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28/05/2019 | FRANCE | N°15/09768

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 28 mai 2019, 15/09768


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 28 Mai 2019

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 15/09768 - N° Portalis 35L7-V-B67-BXF6J



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Septembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 14/12744





APPELANTE



Madame [U] [J]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le [Date naissance 1] 1

966 à [Localité 1]



représentée par Me Sylvie NOACHOVITCH, avocat au barreau de PARIS, toque : C1833 substitué par Me Laure FOUCAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1833





INT...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 28 Mai 2019

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 15/09768 - N° Portalis 35L7-V-B67-BXF6J

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Septembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 14/12744

APPELANTE

Madame [U] [J]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 1]

représentée par Me Sylvie NOACHOVITCH, avocat au barreau de PARIS, toque : C1833 substitué par Me Laure FOUCAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1833

INTIMEE

Société SOCIETE GIBSON DUNN & CRUTCHER

[Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 302 980 792 00048

représentée par Me Fabrice DUBEST, avocat au barreau de PARIS, toque : L0015

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Mars 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Françoise AYMES-BELLADINA, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Véronique PAMS-TATU, Président de Chambre

Madame Françoise AYMES-BELLADINA, Conseiller

Madame Florence OLLIVIER, Vice Président placé faisant fonction de Conseiller par ordonnance du Premier Président en date du 17 décembre 2018

Greffier : M. Julian LAUNAY, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire

-par mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Véronique PAMS-TATU, Président de Chambre et par Monsieur Julian LAUNAY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu les conclusions de Madame [U] [J] et celles de la société GIBSON DUNN et CRUTCHER LLP dite GIBSON visées et développées à l'audience du 27 mars 2019

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [J] a été engagée par la société GIBSON (cabinet d'avocat d'affaires international) le 3 novembre 2008 par contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de directeur administratif coefficient 450 de la convention collective des personnels des cabinets d'avocat, moyennant un salaire mensuel de 6.538 euros brut sur treize mois pour 39 heures par semaine.

Le bureau de [Localité 2] a comme co-gérant Monsieur [X] et emploie plus de 10 salariés.

Madame [J] a été convoquée le 7 octobre 2009 à un entretien préalable à un licenciement fixé au 29 octobre suivant et elle a été licenciée pour insuffisance professionnelle par lettre du 3 novembre 2009.

Le 27 novembre 2009, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Paris de diverses sommes au titre de la rupture et rappel de salaires et d'heures supplémentaires et travail dissimulé.

Par jugement rendu le 4 septembre 2015, Madame [J] a été déboutée de ses demandes, excepté celle au titre du rappel de salaire et la société GIBSON a été condamnée à lui payer les sommes de  :

11.804 euros à titre de rappel de salaire pour l'année 2009 correspondant à un bonus et 1.180,40 euros à titre de congés payés afférents et 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la société GIBSON a été débouté de sa demande reconventionnelle et condamnée aux dépens.

Madame [J] a interjeté appel le 5 octobre 2015 et demande d'infirmer le jugement déféré sauf sur les condamnations prononcées et statuant à nouveau  ;

De dire que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et qu'il s'est déroulé dans des conditions vexatoires,

De condamner la société GIBSON à lui payer les sommes de  :

- 200.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 15.000 euros à titre de réparation du préjudice moral,

- 14.165 euros à titre de rappel de salaire pour le bonus de l'année 2009,

- 1.416,50 euros au titre des congés payés,

- 38.885,92 euros au titre des heures supplémentaires,

- 3.888,59 euros au titre des congés payés afférents,

- 42.497 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé,

- 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

D'assortir les sommes des intérêts au taux légal avec anatocisme à compter de la saisine du conseil,

Débouter la société GIBSON de ses demandes et la condamner aux entiers dépens.

