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06/06/2019 | FRANCE | N°14/08040

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 06 juin 2019, 14/08040


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRÊT DU 06 Juin 2019

(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 14/08040 - N° Portalis 35L7-V-B66-BUJSY



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Juin 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CRETEIL RG n° 11/01806





APPELANTE



Madame [T] [Z]

née le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 1]

Demeura

nt [Adresse 1]

[Localité 2]



comparante en personne, assistée de Me Eric GOURDIN SERVENIERE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1850

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Total...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRÊT DU 06 Juin 2019

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 14/08040 - N° Portalis 35L7-V-B66-BUJSY

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Juin 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CRETEIL RG n° 11/01806

APPELANTE

Madame [T] [Z]

née le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 1]

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 2]

comparante en personne, assistée de Me Eric GOURDIN SERVENIERE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1850

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2018/011021 du 28/05/2018 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

INTIMEE

La société [Établissement 1] venant aux droits de la société EVEIL ET SENS

RCS [Établissement 1]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Sandrine GERAUD-LINFORT, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Mars 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Isabelle MONTAGNE, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Catherine BRUNET, Présidente de chambre

M. Stéphane MEYER, conseiller

Mme Isabelle MONTAGNE, conseillère

Greffier : Mme Marine BRUNIE, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Catherine BRUNET, Présidente de chambre et par Mme Marine BRUNIE, Greffier présent lors de la mise à disposition.

EXPOSE DU LITIGE

[T] [Z] a été embauchée par la société Eveil et Sens suivant contrat de travail à durée indéterminée du 4 février 2008 en qualité d'agent polyvalent ; elle exerçait ses fonctions au sein de la crèche de [Localité 4].

Sa rémunération mensuelle brute s'élevait à 1.343,80 euros.

[T] [Z] a été arrêtée pour maladie à compter du 22 mars 2010 et n'a plus repris son poste de travail.

Le 31 mars 2011, [T] [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil de demandes en paiement.

Le 26 février 2013, dans le cadre de la visite de reprise, le médecin du travail a rendu l'avis suivant : 'Inapte définitivement à la reprise de son poste d'agent de service et à tout poste de travail existant dans l'entreprise. Inaptitude constatée en une seule visite médicale, conformément à l'article R.4624-31 du code du travail, à cause d'un danger immédiat pour sa santé et sa sécurité. Etude du poste de travail et des conditions de travail dans l'entreprise à faire par le médecin du travail conformément à l'article R.4624-31 du code du travail, en vue de la recherche d'un reclassement de madame [Z]. A revoir après cette étude de poste'.

Le 27 février 2013, le médecin du travail a rendu l'avis suivant : 'Inaptitude définitive à son poste d'agent de service et à tout poste de travail existant dans l'entreprise faite le 26 février 2013, en une seule visite médicale pour cause de danger immédiat pour sa santé et sa sécurité conformément à l'article R.4624-31 du code du travail. Etude du poste de travail et des conditions de travail dans l'entreprise faite le 27 février 2013 en vue de la recherche de reclassement dans l'entreprise et dans le groupe auquel appartient l'entreprise : madame [Z] est apte à exercer un travail administratif, à domicile en télétravail (répondre au téléphone, traiter et classer des documents, travailler sur écran d'ordinateur), au besoin par la mise en place d'une formation adaptée'.

La société Eveil et Sens a, par lettre datée du 22 juillet 2013, convoqué [T] [Z] à un entretien préalable à un licenciement fixé au 2 août 2013 puis par lettre du 9 août 2013, lui a notifié son licenciement pour inaptitude.

En dernier lieu, [T] [Z] a demandé au conseil de prud'hommes de déclarer son licenciement pour inaptitude nul en raison du harcèlement moral dont elle a été victime, subsidiairement déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamner la société Eveil et Sens à lui payer les sommes de 2.860,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 286,50 euros au titre des congés payés y afférents, 85.600,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou, subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 20.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement injurieux et vexatoire en application de l'article 1147 du code civil, 5.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ordonner la remise des documents sociaux sous astreinte et ordonner l'exécution provisoire.

