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14/06/2019 | FRANCE | N°18/27713

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 8, 14 juin 2019, 18/27713


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 8



ARRET DU 14 JUIN 2019



(n°224, 17 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/27713 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B64HA



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 05 Décembre 2018 -Président du Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2018053133



APPELANTS



Monsieur [R] [H]

[Adresse 1]

[Localité 1]
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Monsieur [S] [E]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Madame [D] [A]

[Adresse 3]

[Adresse 3]



Madame [K] [D]

[Adresse 1]

[Localité 1]



SAS BENDO MUSIC prise en la personne de son r...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 8

ARRET DU 14 JUIN 2019

(n°224, 17 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/27713 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B64HA

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 05 Décembre 2018 -Président du Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2018053133

APPELANTS

Monsieur [R] [H]

[Adresse 1]

[Localité 1]

Monsieur [S] [E]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Madame [D] [A]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Madame [K] [D]

[Adresse 1]

[Localité 1]

SAS BENDO MUSIC prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 4]

[Localité 1]

N° SIRET : 832 732 358

Représentés par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistés de Me Cynthia PICART, avocat au barreau de PARIS, toque : B0445

INTIMEE

SAS BELIEVE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité au siège, agissant pour son compte et venant aux droits de la SAS J.D.M par effet d'une fusion absorption ayant pris effet rétroactivement au 1er janvier 2018, agissant par l'intermédiaire de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 5]

[Adresse 5]

N° SIRET : 481 625 853

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Assistée de Me Pierre-Olivier CHARTIER, de l'AARPI CBR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R139

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 09 Mai 2019, en audience publique, devant de la Cour, composée de :

Mme Sylvie KERNER-MENAY, Présidente

M. Thomas VASSEUR, Conseiller

Mme Laure ALDEBERT, Conseillère

Qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Thomas VASSEUR, Conseiller, dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Denise FINSAC

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sylvie KERNER-MENAY, Présidente et par Aymeric PINTIAU, Greffier.

EXPOSE DU LITIGE

La SAS BELIEVE créée en 2005 se décrit comme le leader mondial de la distribution digitale de musique et de services numériques auprès des artistes et labels indépendants. Elle propose principalement aux artistes et labels indépendants de distribuer leur musique auprès de plate-formes numériques de téléchargement et de streaming radio et vidéo ainsi qu'auprès de certains détaillants physiques. Le 7 décembre 2015, elle a acquis l'intégralité des parts de la société JDM sous l'enseigne MUSICAST, l'un de ses concurrents dans le domaine de la musique urbaine et présent dans la distribution physique des supports. L'ensemble des salariés et activités de MUSICAST a été intégré par la société BELIEVE puis par la suite son patrimoine suivant une décision d'absorption ayant pris effet le 1er janvier 2018 et publiée le 26 octobre 2018.

Le créateur et gérant de la société MUSICAST, M. [O] [W] est devenu salarié de la société BELIEVE en qualité de directeur de la distribution France en charge de l'activité distribution physique et numérique de BELIEVE et de ses filiales en France suivant un contrat à durée déterminée expirant le 31 décembre 2016 puis un contrat de travail à durée indéterminée conclu le 13 décembre 2016.

Le contrat de cession de la société MUSICAST comme le contrat de travail de M. [O] [W] comportaient différentes clauses de non-concurrence.

La société BENDO Music (ci-après BENDO) créée le 18 octobre 2017, est un nouveau label indépendant de musique urbaine, adossé à la société Universal Music France, filiale française d'Universal Music Group. Son activité est similaire à celle de BELIEVE et de MUSICAST. Cette société est présidée par M. [F] [M] par l'intermédiaire d'une société BG Aviation dont il est le gérant et l'actionnaire unique avec son épouse.

Entre septembre et novembre 2017, M. [B] [E], M. [R] [H], M. [S] [E], Mme [D] [A] et Mme [K] [D], salariés de la société MUSICAST devenue BELIEVE, ont quitté la société après avoir annoncé leur démission. A l'occasion de ces départs, ils étaient libérés de leur clause de non-concurrence. Le 6 décembre 2017, M. [O] [W] remettait également sa démission. Une convention de rupture conventionnelle de son contrat de travail était signée avec effet à la date du 12 mars 2018.

Soupçonnant l'existence d'actes de concurrence déloyale résultant de la mise en place par ces salariés d'un schéma organisé destiné, avant même la fin de leur contrat de travail, à démarcher des artistes ou producteurs sous contrat avec elles pour le compte de la société BENDO Music, les sociétés BELIEVE et MUSICAST, ont, suivant une requête du 7 mars 2018, saisi le juge des requêtes du tribunal de commerce de Paris sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile aux fins de voir ordonner des mesures d'instruction au siège social de la société BENDO Music.

Par ordonnance du 9 mars 2018, le juge des requêtes du tribunal de commerce de Paris a fait droit à ces demandes et désigné un huissier instrumentaire. Ces mesures d'instructions ont été exécutées le 15 mars 2018 et les opérations closes le 21 mars 2018, l'ensemble des éléments appréhendés ayant été placé sous séquestre.

Parallèlement, par une ordonnance du 8 mars 2018, le président du tribunal de grande instance de Bobigny a autorisé, sur requête déposée par la société BELIEVE, des mesures d'instruction similaires au domicile de M. [O] [W]. Par un constat d'huissier du 15 mars 2019, il a été acté le caractère infructueux des opérations réalisées par l'huissier de justice instrumentaire.

Par un acte d'huissier de justice en date du 12 avril 2018, les sociétés BELIEVE et MUSICAST ont assigné en référé la société BENDO Music devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir la communication de l'ensemble des documents et/ou éléments séquestrés à l'occasion de l'exécution de l'ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Paris du 9 mars 2018 à l'exception des pièces relevant strictement de la vie privée et des correspondances qui relèveraient d'échanges entre avocats et clients qui seraient protégées par le secret professionnel.

