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29/05/2019 | FRANCE | N°16/10354

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 29 mai 2019, 16/10354


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 29 Mai 2019

(n° , 2 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/10354 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZMZS



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 Juin 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 15/12408





APPELANTE



SAS SOCIETE UNIVERSAL MUSIC FRANCE

[Adresse 1]

représentée par Me Nicolas

BOESPFLUG, avocat au barreau de PARIS, toque : E0329





INTIMÉ



Monsieur [D] [S]

[Adresse 2]

né le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 1]

comparant en personne, assisté de Me...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 29 Mai 2019

(n° , 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/10354 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZMZS

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 Juin 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 15/12408

APPELANTE

SAS SOCIETE UNIVERSAL MUSIC FRANCE

[Adresse 1]

représentée par Me Nicolas BOESPFLUG, avocat au barreau de PARIS, toque : E0329

INTIMÉ

Monsieur [D] [S]

[Adresse 2]

né le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 1]

comparant en personne, assisté de Me Jean-marie GUILLOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : G0818

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Mars 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Hélène GUILLOU, Présidente de chambre, en son rapport et Madame Anne BERARD, Présidente de chambre.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Hélène GUILLOU, Présidente de chambre

Madame Anne BERARD, Présidente de chambre

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Martine JOANTAUZY, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Hélène GUILLOU, présidente de chambre et par Madame Pauline MAHEUX, greffière, présente lors de la mise à disposition.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE.

Le 19 septembre 2014 un contrat a été signé pour une durée minimale de 42 mois entre la société Universal music France et M. [D] [S], celui-ci concédant l'exclusivité de la fixation de ses interprétations, de la reproduction sur tous supports, par tout procédé de la communication au public de ses enregistrements audio et/ou audio visuels d'oeuvres musicales pour le monde entier' et ce en vue de la réalisation de 3 albums phonographiques, moyennant un salaire de 105 euros par enregistrement, de redevances assises sur le produit de la vente des enregistrements et d'avances sur les redevances à hauteur de 12 000 euros par album.

Après la réalisation du 1er album, la société Universal music France a mis fin au contrat de façon anticipée, par lettre du 25 septembre 2015.

Invoquant une rupture précipitée et déloyale, M. [D] [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris en paiement d'une indemnité de 239 640 euros au titre de la perte des salaires, des avances sur redevances et de la perte d'une chance de recevoir d'autres rémunérations.

Par jugement du 24 juin 2016, le conseil de prud'hommes a condamné la société Universal music France à payer à M. [D] [S] les sommes de:

- 121 500 euros au titre de pertes de chance de réaliser les albums LP2 et LP3,

- 2 100 euros au titre de l'avance sur redevances cachet,

- 24 000 euros au titre de l'avance sur les albums LP2 et LP3,

- 30 000 euros en réparation du préjudice professionnel, moral et d'image subi,

- 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

La société Universal music France a interjeté appel de cette décision le 19 juillet 2016.

L'affaire a été appelée à l'audience du 26 mars 2019 au cours de laquelle les parties ont développé leurs conclusions régulièrement visées par le greffier ce jour et auxquelles la cour se réfère expressément.

La société Universal music France demande à la cour de:

- infirmer le jugement sauf en ce qu'il a alloué à M. [D] [S] une indemnité de 2 100 euros au titre des salaires et une indemnité de 24 000 euros au titre des avances sur redevances,

- dire que M. [D] [S] ne saurait se voir allouer qu'une indemnité de 26 100 euros en réparation d'un préjudice économique,

- débouter M. [D] [S] du surplus de ses demandes, et de son appel incident,

- condamner M. [D] [S] aux dépens.

Subisidiairement, ordonner la compensation entre l'indemnité autre que compensatrice de salaires et d'avances sur redevances qui pourrait être allouée à M. [D] [S] et le solde débiteur de son compte de redevances s'élevant à 1 596,87 euros.

M. [D] [S] demande à la cour de:

- confirmer le jugement en ce qu'il a:

- dit que la société Universal music France a commis une faute en rompant abusivement le contrat d'exclusivité avec l'artiste,

- condamné la société Universal music France à lui payer les sommes de:

- 121 500 euros au titre de pertes de chance de réaliser les albums LP2 et LP3,

- 2 100 euros au titre de l'avance sur redevances cachet,

- 24 000 euros au titre de l'avance sur les albums LP2 et LP3,

- 30 000 euros en réparation du préjudice professionnel, moral et d'image subi,

- 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté du surplus de ses demandes,

et, statuant à nouveau,

- condamner la société Universal music France à lui payer les sommes de:

- 420 euros au titre des salaires portant sur les services d'enregistrement,

- 420 euros au titre des salaires portant sur les vidéogrammes,

- 167 647,97 euros au titre de la perte de chance se décomposant comme suit:

- 97 500 euros au titre de la perte de chance de bénéficier de redevances contractuelles au titre de l'exploitation des albums LP2 et LP3,

- 129 022,87 euros au titre de la perte de chance de bénéficier de droits voisins,

- 47 520 euros au titre de la perte de chance de bénéficier de salaires et congés payés,

- dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Universal music France de la convocation devant le bureau de conciliation et jusqu'au jour du paiement,

- ordonner à la société Universal music France de lui remettre sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par documents à compter de la notification de l'arrêt à intervenir les bulletins de paie conformes à la décision,

- condamner la société Universal music France à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner la société Universal music France aux dépens.

MOTIFS :

Sur la faute commise par la société Universal music France:

En application de l'article L1243-4 du code du travail est fautive et ouvre droit à réparation 'la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l'initiative de l'employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail'.

Le contrat liant les parties a été conclu le 19 septembre 2014 pour une durée totale minimum de 42 mois, le terme étant fixé au plus tard à 18 mois suivant la date de sortie commerciale du dernier enregistrement inédit.

En fait, par lettre du 25 septembre 2014, la société Universal music France a écrit à M. [D] [S] 'au vu des résultats des ventes de ton premier album studio inédit, nous avons constaté lors de notre dernier entretien qu'il était préférable de mettre fin au contrat d'exclusivité qui nous lie ce jour. Aussi je te confirme à nouveau par la présente lettre ma décision de mettre fin au contrat d'exclusivité signé entre nous le 19 septembre 2014 (...) Tu seras en conséquence libre de confier l'enregistrement de tes futures interprétations à tout producteur de ton choix'.

La rupture anticipée du contrat n'est pas contestée et aucune faute grave, aucun cas de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail n'est invoqué. Elle est donc fautive.

Sur la réparation due à M. [D] [S]:

L'article L1243-4 du code du travail dispose que 'la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l'initiative de l'employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8".

M. [D] [S] réclame au titre des salaires la somme de 2 520 euros représentant le paiement de 12 enregistrements par album.

Cependant, ainsi que le fait valoir la société Universal music France, le contrat définit l'album comme un programme comprenant un minimum de 10 phonogrammes.

Une somme de 2 100 euros est due à ce titre et il ne sera pas fait droit à l'appel incident sur ce point.

De même aucun engagement portant sur des vidéogrammes ne figurant au contrat, il n'y a pas lieu à indemnisation de ce chef.

Le contrat prévoit en outre des avances sur redevances de 12 000 euros pour chacun des albums et la société Universal music France ne conteste pas devoir à ce titre, sans toutefois l'avoir payée, les sommes de 2 100 euros au titre des salaires et une indemnité de 24 000 euros au titre des avances sur redevances.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a fait droit aux demandes à hauteur de 2 100 euros au titre des salaires pour les enregistrements et 24 000 euros au titre de l'avance sur les albums LP2 et LP3.

M. [D] [S] demande en outre le paiement de dommages-intérêts résultant de la perte de chance de percevoir divers émoluments consécutivement à la commercialisation et l'exploitation des deux albums LP2 et LP3 et notamment de la chance de percevoir des redevances audio, calculées sur le prix de vente des albums, en fonction du nombre de ventes et des supports, ainsi que des droits d'auteurs, des droits voisins et des paiements au titre de la copie privée des droits d'auteurs, ainsi que des salaires et cachets consécutifs à des représentations publiques et scéniques contribuant au développement de sa promotion.

Il fait valoir que l'article L 1243-4 du code du travail ne fixe qu'un minimum, constitué des avances et salaires, mais n'exclut pas la réparation d'un préjudice supplémentaire constitué de la perte de chance précitée.

Le contrat dit 'd'exclusivité' conclu entre M. [S] et la société Universal Music France

est un contrat mixte, puisqu'il prévoit d'une part le versement de salaires et d'avances forfaitaires, assimilées à des salaires, mais également la cession au producteur des différents droits moraux de l'artiste, en contrepartie de redevances qui, elles, n'ont pas la nature de salaires.

Le préjudice subi par M. [S] en raison de la rupture anticipée par la société Universal Music France agissant en qualité d'employeur du contrat les liant est, pour ce qui concerne cette relation contractuelle salariée, un préjudice spécifique dont la réparation est prévue par l'article L 1243-4 précité, distinct de celui causé par la partie du contrat relative à la cession de ses droits moraux au producteur.