Par jugement de départage prononcé le 5 juin 2014, auquel la cour renvoie pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, le conseil de prud'hommes a débouté [T] [Z] de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Eveil et Sens la somme de 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens qui devront être recouvrés conformément aux dispositions relatives à l'aide juridictionnelle.

Le 16 juillet 2014, [T] [Z] a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Suivant conclusions visées par le greffier soutenues à l'audience du 26 mars 2019 sans ajout ni retrait, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement, juger que la société intimée s'est rendue coupable d'agissements constitutifs de harcèlement moral, subsidiairement qu'elle a manqué à son obligation de recherche de reclassement, la condamner à lui payer les sommes suivantes :

* 2.860,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 286,50 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents au préavis,

* 40.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 10.000,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,

* 3.000,00 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, et aux dépens.

Suivant conclusions visées par le greffier soutenues à l'audience du 26 mars 2019 sans ajout ni retrait, la société [Établissement 1] venant aux droits de la société Eveil et Sens demande à la cour de confirmer le jugement, juger que [T] [Z] est irrecevable et mal fondée en ses demandes, l'en débouter et la condamner à lui payer la somme de 2.000,00 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1152-4 du code du travail dispose que l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Conformément aux dispositions de l'article L.1154-1 du même code dans sa rédaction applicable au litige, il appartient au salarié d'établir des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il juge utiles.

[T] [Z] fait valoir qu'elle a été l'objet d'un harcèlement moral de la part de la directrice de la crèche, [Z] [I], et de la co-gérante de la société, [Y] [S], se manifestant par le fait de devoir accomplir des tâches non prévues dans son contrat de travail, des reproches injustifiés sur le sérieux de son travail, deux avertissements injustifiés, une défiance quant à sa loyauté, une surveillance outrancière, des humiliations, une mise à l'écart, une interdiction de rentrer en contact avec les enfants ; que ces faits l'ont conduite à présenter sa démission le 10 mars 2010 avant qu'elle ne se rétracte et ne soit placée en arrêt de travail pour dépression à compter du 23 mars 2010 ; que l'employeur n'a pris aucune disposition pour prévenir ou faire cesser ces agissements de harcèlement moral qui ont conduit à un état d'angoisse et de dépression résultant de la dégradation de ses conditions de travail.

Au soutien de ses allégations de harcèlement moral, [T] [Z] produit :

- une lettre de l'employeur du 15 mai 2008 la rappelant à ses obligations à la suite d'une entrevue sollicitée par la salariée le 20 mars 2008 avec sa direction pour faire le point sur son travail au cours de laquelle elle s'est emportée puis a présenté ses excuses le lendemain ;

- un compte-rendu d'entretien d'état des lieux de ses fonctions, tenu le 10 juin 2008, établi par la direction, signé par la salariée, aux termes duquel il est noté que : '(...) [T] [Z] indique que la directrice lui a reproché de prendre trop d'initiatives au moment où elle avait décidé de commencer à détacher le linge sali par de la suie lors d'actes de vandalisme des mois de novembre 2007 et janvier 2008", '[T] [Z] explique qu'elle n'est pas intégrée à l'équipe, qu'elle ne participe pas aux réunions de travail. Elle ajoute qu'elle a des difficultés pour lire et écrire et que ces difficultés ne lui permettent pas de participer aux réunions. [T] [Z] explique qu'elle a été humiliée à plusieurs reprises au sujet de ses difficultés, notamment lorsque la direction a réalisé un rapport à son encontre qu'elle a dû signer sans qu'il lui soit lu à haute voix', 'elle espère être réellement intégrée à l'équipe et qu'on ne lui interdise plus de venir en aide à ses collègues. Elle indique avoir été très blessée lorsque madame [S] lui a interdit d'approcher les enfants devant ses autres collègues. Elle souhaite qu'un climat de confiance soit instauré entre l'équipe et la direction (...)' ;

- un avertissement notifié le 24 juin 2009 pour le 20 juin 2009, s'être servie des 'packs de lait' pour les enfants comme 'cale porte' pour l'office, toujours disposés ainsi après son départ à 17 heures et pour avoir emballé du pain dans du papier d'aluminium, stocké dans la machine à pain ;

