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06/06/2019 | FRANCE | N°16/09593

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 06 juin 2019, 16/09593


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 5



ARRÊT DU 06 JUIN 2019



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 16/09593 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BYV53



Décision déférée à la cour : jugement du 29 mars 2016 -tribunal de grande instance de PARIS - RG n° 12/11176





APPELANTE



SA SAUNIER DUVAL EAU CHAUDE CHAUFFAGE

A

yant son siège social [Adresse 1]'

[Adresse 2]

N° SIRET : 312 574 346

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



Représentée par Me Francine ...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5

ARRÊT DU 06 JUIN 2019

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 16/09593 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BYV53

Décision déférée à la cour : jugement du 29 mars 2016 -tribunal de grande instance de PARIS - RG n° 12/11176

APPELANTE

SA SAUNIER DUVAL EAU CHAUDE CHAUFFAGE

Ayant son siège social [Adresse 1]'

[Adresse 2]

N° SIRET : 312 574 346

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Francine HAVET, avocate au barreau de PARIS, toque : D1250

Ayant pour avocat plaidant Me Luc WEILL, avocat au barreau de PARIS, toque : B1075 substitué à l'audience par Me Louis SOUSSY, avocat au barreau de PARIS, toque : A839

INTIMES

Monsieur [P] [Q]

Demeurant [Adresse 3]

[Adresse 4]

Né le [Date naissance 1] 1932 à [Localité 1]

Représenté par Me Gaël GRIGNON DUMOULIN, avocat au barreau de PARIS

Madame [D] [O] épouse [Q]

Demeurant [Adresse 3]

[Adresse 4]

Née le [Date naissance 2] 1946 à [Localité 1]0

Représentée par Me Gaël GRIGNON DUMOULIN, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 17 janvier 2019, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président de chambre

Madame Christine SOUDRY, Conseillère, chargée du rapport

Madame Estelle MOREAU, Conseillère

qui en ont délibéré,

Greffière, lors des débats : Madame Hortense VITELA

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président de chambre et par Madame Hortense VITELA, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Saunier Duval Eau Chaude Chauffage (ci-après la société SDECC) fabrique et commercialise des équipements de chauffage tant en France qu'à l'étranger.

M. [P] [Q] et son épouse, Mme [D] [O], ont exercé la profession d'agent commercial pour le compte de différentes sociétés principalement sur les territoires de la Tunisie et de l'Algérie.

Un contrat a été signé entre la société SDECC et M. [Q], à effet au 1er janvier 1981, confiant à M. [Q] l'exclusivité de la représentation de la société SDECC pour la vente des produits dont elle assurait la commercialisation au jour de la signature du contrat pour les territoires de l'Algérie et de la Yougoslavie.

Un nouveau contrat dénommé « contrat d'agent commercial » a été signé entre la société SDECC d'une part, et M. et Mme [Q] d'autre part, à effet au 1er janvier 1993, ayant pour territoires l'Algérie et la Tunisie. Ce mandat a été confié à titre exclusif pour toute la clientèle du secteur à l'exclusion de la société tunisienne Steme thermique. Ce contrat a été conclu pour une durée d'une année renouvelable par tacite reconduction et prévoyait la faculté pour les parties de le dénoncer moyennant l'observation d'un préavis de six mois.

M. [Q] a pris sa retraite le 31 décembre 1997.

La société SDECC a conclu des contrats de distribution exclusive avec la société Technoterm sur le marché algérien et la société Société d'Equipement Thermique (ci-après la société SET) sur le marché tunisien. Le contrat de distribution exclusive avec la société SET, dirigée par M. [L] [T], a été conclu le 11 mars 1993.

Le 28 avril 2008, la société SDECC a porté plainte auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris pour faux, usage de faux, abus de biens sociaux et abus de pouvoir à l'encontre de son président directeur général, M. [Y], et de certains directeurs, dont M. [C] [N], responsable de la direction export.

Une information judiciaire a été ouverte.

M. [N] a été licencié pour faute grave le 28 octobre 2011

Le 21 décembre 2011, la société SDECC a déposé une nouvelle plainte, complétée le 6 février 2012, à l'encontre de M. [Q] et de M. [N] pour escroquerie aggravée, faux et usage de faux et complicité.