La société GIBSON demande  :

à titre principal, le sursis à statuer sur la plainte de faux et usage de faux et escroquerie au jugement déposée par elle,

à titre subsidiaire, la confirmation du jugement à l'exception de la somme allouée au titre du bonus qui n'est pas dû et le rejet des demandes de Madame [J] et sa condamnation à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

SUR CE

Sur la demande de sursis à statuer

La société GIBSON sollicite un sursis à statuer au motif qu'elle a déposé plainte avec constitution de partie civile  ; elle indique que sa plainte simple a été classée sans suite ce qui l'a conduite à déposer plainte avec constitution de partie civile  ; celle-ci est fondée sur certaines pièces produites par Madame [J] qui sont des faux pour lui permettre d'étayer sa thèse d'une autre véritable cause du licenciement (pièces 47, 48 et 50)  ; quant à la pièce 51, c'est le seul document étayant la demande de Madame [J] sur sa demande de rappel d'heures supplémentaires établi sur la base d'un décompte frauduleux, et qui de plus lui permet de revendiquer l'inversion de la charge de la preuve à son bénéfice.

Il résulte de l'article 4, alinéa 3 du code de procédure pénale que la mise en mouvement de l'action publique, et, a fortiori, le simple dépôt d'une plainte pénale, n'imposent pas la suspension du jugement des actions à fin civile autres que celle en réparation du dommage causé par l'infraction, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer une influence sur la solution du procès civil.

En l'espèce, la pièce 51 est un tableau fait par la salariée dans le cadre d'un décompte de ce qu'elle estime être des heures supplémentaires dont elle demande le paiement et il appartient au juge d'appliquer les règles de droit en matière de charge de la preuve en matière d'heures supplémentaires sans que l'employeur puisse soutenir que la salariée inverse la charge de la preuve en produisant cette pièce.

Quant aux autres pièces, l'employeur évoque les man'uvres, les mensonges et la mauvaise foi de la salariée qui a produit des pièces qui sont des faux, dont une opportunément quelques heures avant l'audience de jugement, alors qu'elles dataient de cinq ans avant  ; mais lui-même a attendu le 14 avril 2017 soit plus de sept ans après l'engagement de la procédure prud'homale et près de deux ans après que l'appel ait été interjeté pour déposer une plainte pénale avec constitution de partie civile devant le Procureur de la République de Paris, la cour relevant de surcroît que la plainte a été déposée au nom de Madame [U] et non au nom de la société GIBSON.

En conséquence, il n'y a pas lieu de surseoir à statuer ; cette demande sera rejetée.

Sur le bonus ou rappel de salaire

Madame [J] fonde sa demande de bonus sur le principe «  à travail égal, salaire égal  » et soutient que tous les salariés de la société perçoivent un bonus relatif à l'année passée qui s'élève à deux mois de rémunération et que pour faire échec à sa demande, l'employeur produit un mail du 4 novembre 2009, soit le lendemain de son licenciement disant que le bonus 2009 doit se baser sur le mérite et la performance  ; elle demande la confirmation du jugement sur le principe même si le quantum est discuté.

Mais le contrat de travail de Madame [J] ne prévoit pas de bonus  ; Madame [J] est entrée au service de la société GIBSON en novembre 2008, et a été licenciée pour insuffisance professionnelle en novembre 2009  ; il est constant que le bonus est distribué en décembre  au regard de l'année écoulée ; le mail évoqué par la salariée provient des Etats Unis et non du bureau de [Localité 2], de sorte qu'elle ne peut être sérieusement prétendre à une collusion entre la directrice des ressources humaines Monde basée aux Etats Unis et le bureau de [Localité 2] dans le seul but d'éviter de payer le bonus à Madame [J]  licenciée la veille ; le non versement du bonus à un salarié licencié pour insuffisance professionnelle est justifié  ; Madame [J] sera déboutée de cette demande.

Sur les heures supplémentaires

Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

Les heures supplémentaires doivent avoir été effectuées à la demande de l'employeur ou à tout le moins avec son accord implicite et les heures supplémentaires doivent être nécessaires à la réalisation de sa mission.