En application de cette disposition ne peuvent être incluses, dans l'appréciation du préjudice du salarié, la perte économique née de la privation des redevances à percevoir sur les albums que le producteur a décidé de ne pas produire alors qu'il s'y était engagé de manière ferme et ce préjudice ne peut être constitué que des rémunérations à caractère salarial qui lui auraient été versées jusqu'à l'échéance du contrat.

N'entre pas dans ce périmètre selon l'article L 7121-8 du code du travail la rémunération due 'la rémunération due à l'artiste à l'occasion de la vente ou de l'exploitation de l'enregistrement de son interprétation, exécution ou présentation par l'employeur ou tout autre dès que la présence physique de l'artiste n'est plus requise pour exploiter cet enregistrement qui est fonction du produit de la vente ou de l'exploitation de cet enregistrement.'

Aussi, il y a lieu d'exclure de l'indemnisation demandée sur le fondement de l'article L 1243-4 du code du travail les demandes relatives aux droits d'interprètes relatifs à l'exploitation des albums en ce que ces droits ne sont pas des salaires et ne peuvent y être assimilés en application de l'article L 7121-8 précité puisque 'la présence physique de l'artiste n'est plus requise pour exploiter cet enregistrement'.

Il en est de même des cachets consécutifs à des représentations publiques et scéniques contribuant au développement de sa promotion.

M. [D] [S] établit une rupture soudaine et sans explication du contrat, dont il n'a été averti qu'à la rentrée 2015, sans entretien préalable contrairement à ce que soutient la société Universal music France qui ne justifie d'aucun entretien. Les échanges de mail ayant eu lieu entre le 25 août et le 2 septembre 2015 au sein de la société Universal music France démontrent au contraire l'absence de réponse au questionnement de sa productrice, et la volonté délibérée de ne pas en donner.

La société Universal music France ne justifie pas davantage avoir donné à M. [D] [S] les éléments ayant motivé la rupture.

La brutalité du procédé mettant sans préavis fin aux projets sur plusieurs mois sur lesquels M. [D] [S] pouvait compter a nécessairement eu un impact sur son activité immédiate et sa capacité à envisager de nouveaux projets ce dont atteste le déroulement de la carrière dont il justifie qu'elle a connu un creux avant de reprendre.

En outre M. [D] [S] ayant refusé initialement les offres d'autres maisons de disques, pour privilégier celle de la société Universal music France, la rupture brutale de ce contrat ne lui permettait pas de revenir dans de bonnes conditions et dans un bref délai vers ces autres sociétés.

Ces éléments justifient que lui soit alloué au titre de son préjudice moral et d'image la somme de 30 000 euros fixée par le conseil de prud'hommes.

Sur le cours des intérêts.

Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes soit le 30 octobre 2015, et les dommages et intérêts alloués à compter de la première décision les allouant soit à compter du jugement du 24 juin 2016.

Sur la remise des documents sociaux.

En application de l'article R 1234-9 du code du travail, les employeurs sont tenus, au moment de la résiliation, de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, de délivrer au salarié des attestations ou justification qui leur permettent d'exercer leurs droits aux prestations mentionnées à l'article L 5421-2 du code du travail, et de transmettre ces mêmes attestations aux organismes gestionnaires du régime d'assurance chômage.

En outre, en application des dispositions de l'article L 3243-2 du code du travail, lors du paiement de sa rémunération, l'employeur doit remettre au salarié un bulletin de paie qui doit également être remis pour la période de préavis, que celui-ci soit effectué ou non.

En conséquence pour tenir compte des condamnations prononcées, la société Universal music France est condamnée à remettre à M. [D] [S] des bulletins de paie rectifiés, sans que néanmoins ne se justifie le prononcé d'une astreinte.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

CONFIRME le jugement du 24 juin 2016 en ce qu'il a condamné la société Universal music France à payer à M. [D] [S] les sommes de 2 100 euros au titre de l'avance sur redevances cachet, de 24 000 euros au titre de l'avance sur les albums LP2 et LP3, de 30 000 euros au titre du préjudice moral et d'image subi, ainsi que la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de première instance,

INFIRME le jugement pour le surplus, et, statuant à nouveau,

DÉBOUTE M. [D] [S] de ses demandes en indemnisation d'une perte de chance,

Y ajoutant,

DIT que les sommes de 2 100 euros et de 24 000 euros portent intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2015 et que la somme allouée au titre du préjudice moral et d'image subi porte intérêt au taux légal à compter du 24 juin 2016,

CONDAMNE la société Universal music France à payer à la M. [D] [S] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Universal music France aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 16/10354
Date de la décision : 29/05/2019

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°16/10354 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-05-29;16.10354 ?
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