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15/05/2019 | FRANCE | N°17/02281

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 15 mai 2019, 17/02281


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRET DU 15 MAI 2019

(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/02281 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2TZ6



Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Novembre 2016 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F14/11066





APPELANT



Monsieur [F] [E]

[Adresse 1]

[Adr

esse 1]

Représenté par Me Hannelore SCHMIDT, avocat au barreau de PARIS, toque : C0988







INTIMÉE



SARL GEB ADOPTAGUY

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Diane PROTAT ...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRET DU 15 MAI 2019

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/02281 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2TZ6

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Novembre 2016 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F14/11066

APPELANT

Monsieur [F] [E]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Hannelore SCHMIDT, avocat au barreau de PARIS, toque : C0988

INTIMÉE

SARL GEB ADOPTAGUY

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Diane PROTAT de l'AARPI AARPI PROTAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C0084

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Janvier 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sandra ORUS, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sandra ORUS, Présidente de chambre

Mme Carole CHEGARAY, Conseillère

Mme Séverine TECHER, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : Mme Amélie FERRARI

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Sandra ORUS, Présidente et par Madame Anouk ESTAVIANNE, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [F] [E] a été engagé par la société GEB, devenue par la suite SARL GEB ADOPTAGUY, suivant contrat de travail à durée déterminée de novembre 2009 à novembre 2010.

La relation contractuelle s'est poursuivie par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er décembre 2010. Au dernier état de la relation contractuelle, M. [E] occupait le poste de responsable international et percevait un salaire mensuel net de 7,500 euros pour 35 heures de travail par semaine, avec le versement de 10% de la valorisation de chaque filiale ouverte à l'étranger.

Après avoir été convoqué à un entretien préalable devant se tenir le 11 avril 2014, M. [E] a été licencié par un courrier recommandé du 22 avril 2014.

Contestant le bien-fondé de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de l'intégralité de ses droits, M. [E] a saisi, le 21 août 2014, le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement rendu le 8 novembre 2016, auquel la cour se réfère expressément, a :

- fixé le salaire de M. [E] à 10.034 euros

- condamné la société GEB ADOPTAGUY à payer à M. [E] les sommes de 35.125 euros a titre d'heures supplémentaires (avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation), 60.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et séreuse, 1.000 euros a titre de dommages-intérêts pour le tabagisme passif (avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement) et 800 euros au titre de l'article 700 du CPC,

- débouté M. [E] du surplus de ses demandes,

- débouté la Société GEB ADOPTAGUY de sa demande reconventionnelle et l'a condamné aux dépens.

M. [E] a interjeté un appel partiel du jugement le 6 février 2017, se limitant à tous les chefs de jugement à l'exception de celui fixant la rémunération moyenne à 10.034 euros et celui considérant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La société GEB ADOPTAGUY a formulé un appel incident sur l'ensemble du jugement de première instance.

Par conclusions transmises par voie électronique le 11 décembre 2018, auxquelles il est expressément fait référence, M. [E] demande à la cour d'infirmer partiellement le jugement et de :

- fixer son ancienneté au 1er avril 2009 et à titre subsidiaire au 1er décembre 2009,

- condamner la société GEB ADOPTAGUY à lui verser la somme de 240 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- dire que son licenciement est intervenu brutalement et dans des conditions vexatoires.

En conséquence, condamner la Société GEB ADOPTAGUY à lui verser les sommes de :

* 60 000 euros à titre de dommages-intérêts en raison des circonstances vexatoires entourant son licenciement,

* 6 616,38 euros à titre de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement non réglée, et, à titre subsidiaire, dans l'hypothèse ou l'ancienneté serait fixée a la date du 1er décembre 2009, la somme de 3.494,69 euros

* 149 513,33 euros bruts à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaire effectuées et non rémunérées ;

* 60 204 euros à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;

* 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect des dispositions légales en matière de tabac au sein de ses locaux de travail,

* 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.

