Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ARRÊT DU 16 MAI 2019
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/02709 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B467W
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Janvier 2018 - Tribunal de grande instance de CRETEIL - RG n° 14/10615
APPELANTS :
Monsieur [D] [W]
né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 5]
Demeurant [Adresse 3]
[Adresse 3]
SARL TANGRAM FINANCE, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 384 260 733
Ayant son siège social [Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentés par Me Arnaud GUYONNET de la SCP SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044
Représentés par Me Alexandra BORET, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉES :
SA ASSOCIES AUDIT ET CONSEIL, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège.
Immatriculée au RCS de CRETEIL sous le numéro 343 716 460
Ayant son siège social [Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentée par Me Nicole DELAY PEUCH, avocat au barreau de PARIS, toque : A0377
Représentée par Me Hélène NOE, avocat au barreau de LILLE
SA MMA IARD représentée par ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au RCS de LE MANS sous le numéro 440 048 882
Ayant son siège social [Adresse 2]
[Adresse 2]
Société civile MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES représentée par ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au RCS de LE MANS sous le numéro 775 652 126
Ayant son siège social [Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentées par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Représentées par Me Brigitte AUBRY GLAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0133
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 mars 2019, en audience publique, devant Madame Michèle PICARD, Présidente de chambre, Madame Isabelle ROHART-MESSAGER, Conseillère et Madame Aline DELIERE, Conseillère.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de Procédure Civile.
Greffier, lors des débats : Madame Hanane AKARKACH
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Michèle PICARD, Présidente de chambre et par Madame Hanane AKARKACH, Greffière présente lors du prononcé.
*****
FAITS ET PROCÉDURE :
Le 26 novembre 2014 la société Tangram Finance et M. [D] [W], son dirigeant, ont assigné la société Associés audit et conseil (2AC), expert comptable, devant le tribunal de grande instance de Créteil en réparation de leur préjudice résultant d'un redressement fiscal de 383 096 euros faisant suite à un contrôle fiscal portant sur les exercices du 1er juillet 2009 au 30 juin 2013 et d'un défaut de cotisations aux caisses de retraite des dirigeants.
Par jugement du 11 janvier 2018 le tribunal de grande instance a :
- déclaré l'action de la société Tangram Finance et de M. [W] forclose et leurs demandes irrecevables,
- condamné in solidum la société Tangram Finance et M. [W] aux dépens et à payer à la société 2AC la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté toutes les autres demandes.
Le tribunal a retenu que l'article 8 de la lettre de mission du 5 décembre 2005 stipule que toute demande de dommages et intérêts doit être introduite dans les trois mois de la connaissance du sinistre, qu'il s'agit d'un délai de forclusion, que ce délai qui partait à compter de la réception de la proposition de rectification fiscale en décembre 2013 expirait au plus tard à la fin du mois de mars 2014, que l'action introduite tardivement est forclose. Le tribunal a également retenu que le point de départ du délai de forclusion, s'agissant de l'action de M. [W], n'est pas antérieur au 11 novembre 2013, date d'un courrier de la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (CIPAV) accordant des délais de paiement pour la régularisation de la situation de M. [W].
La société Tangram Finance et M. [W] ont fait appel le 30 janvier 2018.
Ils exposent leurs moyens et leurs demandes dans leurs dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 9 janvier 2019 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.
Ils concluent à l'infirmation du jugement et demandent à la cour de :
- déclarer leur action recevable,
- condamner la société 2AC à payer à la société Tangram Finance la somme de 70 000 euros en réparation de son préjudice résultant de l'erreur dans l'établissement de sa déclaration fiscale, assortie des intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt,
- condamner la société 2AC à payer à M. [W] la somme de 150 000 euros en réparation de son préjudice, assortie des intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt,
- condamner la société 2AC à payer à la société Tangram Finance et à M. [W] la somme de 15000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- déclarer les compagnies MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES solidairement engagées à l'indemnisation des préjudices ci-dessus au titre du contrat d'assurance responsabilité civile de la société 2AC.
La société 2AC expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 1er février 2019 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.
Elle conclut à la confirmation du jugement et réclame la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire, elle conclut à un partage de responsabilité de 50 % avec la société Tangram Finance et au rejet des demandes de M. [W].
A titre plus subsidiaire, elle demande à la cour de limiter le montant des condamnations au titre des intérêts de retard à 3164,74 euros, de rejeter la demande au titre des honoraires de défense fiscale et de réduire le montant des sommes réclamées.
En tout état de cause elle demande à la cour de condamner ses deux assureurs à la garantir et réclame la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles exposent leurs moyens et leurs demandes dans leurs dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 6 février 2019 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.