Le 31 janvier 2012, le commissaire aux comptes de la société SDECC a signalé au procureur de la République de Paris que M. [N] avait omis de signaler à la direction du groupe l'existence de commissions sur des ventes versées à deux agents commerciaux, Mme [Q] et Mme [Q] [Z] épouse [T], alors que les distributeurs algériens et tunisiens percevaient aussi des commissions sur les mêmes ventes.

Par requête du 2 février 2012, la société SDECC a sollicité du président du tribunal de grande instance de Paris la désignation d'un huissier de justice aux fins de constat.

Par ordonnance rendue en date du 3 février 2012, le président du tribunal de grande instance de Paris a :

- désigné Me [M], huissier de justice à Paris, avec mission de :

' se rendre au domicile des époux [Q] aux fins de constat,

' accèder aux postes informatiques des époux [Q], en se faisant le cas échéant assister par un homme de l'art et de prendre copie de tous fichiers relatifs à la société SDECC et/ou le groupe Saunier Duval, ses distributeurs algérien et tunisien, la société Technnoterm et la société SET, la facturation de commissions à la société SDECC et/ou le paiement desdites commissions,

' dresser inventaire et prendre copie de tout document relatif à la société SDECC et/ou le groupe Saunier Duval, ses distributeurs algérien et tunisien, la facturation de commissions à la société SDECC et/ou le paiement desdites commissions,

' constater la présence de tout tampon, cachet et ou papier en-tête de la société SDECC et/ou d'une société du groupe Saunier-Duval.

C'est dans ces conditions qu'un procès-verbal de constat a été dressé le 10 février 2012 par Me [M].

Par ordonnance du 28 juin 2012, le président du tribunal de grande instance de Paris a rejeté la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête présentée par M. et Mme [Q].

C'est dans ce contexte que la société SDECC a, par exploits du 27 juillet 2012, assigné M. et Mme [Q] devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de les voir condamner à lui rembourser une somme de 1.537.610 euros au titre de commissions indument perçues sur les années 1999 à 2011.

Par ordonnance du 10 février 2014, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande d'expertise présentée par la société SDECC aux fins de « vérifier qu'aucune manipulation n'a(vait) été effectuée sur l'ordinateur des époux [Q] pour changer artificiellement les dates d'enregistrement des fichiers correspondant aux documents annexés à l'attestation de leur informaticien ».

Par jugement du 29 mars 2016, le tribunal de grande instance de Paris a :

- déclaré recevable l'action de la société SDECC,

- débouté la société SDECC de l'ensemble de ses demandes,

- débouté M. et Mme [Q] de leur demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société SDECC aux dépens, avec droit au recouvrement direct au profit de Maître Jean Catoni, en application de l'article 699 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

La société SDECC a interjeté appel de cette décision le 25 avril 2016.

Par ordonnance du 12 mai 2017, le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris a notamment:

- déclaré prescrits les faits de faux et usage commis jusqu'au 5 avril 2009 concernant les factures Technoterm et les factures [Z],

- dit n'y avoir lieu à suivre contre M. [N] du chef de recel d'abus de confiance relatif aux fonds perçus en vertu des factures de Mme [Z],

- renvoyé M. et Mme [Q] devant le tribunal correctionnel du chef de complicité d'abus de confiance entre 2001 et 2011 s'agissant des factures émises au nom de Mme [Z] et de faux et usage du 5 avril 2009 à décembre 2011 s'agissant des factures Technoterm et des factures [Z].

Par jugement du 9 novembre 2018, le tribunal correctionnel de Paris a notamment:

- constaté la prescription de l'action publique s'agissant des délits d'abus de confiance, complicité et recel de cette infraction commis au titre de la période allant de 2001 au 5 avril 2009 reprochés à M. [N], M. et Mme [Q] et M. et Mme [T] ;

-relaxé M. [N], M. et Mme [Q] et M. et Mme [T] des délits d'abus de confiance, complicité et recel de cette infraction au titre de la période allant du 5 avril 2009 à 2011;

-relaxé M. et Mme [Q] des délits de faux en écriture privée et usage,

-reçu la constitution de partie civile de la société SDECC et débouté celle-ci de ses demandes.