Dans le cadre de cette procédure, Mmes [D] et [A] et MM. [H] et [E] sont intervenus volontairement à l'instance. Ils ont sollicité au côté de la société BENDO et à titre reconventionnel la rétractation de l'ordonnance sur requête. Les sociétés BELIEVE et MUSICAST, au visa d'une jurisprudence de la cour d'appel de Paris, ont, suivant des conclusions du 24 septembre 2018, soulevé l'irrecevabilité de la demande de rétractation sur requête formulée reconventionnellement à la demande de levée de séquestre.

Le 25 septembre 2018, la société BENDO et les quatre salariés visés ci-dessus ont assigné les sociétés BELIEVE et MUSICAST en référé-rétractation dans le cadre d'une instance autonome de l'instance en mainlevée de séquestre.

Par une ordonnance en date du 5 décembre 2018, le juge de la rétractation du tribunal de commerce de Paris a :

- donné acte à la société BELIEVE de ce qu'elle agit pour le compte et qu'elle vient aux droits de la société J.D.M (également dénommée MUSICAST) ;

- dit recevable mais mal fondée la requête en rétractation déposée le 25 septembre 2018 ;

- débouté la société BENDO MUSIC, M. [H], M. [E], Mme [A] et Mme [D] de leurs demandes de rétractation de son ordonnance du 9 mars 2018 ;

- rejeté les demandes autres, plus amples ou contraires des parties ;

- dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société BENDO MUSIC, M. [H], M. [E], Mme [A] et Mme [D] aux dépens de l'instance.

Par déclaration en date du 10 décembre 2018, la société BENDO Music, M. [H], M. [E], Mme [A] et Mme [D] ont interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a dit mal fondée la requête en rétractation déposée le 25 septembre 2018 ; les a déboutés de leurs demandes de rétractation de son ordonnance du 9 mars 2018 ; rejeté leurs demandes autres, plus amples ou contraires et dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions en date du 16 avril 2019, les appelants demandent à la cour de bien vouloir :

Vu les articles 145 et 495 et suivants du code de procédure civile,

- dire et juger que le président du tribunal de commerce était matériellement incompétent pour ordonner les mesures d'instruction in futurum sollicitées par les sociétés BELIEVE et J.D.M. (MUSICAST) sur requête du 7 mars 2018 ;

- dire et juger que les mesures d'instruction in futurum ordonnées le 9 mars 2018 ne répondent à aucun motif légitime ;

- dire et juger que les mesures d'instruction in futurum ordonnées le 9 mars 2018 sont disproportionnées et dépassent le cadre des mesures légalement admissibles ;

- dire et juger que l'absence de notification de l'ordonnance du 9 mars 2018 aux salariés de la société BENDO Music ayant subi les mesures justifie encore qu'elle soit rétractée ;

En conséquence,

- infirmer l'ordonnance du 5 décembre 2018 en ce qu'elle les a débouté de leur demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 9 mars 2018 ;

Et statuant à nouveau,

- rétracter intégralement l'ordonnance sur requête du 9 mars 2018 ;

- déclarer nul tout procès-verbal de constat dressé et tout rapport établi en exécution de cette ordonnance ;

- enjoindre à l'huissier instrumentaire de procéder à la destruction de l'intégralité des documents, fichiers, pièces ou supports appréhendés en exécution de l'ordonnance du 9 mars 2018 et d'en dresser le procès-verbal ;

- enjoindre à l'expert ou au technicien informatique de procéder à la destruction de l'intégralité des documents, fichiers, pièces ou supports appréhendés en exécution de l'ordonnance du 9 mars 2018 et d'en faire dresser le procès-verbal ;

- interdire à la société BELIEVE, et à toutes entités liées à cette société de communiquer et de faire usage, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, de tout procès-verbal de constat dressé, tout rapport établi et de tous éléments lui ayant été communiqués par l'huissier instrumentaire et par l'expert ou le technicien informatique en exécution de l'ordonnance du 9 mars 2018 ;

Subsidiairement,

- rétracter l'ordonnance du 9 mars 2018 en ce qui concerne M. [H], M [E], Mme [A] et Mme [D], dès lors que le président du tribunal de commerce de Paris était matériellement incompétent pour ordonner des mesures d'instruction in futurum dans la perspective d'un procès contre des personnes physiques non commerçantes ;

- interdire à la société BELIEVE et à toutes entités liées à cette société de communiquer et faire usage, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, à l'encontre de M. [H], M. [E], Mme [A] et Mme [D], pris ensemble ou séparément, et dans le cadre de quelque procédure que ce soit les mettant en cause individuellement ou aux côtés de quelque autre partie que ce soit, en ce compris notamment la société BENDO Music, de tout procès-verbal de constat dressé par l'huissier instrumentaire, tout rapport établi par l'expert ou le technicien informatique ayant assisté l'huissier instrumentaire et tous éléments, fichiers, pièces, supports et documents dont elles auront obtenu communication en exécution de l'ordonnance du 9 mars 2018 ;

En cas de rétractation partielle ou d'absence de rétractation,

- ordonner que soit supprimée ou masquée l'intégralité des mentions d'éléments économiques ou stratégiques (sommes d'argent, taux de référence, stipulations de tous contrats ou projets de contrats avec des artistes ou producteurs, tracklistings et featurings, dates de sortie prévisionnelle des albums et singles, EP, mixtape, fichiers sons audio et masters, visuels artwork, prestataires, etc...) figurant dans les 1746 documents, de quelque nature que ce soit, appréhendés par l'huissier instrumentaire ;

En tout état de cause :

- débouter la société BELIEVE de l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions;

- condamner la société BELIEVE à payer à chacun d'eux, respectivement, une somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société BELIEVE aux entiers dépens.

