Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 7
ARRÊT DU 20 JUIN 2019
(n° 19, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 19/00472 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7BQ4
Décision déférée à la cour : Décision de l'Autorité des marchés financiers du 11 février 2018
REQUÉRANTE :
La société MONTAIGNE FASHION GROUP S.A.
prise en la personne de son représentant légal
inscrite au RCS de PARIS sous le n° 397 883 075
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 1]
Élisant domicile chez la SELARL PELLERIN- DE MARIA- GUERRE
[Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Luca DE MARIA, de la SELARL PELLERIN-DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
assistée de Me Frank MARTIN LAPRADE, de l'AARPI JEANTET, avocat au barreau de PARIS, toque : T04
EN PRÉSENCE DE :
L' AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
prise en la personne de son président
[Adresse 3]
[Localité 3]
représentée par Mme [H] [K], dûment mandatée
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 mai 2019, en audience publique, devant la cour composée de :
- M. Olivier DOUVRELEUR, président de chambre, président
- M. Philippe MOLLARD, président de chambre
- Mme Sylvie TRÉARD, conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET
MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Madeleine GUIDONI, avocate générale, qui a fait connaître son avis.
ARRÊT :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Olivier DOUVRELEUR, président de chambre et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
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Vu le recours formé par la société Montaigne Fashion Group contre « la décision implicite de rejet de l'Autorité des marchés financiers, intervenue le 11 février 2018, de sa demande de retrait du premier des deux griefs notifiés par lettre du 28 septembre 2017 », ainsi que l'exposé de ses moyens, déposés au greffe de la cour, respectivement, les 11 et 25 janvier 2019 ;
Vu les observations écrites de l'Autorité des marchés financiers déposées au greffe de la cour le 5 avril 2019 ;
Vu l'avis du Ministère public en date du 10 mai 2019, communiqué le même jour à la requérante et à l'Autorité des marchés financiers ;
Vu les conclusions récapitulatives de la société Montaigne Fashion Group déposées respectivement au greffe de la cour les 23 avril 2019 et 13 mai 2019 ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 14 mai 2019 le conseil de la société Montaigne Fashion Group, le représentant de l'Autorité des marchés financiers et le Ministère public, la société requérante ayant été mis en mesure de répliquer.
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FAITS ET PROCÉDURE
1.Le 21 octobre 2015, une enquête a été ouverte par l'Autorité des marchés financiers (ci-après l' « AMF ») sur l'information financière et le marché du titre Montaigne Fashion Group à compter du 31 décembre 2012.
2.A la suite du dépôt du rapport d'enquête, le président de l'AMF, agissant au nom de la Commission spécialisée du Collège de cette autorité, a, par lettre recommandée avec avis de réception du 28 septembre 2017, notifié deux griefs à la société Montaigne Fashion Group (ci-après la « société MFG »).
3.Le 11 décembre 2017, la société MFG a saisi le président de l'AMF d'un recours gracieux tendant au retrait du premier grief notifié, l'estimant dépourvu de toute motivation.
4.Le 11 avril 2018, la société MFG a saisi le Conseil d'Etat d'un recours pour excès de pouvoir sur le fondement de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, lui demandant d'annuler « la décision implicite du président de l'AMF » née le 11 février 2018 du silence gardé sur ce recours.
5.Par décision du 19 décembre 2018 (req. n° 4199780), le Conseil d'Etat s'est déclaré incompétent sur le fondement des articles L. 621-9 , R. 621-45 et L. 621-30 du code monétaire et financier, après avoir relevé que la requérante ne figure pas au nombre des personnes et entités mentionnées au II de l'article L. 621-9 du code précité.
6.Le 11 janvier 2019, la société MFG a déposé un recours au greffe de la cour d'appel de Paris, sur le fondement des articles R. 621-44 à R. 621-46 du code monétaire et financier, « contre la décision implicite de rejet de l'Autorité des marchés financiers, intervenue le 11 février 2018, de sa demande de retrait du premier des deux griefs notifiés par lettre du 28 septembre 2017 ».