***

Prétentions et moyens des parties :

Dans ses dernières conclusions du 4 octobre 2018, la société SDECC demande à la cour de :

Vu les articles 1108, 1109, 1116, 1154, 1235, 1304, 1376 et 2224 du code civil, les articles L.134-1 et L.134-16 et L.225-56 du code de commerce, l'article 202 du code de procédure civile et l'article 1 de l'ordonnance n°45-2592 du 2 novembre 1945,

- dire recevable et bien fondé son appel interjeté à l'encontre du jugement du tribunal de grande instance de Paris du 29 mars 2016,

- réformer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 29 mars 2016 en ce qu'il a jugé mal fondées ses demandes,

Statuant à nouveau,

- dire et juger qu'elle n'a pas valablement consenti à la tacite reconduction annuelle du contrat d'agent commercial avec les époux [Q] à partir de 1999, du fait des dissimulations opérées par M. [N],

- dire et juger que les contrats d'agent commercial issus des tacites reconductions annuelles intervenues successivement à partir de 1999, sont nuls,

- dire et juger que Mme [Q] n'a pas exécuté de mandat d'agent commercial auprès des distributeurs avec lesquels elle négociait et concluait directement la vente de ses produits,

Dire et juger que la somme totale de 1.537.610 euros versée par la société SDECC aux époux [Q] entre 1999 et 2011 a été payée sans dette,

- condamner in solidum M. et Mme [Q] à lui restituer la somme de 1.537.610 euros qui leur a été indument payée, avec intérêt légal à compter de chaque versement et capitalisation des intérêts,

- rejeter toutes demandes de M. et Mme [Q],

- condamner in solidum M. et Mme [Q] à payer à la société SDECC une somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum M. et Mme [Q] aux entiers frais et dépens, dont distraction au profit de Me Francine Havet, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Pour s'opposer à la fin de non-recevoir tirée de la prescription qui lui est opposée, la société SDECC fait valoir qu'elle n'a pas eu connaissance des faits dénoncés avant le 21 septembre 2011, date du dernier échange de courriels entre M. [N] et son supérieur hiérarchique, M. [L], et que le délai de prescription a commencé à courir à cette date.

Sur le fond, la société SDECC affirme tout d'abord que le contrat d'agent commercial initialement signé en 1993 avec M. et Mme [Q] n'a pas été valablement reconduit. Elle prétend à cet effet que M. [N] a dissimulé cette reconduction à sa hiérarchie après le départ à la retraite de M. [Q] de sorte que le contrat de 1993 n'a pu être dénoncé. Elle soutient ainsi que son consentement à la reconduction tacite du contrat de 1993 a été vicié par les manoeuvres dolosives de M. [N]. Elle ajoute que M. et Mme [Q] ont été complices de M. [N] et qu'ils ne peuvent donc se soustraire à leur obligation de restitution. Elle affirme que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 mars 2015, qui est opposable à M. et Mme [Q], a reconnu de manière définitive les agissements fautifs de M. [N] consistant en la dissimulation du contrat d'agent commercial des époux [Q].

Par ailleurs, elle soutient que Mme [Q] ne peut revendiquer avoir exercé un mandat d'agent commercial entre 1999 et 2011. Elle affirme ainsi que Mme [Q] n'a pas accompli d'actes de représentation pour son compte auprès de clients en Algérie ou en Tunisie. Elle expose en effet que ses clients étaient exclusivement les deux distributeurs Technoterm et SET et que le cumul, pour un même territoire, entre un contrat de distribution exclusive et un contrat d'agence commerciale exclusif est inutile. Elle prétend à cet égard qu'en présence d'un distributeur exclusif, aucune vente ne peut être réalisée directement à des clients implantés sur le territoire concédé à ce distributeur. Elle ajoute que les négociations concernant les ventes avec les distributeurs algérien et tunisien étaient effectuées par elle-même par l'intermédiaire de Mme [I] [E], assistante de M. [N]. En outre, elle affirme que M. et Mme [Q] ont davantage agi dans l'intérêt des distributeurs que dans celui de leur pseudo mandant, ce qui est contraire aux règles régissant les agents commerciaux qui sont tenus d'une obligation de loyauté à l'égard de leur mandant. Elle reproche ainsi à M. [Q] de s'être immiscé dans les relations qu'elle entretenait avec son distributeur tunisien dans l'intérêt de ce dernier. Elle fait encore grief aux époux [Q] d'avoir rédigé des fausses factures de commissions au profit de l'épouse de M. [T], dirigeant du distributeur tunisien, dont M. [N] a approuvé le paiement, et de s'être ainsi rendus coupables d'abus de confiance à son détriment. Elle dénonce encore le fait que les époux [Q] lui auraient caché une communauté d'intérêts avec les époux [T] à qui une partie des commissions perçues étaient rétrocédées en vertu d'une prétendue sous-traitance du mandat d'agent commercial et pour le compte desquels ils établissaient des fausses factures pour les besoins d'une fraude douanière.