Ils font essentiellement valoir :

- que le président du tribunal de commerce était matériellement incompétent pour ordonner les mesures litigieuses ; qu'en effet, les mesures d'instruction sollicitées sont liées à des actes de concurrence déloyale prétendument commis par des salariés, personnes physiques non commerçantes, fut ce de concert avec une société commerciale ; que le tribunal de commerce n'est pas compétent pour connaître d'un tel procès mettant en cause des personnes physiques non commerçantes ;

- que les mesures ordonnées le 9 mars 2018 ne répondent à aucun motif légitime ; que la seule volonté de détourner ne suffit pas ; que nombre des artistes cités n'étaient pas sous contrat mais en négociation avec BELIEVE ; qu'il n'est pas interdit aux artistes de s'adresser à une autre entreprise ; que le démarchage fautif d'artistes ou de producteurs sous contrat ou en négociations avec la société Believe ou Musicast n'est pas étayé par le moindre commencement de preuve ; que le préjudice et la désorganisation que la société BELIEVE prétend avoir subi ne le sont pas davantage ; que l'allégation d'une prétendue implication au sein de la société BENDO Music de M. [O] [W] est sans fondement et découle de simples propos rapportés par des tiers, des rumeurs ou des attestations établies par la requérante elle-même par l'intermédiaire de ses salariés ; que l'attestation de M. [J] [Q] établie postérieurement à l'ordonnance sur requête n'est pas valable et est dénuée de toute force probante outre le fait que décédé depuis, il ne pourrait être entendu comme témoin par la cour ;

- que les mesures ordonnées, par nature attentatoires au secret des affaires, sont totalement disproportionnées et dépassent le cadre légalement admissible ; que le recours au seul mot-clé « bendo » pour procéder aux recherches et saisies ordonnées suffit à disqualifier la licéité des mesures obtenues par les sociétés BELIEVE et MUSICAST ; que les mesures ordonnées sont encore illicites en ce qu'elles impliquent l'analyse et l'appréciation au fond par l'huissier instrumentaire des éléments à appréhender ; que l'huissier instrumentaire est ainsi investi d'un véritable pouvoir juridictionnel ; que ces mesures s'apparentent à une véritable perquisition privée portant sur l'ensemble du système d'information de la société BENDO Music et des correspondances personnelles de ses salariés ; qu'elles aboutissent, par ailleurs, un audit intégral de l'activité commerciale de la société BENDO Music ; qu'en outre, les sociétés BELIEVE et MUSICAST n'ont fourni aucune explication quant à la pertinence de l'essentiel des mots-clés censés encadrer les recherches ;

- que le défaut de notification de l'ordonnance sur requête aux salariés de la société BENDO Music devant subir les mesures ordonnées doit être sanctionné, en vertu de l'article 495 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions du 18 avril 2019, la société BELIEVE demande à la cour de bien vouloir :

In limine litis sur la compétence,

A titre principal,

- dire et juger que le président du tribunal de commerce de Paris était compétent pour ordonner les mesures d'instruction in futurum au siège de BENDO Music ;

- confirmer l'ordonnance de référé entreprise en ce qu'elle a débouté BENDO Music, M. [H], M. [E], Mme [A] et Mme [D] de leur demande de rétractation tirée de ce que le président du tribunal de commerce de Paris n'aurait pas été matériellement compétent pour ordonner les mesures d'instruction sollicitées ;

A titre subsidiaire, si la cour d'appel de Paris devait juger que le président du tribunal de commerce de Paris n'était pas compétent pour ordonner les mesures d'instruction sollicitées, en ce qu'elles viseraient les appelants personnes physiques comme le soutiennent les appelants,

- dire et juger que l'ordonnance sur requête ne doit être rétractée qu'à l'égard de M. [H], M. [E], Mme [A] ou Mme [D] ;

- dire et juger en conséquence qu'il est fait interdiction à BELIEVE de faire usage des documents saisis en exécution de l'ordonnance sur requête (n°18-369 ; 18-13749) dans le cadre de toute procédure judiciaire qu'elle pourrait engager à l'égard de l'un ou plusieurs des salariés de BENDO Music, à savoir M. [H], M. [E], Mme [A] et Mme [D], devant quelque juridiction que ce soit ;

En tout état de cause, sur le fond,

- constater que les mesures d'instruction ordonnées par l'ordonnance sur requête sont justifiées par un motif légitime ;

- constater que les mesures d'instruction ordonnées par l'ordonnance sur requête sont légalement admissibles ;

- constater que l'ordonnance sur requête a été correctement notifiée par l'huissier instrumentaire à la partie ayant supporté l'exécution de la mesure, à savoir la société BENDO Music ;

En conséquence,

- confirmer l'ordonnance de référé entreprise ;

- débouter BENDO Music, M. [H], M. [E], Mme [A] et Mme [D] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

A titre subsidiaire, si la cour d'appel de Paris devait juger que le recours au seul mot-clé « bendo » est de nature à remettre en cause la légalité des mesures d'instruction ordonnées :

- modifier l'ordonnance sur requête, en supprimant le visa du mot-clé « bendo », pris séparément, de la liste des mots-clés figurant en page 2 de l'ordonnance sur requête, et la confirmer pour le surplus ;

- débouter BENDO Music, M. [H], M. [E], Mme [A] ou Mme [D] pour le surplus de leurs demandes, fins et conclusions ;

A titre subsidiaire, si la cour d'appel de Paris devait juger qu'il existe un risque que les mesures d'instruction ordonnées permettent d'avoir accès à des informations confidentielles et stratégiques :

- modifier l'ordonnance sur requête, en ordonnant que soient supprimé l'ensemble des mentions d'éléments économiques ou stratégiques (sommes d'argents, taux de référence, stipulations de tous contrats ou projets de contrats avec des artistes ou producteurs, tracklistings et featurings, dates de sortie prévisionnelle des albums et singles, EP, Mixtape, fichiers sons audio et masters, visuels artwork, prestataires etc.) figurant dans les contrats ou projets de contrats de distribution d'albums proposés par BENDO Music aux artistes ou producteurs sous contrat ou en négociations avec BELIEVE, tel que listés en page 2 de l'ordonnance sur requête, et la confirmer pour le surplus ;

- débouter la société BENDO Music, M. [H], M. [E], Mme [A], Mme [D] pour le surplus de leurs demandes, fins et conclusions ;

En tout état de cause,

- débouter la société BENDO Music, M. [H], M. [E], Mme [A], Mme [D] pour le surplus de leurs demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société BENDO Music à lui verser la somme de 50.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société BENDO Music aux entiers dépens, dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SELARL BDL avocat, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle fait essentiellement valoir :

- que le président du tribunal de commerce de Paris était compétent pour ordonner les mesures d'instructions ; qu'en effet, ces mesures ont été sollicités dans la perspective d'un procès futur contre la société BENDO Music et non contre les anciens salariés de la société BELIEVE ;