La salariée fait valoir qu'elle effectuait de nombreuses heures supplémentaires en raison des bureaux étrangers de la société et du décalage horaire impliquant des journées importantes, qu'il lui est dû des heures supplémentaires au-delà de 35 heures par semaine et que ces heures sont attestées par les nombreux mails envoyés à des heures tardives  ; elle verse aux débats une pièce qu'elle intitule «  preuve des heures supplémentaires effectuées par Madame [J]  » et qui est un mail adressé le 7 janvier 2009 à 19 h 40 au personnel concernant un problème d'installation électrique et dans lequel elle demande au personnel d'éteindre les lumières lorsque chacun quitte son bureau ainsi qu'une pièce relative au «  décompte des heures supplémentaires  » du 5 janvier au 11 octobre 2009 et un calendrier 2009  ; elle sollicite une somme de 38.885,92 euros outre les congés payés afférents correspondant aux 449,45 heures supplémentaires pour un montant de 29.997,12 euros et au repos compensateur de 8.888,80 euros calculé au-delà de 220 heures.

La société conteste l'exécution d'heures supplémentaires autres que celle qui lui étaient payées mensuellement à hauteur de 17,33 heures en indiquant que Madame [J] envoyait des mails laconiques après 19 heures qui ne reflètent pas une activité, d'autant qu'il s'agissait d'une réponse à des mails reçus dans la journée et qui n'appelaient pas de réponse immédiate  ; elle rappelle que l'envoi d'emails matinaux ou tardifs ne suffit pas à établir l'existence d'heures supplémentaires en l'absence de décompte précis établis au jour le jour et qu'opportunément la salariée a communiqué six ans après la saisine du conseil de prud'hommes un tableau faisant passer ses demandes de 15.087,69 euros à 38.885,92 euros et que cette inflation soudaine suffit à démonter l'absence de sérieux de cette demande  ; elle relève des incohérences dans le «  faux décompte  » de Madame [J] qui indique avoir travaillé des jours où elle était en congés ou en arrêt maladie soit 14 jours d'erreurs, et que la salariée explique sans gêne avoir incrémenté son temps de travail de 7 heures minimum par jour même si elle n'a pas travaillé car «  le tableau est simplement conçu ainsi  »  ; elle ajoute qu'au sein du cabinet, il existait une procédure pour l'accomplissement des heures supplémentaires qui était soumis à une demande préalable et que Madame [J] connaissait parfaitement cette procédure.

La lettre d'engagement prévoyait que la salariée travaillerait sur la base d'une semaine de 39 heures et les bulletins de paye font ressortir un paiement d'heures supplémentaires au-delà de la 35ème heure soit 4 heures par semaine  ce qui implique qu'il existait une convention de forfait incluant un nombre déterminé d'heures supplémentaires qui exclut tout autre paiement d'heures supplémentaires tant que la durée prévue contractuellement soit 169 heures n'a pas été dépassée ; au surplus, le tableau produit par Madame [J], effectivement établi bien après la rupture comporte de nombreuses incohérences, la salariée mentionnant tout autant des semaines à 35 heures et n'ayant donc pas effectué toutes les heures supplémentaires prévues contractuellement ainsi que des jours travaillés alors qu'elle était en congés ou en arrêt maladie  ; par ailleurs, l'envoi de messages électroniques ou de télécopie en dehors des heures de travail théoriques ne permet pas d'établir que la salariée s'est tenue à la disposition de l'employeur pendant tout le temps écoulé entre le début ou la fin théorique de sa journée de travail et l'envoi de ces messages  ; au surplus, aucun mail de Madame [J] même au moment du licenciement ne fait état d'heures supplémentaires  ; enfin, Madame [J] produit un mail du 25 mars 2009 adressé à tout le personnel indiquant que la politique d'approbation des heures supplémentaires a été modifiée et que toute heure supplémentaire doit fait l'objet d'une demande préalable  .