Il sollicite également de la cour de condamner l'employeur à rembourser au Pôle Emploi les allocations chômage versées en vertu de l'article L 1235-4 du Code du travail

Par conclusions transmises par voie électronique le 9 décembre 2018, auxquelles il est expressément fait référence, la Société GEB ADOPTAGUY sollicite à titre principal de :

- infirmer le jugement et juger le licenciement de M. [E] fondé sur une cause réelle et sérieuse.

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [E] de sa demande de dommages et intérêts au titre des circonstances vexatoires qui auraient entourées son licenciement,

- fixer à la date du 1er décembre 2009 l'ancienneté de M. [E] dans la Société et à la somme de 3 494, 69 euros le rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement de ce dernier,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la Société à payer la somme de 35.125 euros à titre d'heures supplémentaires et statuant à nouveau, juger qu'il ne rapporte pas la preuve d'avoir effectué des heures de travail supplémentaire non payées au cours de l'exécution de son contrat de travail et en conséquence, le débouter de l'intégralité de ses demandes de ce chef,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [E] de sa demande tendant à voir la Société condamnée à lui payer la somme de 60 204 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la Société à verser à M. [E] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non respect de la législation sur le tabac et statuant à nouveau, juger que M. [E] ne rapporte pas la preuve d'avoir subi un préjudice direct et certain en relation causale avec le non-respect de la législation sur la tabac, le débouter en conséquence de ses demandes de ce chef.

La Société GEB ADOPTAGUY sollicite à titre subsidiaire la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a fixé à la somme de 60 000 euros l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de M. [E] et le débouter en conséquence de ses plus amples demandes de ce chef.

La société sollicite d'autre part de fixer à :

- 1 euro le montant des dommages-intérêts dus au titre des circonstances vexatoires du licenciement,

- 10.000 euros le montant des sommes dues à titre de rappel d'heures supplémentaires,

- 1 euro le montant des dommages-intérêts dus au titre du non-respect de la législation sur le tabac.

La société GEB ADOPTAGUY sollicite en tout état de cause la condamnation de Monsieur [F] [E] à la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du CPC.

Une ordonnance de clôture a été prononcée avec effet au 11 décembre 2018 et l'affaire fixée à plaider à l'audience du 30 janvier 2019.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, énonce:

« En votre qualité de Responsable international, vous aviez notamment pour mission d'assurer le développement de l'entreprise auprès de pays européens, essentiellement sur les zones de l'Italie, l'Allemagne, l'Espagne, et la Pologne, et d'entretenir des contacts dans le but d'ouvrir des sites internet dans ces pays et par conséquent, d'y assurer une implantation de notre concept.

Depuis votre arrivée au sein de l'entreprise, nous constatons que la qualité de votre prestation de travail est très éloignée de nos attentes légitimes, notamment eu égard à votre expérience professionnelle.

L'implantation du concept de notre entreprise dans les pays étrangers était en effet le c'ur même de votre métier, et nous attendions donc légitimement que votre travail puisse générer une réelle augmentation de notre chiffre d'affaires dans ces zones, ce que vous nous aviez d'ailleurs affirmé lors de votre embauche.

A cet effet, nous vous avons donné tout l'accompagnement nécessaire pour vous assister dans l'exercice de vos missions, ainsi que les outils dont vous pouviez avoir besoin.

Nous avons naturellement attiré votre attention, à plusieurs reprises, sur la situation particulièrement alarmante du développement de l'entreprise à l'international, puisque nous avons notamment fait un point ensemble sur les chiffres décevants de votre activité.

Nous attendions alors une amélioration de la situation et un investissement plus important de votre part dans l'exercice de vos fonctions, ce que vous êtes d'ailleurs engagé à faire lors de nos différents entretiens.

Force est de constater que ce n'est nullement le cas puisqu'aujourd'hui, en dépit de notre soutien et après un peu plus de trois ans passés au sein de l'entreprise, nous ne pouvons toujours pas constater d'amélioration dans l'évolution du développement de notre entreprise à l'international.

Pire encore, entre les mois de janvier, février et mars 2014, nous avons constaté une réelle baisse de notre chiffre d'affaires puisque notre implantation dans les pays d'Italie, d'Allemagne et d'Espagne est incontestablement un échec, comme le démontrent les chiffres sur

lesquels nous avons échangés.