Elles concluent à la confirmation du jugement et demandent à la cour en outre de rejeter la demande de garantie de la société 2AC. Elles réclament la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire, elles concluent au rejet des demandes des appelants.
A titre plus subsidiaire, elles acceptent de payer seulement la moitié de la somme de 3164,74 euros au titre des intérêts de retard sur le rehaussement d'impôt.
A titre plus subsidiaire, elles demandent à la cour de statuer, au titre de la perte de chance, sur le préjudice subi par M. [W] et de réduire les montants réclamés.
MOTIFS DE L'ARRÊT
1) Sur l'action de la société Tangram Finance à l'encontre de la société 2AC
La société 2AC et son assureur soutiennent que l'action de la société Tangram Finance est forclose car elle n'a pas formé sa demande de dommages et intérêts dans le délai de 3 mois fixé dans la dernière lettre de mission, qui court à compter du 16 décembre 2013, date de l'avis de de proposition de rectification par l'administration fiscale, et que le courrier du 20 juin 2014 produit par la société Tangram Finance n'est pas une demande de dommages et intérêts et n'a pas interrompu le délai.
La société Tangram Finance répond que l'article 8 de la lettre de mission du 5 décembre 2005 tacitement reconduite impose seulement qu'une réclamation, et non une action en justice, soit faite dans le délai de 3 mois, que le point de départ du délai est le 21 mai 2014, date de l'avis de mise en recouvrement et que le délai a été interrompu par son courrier de réclamation du 20 juin 2014.
L'article 8 «'Responsabilité'» de la dernière lettre de mission qui lie les parties, datée du 5 décembre 2005, dont il n'est pas contesté qu'elle a été tacitement reconduite jusqu'en 2011, stipule : «'Toute demande de dommages et intérêts ne pourra être produite que pendant la période de prescription légale. Elle devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre».
Il en ressort que la société Tangram Finance, si elle entend se prévaloir de la responsabilité de la société 2AC et lui réclamer la réparation de son préjudice doit se manifester auprès d'elle dans le délai de trois mois et qu'à défaut elle n'est plus recevable à agir.
Le point de départ du délai de trois mois est en l'espèce la date à laquelle la société Tangram Finance a eu connaissance à la fois des causes et des conséquence financières du redressement fiscal, soit du montant des sommes réclamées par les services fiscaux.
Contrairement à ce que le tribunal a retenu, cette date est celle de l'avis de mise en recouvrement émis à l'encontre de la société Tangram Finance, après l'échange entre celle-ci et l'administration fiscale sur la proposition de rectification quant à son principe et son montant.
L'avis de mise en recouvrement a été émis le 21 mai 2014 et a été reçu le 23 mai 2014 par la société Tangram Finance.
Le point de départ du délai de trois mois pour demander des dommages et intérêts à la société 2AC est donc le 23 mai 2014 et la société Tangram Finance devait lui adresser sa réclamation avant le 23 août 2014.
Elle produit un courrier daté du 20 juin 2014 par lequel son avocat informe la société 2AC qu'il est chargé d'examiner les recours pouvant être exercés à l'occasion des redressements fiscaux dont elle a été l'objet et lui réclame les lettres de mission qui l'ont liées à sa cliente au titre des exercices concernés par la vérification. Dans un second courrier du 1er août 2014 l'avocat de la société Tangram Finance met la société 2AC en demeure de lui faire parvenir les lettres de mission et ajoute qu'à défaut de réponse sous quinzaine il a reçu pour instruction de prendre toute mesure propre à assurer la sauvegarde des droits de sa cliente.
Dans aucun de ces courriers l'avocat de la société Tangram Finance n'indique à la société 2AC qu'il entend, au motif que la responsabilité professionnelle de celle-ci est engagée, lui réclamer la réparation du préjudice subi par sa cliente.
Le délai de trois mois pour introduire une demande de dommages et intérêts n'a donc pas été interrompu par ces courriers, qui ne valent pas demande de dommages et intérêts. Par ailleurs l'assignation devant le tribunal de grande instance de Paris n'a été signifiée que le 26 novembre 2014, après l'expiration du délai de trois mois.
Le jugement, qui a retenu que l'action de la société Tangram Finance à l'encontre de la société 2AC est forclose et irrecevable, sera donc confirmé.
2) Sur l'action de M. [W] à l'encontre de la société Tangram Finance
M. [W] soutient que la société 2AC a manqué à ses obligations en ne le déclarant pas, à compter de 2004, aux caisses de retraite en tant que gérant salarié, ce qu'il a appris tardivement par les caisses de retraite et qui lui a fait perdre 3 années d'assurance car il n'a pu rattraper que 5 années de paiement de cotisations.
