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18/06/2019 | FRANCE | N°17/08690

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 18 juin 2019, 17/08690


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 18 Juin 2019

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/08690 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3TP7



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Avril 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F 16/01490





APPELANTE



Madame [G] [Q]

[Adresse 1]

[Localité 1]

née le [Date naissance 1]

1982 à [Localité 2]



représentée par Me Dominique BROUSMICHE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0446





INTIMEES



SARL FIS INVESTMENT VENTURES LLC

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 18 Juin 2019

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/08690 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3TP7

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Avril 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F 16/01490

APPELANTE

Madame [G] [Q]

[Adresse 1]

[Localité 1]

née le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 2]

représentée par Me Dominique BROUSMICHE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0446

INTIMEES

SARL FIS INVESTMENT VENTURES LLC

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : 508 344 777

représentée par Me Thierry CHEYMOL, avocat au barreau de PARIS, toque : G0887

SAS FIS FINANCIAL SYSTEMS

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : 347 600 645

représentée par Me Thierry CHEYMOL, avocat au barreau de PARIS, toque : G0887

PARTIE INTERVENANTE :

DEFENSEUR DES DROITS

[Adresse 3]

[Localité 4]

représenté par Me Natacha KOMPANIETZ, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Mai 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente de Chambre

Madame Françoise AYMES-BELLADINA, Conseillère

Madame Florence OLLIVIER, Vice Présidente placée faisant fonction de Conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 08 avril 2019

Greffier : M. Julian LAUNAY, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente de Chambre et par Monsieur Julian LAUNAY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS

Madame [Q] a été engagée par la société Sungard Investment Ventures LLC, aux droits de laquelle se trouve la société Fis Investment Ventures LLC, à compter du 3 mai 2010, en qualité d'analyste des contrôles internes au sein du département Finance, niveau 1.2, coefficient 100. Par avenant du 28 mars 2011, elle a été promue position 2.2, coefficient 130.

Par lettre du 22 mars 2011, la société (Mme [L] administration du personnel) a accusé réception du certificat médical attestant de la grossesse de Madame [Q], ainsi que de la date présumée de son accouchement prévu le 8 août 2011.

Celle-ci a été en congé de maternité du 1er juin 2011 au 2 janvier 2012, la salariée précisant qu'elle était partie de façon prématurée en mai 2011.

Par courriel du 6 juillet 2011, elle a été rattachée au département « Corporate » de la société mère située aux États-Unis, en qualité d'analyste des contrôles internes au sein du département finance.

Le 21 juin 2012, elle s'est portée candidate aux élections des membres du CHSCT de l'UES ; elle n'a pas été élue.

Le 14 janvier 2013, elle a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement fixé au 25 janvier 2013 ; à cette date, il lui a été remis un dossier de contrat de sécurisation professionnelle. Elle a été licenciée pour motif économique par lettre du 12 février 2013.

Elle a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 6 février 2014 afin :

* voir juger nul son licenciement pour :

violation du statut protecteur de candidat aux fonctions de membre du CHSCT

discrimination au retour congé maternité en lien avec l'état de grossesse, le sexe et la situation familiale

notification du licenciement par une société tierce

licenciement pendant la suspension du contrat de travail

*d'être réintégrée dans l'entreprise dans son emploi d'analyste des contrôles internes ;

*d'obtenir le paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour discrimination en raison de l'état de grossesse, de rappels de primes, de salaire et d'heures supplémentaires

Par jugement en date du 12 avril 2017, le Conseil de prud'hommes de Paris a débouté Madame [Q] de ses demandes.

Celle-ci a interjeté appel du jugement le 21 juin 2017 du jugement qui lui avait été notifié le 27 mai 2017.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 26 septembre 2018, elle demande de voir :

*juger nul le licenciement intervenu le 12 février 2013 nul, et en tout état de cause, dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

*condamner solidairement la société Sungard Financial Systems France et la société Sungard Investment Ventures LLC à lui payer les sommes suivantes :

A titre principal :

Nullité du licenciement pour violation du statut protecteur de candidat aux fonctions de membre du CHSCT (article L. 2411-1 du Code du Travail)

Nullité du licenciement pour discrimination au retour de congé maternité en lien avec l'état de grossesse, le sexe et la situation de famille (article L. 1132-4 du Code du Travail)

Nullité du licenciement pour notification par une société tierce (article L. 1232-6 du Code du Travail)

Nullité du licenciement prononcé pendant la suspension du contrat de travail (article R. 4624-22 du Code du Travail)