Elle dément toute activité réelle de Mme [Q] au titre du contrat d'agence commerciale. Elle observe que les comptes-rendus d'activité produits par les intimés ne contiennent que des informations générales et répétitives sur le marché tunisien et quasiment aucune information sur le marché algérien. Elle ajoute qu'il n'y est fait mention d'aucune activité de négociation.

Elle fait encore valoir que Mme [Q] n'a pu légalement représenter la société SDECC auprès de sa clientèle tunisienne puisqu'elle ne justifiait pas d'une autorisation administrative lui permettant d'exercer l'activité d'agent commercial sur le territoire de la Tunisie.

Au surplus, elle considère que certaines des pièces adverses doivent être écartées des débats notamment les comptes rendus d'activité que les époux [Q] prétendent lui avoir adressés ainsi qu'une lettre simple prétendument relative à la dénonciation par Mme [Q] du contrat d'agent commercial. Elle observe à cet égard que le procès-verbal de constat du 10 février 2012 fait foi jusqu'à preuve contraire. Or les documents litigieux n'ont pas été trouvés au cours de la mesure d'instruction diligentée sur requête et sont donc susceptibles d'avoir été établis postérieurement par les époux [Q] pour les besoins de la procédure. Elle ajoute que les déplacements de Mme [Q] en Tunisie peuvent avoir eu des fins personnelles et n'étaient donc pas nécessairement liés à l'exécution du mandat allégué. Quant à la lettre de cessation des fonctions de Mme [Q], elle relève qu'elle n'a été accompagnée d'aucune revendication d'indemnité en application des dispositions de l'article L. 134-13 du code de commerce.

Pour s'opposer à la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive des époux [Q], elle conteste avoir formulé les mêmes demandes devant les juridictions civiles et pénales, la demande portée dans cette instance étant relative à la répétition des commissions indument payées aux époux [Q] et les demandes formulées dans le cadre de sa constitution de partie civile portant sur les doubles-facturations de frais de service après-vente et de commissions de Mme [Z].

Dans leurs dernières conclusions du 9 janvier 2019, M. et Mme [Q] demandent à la cour de :

Vu le contrat d'agent commercial entre la société S.D.E.C.C. et M. et Mme [Q] en date du 1er janvier 1993;

Vu l'article L.110-4 du code de commerce;

Vu l'article L.134-6 du code de commerce ;

Vu l'article 1351 du code civil (ancienne version);

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 29 mars 2016, sauf en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription qu'ils avaient soulevée et les a déboutés de leur demande reconventionnelle à l'encontre de la société S.D.E.C.C.;

Et statuant à nouveau,

- déclarer prescrites l'action en nullité pour dol et l'action en répétition de l'indu à leur encontre,

- condamner la société S.D.E.C.C. au paiement d'une somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour le caractère abusif de son action à leur encontre,

En tout état de cause,

- dire non fondé l'appel de la société S.D.E.C.C.,

En conséquence

- débouter la société S.D.E.C.C. de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société S.D.E.C.C. au paiement d'une somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société S.D.E.C.C. aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Gael Grignon Dumoulin, avocat au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