A ce titre, nous vous avons notamment communiqué les chiffres suivants :

Date

Italie

Allemagne

Espagne

Total

Janvier

4 979.47 euros

2788.42 euros

11044.80 euros

18812.69 euros

Moyenne

207.48 euros

116.18 euros

460.20 euros

783.86 euros

Par jour

Février

5623.40 euros

3344.37 euros

12690.49 euros

21658.26 euros

Moyenne

200.84 euros

119.44 euros

453.23 euros

773.51 euros

Par jour

Mars

3567.55 euros

1296.58 euros

10076.89 euros

14941.02 euros

Moyenne

187.77 euros

68.24 euros

530.36 euros

786.37 euros

Par jour

Nous vous rappelons que selon les prévisions de développement que vous aviez vous-même établi, votre développement dans ces pays devait plutôt être de l'ordre de 1.000 € par jours et par pays de chiffre d'affaires. Vous conviendrez que, malgré nos différents échanges verbaux sur ce constat, vous n'avez jamais réussi à atteindre un développement satisfaisant de notre chiffre d'affaires à l'international, pas plus que vous n'avez réussi à proposer des solutions de redressement ou des idées innovantes qui auraient pu nous permettre de rectifier cette situation alarmante.

Vous comprendrez que ce constat ne peut perdure plus longtemps, compte tenu de l'impact décevant de ces résultats, du temps que nous vous avons octroyé pour vous adapter à votre poste de travail et des moyens que nous avons déployés pour tenter, sans succès, de vous accompagner dans les difficultés que vous rencontrez.

Aussi, compte tenu de votre niveau de responsabilités et de votre position au sein de l'entreprise, cette situation ne nous a laissé d'autres alternatives que celle de diligenter à votre encontre une procédure de licenciement.

Les explications que vous nous avez fournies lors de votre entretien préalable ne nous ayant pas permis de modifier notre appréciation des faits, nous avons décidé, au terme de notre réflexion, de vous licencier pour cause réelle et sérieuse » ;

Pour constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, le non respect des objectifs ou l'insuffisance de résultats doivent être établis par des éléments objectifs , imputables au salarié et être la conséquence d'une insuffisance professionnelle ou d'un comportement fautif de celui-ci ; ces conditions ne sont pas réunies lorsque les objectifs revêtent un caractère irréaliste ou que leur non réalisation est imputable à la conjoncture économique ou au propre comportement de l'employeur dont l'absence de fourniture des moyens de réaliser les objectifs ou de la formation nécessaire pour l'adaptation du salarié à son emploi ;

Si un doute persiste, il profite au salarié ;

Sur le premier grief

L'employeur reproche au salarié une qualité de la prestation de travail très éloignée de ses attentes, notamment au regard de son expérience professionnelle ;

Il fait valoir que devant l'inertie de son salarié, dès le 25 septembre 2012, il a dû lui adresser une feuille de route pour le développement du concept à l'international, ainsi que des relances régulières devant le constat d'échec de ses missions ( courriels des 31 juillet 2013, 20 novembre 2013, 14 janvier 2014) lui reprochant essentiellement une absence de stratégie, de « process » et de remontée des difficultés ;

Le salarié conteste la position de son employeur en invoquant d'une part, l'absence de précision du contrat de travail sur l'étendue des tâches qui lui étaient confiées; en faisant valoir d'autre part, sans être utilement contredit, que son expérience professionnelle et son coeur de métier n'avaient porté, jusqu'à son embauche par la société, que sur le développement technique des sites WEB, qu'il n'avait donc pas une expérience particulière sur le développement international d'un concept ;

Il justifie en outre que, dès sa prise de fonction, il a présenté à l'employeur un plan stratégique détaillé avec quatre options pour implanter le concept de sites de rencontres en Europe et qu'il n'est pas contesté que ce plan a été validé par l'employeur ;

