localité 3] en violation des dispositions de l'article 1162 du Code civil, dans sa version applicable à l'acte. Il lui reproche ensuite d'avoir fait une analyse erronée de l'intention des parties. Il affirme que c'est à tort que le tribunal a également jugé que la notion d'ayant-droit visée à l'acte du 16 février 1998 "inclut les bénéficiaires du droit au maintien dans les lieux, tels que définis par l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989" alors que le concubin et les petits-enfants peuvent bénéficier du transfert au sens de cet article sans être des ayants-droit.

S'agissant de la prétendue renonciation de ses parents à l'application de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989, il plaide que :

- le protocole du 16 février 1998 valant bail ou avenant au bail stipule que, hormis l'application de l'article 17c, les parties ont entendu se référer, pour la définition de leurs droits et obligations respectives, « expressément à la loi du 6 juillet 1989 »,

- l'article 14, alinéa 1er, de la loi du 6 juillet 1989, qui pose le principe du transfert du bail au profit de certaines personnes lors du décès du locataire en titre, est d'ordre public par application de l'article 2 de cette loi, de sorte qu'il était impossible d'y déroger lors de la signature de l'acte du 16 février 1998,

- la renonciation si elle était retenue est inopérante dès lors que les époux [F], n'étaient pas bénéficiaires du droit légal posé par cet article et que ce droit n'était pas né au moment de la conclusion du protocole,

- la renonciation en elle-même était équivoque par son libellé, l'article 14 n'étant pas visé au protocole, et elle n'a pas été formulée en toute connaissance de cause par ses parents qui étaient, à sa date, plus que septuagénaires et illettrés.

Monsieur [B] [F] fait valoir à titre subsidiaire que l'examen de la volonté des parties au travers des mentions équivoques doit être opéré sous l'éclairage de deux mécanismes de transmission du bail distincts, d'une part, celui fondé sur les dispositions de l'article 1742 du Code civil, d'autre part, celui fondé sur l'article 14 alinéa 1er de la loi du 6 juillet 1989 et il souligne que :

- l'emploi des termes «héritier» et «maintien dans les lieux» montre que la Cpam [Localité 3] a simplement voulu rappeler clairement que le nouveau bail ne serait plus soumis au régime de la loi du 1er septembre 1948 et aux dispositions de l'article 1742 du Code civil applicables à l'ancien contrat de location portant sur l'appartement du [Adresse 3], consacrant le principe de la transmission du droit de bail aux héritiers,

- l'absence de mention au protocole des bénéficiaires de la transmission du droit de bail telle que l'organise l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989, qui n'ont pas de rapport avec le droit des successions, confirme que les parties n'ont pas eu la volonté d'écarter l'application de ce texte,

Il ajoute qu'aux termes d'un courrier du 23 novembre 1997, ses parents avaient demandé expressément qu'il soit titulaire du nouveau bail, ce à quoi la Cpam [Localité 3] leur avait alors répondu que c'était inutile compte tenu des dispositions de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 applicable au bail, et rappelle que c'est en sa qualité de descendant remplissant les conditions de cohabitation qu'il revendique le transfert du bail et non en qualité d'héritier.

Pour la confirmation du jugement en ce qu'il a constaté que le bail d'habitation découlant du protocole d'accord passé le 16 février 1998 excluait le bénéfice du maintien dans les lieux pour Monsieur [B] [F] au décès de ses deux parents, la Cpam [Localité 3] expose que :

- le protocole vaut bail, qui précise expressément que le relogement est réalisé aux conditions d'un bail soumis à la loi du 6 juillet 1989 modifiée,

- le protocole emporte renonciation des époux [F] à se prévaloir des dispositions de la loi du 1er septembre 1948, ce que la jurisprudence juge régulier de façon constante,

- le protocole comporte renonciation des époux [F] à permettre la transmission de leur bail, sous la forme suivante : «Monsieur et Madame [F] ne pourront ni céder leurs droits au bail, ni sous-louer les lieux à une quelconque personne et aucun héritier ni ayant droit ne pourra se prévaloir de l'existence dudit bail, du droit à maintien dans les lieux consenti par la Cpam» en contrepartie de quoi la Cpam de Paris a accepté de les loger leur vie durant pour un loyer particulièrement modéré et en renonçant au bénéfice de l'article 17c de la loi de 1989.