La société 2AC et son assureur répondent que l'action de M. [W] est forclose en application de l'article 8 de la lettre de mission car le point de départ du délai de 3 mois est un courrier de la CIPAV du 11 novembre 2013. Sur le fond ils répondent que la société 2AC n'a commis aucun manquement car elle a transmis normalement les déclarations à la CIPAV, que la société Tangram Finance n'a pas souhaité payer les cotisations personnelles de retraite de M. [W] et qu'elle n'était pas tenue d'un devoir de conseil envers ce dernier mais envers la société Tangram Finance.
La lettre de mission du 5 novembre 2005, tacitement reconduite, ne lie que la société Tangram Finance et la société 2AC.
Contrairement à ce que le tribunal a retenu le délai de forclusion de trois mois n'est pas opposable à M. [W] et le jugement, qui a déclaré son action irrecevable, sera infirmé.
M. [W] invoque la responsabilité de la société 2AC, du fait de ses manquements à ses obligations professionnelles, et réclame la réparation du préjudice qu'il a personnellement subi. Il doit démontrer, en application de l'article 1382 ancien du code civil, que la société 2AC a commis une faute et que celle-ci est à l'origine du préjudice qu'il invoque.
Il réclame le paiement de dommages et intérêts correspondant à la perte financière qu'il va subir au titre de sa pension de retraite car il n'a pas cotisé pendant plusieurs années, n'a pu rattraper que le paiement des cotisations des années 2010 à 2013 et a perdu les droits à pension attachés aux années 2005 à 2009.
A compter du 1er septembre 2004 il a changé de statut et est devenu gérant majoritaire salarié de la société Tangram Finance. Il pouvait lui-même cotiser à l'assurance retraite des indépendants auprès de la CIPAV et la société Tangram Finance pouvait également payer ses cotisations de retraite en ses lieux et place.
La société 2AC justifie avoir, le 13 septembre 2005, informé le Centre de formalités des entreprises, du changement de statut de M. [W] afin qu'il soit affilié comme travailleur non salarié auprès de la Réunion des assurances maladie et de la CIPAV. Elle soutient également, sans que cela soit contesté, avoir inscrit dans les comptes de la société Tangram Finance à compter de l'année 2005 une provision afférente aux cotisations de retraite que la société Tangram Finance pouvait prendre en charge.
M. [W] soutient qu'il a été informé tardivement de l'absence de cotisation à la CIPAV pour son compte par la société Tangram Finance mais il ne produit aucune pièce sur les circonstances dans lesquelles il aurait reçu cette information. La seule pièce qu'il verse à la procédure est un courrier de la CIPAV du 11 novembre 2013 qui lui propose un échéancier pour le paiement de l'arriéré de ses cotisations.
Il ressort de ce courrier qu'il va payer lui-même cet arriéré et que ce n'est pas la société Tangram Finance qui doit payer ses cotisations. Manifestement celle-ci n'a jamais pris la décision de payer les cotisations de retraite de M. [W] auprès de la CIPAV.
Il ne peut être reproché à la société 2AC, qui a bien fait affilier M. [W] à la CIPAV, la position prise par la société Tangram Finance, position que M. [W] , en sa qualité de gérant, ne pouvait ignorer.
Par ailleurs la société 2AC, co-contractante de la seule société Tangram Finance, n'était pas tenue d'une obligation de conseil envers M. [W] à titre personnel.
Celui-ci ne démontre pas que la société 2AC a commis une faute qui engage sa responsabilité envers lui et qui est la cause du préjudice qu'il invoque. La demande en paiement de dommages et intérêts dirigée à l'encontre de la société 2AC par M. [W] sera donc rejetée.
3) Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens
Le jugement sera confirmé sur ces deux points.
Les dépens d'appel seront mis à la charge de la société Tangram Finance et M. [W] dont la demande conjointe au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
Il n'est pas équitable de laisser à la charge de la société 2AC la totalité des frais qu'elle a exposés qui ne sont pas compris dans les dépens et il lui sera alloué la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles les frais qu'elles ont exposés qui ne sont pas compris dans les dépens et leur demande conjointe au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de M. [W],
Statuant à nouveau,
DÉCLARE recevable l'action de M. [W],
Le DÉBOUTE de ses demandes à l'encontre de la société 2AC,
DÉBOUTE les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [W] aux dépens et à payer à la société 2AC la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La Greffière La Présidente
Hanane AKARKACH Michèle PICARD