Il en résulte que la notification d'une feuille de route adressée par la société à son salarié, pour contrer son inertie supposée, alors que ce dernier établit avoir présenté à sa hiérarchie, quelques mois auparavant, des axes stratégiques pour développer les prestations de la société en Europe, lesquels avaient été validés, est inopérante à démontrer l'insuffisance professionnelle du salarié de ce seul chef ;

L'absence de réactivité du salarié aux injonctions de sa hiérarchie n'est pas davantage établie; il est ainsi justifié par les nombreux courriels et rapports produits au débat que M. [E] s'attachait à répondre aux attentes de l'employeur en lui adressant des compte-rendus réguliers des actions menées semaine après semaine, des présentations détaillées et régulières ( le 23/08/2012, un état sur les « résultats préliminaires de la campagne Google » et les « résultats préliminaires de la campagne Facebook » ; le 12/07/2012, une présentation intitulée « Point international »; un bilan de la Campagne internationale en avril-mai 2013, une présentation sur la « Monétisation Europe et Déploiement LATAM; un document récapitulant la répartition du budget pour l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, la Pologne) ;

Le salarié justifie encore, par les documents produits, de l'ensemble des actions qu'il a menées avec son équipe pendant trois ans pour le développement du concept « adoptaguy », dans les pays européens, en créant et promouvant, sans être contredit, des marques locales, en construisant des partenariats, en lançant de nouveaux sites ;

L'ensemble de ces éléments permet de relever que M. [E] s'est investi de manière régulière et soutenue dès sa prise de fonction, sans que son employeur ne démontre une insuffisance relative à l'expérience professionnelle sur la base de laquelle il avait été recruté ;

Ce premier grief sera écarté ;

Sur le deuxième grief

L'employeur, en se fondant sur les chiffres d'affaires des pays européens dans lesquels M. [E] avait pour mission de développer le concept, reproche au salarié d'avoir, en dépit de ses alertes et de son soutien, ignoré la situation particulièrement alarmante du développement de l'entreprise à l'international ;

La cour relève cependant, comme les premiers juges, qu'en dépit de ses affirmations, la société ADOPTAGUY ne démontre pas en quoi les chiffres d'affaires invoqués dans la lettre de licenciement étaient liés à l'insuffisance professionnelle de M. [E], alors qu'il n'est pas établi que des objectifs précis et chiffrés avaient été donnés au salarié en début de mission ; qu'il n'est pas davantage justifié des engagements personnels du salarié sur les objectifs à atteindre ;

M. [E] explique, sans être utilement contredit, que la conjoncture économique de deux des trois pays concernés, à savoir l'Espagne et l'Italie, était incompatible avec les tarifs d'abonnements onéreux pratiqués, mais aussi que la nouveauté du lancement des abonnements avait une marge de progression qu'il convenait de vérifier à plus long terme ;

Il précise encore que le développement du marché allemand était difficile et que l'employeur le savait, puisque sur ce point particulier, M. [N] déclarait à MM. [D] et [E] dans un courrier du 7 octobre 2013:  « l'Allemagne c'est illusoire » ;

La cour constate que l'employeur, qui fonde l'essentiel de ses griefs sur les résultats décevants à l'international, est dans l'incapacité de fournir les objectifs chiffrés qu'il avait fixés à son salarié et les marges de progression attendues ; de même, il ne verse au débat aucun document exploitable susceptible d'établir les axes d'amélioration précis et identifiés, autre que des courriels illisibles, qu'il aurait adressés à son salarié, étant rappelé que la lettre de recadrage de septembre 2012, visée précédemment, reprenait les axes de la feuille de route du salarié et avait un caractère général ; qu'enfin, aucun entretien d'évaluation de l'activité du salarié n'est produit pour justifier des attentes de la société ADOPTAGUY à l'égard de M. [E] ;

Le salarié fait également état de moyens insuffisants mis à sa disposition pour la réalisation de ses missions et justifie avoir eu recours à 36 stagiaires qu'il a dû former à chaque nouvelle prise de fonctions; ainsi, Mme [H] [F] atteste: « A la demande des fondateurs, nous avons recruté des stagiaires de chaque nationalité pour traduire, adapter, puis lancer et animer les sites dans chaque pays où nous étions présents. Ceci a conduit à collaborer avec du personnel changeant tous les 3 ou 6 mois. A chaque départ, nous devions former de nouveau le remplaçant, et ne pouvions déléguer que peu de tâches, nous obligeant à prendre à notre charge une partie du travail qu'une personne qualifiée aurait pu réaliser. »;