7.Dans ses dernières écritures en date du 23 avril 2019, la société MFG, qui réitère les prétentions qu'elle avait formées dans l'exposé des moyens du 25 janvier 2019, demande à la cour de :
' constater l'illégalité de la notification de griefs que lui a adressée l'AMF le 28 septembre 2017 ;
' annuler la décision implicite de l'AMF rejetant sa demande du 11 décembre 2017 ;
' à titre principal :
' dire que l'atteinte portée à la présomption d'innocence de la société MFG affecte la validité de la notification de griefs dans son ensemble ;
' enjoindre à l'AMF « de retirer définitivement la notification de griefs » adressée à la société MFG en date du 28 septembre 2017 ou à défaut de prononcer une telle injonction, de dire n'y avoir lieu à poursuites ;
' à titre subsidiaire, dire que « le premier grief est retiré de la notification » qui lui a été adressée par l'AMF le 28 septembre 2017 ;
' en toute hypothèse, condamner l'AMF à verser à la société MFG la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
8.L'AMF invite la cour à déclarer le recours formé à l'encontre de la « décision implicite de refus » irrecevable dès lors que la notification de griefs a un caractère préparatoire. Elle observe, en tout état de cause, que les moyens soulevés, relatifs à l'illégalité et à l'atteinte portée à la présomption d'innocence, sont inopérants.
9.Le Ministère public s'associe à cette analyse et conclut au rejet des moyens présentés par la requérante.
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MOTIVATION
Sur la recevabilité du recours
10.La société MFP rappelle que la demande gracieuse adressée à l'AMF était fondée sur l'article L. 242-3 du code des relations entre le public et l'administration, aux termes duquel « [s]ur demande du bénéficiaire de la décision, l'administration est tenue de procéder, selon le cas, à l'abrogation ou au retrait d'une décision créatrice de droits si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait peut intervenir dans le délai de quatre mois suivant l'édiction de la décision ». Elle souligne que la présente cour a jugé ces dispositions applicables à l'AMF dans un arrêt du 12 janvier 2017 (RG n° 16/17607). Elle estime que le silence conservé pendant plus de deux mois équivaut à une décision implicite de rejet et considère que la décision en cause lui fait grief dès lors qu'elle laisse subsister une notification de griefs qui l'oblige à se défendre, sous peine d'être condamnée sur la seule foi d'un acte de poursuite dont la légalité est contestable.
11.Elle considère que son recours, fondé sur l'article L. 612-30 du code monétaire et financier, est recevable dès lors que la décision implicite de rejet est constitutive « d'une décision individuelle de l'AMF » au sens de ce texte.
12.Elle fait valoir que la notification de griefs adressée par le Collège de l'AMF ne peut être qualifiée d'acte administratif préparatoire à la décision de la Commission des sanctions de l'AMF, compte tenu de la séparation des fonctions de poursuite et de jugement au sein de cette autorité. Elle estime en effet que la notification adoptée par le Collège, en tant qu'autorité de poursuite, ne peut être considérée comme l'acte préparatoire d'une décision dont le sens lui échappera et qui sera déterminée par une entité juridictionnelle indépendante. Elle relève également que cette notification peut conduire à une autre issue que celle de la décision de sanction, notamment l'entrée en voie de composition administrative prévue par l'article L. 621-14-1 du code monétaire et financier.
13.Elle considère par ailleurs qu'il s'induit de la décision du Conseil d'Etat du 19 décembre 2018, précitée, que la décision implicite de rejet de l'AMF peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge judiciaire.
14.L'AMF et le Ministère public estiment que la notification de griefs constitue un acte administratif préparatoire qui n'est pas détachable de la décision de sanction à venir. Ils en déduisent que le recours de la société MFG est irrecevable. Ils réfutent par ailleurs l'analyse selon laquelle la décision du Conseil d'Etat impliquerait la recevabilité du recours.
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15.La cour rappelle qu'aux termes de l'article L. 621-30 du code monétaire et financier, « [l]'examen des recours formés contre les décisions individuelles de l'Autorité des marchés financiers autres que celles, y compris les sanctions prononcées à leur encontre, relatives aux personnes et entités mentionnées au II de l'article L. 621-9 est de la compétence du juge judiciaire ».
16.La société MFG a saisi la cour d'un recours dans les termes reproduits au paragraphe 6 du présent arrêt.
17.La cour relève à titre liminaire que la décision du Conseil d'Etat du 19 décembre 2018, fondée sur les articles L. 621-9, R. 621-45 et L. 621-30 du code monétaire et financier, par laquelle il s'est déclaré incompétent pour connaître du recours exercé par la société MFG, s'est bornée à relever que la requérante ne figure pas au nombre des personnes et entités mentionnées au II de l'article L. 621-9 du code précité, à l'égard desquelles le Conseil d'Etat est compétent, sans pour autant se prononcer sur l'existence d'un recours immédiat ouvert devant le juge judiciaire pour le type de décision en cause.