En conséquence, l'examen des éléments produits de part et d'autre ne permet pas de retenir l'accomplissement d'heures supplémentaires qui n'auraient pas été payées et la salariée sera déboutée de cette demande et de celle relative au titre du travail dissimulé.

Sur le licenciement

La lettre de licenciement du 3 novembre 2009 indique que le licenciement est prononcé pour insuffisance professionnelle pour  :

1/ des manquements répétés aux obligations contractuelles  ; il est reproché  à Madame [J] :

- des déclarations intempestives auprès des secrétaires quant aux modalités de distribution de bonus allant jusqu'à prétendre que ceci est conditionné à des remplacements dans l'équipe du soir sans bénéficier du paiement des heures majorées au titre des heures supplémentaires,

- de se prévaloir à tort du pouvoir de licencier et même d'avoir été l'auteur de deux licenciements alors que dans un cas c'était la fin d'un contrat de travail à durée déterminée et dans l'autre, d'une rupture conventionnelle,

- de persévérer dans une attitude inutilement agressive et humiliante à l'égard du personnel d'exécution qui est troublé et déstabilisé par un comportement en complet décalage avec la pratique du cabinet,

- d'avoir par ce comportement précipité le départ de l'ancien comptable,

- d'avoir de mauvaise foi et de façon infondée accusé un membre du personnel du cabinet qui a plus de 7 ans d'ancienneté d'être l'auteur de harcèlement moral à l'encontre d'un salarié intérimaire,

L'employeur ajoutant que son attitude développe des conditions de stress ayant les même conditions et répercussions que des faits de harcèlement.

2/ une insuffisance professionnelle objectivement établie  et il lui est fait grief  de ne pas avoir pris la mesure de son poste malgré son curriculum vitae, une grande autonomie et une rémunération conséquente et malgré les rappels à l'ordre et les moyens mis à sa disposition et d'avoir multiplié les erreurs concernant les paies et fait preuve de légèreté et d'approximation et de manque de suivi dans la gestion des dossiers  ; l'employeur lui reprochant notamment :

- des erreurs sur les payes d'août et septembre derniers comme les mois précédents faute d'un contrôle sérieux de sa part,

- une incapacité à gérer avec efficacité les heures supplémentaires faute de prendre les mesures nécessaires, et être restée au stade des intentions vagues sans réalisation effective,

- la découverte qu'elle n'avait pas fait bénéficier le cabinet des avantages de la loi TEPA sur les heures supplémentaires  ; l'employeur ajoute que la salariée a répondu être au courant de la situation à la suite d'un audit en début d'année 2009 mais lui reproche de ne pas avoir porté à sa connaissance le contenu de ce prétendu audit et de ne pas avoir fait le nécessaire en temps utile,

- d'avoir communiqué des informations confidentielles concernant les paies à des personnes non destinataires de telles informations malgré des remarques répétées de l'employeur,

- le non-respect de la confidentialité des fiches de paie du mois d'octobre lors de la distribution, cette négligence causant une certaine perturbation au sein du personnel,

- des initiatives intempestives contraires aux pratiques du cabinet comme le blocage du paiement de factures à des fournisseurs, la non comptabilisation des jours de congés,

- sur des dossiers de fond sur lesquels son expertise était attendue, les retards accumulés alors même qu'aucune surcharge de travail ne pesait sur elle comme  : l'enregistrement de la forme juridique du cabinet auprès de l'ordre des avocats qui n'est toujours pas accompli, le renouvellement du parc des photocopieurs auprès de la société CANON, la réparation des dommages causés aux locaux par les propriétaires du 5ème étage, la régularisation de la facturation avec EAF pour le parc de blackberry toujours en attente, la liste alarme non à jour.

L'employeur ajoute que lors de l'entretien, la salariée n'a pas contesté ces griefs et que l'insuffisance professionnelle ne permet plus la poursuite du contrat de travail.