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que le grief tiré de l'insuffisance des résultats n'est pas davantage caractérisé et sera écarté ;

La cour confirme en conséquence l'appréciation des premiers juges en ce qu'ils ont considéré que le licenciement de M. [E] était sans cause réelle et sérieuse ;

Sur l'ancienneté dans l'emploi

Conformément à l'article L.1243-11 du code du travail, lorsque la relation contractuelle de travail se poursuit après l'échéance du terme du contrat à durée déterminée, celui-ci devient un contrat à durée indéterminée et le salarié conserve l'ancienneté qu'il avait acquise au terme du contrat de travail à durée déterminée ;

Si le statut d'auto-entrepreneur exclut en principe la notion de contrat de travail, il peut toutefois être requalifié, notamment lorsque l'auto-entrepreneur démontre l'existence d'un lien de subordination ;

M. [E] prétend avoir travaillé pour la société GEB ADOPTAGUY, dès le 1er avril 2009, dans le cadre d'un contrat de travail déguisé, alors qu'il était encore auto-entrepreneur ;

Or la cour relève que M. [E] ne démontre pas l'existence d'un lien de subordination avec la société durant cette période, l'employeur convenant cependant que l'ancienneté de M. [E] doit être fixée à la date du 1er décembre 2009, date de son premier contrat à durée déterminée ;

Infirmant en conséquence le jugement déféré sur ce point, l'ancienneté de M. [E] sera fixée à la date du 1er décembre 2009, correspondant au début du contrat à durée déterminée liant M. [E] à la société GEB ADOPTAGUY, laquelle sera condamnée au paiement de la somme de 3 494,69 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, qui ne fait pas débat entre les parties ;

Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ;

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, de l'ancienneté de M. [E] au moment de la rupture (4 ans et 4 mois) , de son âge au moment du licenciement (33 ans), des salaires bruts qu'il a perçus au cours des six mois ayant précédé le licenciement soit 58 667,76 euros, des circonstances de la rupture et des conséquences qu'elle a eues à son égard telles qu'elles résultent des relevés de pôle emploi jusqu'en 2017, le conseil des prud'hommes a fait une juste appréciation de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse qu'il a évaluée à 60 000 euros ;

Sur les circonstances vexatoires du licenciement

Le licenciement peut causer au salarié, en raison des circonstances vexatoires qui l'ont accompagné, un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi et dont il est fondé à demander réparation ;

M. [E] soutient que son licenciement lui a été annoncé brutalement, sans aucune mise en garde préalable, avec un déménagement de ses bureaux et une absence de communication pendant des mois avec sa hiérarchie ;

Or la cour relève que M. [E] ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui qui est indemnisé au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, ni le déménagement de ses bureaux effectué dans le cadre d'une réorganisation interne, ni l'absence de communication avec M. [N] les derniers mois de la relation de travail ne caractérisant une attitude délibérée de mise à l'écart imputable à l'employeur ;

L'appréciation des premiers juges sera en conséquence confirmée de ce chef ;

Sur les heures supplémentaires

M. [E] réclame le paiement d'heures supplémentaires ;

La durée légale du travail effectif prévue à l'article L. 3121-10 du code du travail, soit 35 heures par semaine civile, constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires payées à un taux majoré dans les conditions de l'article L. 3121-22 du même code ;

En application de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ;

En l'espèce, M. [E] verse au débat des tableaux faisant mention de ses horaires de travail quotidiens entre le 22 août 2011 et le 3 avril 2014 et récapitulant le nombre d'heures supplémentaires réalisées chaque jour et chaque semaine, ainsi que le calcul des majorations réclamées sur ces heures, des extraits d'agenda, de nombreux courriels et ses justificatifs de déplacements professionnels ;