Réintégration de Madame [Q] dans son emploi d'analyste des Contrôles Internes au sein du département « finances », moyennant une rémunération brute de 5.220,55 €

Rappel de salaires du 13 mai 2013 jusqu'au jour de sa réintégration dans l'entreprise, ou tout au moins au jour de l'audience du 7 mai 2019 : 375.879,60 € + Mémoire

Congés payés afférents : 37.787,96 € + Mémoire

A titre subsidiaire :

Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 62.646,60 €

En tout état de cause :

Dommages et intérêts pour discrimination liée à la représentation du personnel (art. L.1132-1) : 31.323,30 €

Dommages et intérêts pour discrimination en raison de l'état de grossesse, le sexe et la situation de famille (art. L.1132-1) : 31.323,30 €

Dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de faire passer la visite médicale de reprise (art. R. 4624-22 du Code du Travail) : 5.220,55 €

Rappel de primes de vacances : 1.617,89 €

Congés payés afférents : 161,79 €

Heures supplémentaires : 1.215,03 €

Congés payés afférents : 121,50 €

Rappel de salaires au titre du rattrapage d'augmentation pour les années 2011 et 2012 : 2.213,20 €

Congés payés afférents : 221,32 €

Rappel de salaires au titre de la prime d'astreinte téléphonique 2 jours le week-end : 100 €

Congés payés afférents : 10,00 €

Perte de droit à réduction sur le site KALIDEA : 50 €

Remise sous astreinte de 100 € par jour de retard et par document à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir, à liquider par la Cour, des bulletins de paie conformes du 13 mai 2013 jusqu'au jour de sa réintégration dans l'entreprise

Intérêts légaux à compter de la saisine

Article 700 du code de procédure civile : 2.500 €

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 2 janvier 2019, la société demande de voir :

*confirmer le jugement et débouter Madame [Q] de sa demande de reconnaissance de la qualité de co-employeurs des sociétés Sungard Investment Ventures LLC, devenue FIS Investment Ventures LLC, et Sungard Financial Systems, devenue FIS Financial Systems ;

*juger le licenciement fondé ;

*débouter la salariée de l'ensemble de ses demandes ;

*la condamner à la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Défenseur des droits a présenté des observations en date du 29 mars 2019 et sollicité de voir :

'constater que la salariée a subi, à compter de l'annonce de sa grossesse et à son retour de congé de maternité au sein de la société, une discrimination en raison de son sexe, de sa situation de famille et de sa grossesse qui s'est traduite par un retrait de fonctions non objectivement justifié par l'employeur, et par des agissements ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant au sens de l'article 1er de la loi numéro 2008'496 du 27 mai 2008 auquel renvoie l'article L. 1132'1 du code du travail ;

'constater que le licenciement pour motif économique dont la réalité n'est pas suffisamment démontrée par l'employeur, s'inscrit dans ce contexte et caractérise un détournement du statut protecteur des représentants du personnel, encourant la nullité, par application des dispositions de l'article L. 1134'2 du code du travail.

MOTIFS

Sur la qualité de co-employeurs des sociétés Sungard Financial Systems France et Sungard Investment Ventures LLC

La société Sungard Investment Ventures LLC (devenue Fis Investment Ventures LLC) la société mère holding française et a notamment pour filiale la société Sungard Financial Systems France devenue Fis Financial Systems France.

Sur la confusion d'intérêts

'les sièges sociaux des deux sociétés se trouvent à la même adresse : [Adresse 4] ;

'la salariée, engagée par la société Sungard Investment Ventures LLC, a été licenciée par la société Sungard Financial Systems ;

'l'absence de licenciement au sein de la société Sungard Financial Systems est justifiée selon l'employeur par la réorganisation de la société Sungard Investment Ventures LLC (page 5 des conclusions de première instance de cette société) ;

'la lettre de licenciement invoque une baisse des résultats en France de la société Sungard Financial Systems pour justifier la réorganisation opérée au sein de la société Sungard Investment Ventures LLC et le licenciement de Mme [Q].

Sur la confusion d'activités

Mme [Q] fait remarquer à juste titre que, dans ses conclusions de première instance, la société Sungard Investment Ventures LLC faisait valoir :

'« Mme [Q], seule salariée de la société Sungard Investment Ventures LLC dans son département en France, n'était notamment qu'une fonction support pour le service finance et comptabilité de la filiale Sungard Financial Systems » (page 9 des conclusions) ;

'« Il est donc pris l'exemple des résultats de la société Sungard Financial Systems puisque l'activité de son département finance et comptabilité justifiait essentiellement l'emploi de Mme [Q] » (page 19 des conclusions).