Elle plaide que, après avoir sollicité que le nouveau bail soit établi à leurs noms et celui de leur fils majeur par courrier du 23 novembre 1997, ils se sont contentés sans subir aucune pression d'accepter que le bénéfice du maintien dans les lieux leur soit personnel leur vie durant en renonçant à permettre la transmission de leur bail, tant de leur fait, par cession de leurs droits ou sous-location, qu'après leur décès, au bénéfice d'aucun héritier ou ayant-droit.

Elle considère que, contrairement à ce que soutient Monsieur [B] [F], ses parents pouvaient déroger aux dispositions de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989, s'agissant d'une disposition d'ordre public de protection, comme étant les personnes que cette loi entend protéger, tout comme elle-même pouvait déroger aux dispositions de l'article 10 sur la durée du bail et ses conditions de renouvellement et à celles de l'article 17c sur les modalités de réévaluation du loyer.

Elle affirme enfin que c'est donc à bon droit que le premier juge a relevé que le protocole écartant la poursuite du bail à la fois vis-à-vis des héritiers et à la fois vis-à-vis des ayants-droit faisait référence nécessairement aux héritiers au sens de l'article 5 de la loi du 1er septembre 1948 et aux ayants-droit au sens de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989, de sorte que Monsieur [B] [F] ne pouvait bénéficier du bail de ses parents.

Sur ce, il est constant que le bail initial des époux [F] passé en 1957 afférent à l'appartement sis [Adresse 3] relevait du régime de la loi du 1er septembre 1948 et que les locataires ont refusé la proposition de relogement afférente à l'appartement du [Adresse 1] appartenant au même bailleur le 8 septembre 1997.

Il est constant que la Cpam [Localité 3] a pu vendre l'immeuble des rues de [Localité 4] et [Localité 5] vide de tout occupant, grâce à un protocole transactionnel passé entre le bailleur et ses locataires sur le fondement des articles 2044 à 2058 du Code civil, ayant nature de chose jugée.

Ainsi que l'a justement analysé le premier juge, la passation d'un protocole d'accord transactionnel et non la signature d'un nouveau bail, comme fondement de l'occupation par les époux [F] de leur nouveau logement, permettait de donner corps à la renonciation tacite des preneurs au statut protecteur de la loi du 1er septembre 1948, renonciation admise comme possible selon une jurisprudence constante, au profit de l'application de la loi du 6 juillet 1989, ce que ne conteste pas Monsieur [B] [F].

C'est dans ce cadre seul, qu'il convient d'examiner les concessions réciproques des parties telles qu'elles sont expressément définies à l'acte.

Les concessions faites par les époux [F] ont été de libérer le logement précédent et d'accepter le relogement proposé et un nouvel indice d'indexation du loyer en cours en 'se déclarant remplis de tous leurs droits'.. 'en contre partie du droit au maintien dans les lieux et des obligations contractées par la Cpam [Localité 3]'.

Les concessions faites par la Cpam [Localité 3] dans le cadre du nouveau bail soumis à la loi du 6 juillet 1989 pour le nouveau logement ont été de le mettre à disposition 'rénové', dans les conditions de l'article 2 du protocole, de prendre en charge 'les frais de chauffage et de déménagement', dans les conditions des articles 3 et 4, et de concéder aux époux [F] un droit viager 'de maintien dans les lieux' sur ce bien, avec renonciation de sa part à en faire réviser le prix selon la procédure prévue à l'article 17c de cette loi.

Or, la clause litigieuse, qui prévoit un maintien dans les lieux des locataires jusqu'à leur décès, parce qu'elle utilise une notion juridique de la loi de 1948, que ne connaît pas la loi du 6 juillet 1989 contrairement à ce qu'a dit le premier juge, rendait nécessaire pour la parfaite information des locataires, la précision selon laquelle ce droit de bail ne tomberait pas dans leur patrimoine successoral. Il sera observé que l'article 5 de la loi de 1948, dans sa rédaction antérieure à la loi du 16 juillet 2006, aurait en effet permis la continuation du bail au profit de leur fils [B], au décès de son père, décédé en 2005, soit avant la modification légale.

Dans ce contexte, la clause que le premier juge a dite équivoque, ne l'est nullement et elle rappelle le principe de la résiliation du bail par le décès des preneurs, ainsi que le consacre également l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989.