En l'espèce la lettre de licenciement invoque à la fois des motifs disciplinaires tenant au comportement de la salariée et des motifs non disciplinaires tenant à une incapacité à tenir correctement son poste  lesquels doivent être objectifs, précis et vérifiables ; dès lors que les faits reprochés procèdent de faits distincts, il convient de respecter les règles applicables à chaque cause de licenciement.

Un mail du 16 juillet 2009 de Madame [U] à Madame [J] qui commence par «  Je suis d'accord avec les remarques de [B] ([R])  » et qui s'étonne que le fichier d'[G] ([I]) n'ait pas été retraité car il comporte des fautes d'orthographe et des abréviations incompréhensibles et ajoute «  en résumé, cela n'envoie pas vraiment une image de professionnalisme de notre part'  » doit être considéré comme un rappel à l'ordre à l'encontre de Madame [J].

L'employeur produit un certain nombre d'attestations pour établir la réalité des motifs invoqués  :

Madame [N] [A] atteste que lors d'un échange avec Madame [J] qui était sa supérieure hiérarchique, celle-ci avait tenu informé l'avocat avec qui elle travaillait de l'échange confidentiel qu'elles avaient eu et que si les choses ne s'amélioraient pas, elle (Mme [J]) pourrait la «  sortir  » et que ceci l'avait beaucoup choquée et déstabilisée.

Madame [R] [M] atteste qu'en octobre 2009 elle avait retrouvé son bulletin de paie sans enveloppe sur son bureau que venait de déposer Madame [J] et qu'elle avait immédiatement avisé Madame [U] de cette remise non confidentielle.

Madame [O] [H] atteste que Madame [J] lui avait dit, au cours d'un travail de traduction d'un mail en septembre 2009, que les informations données au personnel relatives aux bulletins de paye quant aux heures travaillées étaient inexactes afin d'éviter les questions du personnel, et que charges sociales sur ses propres bulletins de paye étaient fausses, l'informant à cette occasion qu'elle gagnait plus de 7.000 euros par mois  ; qu'en mai 2009 elle l'a informée du non-paiement des heures supplémentaires mais de l'intérêt de les comptabiliser pour le bonus de fin d'année  ; elle ajoute qu'elle a été déstabilisée par ces informations car les heures supplémentaires étaient jusque-là décomptées et payées  ; elle précise que l'équipe de permanence du soir (18 h à 22 heures) souffrait du manque d'instructions et d'informations de Madame [J] sur l'organisation pratique de cette permanence (activation de l'alarme, guide, taxi, repas)  ; cette attestation est corroborée par le mail du 22 septembre 2009 de Madame [J] au personnel sur la modification de la présentation des fiches de paye sur les heures travaillées, ainsi que par un mail adressé le 13 mai 2009 par Mme [P] à Madame [U] pour demander des explication sur les heures supplémentaires et le calcul du bonus, et un mail de Madame [A] à Mme [J] du 5 février 2009 sur l'absence préjudiciable de renseignements au secrétariat du soir.

Monsieur [G] [I] ancien comptable qui travaillait à temps partiel depuis plus de 10 ans atteste du comportement humiliant et harcelant de Madame [J] peu de temps après son arrivée à la fin de l'année 2008, de son manque de respect et d'une attitude réitérée d'acharnement à son encontre alors que jusque-là il n'avait rencontré aucune difficulté dans son travail et que cette situation a accéléré son départ du cabinet  ; ces faits sont corroborés par un mail du 26 mars 2009 dans lequel Madame [J] dit qu'elle va consacrer plus de temps à [G] et l'informer qu'elle soumettrait ses inquiétudes et interrogations à la direction ce qui avait déstabilisé Monsieur [I], et de mails échangés les 27 mars et 31 mars 2009 dont le dernier est en ces termes «  ce mail est le 3ème  ; T'en es-tu occupé  ' dans l'attente d'une réponse  » et d'une attestation de Monsieur [Y] qui indique que Madame [J] lui avait annoncé triomphalement «  Ca y est j'ai viré [G]  » alors qu'il avait appris que Monsieur [I] partait dans le cadre d'un accord amiable qui n'avait pas été géré par Madame [J] et qu'il avait été choqué par ces mots et cette attitude.