- qu'il existe un motif légitime justifiant les mesures d'instruction ; qu'il suffit pour le demandeur de justifier d'éléments rendant crédibles ses allégations et que les preuves recherchées soient de nature à alimenter un procès qui ne serait pas manifestement voué à l'échec pour mettre en 'uvre l'article 145 du code de procédure civile ; que les attestations de ses salariés sont étayées par d'autres éléments ; que l'attestation de M. [Q] est valable nonobstant le décès ultérieur de ce dernier ; qu'en quatre mois, cinq de ses salariés, spécialisés dans le secteur de la musique urbaine ont démissionné ; que quatre d'entre eux sont désormais salariés de la société BENDO Music, et semblent d'ailleurs constituer l'intégralité du personnel de cette société ; que le groupe [O] suivi par M. [H], a été démarché par BENDO et a mis un terme au contrat existant avec elle pour conclure avec BENDO pour la sortie de son nouvel album en 2018; que d'autres artistes suivis par les démissionnaires, tels le groupe [R] et l'artiste [P] ont contracté avec la société BENDO Music ; qu'il ne va de même de l'artiste [Z] et du groupe [Y] ; qu'après le dépôt de la requête d'autres artistes sous contrat ou en négociation ont signés avec BENDO MUSIC ; que ces artistes ont nécessairement été approchés en amont pour que la conclusion des contrats avec BENDO interviennent en un laps de temps si court entre la date de la création de la société en octobre 2017 et le début du mois de janvier 2018 ; que ces actes de débauchage et de démarchage survenus en un temps très court ont nécessairement désorganiser la société BELIEVE au regard de la spécialisation du personnel débauché et du secteur artistique concerné ; que son adversaire fait volontairement une confusion entre le motif légitime et le bien-fondé de l'action au fond ;

- que les mesures d'instruction ordonnées sont légales ; qu'elle a pris le soin de circonscrire dans la requête le champ de la mesure d'instruction en limitant l'objet des recherches et la période de temps, en identifiant des mots-clés pertinents devant être exclusivement utilisés par l'huissier instrumentaire, et en excluant les messages relevant de la vie privée ainsi que les correspondances avocat-client ; que le recours au mot-clé 'bendo' est justifié par le fait que la présence de fichiers/correspondances comportant le mot-clé « bendo » dans les messageries personnelles des appelants, à une époque où ils étaient encore salariés de la société BELIEVE, signifierait qu'ils 'uvraient déjà à cette époque pour le compte de BENDO Music ; que l'huissier instrumentaire n'a nullement été investi d'un pouvoir juridictionnel ; qu'en effet, il n'a pas le devoir de qualifier juridiquement les éléments de fait ; que les mesures ordonnées prenaient soin d'exclure expressément les correspondances personnelles et relevant de la vie privée des salariés ; qu'au surplus, il ressort du procès-verbal de constat dressé par l'huissier instrumentaire que celui-ci et l'expert informatique n'ont en définitive pas procédé aux recherches sur les adresses mails personnelles et les téléphones portables des salariés de la société BENDO Music ;

- que les dispositions de l'article 495 alinéa 3 du code de procédure civile ne s'appliquent qu'à la personne qui supporte l'exécution de la mesure, c'est-à-dire la personne dans les locaux ou au domicile de laquelle l'huissier se rend, et ce qu'elle soit ou non défendeur potentiel au procès envisagé ; que seuls des documents et supports de la société BENDO Music ont fait l'objet des recherches de l'huissier instrumentaire ; qu' ainsi l'absence de notification de l'ordonnance sur requête aux salariés de BENDO Music est indifférente.

SUR CE

L'exception d'incompétence matérielle du tribunal de commerce

Aux termes de l'article 874 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce est saisi par requête dans les cas spécifiés par la loi.

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

L'article 875 du même code prévoit également qu'il peut ordonner sur requête, dans les limites de la compétence du tribunal, toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement.

L'article 493 du même code indique à cet égard que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

L'article L. 721-3 du code de commerce dispose que les tribunaux de commerce connaissent :

- 1°) Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre

établissements de crédit ou entre eux ;

- 2°) De celles relatives aux sociétés commerciales ;

- 3°) De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes'.

L'action en concurrence déloyale obéit aux règles de droit commun et relève donc en application de l'article L.721-3 du code de commerce du tribunal de commerce sus-visé lorsque le défendeur est un commerçant et du tribunal de grande instance si le défendeur n'est pas un commerçant.

Le tribunal de grande instance a compétence exclusive s'il s'agit d'un acte de concurrence déloyale connexe à une action en contrefaçon de brevet ou de marque (article L. 716-3 du Code de la propriété intellectuelle). Il est aussi compétent lorsque l'action oppose des professionnels, mais n'ayant pas la qualité de commerçant.

Quand les actes déloyaux constituent la violation d'une clause de non-concurrence ou de l'obligation de fidélité imposée au salarié, l'action relève de la compétence du conseil des prud'hommes.

Il a été jugé que sauf disposition légale contraire, le juge territorialement compétent pour rendre une ordonnance sur requête est le président de la juridiction saisie au fond ou celui du tribunal du lieu où la mesure doit s'exécuter.

Mais en cas de pluralité de défendeurs, l'article 42 alinéa 2, en matière de compétence territoriale, autorise le demandeur à saisir, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l'un des défendeurs.

Cette disposition procède de la volonté de faire respecter les nécessités d'une bonne administration de la justice en évitant la dispersion de contentieux, à l'origine unique, engendrant la multiplication des instances ainsi que, corrélativement, la possibilité de contrariété de décisions.

C'est le lien existant entre les différents défendeurs qui constitue le fondement de la prorogation de compétence, une simple connexité entre les demandes dirigées contre les différents défendeurs suffisant à justifier cette prorogation (Civ. 1ère, 24 février 1998,Bull. n° 70).