D'ailleurs, comme le fait valoir à juste titre Monsieur [B] [F], la Cpam de Paris n'a pas visé au protocole l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 comme exclu pour le bail du logement sur l'appartement de la [Adresse 4], alors qu'elle était informée qu'il revendiquait un statut locatif depuis le courrier du 23 novembre 1997.

La clause 1 in fine du protocole indique en effet : 'En ce qui concerne les autres droits et obligations respectives des parties, ces dernières se réfèrent expressément à la loi du 6 juillet 1989 à l'exception de la clause selon laquelle la Cpam de Paris accorde un droit au maintien dans les lieux des époux [W] [F] jusqu'au terme de leurs existences et de l'application de l'article 17c de la loi du 6 juillet 1989 modifiée'.

Au demeurant, une telle renonciation n'aurait eu aucune portée sur le droit de Monsieur [B] [F] au transfert du bail, qui est un droit légal au bénéfice personnel de ceux que la loi entend protéger en raison de leurs liens affectifs ou de dépendance économique envers le preneur disparu, manifestés dans la durée de cohabitation qu'elle précise, et non un droit propre au preneur, qu'il transmettrait à ses ayants-droit.

Il en résulte que Monsieur [B] [F] peut se prévaloir de l'application de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989, indépendamment de sa qualité d'héritier ou d'ayant-droit des locataires en titre, le jugement étant infirmé.

Sur la demande reconventionnelle de transfert du bail formée par Monsieur [B] [F] et ses conséquences

Au soutien de sa demande Monsieur [B] [F] produit des pièces fiscales, des factures d'abonnement Edf de téléphone, des courriers à son adresse chez ses parents, des éléments fiscaux, une attestation de voisin qui démontre qu'il a toujours vécu avant et après leur déménagement avec sa mère en particulier dont il s'est occupé pendant sa maladie.

Pour contester la demande, la Cpam [Localité 3] plaide que si l'appelant utilise l'adresse de ses parents depuis plusieurs années, il ne justifie pas pour autant avoir cohabité l'année précédant le décès de sa mère soit du [Date décès 1] 2013 au [Date décès 1] 2014.

Sur ce, l'article 14, alinéa 2, de la loi du 6 juillet 1989, dispose notamment que 'lors du décès du locataire, le contrat de location est transféré notamment aux descendants, au concubin ou aux personnes à charge qui vivaient avec lui depuis au moins un an à la date du décès'. 'A défaut..., le bail est résilié de plein droit par le décès du locataire ...'.

Il incombe à celui qui revendique le bénéfice du transfert du bail de justifier qu'il en remplit les conditions à la date du décès.

En l'espèce, Monsieur [B] [F] démontre par pièces qu'il vivait avec ses parents au moment où le protocole du 16 février 1998 a été signé, qu'il a formulé des demandes de logement social dès 1999, en se domiciliant [Adresse 4], qu'il a adressé dès le 19 avril 2010 des réclamations auprès de la Cpam [Localité 3] en son nom et au nom de sa mère pour défaut de jouissance paisible dans ce lieu, qu'il a sollicité l'intervention du maire par courrier du 7 juillet 2013 pour l'aider à obtenir un relogement décent pour tous deux, qu'il réglait les factures d'électricité de l'appartement et de téléphone pour la ligne fixe pendant l'année précédant le décès de sa mère, que tout son courrier lui arrivait à cette adresse, qui constitue son domicile fiscal depuis 1998, deux de ses voisins directs attestant de la réalité de cette domiciliation.

Il en résulte que Monsieur [B] [F] remplit les conditions de transfert du bail et s'en trouve donc titulaire depuis le [Date décès 1] 2014, date du décès de Madame [H] [N], veuve [F], sa mère.

La demande de la Cpam [Localité 3] d'expulsion et de condamnation de Monsieur [B] [F] à lui payer une indemnité d'occupation est en conséquence rejetée, ainsi que sa demande à titre d'appel incident tendant à obtenir une astreinte.

Sur la demande reconventionnelle d'établissement d'un bail écrit sous astreinte

Aucune des parties n'a produit le bail de 1957 et la Cpam [Localité 3] n'a pas soumis à la signature des époux [F] un nouveau bail pour le logement du [Adresse 1] lors de l'établissement du protocole d'accord.