Sur la confusion de direction

La société Sungard Investment Ventures LLC indique :

'Mme [J], directrice des ressources humaines du groupe Sungard, disposait d'un mandat social au sein de la société Sungard Investment Ventures LLC (conclusions d'appel page 2) ;

'« Si Messieurs [X] et [V] étaient également sous la responsabilité de Mme [B] c'est parce qu'il est rappelé que cette dernière avait pour poste notamment responsable du contrôle interne monde pour le groupe et coordonnait donc' l'ensemble des analystes contrôle interne des différentes sociétés du groupe » (conclusions de première instance page 13 et 14).

Il résulte de ces constatations qu'il existait une confusion d'intérêts, d'activités et de direction entre les sociétés Sungard Investment Ventures LLC et Sungard Financial Systems de sorte que celle-ci avaient la qualité de co-employeurs.

Sur la nullité du licenciement

Sur la nullité du licenciement pour violation du statut protecteur de candidat aux fonctions de membre du CHSCT

Mme [Q] soutient que son licenciement a été décidé, le 5 octobre 2012, au cours de la période de protection, et prononcé à l'expiration de celle-ci en vue de faire échec aux règles légales protectrices.

Cependant, si le licenciement a été prononcé peu après l'expiration de la période de protection, il n'est pas établi, contrairement aux allégations de Mme [Q], qu'il a été décidé le 5 octobre 2012.

Elle sera sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour violation du statut protecteur de candidat aux fonctions de représentant du personnel.

Sur la nullité du licenciement pour discrimination au retour de congé de maternité en lien avec l'état de grossesse, le sexe et la situation de famille

Selon l'article L. 1132'1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article premier de la loi numéro 2088'496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221'3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son patronyme ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

Selon l'article L. 1134'1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, .... le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte..... Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et le juge forme sa conviction après avoir ordonné toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Pendant son congé de maternité, Mme [Q] a été remplacée par Monsieur [X], recruté par contrat à durée déterminée : offre d'emploi du 9 mai 2011 de la société Sungard Systems Limited pour un poste d'analyste finance interne et attestation de l'intéressé indiquant avoir été recruté pour remplacer Mme [Q] pendant son congé de maternité du 1er juin 2011 au 30 mars 2012 et avoir repris les processus suivants précédemment gérés par Mme [Q] : « revenue » (chiffre d'affaires) sur l'intégralité des entités de l'ancien périmètre GL Trade, processus de clôture des états financiers, immobilisations.

Ainsi, Monsieur [X] a continué à assurer pour partie les fonctions de Mme [Q] jusqu'au 30 mars 2012, soit bien après son retour de de congé de maternité début janvier 2012.

Celui-ci précise que par la suite un nouvel analyste a été recruté pour lui succéder.

En effet, Monsieur [V] a été embauché à compter du 16 avril 2012, en qualité d'analyste contrôle interne, services financiers partagés, par la société Sungars Systems Limited. En outre, un certain nombre de contrôles précédemment confiés à Mme [Q] ont été attribués à Monsieur [S] (courriels du 25 mai 2012 de Mme [B]).

Les attributions de Mme [Q] ont ainsi été fortement réduites ce que confirment les pièces versées aux débats (pièces 21 à 24) même si elle s'est vue attribuer quelques contrôles de processus de clôture financière.

La lettre de licenciement elle-même fait état d'une réduction importante du volume d'activités de la salariée pour justifier la suppression de son poste.

L'attestation de Mme [L] selon laquelle après le départ de Mme [Q] début 2013, aucun employé au sein du groupe n'a repris cette tâche (contrôles interne trimestriels sur la paye France de Sungar Financial Systems et Sungard Investment Ventures) par rapport à la paye France, est sans incidence sur la solution du litige.

Quant à la lettre de licenciement, elle fait état d'« événements économiques affectant notre secteur d'activité (ayant) eu pour effet d'entraîner sur les données 2011 et 2012 un déclin de nos résultat en France.' Ces événements nous ont amené à revoir très attentivement nos opérations et nos dépenses afin d'assurer la pérennité et la compétitivité de notre activité et d'optimiser notre positionnement pour le futur.

C'est dans ce contexte que notre département finance a été réorganisé à la fin de l'année 2012. Afin de gagner en efficience de très nombreuses taches ont été transférées' votre volume d'activités s'est très nettement réduit depuis le transfert des activités finance en dehors de la France et ne justifie nullement de maintenir un poste' ». 