- une lettre datée du 15 juillet 2009 aux termes de laquelle elle conteste l'avertissement notifié le 24 juin 2009 en faisant valoir qu'à son arrivée le 4 février 2008 en tant qu'employée polyvalente cuisinière-lingère, il était déjà d'usage d'utiliser des 'objets lourds' (pack de lait, petits pots de légumes...) comme 'cale-porte' pour pallier à une insuffisance du local qui contient deux réfrigérateurs et ne dispose pas de système d'aération, ni de fenêtre, et qu'il lui a été donné pour consigne par madame [S] et madame [H], de préparer le pain avec la machine à pain la veille pour le lendemain ; aux termes de cette lettre, la salariée fait part de son inquiétude concernant ses conditions de travail 'usantes' et quant au management de la crèche avec un 'turnover pour le moins étonnant', ayant déjà connu trois directrice en 16 mois d'activité, se pliant aux nouvelles exigences des différentes directions avec des consignes différentes, indiquant avoir subi un harcèlement moral de la part de [Z] [I] qui a été licenciée pour faute grave et indiquant qu'elle ne souhaite pas démissionner et que 'la pression est telle que je suis en arrêt de travail depuis le 10 juillet 2009 et sous traitement' ;

- un compte rendu d'entretien de recadrage du 27 juillet 2009 avec [B] [A], directrice, à la suite de deux retards les 6 juillet 2009 (8 heures 55 au lieu de 8 heures 30) et 27 juillet 2009 (8 heures 50 au lieu de 8 heures 30) ;

- un avertissement notifié le 23 octobre 2009 pour non respect des horaires d'arrivée et prise de temps de pause en dehors de la pause déjeuner, les 16 et 19 octobre 2009 ;

- une lettre de la société Eveil et Sens datée du 21 décembre 2009 en réponse à sa lettre du 15 juillet 2009 lui rappelant qu'il lui appartient de respecter ses obligations contractuelles et non de 'juger de manière arbitraire les aménagements de l'établissement' ;

- une lettre de démission datée du 10 mars 2010 signée par la salariée, une autre de la salariée reçue par la société le 26 mars 2010 ainsi rédigée : 'je vous adresse cette lettre pour dénoncer la démission que vous m'avez forcé à signer et rédiger. L'exemplaire sortait de votre ordinateur. La pression était telle que je n'ai pas pu faire autrement. Cette lettre est rédigée sous la dictée car j'ai du mal à écrire (l'auteur est ma soeur)', une lettre de la société datée du 26 mars 2010 réfutant les allégations de la salariée et, interprétant son courrier comme une rétractation de démission, l'invitant à confirmer cette rétractation et qu'elle est disposée à reprendre son poste ;

- un procès-verbal établi par les services de police en date du 24 juin 2010 aux termes duquel [T] [Z] dépose une plainte à l'encontre de [Y] [S] pour harcèlement moral après avoir décrit de manière précise la dégradation de ses conditions de travail depuis son embauche le 4 février 2008 en raison du comportement de celle-ci, soit le fait de devoir accomplir des tâches de plus en plus importantes et pénibles (laver le linge à la main, enlever toutes les traces de fumée, de suie, dans la cuisine et sur les ustensiles), d'avoir été l'objet de scènes humiliantes de sa part, notamment en lui demandant d'écrire ses tâches prévues au contrat alors qu'elle savait qu'elle ne savait pas s'exprimer à l'écrit et avait des difficultés dans la lecture et l'écriture, d'avoir été l'objet de surveillances scrupuleuses de ses faits et gestes de la part des employées sur ordres donnés par [Y] [S], de reproches infondés de vol de confiture, de miel ou d'articles en cuisine, d'avoir été interdite de se trouver avec les enfants et devant rester toute la journée en cuisine et lingerie, de s'être vue infliger des avertissements injustifiés, de s'être vue retirer le poste radio avec lequel elle travaillait dans le local alors qu'elle avait reçu l'autorisation de travailler avec ce poste de radio, et d'avoir été l'objet d'une pression exercée par [Y] [S] pour obtenir sa démission ;