Ces principes généraux de compétence s'appliquent également à la compétence tant matérielle que territoriale du juge saisi d'une requête sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile. C'est ce qu'a jugé la Cour de cassation en apportant un assouplissement en considérant que le juge des requêtes peut ordonner une mesure d'instruction avant tout procès, dès lors que le fond du litige est de nature à relever, ne serait-ce qu'en partie, de la compétence de la juridiction à laquelle il appartient (Civ. 2ème 7 juin 2012 pourvoi n°11-15.490 Bull Civ II n°101).

En l'espèce, la société BELIEVE est susceptible de disposer d'une éventuelle action au fond en concurrence déloyale contre la société BENDO devant le tribunal de commerce, action sur laquelle elle fonde sa requête du 7 mars 2018 en indiquant dans son dispositif que les mesures d'instruction sont sollicitées 'en vue d'un futur procès à raison du démarchage fautif d'artistes sous contrat en négociations avec Believe/Musicast, pour le compte de BENDO MUSIC, ainsi que du débauchage systématique par BENDO MUSIC de salariés de BELIEVE/MUSICAST et de l'implication fautive de M. [O] [W]'.

L'action en concurrence déloyale dénoncée par la société BELIEVE vise donc la société BENDO à qui il est reproché du démarchage fautif d'artistes de BELIEVE/MUSICAST et du débauchage de salariés de BELIEVE/MUSICAST. En tant que telle cette action qui vise les agissements fautifs d'une société commerciale relève indiscutablement de la compétence du tribunal de commerce.

Si la requête contient la mise en cause des agissements des anciens salariés de BELIEVE/MUSICAST, force est de constater que ce n'est qu'en tant qu'ils ont participé 'pour le compte de BENDO' au démarchage systématique des artistes déjà sous contrat ou en cours de négociation pour en conclure (points suivants de la requête : n° 37, 40, 42, 45, 46, 56, 57, 58).

Leur mise en cause « pour le compte de BENDO » repose, selon le schéma décrit par le demandeur et sans préjuger de sa réalité, sur le fait que la société BENDO a opéré le détournement d'artistes en s'appuyant sur les anciens salariés de MUSICAST qui ont, au demeurant également été selon elle débauchés par son nouveau concurrent. Ce point est encore confirmé par le fait que les salariés ne sont pas visés explicitement comme défendeurs à la requête et que l'action en rétractation a été mise en 'uvre initialement par la seule société BENDO agissant à titre reconventionnel dans le cadre de la procédure introduite par ses adversaires en levée de séquestre avant que les salariés interviennent volontairement à l'instance puis engagent une instance autonome en rétraction aux côtés de BENDO.

Le fait qu'une action ait été engagée devant le tribunal de grande instance de Bobigny à l'encontre de l'ancien gérant M. [W] accusé d'être impliqué à titre principal dans ces démarchages et débauchages n'est pas de nature à établir d'une quelconque façon que l'action en concurrence déloyale envisagée vise les anciens salariés à titre personnel alors qu'il est au contraire dit à plusieurs reprises que leurs agissements fautifs sont critiqués en tant qu'intervenus pour le compte de la société BENDO.

Le fait que partie de la période visée pour l'appréhension des documents sollicités concerne une époque où la société BENDO n'était pas encore créée est de la même façon inopérante puisque la demande vise à démontrer que les agissements commis par les salariés visés pour le compte de la société BENDO avant même la création de celle-ci, ont abouti au détournement d'artistes au détriment de la société BELIEVE/MUSICAST.

En outre, les investigations demandées sont à réaliser au seul siège social de BENDO MUSIC et nécessairement sur des supports utilisés par les salariés compte tenu de l'ampleur alléguée de leur intervention dans le 'schéma' mis en place pour détourner les artistes de la société BELIEVE/MUSICAST.

La possible mise en cause des salariés à titre personnel n'est pas exclusive de la compétence du tribunal de commerce dès lors que ce dernier est compétent matériellement pour statuer sur partie du litige.

Ainsi, le fait que partie des investigations demandées concerne des supports personnels des salariés, ce qui est au demeurant contesté au titre des mesures disproportionnées par les appelants, ou que la société BELIEVE a adressé aux salariés visés le 15 mars 2018 soit le jour de l'exécution des mesures, un courrier au terme duquel elle se réserve le droit de solliciter à leur égard la réparation du préjudice subi en raison de 'leur implication personnelle dans la préparation, la commission et la poursuite des agissements déloyaux à son encontre' sont inopérants au regard de la compétence du tribunal de commerce établie.

La décision du juge de la rétractation qui a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Mmes [A], [D], Mrs [H] et [E] sera confirmée.

Sur le mérite de la requête

Selon l'article 145 du code de procédure civile, 's'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé'.

Le juge, saisi d'une demande de rétractation d'une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et tenu d'apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s'assurer de l'existence d'un motif légitime, au jour du dépôt de la requête initiale et à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui, à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.

L'urgence n'est pas une condition requise pour que soient ordonnées sur requête des mesures d'instruction sur le fondement de l'article 145. L'existence de contestations sérieuses ne constitue pas un obstacle à la mise en 'uvre de la mesure sollicitée, l'application de cet article n'impliquant aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé. Il suppose uniquement que soit constaté qu'il existe un procès « en germe », pouvant être conduit sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, à condition que cette mesure soit possible. Il suppose encore que l'évidence ne conduise pas à constater la prescription de toute action.

Il résulte enfin de l'article 145 que le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer l'existence des faits qu'il invoque puisque cette mesure 'in futurum' est destinée à les établir, mais qu'il doit justifier d'éléments rendant crédibles

* le motif légitime

Au terme de sa requête déposée le 7 mars 2018 et de 45 pièces l'accompagnant, la société BELIEVE demandeur à la mesure d'instruction a soutenu explicitement être victime pour le compte de BENDO d'un débauchage de salariés et du démarchage fautif d'artistes précédemment sous contrat ou en négociations avec BELIEVE MUSICAST.

Il a été établi par la production des lettres de démission lors du dépôt de la requête que dans un laps de temps voisin de la création de la société BENDO, quatre salariés de la société BELIEVE MUSICAST ont démissionné sur une très courte période comprise entre le 4 septembre 2017 et 24 octobre 2017 avec effet compris entre le 3 octobre 2017 et le 27 décembre 2017. Les lettres de démission comportaient libération de la clause de non-concurrence mais maintien d'une obligation de secret professionnel et d'une clause de non-sollicitation.