La cour relève que Monsieur [I] qui avait attesté pour l'employeur en septembre 2009, a aussi rédigé une attestation à Madame [J] en avril 2017 dans laquelle il indique que Madame [J] lui a permis d'avoir un bureau personnel, qu'il a été contraint d'accepter une rupture conventionnelle à l'été 2009 et de rédiger une attestation contre Madame [J] et que celle-ci n'a pas participé à son licenciement  ; néanmoins, l'attestation de Monsieur [I] remise à l'employeur est postérieure à la rupture de son contrat de travail et est corroborée par des mails et attestations concernant le comportement harcelant et déstabilisant de Madame [J].

Madame [R] atteste que Madame [J] l'a accusée abusivement en juillet 2009 de harceler moralement la standardiste intérimaire [Y] [F] à qui elle avait demandé de faire plus attention aux adresses des destinataires car cela avait des répercussions sur le service comptable, que Madame [J] en avait parlé à la direction afin de lui porter préjudice et que cette accusation infondée l'avait tout de même déstabilisée  d'autant qu'elle subissait de la part de Madame [J] des remarques désobligeantes ; elle ajoute qu'elle avait dû corriger de nombreuses erreurs dans l'établissement des fiches de paye d'août et septembre 2009 qu'avait laissé passer Madame [J],  telles que le solde des vacances du directeur informatique (corroboré par un mail de Mme [U] à Madame [J] du 21 septembre 2009), les soldes de tout compte de Madame [F] et de Monsieur [I] que Madame [J] dit avoir validés qui ne comprenaient pas le 13ème mois au prorata (corroborés par les mails de Madame [J] des 25 et 26 et 28 août 2009), les congés payés de Madame [J] non décomptés, l'absence d'heures supplémentaires alors que celles-ci doivent être payées chaque mois et l'envoi de mails par Madame [J] pour dire au personnel d'ignorer la demande de Madame [R] (corroboré par un mail de Madame [J] du 17 septembre 2009 au personnel), de sorte qu'il a fallu attendre novembre 2009 pour régulariser les heures supplémentaires effectuées par le personnel  ; enfin elle indique que la communication était difficile et que Madame [J] ne répondait même plus à ses mails.

Madame [R] se plaint dans un mail du 22 septembre 2009 adressé à Madame [U] en copie à Mme [J] de l'absence de réception des fiches de paye de la part de Mme [J] alors que les virements avaient eu lieu le 25 septembre et qu'il y a donc des risques d'erreurs.

Les erreurs sur les bulletins de paie sont également attestées par les mails produits par les parties et notamment les échanges du 16 octobre 2009 entre Mesdames [M] [C], [W] [O] et Madame [J] et sont effectivement dus à l'absence de suivi et d'un contrôle sérieux de Madame [J], de même le suivi et la comptabilisation des congés au regard des mails échangés en septembre 2009 sur les congés de [I] [E].

La cour relève aussi que Madame [U] demande par mail du 21 septembre à Madame [J] de lui confirmer l'absence de changement dans le paiement des heures supplémentaires et de retard «  ce mois-ci  »  pour les virements des salaires et que Madame [J] ne répond que de façon laconique, et seulement sur l'insistance de Madame [U] que les heures supplémentaires seront payées et qu'il s'agit aussi de celles de juillet et d'août.

Concernant l'application de la loi TEPA, un mail de Madame [J] du 16 octobre 2009 indique qu'elle a noté que la prescription était de 5 ans, que la loi TEPA était entrée en vigueur en octobre 2007 et qu'elle a procédé à un audit en début d'année où cette question était apparue  ; mais outre que cet audit n'est pas justifié, ce n'est qu'en octobre 2009 qu'elle s'est inquiétée de l'impact de cette loi et de faire procéder à une évaluation par catégorie afin de régulariser l'année 2009 alors même qu'elle avait été engagée depuis plus d'un an, confirmant ainsi le reproche de l'employeur sur le manque de suivi des dossiers.