- des avis d'arrêts de travail à compter du 22 mars 2010 et de prolongations, dont notamment le premier destiné au service médical porte la mention 'angoisses suite à conflit professionnel' et celui du 31 mars 2010 destiné au service médical prolongeant l'arrêt initial avec la mention 'dépression'; un certificat médical établi le 22 mars 2010 par le docteur [C] [R] ainsi rédigé : '(...) [Z] [T] m'a consulté à plusieurs reprises depuis le 10/07/2009 pour angoisses et tendance dépressive avec insomnies et palpitations suite à un conflit avec sa responsable de crèche qui aurait un comportement dévalorisant, voire proche du harcèlement moral à son égard, d'après ses dires. J'ai dû lui prescrire des psychotropes à deux reprises (10/07/09 et mars 2010)' ; un certificat du même médecin daté du 31 mars 2010, des ordonnances prescrivant des traitements médicamenteux datées des 10 juillet 2009, 31 mars 2010, 19 mai 2010, 1er juin 2010, 20 septembre 2010, 22 novembre 2010, 20 janvier 2011, 30 juin 2011, un certificat établi le 2 juin 2010 par [U] [D], psychologue au centre médico-psychologique de [Localité 5], indiquant recevoir [T] [Z] 'dans le cadre d'un suivi psychothérapeutique pour syndrôme dépressif majoré par un contexte de harcèlement moral sur son lieu de travail'.

[T] [Z] produit encore six attestations établies par d'anciennes collègues de travail, à savoir [M] [Q] en date du 2 septembre 2010, [G] [C] en date du 19 mars 2010, [I] [F] en date du 10 mai 2010, [F] [V] en date du 28 mars 2010, [X] [B], par ailleurs déléguée du personnel, en date du 4 mai 2010 et [W] [W] en date du 20 avril 2010 et un écrit établi par [O] [U], auxiliaire de puériculture. Ces personnes relatent dans des termes qui leur sont propres et de manière circonstanciée les agissements de la part de la directrice et de la cogérante de la société décrits par [T] [Z] ; ainsi, [M] [Q] indique avoir constaté à plusieurs reprise que lorsque [T] [Z] sortait d'un entretien avec [Y] [S], 'elle avait le visage décomposé, les larmes aux yeux, anéantie' ; [K] [L], directrice adjointe de la crèche, rapporte que ses supérieures hiérarchiques, dont [Y] [S], lui avaient demandé d'exercer une surveillance quotidienne de [T] [Z] notamment sur ses horaires ; [F] [V] décrit l'atmosphère délétère qui régnait au sein de la crèche, avec beaucoup de conflits et des conditions de travail difficiles, et indique que [T] [Z] était 'harcelée et subissait de nombreux reproches' ; [X] [B], auxiliaire de puériculture, décrit sur sept pages manuscrites plusieurs incidents dont [T] [Z] a été l'objet de la part de sa hiérarchie, alors que celle-ci effectuait un travail 'impeccable' et qu'elle avait 'de très bons contacts avec les enfants' et ne refusait jamais les sollicitations de ses collègues, qui faisait l'objet de surveillances étroites de la part de la direction, et qu'elle a constaté le changement de comportement de la salariée, qui venait travailler avec un visage triste, ne mangeait plus et ne dialoguait plus avec ses collègues ; [W] [W], auxiliaire de puériculture relate de manière circonstanciée sur cinq pages la dégradation des conditions de travail de [T] [Z] du fait des agissements de la direction alors qu'elle a toujours bien fait son travail et était de bonne volonté.

Au regard des pièces sus-analysées, la matérialité des faits allégués par la salariée est établie et ces faits pris dans leur ensemble laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral dont [T] [Z] a été l'objet.

Il convient d'examiner les éléments fournis par la société pour prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société fait valoir que les allégations de la salariée ne sont pas précises et critique la teneur de attestations produites par la salariée ; toutefois, ces critiques ne s'appuient sur aucun élément objectif de nature à remettre en cause les faits rapportés par les anciennes collègues de la salariée, témoins directs des faits qu'elles décrivent.

La société fait valoir qu'il a été accordé une avance sur salaire à la salariée en février 2009, ce qui ne correspondrait pas au geste d'un employeur harceleur envers sa salariée ; toutefois, tout salarié a légalement le droit d'obtenir un acompte sur salaire de la part de son employeur.