Il a encore été démontré que ces salariés avaient tous comme points communs d'abord d'avoir fait antérieurement partie des employés de la société MUSICAST dirigée par M. [W], rachetée par BELIEVE en décembre 2015 et d'avoir postérieurement à leur démission de celle-ci été recrutés par la société BENDO.

Il ressort encore de la requête que, compte tenu de leur expérience au sein de Musicast, spécialisée dans le secteur de la musique urbaine et rachetée du fait de cette spécificité par BENDO, ces quatre salariés présentaient en outre comme point commun de connaître ce secteur, à savoir, M. [H] au service 'promo' et attaché de presse pour le projet du groupe [O], Mme [D] [A] et M. [S] [E] du service label manager distribution et Mme [D], en qualité de chef de projet.

De même, il a été démontré que des artistes ou producteurs, en négociation avec la société BELIEVE, ont, encore dans la même période de temps, contracté avec la société BENDO, par exemple les artistes et groupes nommés [P], [R] ou [X] (points 31 à 34 de la requête).

En outre, des attestations ont été versées à l'appui de la requête, qui émanent certes de responsables ou salariés de la société BELIEVE, mais qui engagent leurs auteurs, qui confirmaient ces événements et mettaient en lumière le rôle prépondérant de M. [W] présenté comme le créateur du nouveau label BENDO pour UNIVERSAL (points 37 de la requête et pièce n°37 des appelants).

Le départ de certains artistes de la société BELIEVE vers la société BENDO et explicité dans la requête est avérée pour ce qui concerne le groupe [O] (point 30 de la requête) qui a annoncé en janvier 2018 qu'il mettait un terme au contrat le liant à la société BELIEVE avec effet en mai 2018 pour rejoindre en définitive la société BENDO.

La succession dans un temps très court du départ de salariés de la société BELIEVE et leur recrutement par la société BENDO positionnée sur le même secteur de la musique urbaine et, dans le même laps de temps, la conclusion par BENDO de plusieurs contrats avec des artistes ou producteurs sous contrat ou en négociation avec BELIEVE, sont des éléments suffisants pour considérer que le procès en concurrence déloyale, envisagé à l'encontre de la société BELIEVE par la société BENDO puisse être en germe au sens de l'article 145 du code de procédure civile.

Dès lors, la décision attaquée qui a refusé de rétracter l'ordonnance sur requête du 9 mars 2018 de ce chef sera confirmée.

* Les mesures ordonnées par le juge de la requête

Au sens de l'article 145, les mesures légalement admissibles sont celles prévues par les articles 232 à 284-1 du code de procédure civile et elles ne doivent pas porter une atteinte disproportionnée aux intérêts légitimes du défendeur.

Dépassent encore les prévisions de l'article 145 du code de procédure civile, les mesures générales d'investigation. Il importe enfin que les mesures ordonnées soient proportionnées au regard des autres droits en balance tels, dans la présente espèce, le secret des affaires et le droit au respect de sa vie privée.

La période des investigations à mener est limitée à celle comprise entre le 1er juin 2017 et le 9 mars 2019 mais la rédaction de l'ordonnance se heurte à plusieurs critiques.

La mission confiée à la SELARL VAN KEMMEL, prise en la personne de Me [N] [J], huissier de justice consistait à se faire assister de tout expert en informatique de son choix et à se rendre dans les locaux de la société BENDO Music sis [Adresse 4] afin notamment de :

- faire des photographies des affiches et disques d'or et autres éléments figurant sur les murs des locaux,

- se faire remettre le registre du personnel,

- se faire remettre ou rechercher et prendre copie si possible en deux exemplaires, par tout moyen de recherche utile et notamment par examen de tout support physique, informatique ou numérique, en particulier les téléphones portables, tablettes et ordinateurs personnels ou professionnels, serveur ou messageries électroniques utilisés par M. [W], Mme [D], M. [R] [H], M. [E], de tout document sous tout format ainsi que les pièces jointes relatif soit au démarchage de la société requise, d'artistes sous contrat ou en négociation avec les requérants avant la fin du contrat de travail liant les quatre personnes citées ci-avant avec les sociétés requérantes, à savoir : [G], [O], [Y], [T], [U], [I], [L] et [K], [P], [V], [S], [Z], [C], [F], [N], [B], [X], [BB], [LL], Seum, [L], soit de débauchage de salariés des sociétés requérantes notamment les quatre personnes citées ci-avant pour le compte de la société requise avec une éventuelle implication de M. [W] sur une période allant du 17 juin 2017 au 9 mars 2018 et ce compris :

toutes correspondances écrites ou numériques( avec leurs pièces jointes) ou journal d'appels téléphoniques entre M. [W], Mme [D], M. [H] ou M. [E],

toutes correspondances écrites, numériques (avec leurs pièces jointes), journal d'appels téléphoniques entre d'une part ces derniers et d'autre part, les artistes sous contrat ou en négociation avec les requérantes et listés ci-avant,

tout contrat ou projet de contrat de distribution d'album proposé, soit par la société requise, soit pour le compte de la société requise, par l'une des quatre personnes citées ci-avant aux artistes sous contrat ou en négociation avec les requérantes et listés ci-avant,

- Prendre copie de documents, sur papier ou supports numériques, objet de la mission définie ci-dessus à l'exception des messages strictement de la vie privée ou des correspondances avocat client,

- Se faire communiquer toutes les adresses emails personnelles et professionnelles utilisées par M. [W] et de Mme [D], M. [R] [H], M. [E],

- Se faire communiquer par la partie défenderesse, les identifiants login, codes d'accès, notamment aux équipements informatiques ou numériques pour accéder aux divers matériels et fichiers nécessaires à sa mission,

- Consigner toutes déclarations ou toutes paroles des personnes visées par la mesure prononcée au cours des opérations, en s'abstenant de toutes interpellations autre que celles nécessaires à l'exécution de la mission,