M. et Mme [Q] invoquent tout d'abord la prescription de l'action formée à leur encontre. Ils font valoir que la société SDECC disposait, à partir de 2001, date de la reprise de la société SDECC par le groupe Vaillant, de tous les éléments matériels pour constater l'existence des relations commerciales nouées avec eux de sorte que sa demande se fondant sur la répétition de l'indu se trouve prescrite. Ils exposent que les commissions versées tant à Mme [Q] qu'à Mme [Z] figuraient dans la comptabilité de la société SDECC et étaient déclarées à l'administration fiscale dans le cadre de déclarations DAS 2. Ils prétendent qu'il appartenait à la société SDECC de mettre en place un contrôle de gestion comptable et budgétaire adéquat pour détecter les anomalies et que le commissaire aux comptes de la société devait vérifier la sincérité et la fidélité des comptes et dénoncer les faits délictueux constatés lors de l'accomplissement de sa mission. Ils ajoutent qu'aucun élément de dissimulation ne peut leur être reproché ni même à M. [N]. Dans ces conditions, ils estiment qu'aucune action en répétition de l'indu pour des commissions payées antérieurement à 2003 n'est recevable. Ils considèrent par ailleurs que le dol invoqué datant 31 décembre 1997, date du départ à la retraite de M. [Q], l'action en nullité est aussi prescrite.

Sur le fond et la complicité de dol qui leur est reprochée, ils soutiennent qu'aucune manoeuvre frauduleuse n'a été établie à l'encontre de M. [N] et que son licenciement pour faute grave, confirmé par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 mars 2015, a été motivé exclusivement par une absence de réponse de celui-ci à son supérieur hiérarchique quant aux commissions versées à Mme [Q]. Ils ajoutent que les décisions rendues en matière prudhommale ne caractérisent aucun dol ni ne permettent de démontrer une quelconque complicité de leur part. En outre, ils soutiennent que les agissements reprochés à M. [N] datent de septembre 2011, à une époque où Mme [Q] avait pris sa retraite de sorte qu'à supposer qu'un dol soit établi, il n'aurait pu vicier le consentement à un contrat qui avait pris fin.

Sur la réalité des prestations d'agents commerciaux, M. et Mme [Q] expliquent que c'est grâce aux nombreux contrats d'agent commercial dont ils disposaient en Tunisie pour d'autres sociétés que la société SDECC leur a confié ce territoire. Ils ajoutent que ce sont eux qui ont mis en relation la société SDECC avec les distributeurs Technoterm et SET, chargés de grouper toutes les commandes sur les territoires tunisien et algérien. Ils expliquent que la poursuite du mandat d'agence commerciale n'était nullement inutile en présence de distributeurs exclusifs dès lors que le distributeur n'est pas chargé de représenter le fournisseur auprès de sa clientèle. Or par le contrat d'agence commercial du 1er janvier 1993, la société SDECC leur avait justement confié une mission de représentation auprès de la clientèle du secteur de la Tunisie et de l'Algérie. Ils ajoutent qu'ils étaient ainsi chargés de suivre la bonne exécution des commandes ainsi que le service après-vente, d'informer leur mandant sur l'état du marché et d'entretenir de bonnes relations avec les distributeurs. Ils précisent que le rôle du distributeur est différent de celui de l'agent commercial puisqu'il se charge de centraliser toutes les commandes des clients et de passer une commande globale au fournisseur.

Ils précisent qu'aucune disposition du contrat ne prévoyait l'établissement de rapports écrits. Ils expliquent que l'absence de demande de précision sur l'exécution du mandat démontre que la société SDECC était parfaitement informée. En outre, ils font valoir que l'augmentation du chiffre d'affaires réalisé en Tunisie et Algérie démontre l'efficacité de leur action. Ils indiquent que la baisse de chiffre d'affaires sur le marché tunisien les dernières années du mandat d'agence commerciale était liée à une hausse du prix de 40% des chauffe-eau/chauffe-bain et que la baisse du chiffre d'affaires enregistrée temporairement sur le marché algérien était liée à la situation de guerre civile de ce pays. Ils précisent verser aux débats les justificatifs de leurs déplacements en Tunisie et en Algérie et les compte-rendus de visite établis.

Ils affirment qu'il ne peut être reproché à Mme [Q] d'avoir été assistée de son époux jusqu'à son départ à la retraite le 31 décembre 2010 alors que le statut d'agent commercial lui permettait d'organiser son activité comme elle le souhaitait.

Ils affirment dans ces conditions qu'aucun paiement indu n'est établi. Ils ajoutent que leur rémunération trouve une contrepartie dans l'essor du chiffre d'affaires et l'apport de clientèle au profit de la société SDECC qu'ils ont permis de réaliser. Ils précisent que la qualification du contrat est indifférente par rapport à la demande en restitution de l'indu qui est formée à leur encontre.