Selon les dispositions de l'article 3 de la loi du 6 juillet 1989 « le contrat de location est établi par écrit...Chaque partie peut exiger, à tout moment, de l'autre partie, l'établissement d'un contrat conforme aux dispositions du présent article».

Monsieur [B] [F] sollicite l'établissement d'un bail écrit à son bénéfice conforme aux dispositions de l'article 3 de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction applicable à la date du bail, sans clause résolutoire et qui fasse mention des clauses du protocole, s'agissant :

- du montant du loyer établi à 161,60 € par trimestre au 4ème trimestre 2014, dont il réclame un paiement par mensualités de 53,86 €, en application de l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989,

- de sa durée viagère à son profit, ou subsidiairement de 6 années,

- de la renonciation de la Cpam [Localité 3] à exercer une action en augmentation de loyer en cas de loyer manifestement sous-évalué, comme prévu à l'article 17c.

La Cpam [Localité 3] a conclu au rejet au motif que Monsieur [B] [F] n'est pas au nombre des parties au contrat pouvant l'exiger, que le protocole du 16 février 1998 n'a pas été signé par lui et qu'au contraire la volonté des parties tendait à l'en exclure expressément.

Le demande de Monsieur [B] [F], dont la qualité de bénéficiaire du transfert du bail a été reconnue, sera accueillie en partie et la Cpam [Localité 3] condamnée à établir à son nom un bail d'habitation soumis aux dispositions de la loi du 6 juillet 1989 dans leur rédaction applicable au protocole du 16 février 1998 et y faisant référence pour la description des locaux loués.

Dans ses effets à l'égard de Monsieur [B] [F] il sera précisé au bail qu'il aura une durée de six ans à compter du [Date décès 1] 2014, eu égard à la qualité de personne morale du bailleur, et moyennant un loyer mensuel de 53,86 €, au 1er octobre 2014, indexé annuellement dans les conditions prévues au protocole.

Ce bail ne comportera pas de clause résolutoire, dès lors que le bailleur ne démontre pas qu'elle existait au bail de 1957, mais il ne fera pas mention de la renonciation par le bailleur aux dispositions de l'article 17c, laquelle, aux termes du protocole en date du 16 février 1998, ne bénéficiait qu'aux époux [F], pour la seule durée de leur vie.

Compte tenu des circonstances, il convient d'assortir cette condamnation d'une astreinte comminatoire de 400 euros par mois à compter de la signification du présent arrêt et pour une durée de trois mois en application des dispositions de l'article L.131-2 du Code des procédures civiles d'exécution.

Monsieur [B] [F] sollicite la suspension du paiement des loyers en attente de la rédaction de ce bail, au motif qu'un bail écrit est nécessaire à l'obtention de l'Apl.

Aucune disposition légale ne faisant dépendre le paiement des loyers à la rédaction d'un bail écrit, ni le versement de l'Apl à une telle condition, il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande mais seulement de dire qu'en attente de la rédaction de ce bail, le présent arrêt en tiendra lieu.

Sur la demande reconventionnelle d'accès à la cave sous astreinte et de condamnation à dommages et intérêts

Monsieur [B] [F] invoque le fait que la Cpam [Localité 3] a procédé au changement de la serrure de la porte donnant accès aux caves, la sienne concédée par le protocole signé par ses parents, étant devenue inaccessible quoique utilisée au stockage de ses affaires.

Aucune réponse n'ayant été apportée à Monsieur [B] [F] de ce chef en dépit de sa demande d'accès formulée lors de son audition du 13 janvier 2015, par le service des fraudes de la Cpam [Localité 3] (P1), le bailleur sera condamné à lui remettre une clé sous astreinte de 50 € par jour durant trois mois à compter de la date de signification de l'arrêt.

Eu égard au montant du loyer, il lui sera octroyé une indemnisation de 50 € à titre de dommages et intérêts pour la privation de la jouissance de la cave depuis qu'il en a fait la demande.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour préjudice moral

Monsieur [B] [F] fait grief au jugement de l'avoir débouté de ce chef au motif que le préjudice occasionné a fait l'objet d'une prise en compte dans d'autres dispositions du jugement, alors que le tribunal a fait droit aux demandes de la Cpam de Paris et l'a débouté de l'intégralité des siennes.