- Mener les recherches sur les supports informatiques ou numériques y compris messageries électroniques de toutes natures auxquels M. [W], Mme [D], M. [R] [H], M. [E], ont accès à l'aide exclusivement des mots clés suivants : « [G] », « [O] », « [Y] », « [T] », « Hamida », « [I] », « [L] et [K] », « [P] », « [V] », « [S] », « [Z] », « [C] », « [F] », « [N] », « [X] », « [BB] », « Pso Thug », « Seum », « [L] », « QLF », « [V] [FF] », « [E] », « carre music », 13ème art », « dixon », « only pro », « bendo », « juston », « skillz », « indifference », « sixonine », « jarod », « [W] », «[O] », les mots clés pouvant être utilisés séparément ou de façon combinée afin de répondre à l'objet de la mission,

- Prendre copie de tous documents faisant mention des mots clés ci-dessus,

(')

- Autorise le mandataire et le technicien autorisé par lui à « avoir accès à l'ensemble des serveurs et postes informatiques de la société, y compris téléphones mobiles professionnels et personnels, tablettes numériques professionnelles ou personnelles ou tous autres supports externes ou internes des données informatiques, des personnes directement concernées par le litige, également à ceux de leurs collaborateurs et secrétaires directs y compris aux serveurs, et à tous autres supports externes ou internes de données informatiques aux fins de rechercher les éléments nécessaires au bon accomplissement de la mission y compris tout mail effacé qui pourrait être récupéré par l'expert informatique »,

- Autorise le mandataire et le technicien choisi par lui, à procéder à l'extraction des disques durs des unités centrales des ordinateurs concernés, à leur examen à l'aide des outils d'investigation de son choix, puis à la remise en place de ces disques durs dans leur unité centrale respective après en avoir prix copie (').

La société BENDO et les salariés visés font valoir que les mesures ordonnées sont disproportionnées au regard des allégations des sociétés BELIEVE MUSICAST en ce qu'elles permettent d'appréhender l'ensemble des documents correspondant à son activité et s'apparentent ainsi à une véritable mesure générale d'investigation destinée à mener un audit commercial de l'activité commerciale de BENDO ; que cela résulte du recours à l'usage du mot-clé BENDO ; en ce qu'elles confient à l'huissier le soin d'analyser et d'apprécier au fond les éléments à appréhender ; qu'elles s'apparentent à une véritable perquisition privée portant sur l'ensemble du système informatique et des correspondances personnelles des salariés ; qu'aucune explication n'a été précisée quant à la pertinence des mots-clés censés encadrer les recherches ; que les mesures sont disproportionnées et gravement attentatoires au secret des affaires ; qu'il s'agit d'une man'uvre d'instrumentalisation de la justice. A titre subsidiaire, ils sollicitent que l'ordonnance sur requête soit modifiée pour satisfaire aux exigences de protection de ses intérêts stratégiques.

La société BELIEVE s'oppose et soutient que l'objet des recherches est limité aux seuls documents relatifs aux artistes sous contrat ou en négociation avec elle dont la liste a été limitativement énumérée dans l'ordonnance sur requête ; que le mot-clé BENDO vise à permettre d'appréhender sur les messageries personnelles des éléments antérieurs à l'arrivée des salariés au sein de la société BENDO ; que subsidiairement elle ne s'oppose pas à ce que l'ordonnance sur requête soit modifiée en ce sens ; que de fait ce mot-clé n'a pas été utilisé par l'huissier instrumentaire ; que la mission de l'huissier ne lui confère pas un pouvoir juridictionnel, les notions évoquées de démarchage et de débauchage étant purement factuelles et n'abordent en rien l'exigence du caractère fautif exigé par les textes ; que l'huissier de justice n'a en définitive pas procédé aux recherches sur les adresses personnelles et sur les téléphones personnels des salariés. A titre subsidiaire, elle ne s'oppose pas à ce que l'ordonnance soit modifiée dans le sens de la préservation des informations stratégiques de son adversaire.

Ainsi, la mission générale donnée à l'huissier de rechercher les documents établissant « le débauchage des salariés cités» ou le « démarchage » des artistes cités ne signifie nullement qu'il lui soit demandé de procéder à une analyse juridique des faits de concurrence déloyale mais de mettre des mots sur l'objectif poursuivi dont il ne peut être contesté par aucune des parties qu'il s'agit bien d'obtenir des élément de nature, le cas échéant, à étayer un procès en concurrence déloyale.

En ce sens, doit-il être relevé que le juge de la requête a ordonné le séquestre des pièces appréhendées de sorte qu'il n'a nullement délégué le pouvoir juridictionnel à l'huissier instrumentaire, étant encore ajouté que seul le juge du fond éventuellement saisi portera une appréciation juridique sur les faits et pièces qui lui seront soumis.

Il suit que ce moyen quant à l'exécution de sa mission par l'huissier n'est pas de nature à conduire à la rétractation de l'ordonnance sur requête.

L'article 497 du code de procédure civile dispose que le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance.

La cour relève qu'il résulte de la mission rappelée que pouvoir est donné à l'huissier de justice désigné d'investiguer sur tous les supports informatiques, téléphones, tablettes, ordinateurs professionnels mais également personnels des salariés concernés et d'obtenir dans le même sens toutes les adresses personnelles de ces salariés. Le fait qu'il soit précisé que seront écartés les documents ayant traits strictement à la vie privée ou à la correspondance avocat-client ne suffit pas à prémunir les personnes visées d'une atteinte à leur vie privée, d'abord en ce que la mission en fixe une conception restrictive en écartant uniquement les documents ou mails liés strictement à la vie privée, ensuite en ce qu'elle laisse le soin à l'huissier de déterminer ce qui, sur les adresses mails personnelles et supports personnels des salariés, pourrait relever de la stricte vie privée, lui permettant ainsi d'en appréhender tout le contenu avant de faire son choix.

En outre, la cour relève que les investigations ordonnées concernent également « toutes personnes directement concernées par le litige » de sorte que la mesure sollicitée, trop large et imprécise, n'est nullement limitée, ni encadrée et constitue une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et de la correspondance au regard de l'objectif poursuivi de permettre d'établir le débauchage des 4 salariés visés et du démarchage fautif auprès d'artistes.