Sur les fautes reprochées, ils précisent que l'établissement de factures pro-forma à la demande de Mme [I] [E] ne peut leur être reproché alors qu'ils ont agi sur les instructions d'une salariée de la société SDECC et que la société SDECC a profité de cette fraude. En outre, ils prétendent qu'il ne saurait leur être reproché les faits imputables à Mme [Z]

Sur la demande de rejet de pièces, ils affirment que la société SDECC ne démontre nullement l'absence d'authenticité des pièces qu'elle critique.

A l'appui de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts, ils soutiennent que l'action diligentée à leur encontre est abusive puisqu'elle a été intentée plus de dix après l'acquisition de la société SDECC par le groupe Vaillant, concerne un contrat qui a été exécuté pendant 17 ans sans le moindre reproche, porte sur des montants extravagants, fait partie de multiples actions en justice tant au pénal qu'au civil diligentées par la société SDECC et comporte des propos attentatoires à leur honneur et à leur considération. Ils prétendent que cet abus de procédure leur cause un préjudice moral important compte tenu de leur âge et de leur état de santé, du stress et des tracas engendrés ainsi que de la remise en cause de leur investissement professionnel.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures susvisées pour l'exposé complet des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 janvier 2019.

***

MOTIFS

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

Sur la prescription de l'action en nullité pour dol

Considérant que selon l'article 1304 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans ; que ce temps ne court dans le cas d'erreur ou de dol que du jour où ils ont été découverts ;

Considérant en outre que le dol suppose des man'uvres dolosives ou tout au moins une réticence dolosive ;

Considérant qu'en l'espèce, la société SDECC prétend avoir été placée dans l'impossibilité de résilier le contrat conclu avec M. et Mme [Q] en raison des agissements dolosifs de M. [N] depuis 1999; qu'à cet égard, elle reproche à M. [N] d'avoir dissimulé à son supérieur hiérarchique l'existence du contrat conclu avec les époux [Q] ;

Considérant qu'il ressort d'un échange de courriels entre M.M. [L] et [N] les 12, 14 et 21 septembre 2011 que M. [N], interrogé sur les paiements éventuels effectués par l'entreprise à des agents, a tu l'existence d'un « contrat d'agent commercial » avec Mme [Q]; que c'est à partir des réponses de M. [N] jugées peu satisfaisantes par son supérieur hiérarchique que des investigations internes ont eu lieu; que l'action en nullité ayant été introduite par assignation du 27 juillet 2012, soit dans les cinq ans de la découverte des agissements dolosifs allégués, il convient de la déclarer recevable; que le jugement entrepris sera confirmé sur ce point ;

Sur la prescription de l'action en répétition de l'indu

Considérant qu'en vertu de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ;

Considérant qu'en l'espèce, la société SDECC soutient avoir indument réglé à Mme [Q] des commissions entre 1999 et 2011; qu'elle explique que le caractère indu des paiements résulte de l'absence de prestations effectives de Mme [Q]; qu'elle affirme encore qu'elle n'a pu agir en répétition de l'indu au titre desdites commissions qu'à compter du 21 septembre 2011, date à laquelle les dissimulations reprochées à M. [N] ont pu être découvertes ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été relevé précédemment M. [N] est resté taisant quant à l'existence d'un « contrat d'agent commercial » avec Mme [Q] lorsqu'il a été interrogé sur ce point par son supérieur hiérarchique au mois de septembre 2011; qu'il a ainsi placé son employeur dans l'impossibilité de contrôler l'effectivité des missions exercées par cette dernière jusqu'à cette date; que dès lors, l'action en répétition de l'indu sera déclarée recevable et le jugement entrepris confirmé de ce chef ;

Sur le rejet des débats de la lettre de démission et des compte rendus d'activité

Considérant qu'en vertu de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ;

Considérant que la preuve des faits juridiques est libre et qu'il appartient au juge d'apprécier la valeur probante des pièces qui lui sont soumises ;

Considérant qu'en l'espèce, à défaut pour la société SDECC de soutenir que les pièces dont elle demande le rejet des débats ne lui auraient pas été soumises en temps utile ou auraient été obtenues par fraude, il n'y a pas lieu de les écarter des débats; qu'il sera à cet égard relevé que contrairement à ce que soutient la société SDECC, il ne peut être déduit du seul fait que les documents litigieux n'aient pas été retrouvés le 10 février 2012 par l'huissier commis sur décision de justice au domicile de M. et Mme [Q] ou sur leurs postes informatiques que ces documents seraient des faux; qu'en effet, en vertu de l'article 1er de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, seules les constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter, font foi jusqu'à preuve contraire ;