Il plaide en substance que la Cpam [Localité 3] a détourné la procédure d'enquête prévue en matière de lutte contre la fraude, au sens de l'article L.114-16-2 du Code de la sécurité sociale et l'a convoqué pour interrogatoire dans ses locaux de [Localité 6] par un agent assermenté selon les pièces 5 (intimée) et 1 (appelant), pour l'inciter à partir.

La Cpam de Paris se borne à indiquer que cette demande excède les pouvoirs du juge des référés et que l'en-tête du document ne suffit pas à prouver qu'il s'agissait d'une enquête pour fraude.

Sur ce, démontrant qu'il s'est vu infligé un traitement réservé à ceux sur lesquels pèse un soupçon de fraude par le service portant cette dénomination, alors qu'il n'a été interrogé aux termes du 'procès-verbal' établi que sur le différend l'opposant à son bailleur, Monsieur [B] [F] prouve à la fois l'existence d'une faute de la part de la Cpam [Localité 3] à avoir mis en oeuvre une procédure inappropriée d'enquête contre lui et le préjudice moral qu'il a souffert compte tenu de sa position de faiblesse.

Il lui sera octroyé une somme de 1.000 € à titre de dommages et intérêts, étant observé que la Cour se prononce en l'espèce sur le fond du droit.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour privation du droit aux aides au logement

Monsieur [B] soutient que l'absence de bail l'a privé d'une aide au logement qui aurait couvert la totalité du loyer, selon simulation versée aux débats, de sorte que son préjudice équivaut à la totalité des loyers dus à compter du mois d'octobre 2014. La Cpam [Localité 3] s'oppose à la demande, Monsieur [B] [F] s'abstenant de lui verser un quelconque loyer.

Sur ce, la simulation produite par Monsieur [B] [F] ne prouve pas qu'il ait sollicité une telle aide et qu'elle lui ait été refusée. Sa demande non fondée est rejetée.

Sur les frais irrépétibles et dépens

La Cpam [Localité 3] qui succombe en appel, sera condamnée aux dépens d'appel et de première instance, le jugement étant infirmé sur les dépens et sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile sera rejetée.

L'équité commande de condamner la Cpam [Localité 3] à verser, dans les conditions de l'article 37 de la loi du 29 juillet 1991, à l'avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle pour Monsieur [B] [F] la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700-2° du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement,

INFIRME le jugement du Tribunal d'instance de Paris 11ème en date du 26 janvier 2017 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la Cpam [Localité 3] de sa demande de dommages et intérêts et d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le bail conclu par protocole en date du 16 février 1998 entre la Cpam [Localité 3] et Monsieur et Madame [W] [F] portant sur un logement et une cave dans l'immeuble sis [Adresse 1] a été transféré à leur fils Monsieur [B] [F] le 14 septembre 2014 ;

CONDAMNE la Cpam [Localité 3] à régulariser en faveur de Monsieur [B] [F] un bail d'habitation de six ans à compter du [Date décès 1] 2014, soumis aux dispositions de la loi du 6 juillet 1989 dans leur rédaction applicable au 16 février 1998, date du protocole portant avenant au bail de 1957, y faisant référence pour la description des locaux loués et moyennant un loyer mensuel de 53,86 €, au 1er octobre 2014, indexé annuellement dans les conditions prévues au protocole ;

DIT que l'établissement de ce bail se fera sous peine d'astreinte de 400 euros par mois de retard pendant trois mois à compter de la date de signification du présent arrêt ;

DIT que le présent arrêt vaudra bail en attente dudit bail ;

CONDAMNE la Cpam [Localité 3] à remettre à Monsieur [B] [F] la clé de la porte d'accès aux caves sous astreinte de 50 euros par jour pendant trois mois à compter de la signification du présent arrêt ;

CONDAMNE la Cpam [Localité 3] à verser à Monsieur [B] [F] la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et la somme de 50 euros à titre de dommages et intérêts pour la privation de jouissance de la cave ;

REJETTE les demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la Cpam de Paris à verser à l'avocat de Monsieur [B] [F] la somme de 2.000 euros dans les conditions prévues par l'article 31 de la loi du 29 juillet 1991 en application de l'article 700-2° du Code de procédure civile ;

CONDAMNE Monsieur [B] [F] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE P/ LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 17/05903
Date de la décision : 21/06/2019

Références :

Cour d'appel de Paris G3, arrêt n°17/05903 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-06-21;17.05903 ?
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