Par ailleurs, il doit être souligné que les mots clés retenus aux termes de l'ordonnance d'abord par le recours au mot-clé « Bendo » autorisent l'huissier instrumentaire à intervenir sur l'ensemble des documents produits par la société BENDO ayant été précisé par le juge de la requête que les mots clés peuvent être utilisés séparément ou de façon combinée. S'agissant de mesures menées au sein de la société BENDO, il est évident que ce mot ne peut constituer un mot-clé pertinent, les investigations ayant été réduites aux supports et adresses professionnels des salariés.

Le fait indiqué par la société BELIEVE que l'huissier instrumentaire aurait de lui même abandonné le recours à ce mot clé après avoir constaté qu 'il n'était pas « efficient » (cf ses conclusions point 214) ou que le tri des documents pourra être effectué lors de l'examen des pièces séquestrées (point 209) suffit à conforter l'idée que ce choix n'était pas pertinent. L'abstention réalisée est toutefois inopérante sur l'analyse que doit opérer le juge de la rétractation de la conformité de l'ordonnance sur requête aux dispositions sus-visées.

A titre subsidiaire, la société BELIEVE ne s'est pas opposée à cette modification de l'ordonnance sur requête.

Infirmant l'ordonnance déférée de la demande de rétractation, l'ordonnance sur requête sera modifiée en ce sens et il sera dit que ne seront pas autorisées les investigations sur les téléphones, tablettes et ordinateurs personnels des 4 salariés visés ni sur leurs adresses mails personnelles.

Infirmant l'ordonnance de rejet de la demande de rétractation, l'ordonnance sur requête sera également modifiée en ce que le mot clé « BENDO » sera supprimé.

S'agissant des artistes nommés, il convient de rappeler qu'il est acquis que seul l'un de ses artistes était sous contrat avec BELIEVE au cours de cette période et avait en effet indiqué en janvier 2018 qu'il ne renouvellerait pas le contrat avec la société BELIEVE. Des artistes cités dans la requête, à savoir le groupe [O], [Z] et [Y] avaient antérieurement travaillé avec BELIEVE MUSICAST pour la distribution de leurs précédents albums mais n'étaient pas liés à elle à l'époque des faits.

En effet, s'agissant des démarchages opérés il a été justifié devant le juge de la requête de ce que des discussions étant en cours entre M. [E], alors dans sa période de préavis chez BELIEVE MUSICAST, et le groupe PINS&DIMEY (mail du 20 septembre 2017) et que ce groupe a finalement signé avec BENDO sous l'égide de M. [H] (cf pièce n°31 requête et pièce n° 34 BELIEVE).

En outre, BELIEVE a produit un mail interne faisant état de ce que « [P] se fait approcher par toutes les majors pour signer (') on peut l'avoir je pense mais il faut aller vite. Je sais [O] que tu lui as parlé » (pièce 26 n°32 BELIEVE).

La société BELIEVE a produit à l'appui de sa requête des extraits des contrats de distribution physique ou numérique conclus antérieurement avec les artistes [R], [O], [P], [Y], [U], [Z], [C], [F], [N], [B], [LL], [X]. D'autres tous antérieurs à la requête et concernant les artistes [G], [S], [T], [V] ainsi que leurs producteurs.

Les investigations autorisées sont donc limitées à ces artistes ayant anciennement contracté avec BELIEVE ou étant en négociation avec eux ainsi qu'avec leurs producteur. Cependant et afin de s'assurer du caractère proportionné de la mesure et garantir l'absence d'information communiquée à la société BELIEVE sur le contenu des éventuels contrats conclus entre ces artistes ou leurs producteurs sur l'aspect financier et confidentiel de ceux-ci et conformément à une demande subsidiaire en ce sens formée par la société BELIEVE, par infirmation de l'ordonnance de rejet de la demande de rétractation, l'ordonnance sur requête sera modifiée selon les termes du dispositif ci-après.

Sur l'absence de notification de la requête

Il résulte de l'article 495 du code de procédure civile que l'ordonnance sur requête est motivée et qu'elle est exécutoire au vu de la seule minute. Copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée.

Comme l'a justement analysé le premier juge, cette obligation ne s'applique qu'à la personne qui supporte l'exécution de la mesure.

Il a été explicité que la partie qui supporte la mesure est la société BENDO, les salariés étant visés comme agissant pour le compte de la société BENDO. Il est constant que les mesures d'investigations ont été exclusivement menées au siège social de la société BENDO de sorte que la remise de la copie de la requête au représentant de la société BENDO permet de constater le respect des dispositions susvisées.

A titre surabondant, il sera relevé qu'aucune investigation n'a été menée sur les supports personnels et adresses mails personnelles des 4 salariés conformément, en définitive avec les décisions du présent arrêt.

Le moyen soulevé n'est pas davantage opérant pour rétracter l'ordonnance sur requête visée.

Les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile. Les dépens seront laissés à la charge de la société BENDO avec distraction au profit de la SELARL BDL AVOCAT en application de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance du 5 décembre 2018 rendue par le juge de la rétractation du tribunal de commerce de Paris en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence et rejeté la demande de rétractation ;

L'infirme et statue à nouveau quant à la définition de la mission de l'huissier de justice qui sera modifiée en ce sens ;

Supprime le mot « BENDO » des mots clés figurant en page 2 de l'ordonnance du 9 mars 2018 ;

Dit n'y avoir lieu à opérer de quelconques investigations sur les téléphones, tablettes et ordinateurs personnels et les messageries personnelles de Mme [K] [D], M. [R] [H], M. [S] [E] ;

Dit que seront supprimés des documents appréhendés, l'ensemble des mentions économiques ou stratégiques et notamment les mentions relatives aux sommes d'argent, taux de référence, stipulations de tous contrats ou projets de contrats avec des artistes ou producteurs, tracklistings et featurings, date de sortie prévisionnelle des albums et singles, EP, Mixtape, fichiers sous audio et masters, visuels artwork, prestataires) ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société BENDO MUSIC, aux dépens de l'instance d'appel avec distraction au profit de la SELARL BDL AVOCAT en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 18/27713
Date de la décision : 14/06/2019

Références :

Cour d'appel de Paris A8, arrêt n°18/27713 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-06-14;18.27713 ?
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