La lettre de licenciement se borne à invoquer un déclin des résultats en France, démenti au demeurant par les bilans produits, alors que le groupe est de dimension mondiale et qu'il ne résulte d'aucun élément que la réorganisation était destinée à sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité du groupe, la lettre de licenciement faisant même état d'une optimisation pour le futur.

Par ailleurs, la procédure de licenciement a été engagée le 14 janvier 2013 soit peu après la fin de la période de protection de la salariée le 21 décembre 2012.

Ainsi, Mme [Q] établit des faits - diminution de ses attributions à son retour de congé de maternité, licenciement reposant sur un prétendu motif économique et à l'issue de la période de protection - qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte en raison de l'état de grossesse, le sexe et la situation de famille, l'employeur ne prouvant pas que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Il convient donc de lui accorder des dommages-intérêts dont le montant est précisé au dispositif.

Le licenciement est par voie de conséquence nul et la salariée est en droit de prétendre à sa réintégration dans son emploi d'analyste des contrôles internes moyennant une rémunération brute de 5220,55 euros et un rappel de salaire à compter du 13 mai 2013 jusqu'au jour de sa réintégration.

Le salarié dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration dans la limite du montant des salaires dont il a été privé. Il convient donc de déduire les revenus que le salarié aurait pu percevoir d'une autre activité professionnelle pendant cette période. En effet, le principe de non-discrimination en raison de l'état de grossesse, du sexe et de la situation de famille ne constitue pas une liberté fondamentale consacrée par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ni par la Constitution du 4 octobre 1958. Il n'est pas contesté que la salariée a retrouvé un emploi en cours de préavis.

Il est ainsi dû sur une période de 72 mois une somme de 375 879,60 euros (5220,55 euros * 72 mois) sauf à déduire les revenus tirés d'une autre activité ou les revenus de remplacement.

Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de faire passer la visite (en réalité examen) médicale de reprise prévu par l'article R. 4624'22 du code du travail applicable en la cause

Il résulte d'un échange de courriels intervenu les 31 août et 1er septembre 2015, que Mme [L], chargée de l'administration du personnel, a demandé à Mme [I], secrétaire médicale et administrative, si la salariée avait été convoquée en 2012 à cet examen. Mme [I] a répondu que deux rendez-vous avait été programmés le 11 janvier 2012, non honoré, et le 19 janvier 2012, annulé.

Mme [Q] soutient sans en justifier avoir été convoquée à cet examen par courriel du 13 février 2013, soit le lendemain de l'envoi de la lettre de licenciement du 12 février 2013, et ne s'explique pas sur la réponse de Mme [I] du 1er septembre 2015. Il convient de la débouter de sa demande de dommages-intérêts de ce chef.

Sur le rappel de prime de vacances

Conformément à l'article 31 de la convention collective Syntec, l'ensemble des salariés bénéficie d'une prime de vacances d'un montant égal à 10 % de la masse globale des indemnités de congés payés prévus par la convention collective de l'ensemble des salariés. Toutes primes ou gratifications versées en cours d'année à divers titres et quelle qu'en soit la nature peuvent être considérés comme primes de vacances à condition qu'elles soient égales aux 10 % prévus à l'alinéa précédent et qu'une partie soit versée pendant la période située entre le 1er mai le 31 octobre.

La salariée ayant perçu une prime de 13e mois, la prime de vacances a ainsi été payée dans le cadre de cette prime. Elle sera déboutée de cette demande.

Sur les heures supplémentaires

Mme [Q] sollicite le paiement d'heures supplémentaires pour les années 2010 à 2013. Elle a saisi le conseil de prud'hommes le 6 février de 2014. La prescription étant quinquennale jusqu'à la loi du 14 juin 2013, il s'ensuit que sa demande est recevable.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La salariée produit des tableaux mentionnant le nombre d'heures effectuées semaine par semaine, les heures de départ, de nombreux courriels envoyés par elle entre 18 heures et 19 heures (pièce 33). Pour s'opposer à la demande, l'employeur se borne à invoquer une certaine flexibilité dans l'entreprise. Cependant par avenant prenant effet au 2 janvier 2012, les horaires de la salariée ont été précisés : temps de travail effectif hebdomadaire : 37 heures, soit 7,4 heures par jour de 8 h45 à 17 heures avec une pause déjeuner de 51 minutes.

Après examen des éléments produits de part et d'autre, la cour a la conviction que des heures supplémentaires ont été exécutées avec au moins l'accord implicite de l'employeur qui a été destinataire de courriels en dehors des heures de bureau. Il convient de faire droit à la demande.