Par ailleurs, concernant le changement de l'enregistrement de la forme juridique du cabinet auprès de l'ordre des avocats, les mails produits par Madame [J] en juin 2009 démontrent que une grande légèreté dans le suivi des dossiers  ; en effet, alors par mail du 22 janvier 2009 elle propose d'apporter sa contribution sur ce dossier au motif qu'elle a déjà eu à connaître d'un cas identique dans son précédent emploi, en juin 2009, elle précise avoir obtenu un délai  : la date du 30 juin 2009 étant reportée au 30 septembre 2009, mais elle ne propose d'en reparler qu'au cours du mois de septembre alors que les documents à produire qu'elle liste sont importants et nécessitent un certain délai pour les réunir.

Enfin, Madame [J] produit des mails adressés à Madame [U] les 10 septembre et 30 octobre 2009 à la suite de l'entretien préalable du 29 octobre 2009 qui révèlent une volonté de nuire de Madame [J] au regard des menaces proférées à l'encontre de Madame [U] en lui disant de faire attention à la rédaction de la lettre de licenciement et de l'attestation qu'elle allait certainement faire contre elle, et en la menaçant de la dénoncer à l'administration fiscale et la hiérarchie américaine, ce qu'elle a fait par lettre du 14 novembre 2013, ces attaques étant fondées sur l'achat des fournitures de bureau et d'informatique à une société dans laquelle Madame [U] avait des intérêts  ; mais outre qu'il n'a pas été demandé à Madame [J] de mener des investigations, ni de changer de fournisseur, l'employeur précise et justifie que cette situation était connue de tous (attestations de Mme [R], Monsieur [Q], Monsieur [X]) et ne fait que révéler l'acharnement de Madame [J] à l'encontre de Madame [U] dans un premier temps, puis à l'encontre de Monsieur [X] au travers de mails anonymes et menaçants envoyés en novembre 2009, janvier, février   et mars, avril 2010.

Contrairement à ce que soutient Madame [J] cette situation a débuté au moment du licenciement et s'est poursuivie par l'envoi de mails anonymes faisant allusion à des informations compromettantes pour Madame [U], à des détournements de fonds et n'est donc pas comme le prétend Madame [J] la véritable cause de son licenciement mais plutôt le contraire, le licenciement de Madame [J] ayant entraîné cette attitude et les courriers malveillants pour laquelle elle a été condamnée par jugement du tribunal correctionnel de Paris du 20 mai 2014 pour harcèlement moral à l'encontre de Madame [U], puis arrêt de la cour d'appel de Paris du 17 novembre 2015, à une amende de 5.000 euros et 5.000 euros de dommages et intérêts.

Madame [J] ne produit aucun élément permettant de contester utilement les reproches et les pièces produites par l'employeur ; en conséquence, les faits d'insuffisance professionnelle sont établis ainsi que le comportement inadapté et déstabilisant de la salariée envers le personnel ; le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Madame [J] de ses demandes.

Sur le préjudice moral

Au regard des éléments sus évoqués et du rejet de la demande de Madame [J] quant au licenciement, cette demande, qui vise aussi des agissements déloyaux pour l'évincer de la société qui ne sont pas démontrés, devra être rejetée.

La solution du litige et l'équité commandent de laisser aux parties la charge de leurs frais irrépétibles  ; elles seront déboutées de cette demande.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Rejette la demande de sursis à statuer,

Confirme le jugement en ce qu'il a débouté Madame [U] [J] de ses demandes au titre du licenciement, et sur la somme accordée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande,

Condamne Mme [J] aux dépens.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 15/09768
Date de la décision : 28/05/2019

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°15/09768 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-05-28;15.09768 ?
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