Sur la nullité des renouvellements du « contrat d'agent commercial » à compter de 1999

Considérant que l'article 1116 du code civil dans sa rédaction applicable au litige dispose que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté; qu'il ne se présume pas et doit être prouvé ;

Considérant qu'en l'espèce, le dol invoqué par la société SDECC est imputable à M. [N] qui n'est pas partie au contrat; qu'il ne peut donc servir de fondement à une action en nullité dudit contrat; que la complicité alléguée des époux [Q] à ces manoeuvres dolosives n'est aucunement établie; qu'en effet, le contrat litigieux s'est renouvelé par tacite reconduction conformément aux stipulations contractuelles sans que les époux [Q] n'aient eu à intervenir pour son renouvellement; qu'à aucun moment, il n'est démontré ni même prétendu que les époux [Q] auraient dissimulé ledit contrat à la société SDECC afin d'en permettre le renouvellement tacite ;

Considérant qu'en conséquence, l'action en nullité des renouvellements, à compter de 1999, du « contrat d'agent commercial » conclu avec M. et Mme [Q] intentée par la société SDECC sera rejetée et le jugement entrepris sera confirmé sur ce point ;

Sur l'action en répétition de l'indu

Considérant qu'en vertu de l'article 1235 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition; que la répétition n'est pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées ;

Considérant qu'en vertu de l'article 1376 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indument reçu ;

Considérant qu'en l'espèce, l'existence d'un contrat à effet au 1er janvier 1993 entre la société SDECC et M. et Mme [Q] n'est pas discutée; qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, ce contrat s'est renouvelé tacitement sans qu'une quelconque nullité des renouvellements ne puisse être invoquée; qu'en présence d'un contrat dont la validité ne peut être discutée, il ne peut y avoir de paiement indu ;

Considérant qu'en conséquence, la demande de répétition de l'indu de la société SDECC sera rejetée ;

Considérant que la demande en paiement de la société SDECC est exclusivement fondée sur une prétendue nullité du contrat à effet au 1er janvier 1993 entre la société SDECC et M. et Mme [Q] et sur un prétendu indu; que dès lors, en l'absence de demande de dommages et intérêts, il n'y a pas lieu d'examiner les moyens tendant à démontrer l'absence de toute prestation effective de Mme [Q] ou encore la mauvaise exécution de ses obligations ;

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Considérant que l'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus que dans les cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur équipollente au dol ;

Considérant qu'en l'espèce, les époux [Q] ne démontrent pas l'existence d'un tel abus de la part de la société SDECC; que la demande de dommages et intérêts de ce chef sera rejetée et le jugement entrepris confirmé sur ce point ;

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Considérant que la société SDECC succombe à l'instance; qu'elle supportera en conséquence les dépens de l'instance d'appel qui pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile; que la société SDECC sera également condamnée à régler à M. et Mme [Q] une somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; que la demande qu'elle a formée sur ce fondement sera rejetée ;

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 29 mars 2016 en ce qu'il a rejeté les fins de non-recevoir soulevées par M. et Mme [Q] tirées de la prescription de l'action en nullité pour dol et de l'action en nullité de l'action en répétition de l'indu, en ce qu'il a rejeté la demande de la société SDECC tendant à voir écarter des pièces des débats, en ce qu'il a rejeté l'action en nullité des renouvellements, à compter de 1999, du « contrat d'agent commercial » conclu avec M. et Mme [Q] intentée par la société SDECC ainsi que son action en répétition de l'indu, en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de M. et Mme [Q] pour procédure abusive et sur les dépens de première instance ;

CONDAMNE la société SDECC à régler à M. et Mme [Q] une somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société SDECC aux dépens de l'instance d'appel qui pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile ;

REJETTE les autres demandes des parties ;

La Greffière Le Président

Hortense VITELA Patrick BIROLLEAU


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 16/09593
Date de la décision : 06/06/2019

Références :

Cour d'appel de Paris I5, arrêt n°16/09593 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-06-06;16.09593 ?
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