18.L'article L. 621-15 I alinéas 1er et 2 du code monétaire et financier dispose :
« Le collège examine le rapport d'enquête ou de contrôle établi par les services de l'Autorité des marchés financiers, ou la demande formulée par le président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
Sous réserve de l'article L. 465-3-6, s'il décide l'ouverture d'une procédure de sanction, il notifie les griefs aux personnes concernées. Il transmet la notification des griefs à la commission des sanctions, qui désigne un rapporteur parmi ses membres. (...) ».
19.Il résulte de cette disposition que la notification de griefs ouvre la phase contradictoire de la procédure de sanction, dont la première étape, l'instruction, s'achève par le dépôt d'un rapport. Ce rapport reprend l'ensemble des éléments recueillis ainsi que, le cas échéant, le contenu des auditions de la personne mise en cause. Cette pièce de la procédure, soumise à la réplique de la personne mise en cause et dont le contenu peut encore être discuté en séance devant la Commission des sanctions, est ainsi destinée à éclairer cette dernière sur l'ensemble du dossier au cours de l'ultime phase de la procédure, à l'issue de laquelle cette commission adopte une décision susceptible de recours. Il est donc inexact de dire, comme le fait la société MFG qu'une condamnation est susceptible d'être prononcée « sur la seule foi » de la notification de griefs, étant précisé que la Commission des sanctions peut considérer que tout ou partie des griefs notifiés ne sont pas établis.
20.En outre, la Commission des sanctions, qui est saisie tant de la régularité de la procédure que du bien-fondé des accusations, est en mesure de tirer les conséquences d'une éventuelle irrégularité en n'entrant pas, le cas échéant, en voie de condamnation. Tel pourrait notamment être le cas si la Commission constatait que les termes dans lesquels la notification de griefs a été rédigée n'ont pas permis à son destinataire de comprendre ce qui lui est reproché et qu'il a ainsi été porté une atteinte irrémédiable à ses droits de la défense.
21.Relevant de la catégorie des actes préparatoires, ne donnant lieu à aucune publicité de la part de l'AMF et servant de cadre aux services d'instruction comme à la Commission des sanctions, laquelle rend sa décision dans le respect des limites qu'elle pose, la notification de griefs ne constitue pas un acte faisant grief indépendamment de la décision de la Commission et, par voie de conséquence, n'entre pas dans le champ de l'article L. 621-30 du code monétaire et financier.
22.Une personne mise en cause ne peut donc contester, devant la présente cour, la régularité de la notification de griefs qui lui a été adressée que dans le cadre du recours formé contre la décision de la Commission des sanctions mettant fin à la procédure ouverte par cette notification.
23.À cet égard, c'est en vain que la société MFG se prévaut des dispositions de l'article L. 621-14-1 du code monétaire et financier. Si le législateur a expressément prévu, au sixième alinéa de cet article, que les décisions du Collège et de la Commission des sanctions de l'AMF prises dans le cadre de la procédure de composition administrative sont soumises aux voies de recours prévues à l'article L. 621-30 du code de commerce, admettant ainsi l'existence de recours exercés de manière autonome contre leurs décisions respectives, en revanche aucune disposition de ce code n'ouvre de recours équivalent contre l'acte de notification de griefs auquel procède le Collège de l'AMF. L'absence de disposition similaire s'agissant de la notification de griefs démontre au contraire que le législateur n'a pas entendu ouvrir un recours contre cet acte, indépendamment de la décision de la Commission des sanctions.
24.En l'espèce, la société MFG, qui est irrecevable à exercer un recours juridictionnel direct et immédiat à l'encontre de la notification de griefs elle-même, l'est a fortiori à introduire un tel recours contre la décision née du silence conservé par l'AMF sur sa demande de retrait d'une partie des griefs notifiés.
25.La cour ajoute que la régularité d'une notification de griefs peut être contestée à l'occasion du recours exercé contre la décision de la Commission des sanctions, de sorte que son destinataire n'est pas privé de tout accès au juge concernant le contrôle de la régularité de la procédure engagée contre lui.
26.Il s'ensuit que le recours de la société MFG est irrecevable.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
27.La société MFG étant en liquidation judiciaire, il convient de laisser à la société MFG et à l'AMF la charge de leurs propres dépens.
28.L'article 700 du code de procédure civile prévoyant que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, il n'y a pas lieu d'en faire application au bénéfice de la société MFG.
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PAR CES MOTIFS
DÉCLARE irrecevable le recours déposé au greffe de la cour d'appel de Paris le 11 janvier 2019 par la société Montaigne Fashion Group ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
LAISSE à la société Montaigne Fashion Group et à l'AMF la charge de leurs propres dépens.
LE GREFFIER,
Véronique COUVET
LE PRÉSIDENT,
Olivier DOUVRELEUR