La société fait ensuite valoir que l'assurance maladie n'a pas reconnu le caractère professionnel des problèmes de santé de la salariée ; toutefois, cette décision n'a pas de portée quant à l'existence d'un harcèlement moral dont la salariée demande la reconnaissance devant le juge du travail.

La société fait valoir que la salariée a menti dans sa lettre de rétractation pour essayer d'alimenter un dossier vide de preuve ; toutefois la société n'explique pas en quoi la salariée aurait menti.

La société fait enfin valoir que rien ne prouve que l'état dépressif de la salariée est directement lié aux faits qu'elle rapporte ; cependant, la qualification de harcèlement moral n'exige pas de démontrer que la dépression dont la salariée a été l'objet a été directement provoquée par les agissements dénoncés, la dégradation des conditions susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, caractérisant le harcèlement moral.

La société ne prouvant pas que les agissements répétés allégués par la salariée, étaient objectivement justifiés par des considérations étrangères à un harcèlement moral, la cour a la conviction que [T] [Z] a été l'objet d'un harcèlement moral.

Au regard des éléments produits aux débats, le préjudice moral subi par [T] [Z] du fait du harcèlement moral sera réparé par l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de 8.000,00 euros que la société intimée devra lui payer.

Sur le licenciement

L'article L.1152-3 du code du travail dispose que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions notamment de l'article L.1152-1 est nul.

En l'espèce, l'inaptitude ayant motivé le licenciement est la conséquence du harcèlement moral subi par [T] [Z] ; il s'ensuit, sans qu'il ne soit besoin d'examiner le bien-fondé du licenciement pour inaptitude de la salariée, que le licenciement est nul.

[T] [Z] ne demandant pas sa réintégration, celle-ci a droit à des dommages et intérêts en réparation de la nullité du licenciement.

Agée de 33 ans au moment du licenciement, [T] [Z] présentait une ancienneté de cinq ans environ et percevait une rémunération mensuelle moyenne de 1.343,80 euros selon les parties ; celle-ci a subi un préjudice causé par la nullité de la rupture qui sera réparé par l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de 15.000,00 euros que la société intimée sera condamnée à lui payer.

Lorsque le licenciement est nul, l'employeur qui a rompu un contrat de travail en violation d'un interdiction légale doit au salarié une indemnité compensatrice de préavis, même si celui-ci est dans l'impossibilité physique de l'exécuter.

Il sera fait droit à la demande de l'appelante au titre de l'indemnité compensatrice de préavis à hauteur de deux mois de salaire, soit 2.687,60 euros outre l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis de 268,76 euros.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1153 et 1153-1 du code civil, recodifiés sous les articles 1231-6 et 1231-7 du même code par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les créances salariales produisent des intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation, et les créances indemnitaires produisent des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société intimée qui succombe en ses prétentions sera condamnée aux dépens exposés en première instance et en cause d'appel.

Au regard de la solution du litige, il y a lieu d'infirmer la disposition du jugement condamnant [T] [Z] à payer à la société Eveil et Sens la somme de 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il convient de condamner la société intimée à payer à [T] [Z] la somme de 3.000,00 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition des parties au greffe,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement de départage prononcé par le conseil des prud'hommes de Créteil le 5 juin 2014,

Statuant à nouveau,

DECLARE le licenciement notifié à [T] [Z] nul en raison du harcèlement moral dont celle-ci a été l'objet,

CONDAMNE la société [Établissement 1] venant aux droits de la société Eveil et Sens à payer à [T] [Z] les sommes suivantes :

* 2.687,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 268,76 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Eveil et Sens aux droits de laquelle vient la société [Établissement 1] de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes de Paris,

* 15.000,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la nullité du licenciement,

* 8.000,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral,

avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

CONDAMNE la société [Établissement 1] venant aux droits de la société Eveil et Sens à payer à [T] [Z] la somme de 3.000,00 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,

DEBOUTE les parties du surplus des demandes,

CONDAMNE la société [Établissement 1] venant aux droits de la société Eveil et Sens aux entiers dépens.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 14/08040
Date de la décision : 06/06/2019

Références :

Cour d'appel de Paris K5, arrêt n°14/08040 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-06-06;14.08040 ?
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