Sur le rappel de salaire au titre du rattrapage d'augmentation pour les années 2011 et 2012

Il résulte de l'entretien d'évaluation que la case « a atteint une partie des objectifs » a été cochée et que Mme [B], supérieure hiérarchique de la salariée, a indiqué : « J'estime que toute augmentation doit être mise en suspens jusqu'à ce que les performances s'améliorent. [G] devant partir en congé de maternité à la mi-juin, il a été décidé qu'il devrait y avoir une amélioration avec les besoins d'amélioration notés ci-dessus, après quoi, je recommanderai l'octroi d'une augmentation. Cela sera suivi par des points réguliers à la fois téléphoniques et physiques avec l'implication des RH si besoin afin d'avoir un avis indépendant ».

La salariée explique avoir refusé de signer ce compte-rendu en raison de son désaccord sur l'évaluation générale, qu'aucune discussion sur sa performance n'a eu lieu avant son départ anticipé début mai 2011, que sa responsable n'a jamais contacté les RH sur ce sujet et que les formations identifiées comme utiles à son développement et sa progression n'ont pas été dispensées. Elle ajoute qu'elle n'a d'ailleurs quasiment jamais suivi la moindre formation à l'exception de celle de secouriste du travail à sa propre initiative. Il convient de faire droit à la demande.

Sur le rappel de salaire au titre de la prime d'astreinte téléphonique de 2 jours le week-end du 4 février 2012

La salariée verse le barème des astreintes en vigueur dans la société mentionnant une prime d'astreinte téléphonique de 2 jours le week-end de 100 euros. La société ne peut utilement opposer que la salariée n'a pas été contactée. Il convient de faire droit à la demande.

Sur la perte du droit à réduction sur site Kalidea

La salariée soutient qu'elle n'a pu bénéficier de la subvention annuelle pour la réduction de places de concert sur ce site, soit la somme de 50 euros. La société réplique que la perte de cet avantage née d'un licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, n'ouvre pas droit à indemnisation.

Cependant, le licenciement ayant été jugé nul, il sera accordé à la salariée une somme de 50 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice.

Il n'y a pas lieu d'assortir d'une astreinte la remise des bulletins de paye conformes du 13 mai 2013 jusqu'au jour de la réintégration.

Il est équitable d'accorder à la salariée une somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Infirme le jugement déféré ;

Déclare nul le licenciement de Mme [Q] ;

Ordonne la réintégration de Madame [Q] dans son emploi d'analyste des contrôles internes au sein du département « finances », moyennant une rémunération mensuelle brute de 5.220,55 € ;

Condamne solidairement les sociétés Sungard Financial Systems France devenue Fis Financial Systems France et Sungard Investment Ventures LLC devenue Fis Investment Ventures LLC à payer à Mme [Q] les sommes suivantes :

- Rappel de salaires du 13 mai 2013 jusqu'au jour de sa réintégration dans l'entreprise, ou à tout le moins au jour de l'audience du 7 mai 2019 : 375.879,60 €

- Congés payés afférents : 37.787,96 €, sauf à déduire les revenus d'activité ou de remplacement perçus par la salariée pendant cette période qui devra en justifier

- Dommages et intérêts pour discrimination en raison de l'état de grossesse, le sexe et la situation de famille (art. L.1132-1) : 8000 €

- Heures supplémentaires : 1.215,03 €

- Congés payés afférents : 121,50 €

- Rappel de salaires au titre du rattrapage d'augmentation pour les années 2011 et 2012 : 2.213,20 €

- Congés payés afférents : 221,32 €

- Rappel de salaires au titre de la prime d'astreinte téléphonique 2 jours le week-end : 100€ - Congés payés afférents : 10,00 €

- Perte de droit à réduction sur le site Kalidea : 50 €

- Article 700 du code de procédure civile : 2.500 €

Dit que les créances salariales porteront intérêts légaux à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et les créances indemnitaires à compter de l'arrêt ;

Ordonne la remise par les sociétés Fis Financial Systems France et Fis Investment Ventures LLC à Mme [Q] des bulletins de paie conformes du 13 mai 2013 jusqu'au jour de sa réintégration dans l'entreprise ;

Déboute Mme [Q] du surplus de ses demandes ;

Condamne solidairement les sociétés Fis Financial Systems France et Fis Investment Ventures LLC aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 17/08690
Date de la décision : 18/06/2019

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°17/08690 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-06-18;17.08690 ?
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