Il fournit ainsi des éléments préalables précis sur son rythme de travail qui peuvent être discutés par l'employeur et qui sont de nature à étayer sa demande ;

L'argument selon lequel le salarié était mensuellement interrogé par le comptable sur les informations utiles à déclarer pour les fiches de paye est inopérant, les échanges de mails produits démontrant que l'employeur ne l'a jamais expressément interrogé sur le montant des heures supplémentaires à déclarer ;

En revanche, la société ADOPTAGUY pointe des incohérences dans les tableaux tableaux susvisés en confrontant ces derniers avec les pièces produites par l'appelant lui-même ;

Il apparaît ainsi, sans être exhaustif, que :

- le mercredi 10 octobre 2012 est inscrite comme une journée travaillée alors que l'appelant reconnaît dans ses écritures qu'elle ne l'était pas ;

- pour la journée du 28 décembre 2012, il indique être présent dans l'entreprise alors que les échanges de courriels qu'il produit au débat démontrent qu'il était aux côtés de sa compagne aux urgences ;

- pour la journée du 18 décembre 2013, M. [E] a comptabilisé une journée travaillée de 14h alors qu'il est établi par l'échange de courriel que le salarié était resté chez lui ce jour là, sans justifier d'un travail particulier et qu'il indique à sa hiérarchie « je vais rester sagement chez moi. »

- pour la journée du 31 décembre 2013, M. [E] indique avoir commencé sa journée de travail à 5H30 et l'a terminée 17h30, alors qu'il ne justifie que de l'envoi d'un sms à 5h30 de son téléphone mobile à sa collaboratrice et n'établit nullement avoir travaillé pour son employeur sans discontinuité jusqu'à 9h du matin, heure d'ouverture des bureaux de l'entreprise ;

- pour la journée du 19 décembre 2013, il est établi et non contesté que M. [E] était absent mais a comptabilisé une journée de 10h ;

Ces seuls éléments mettent en cause la fiabilité des tableaux transmis par l'appelant, les premiers juges ayant au demeurant relevé qu'ils avaient considérablement varié, sans explication entre la saisine de la juridiction et les écritures de première instance ;

Toutefois, au regard des éléments et explications fournis de part et d'autre, la cour a la conviction que M. [E] a effectué des heures supplémentaires mais dans une moindre mesure que celle alléguée ;

C'est donc par une exacte appréciation que les premiers juges ont considéré que le salarié avait effectué 225h supplémentaires justifiant une indemnisation de 35 125 euros ;

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef ;

Il s'ensuit encore que le salarié ne démontre pas la volonté de l'employeur d'occulter les heures supplémentaires qu'il a effectuées et il sera par suite débouté de sa demande au titre du travail dissimulé ;

Sur tabagisme passif

L'article R.3511-1 du code de la santé publique prévoit l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif tels que les lieux fermés et couverts qui constituent des lieux de travail, et l'autorisation donnée par l'employeur de fumer sur le lieu de travail où l'interdiction s'applique constitue un infraction prenant la forme d'une contravention de 4ème classe ;

M. [E] justifie avoir été victime de tabagisme passif et l'avoir signalé à plusieurs reprises à son employeur, lequel a admis que les salariés de la société ADOPTAGUY fumaient dans les salles de réunion ou salles de pause ;

Il produit en ce sens des échanges de courriels qui soulignent sa forte gêne du fait de l'exposition aux odeurs et aux fumées de cigarette ;

Au regard de ces éléments qui caractérisent une violation par l'employeur de son obligation de sécurité, le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur à lui verser la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Succombant au principal, la société GEB ADOPTAGUY sera condamnée aux dépens ;

En équité, la société GEB ADOPTAGUY sera condamnée à verser à M. [E] une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en son appréciation sur la date du début des relations contractuelles ;

Statuant à nouveau,

Fixe au ler décembre 2009 le début des relations contractuelles entre les parties ;

Condamne la société GEB ADOPTAGUY à verser à M. [E] une indemnité de 3 494,69 euros au titre du rappel de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

Condamne la société GEB ADOPTAGUY à verser à M. [E] une indemnité de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande;

Condamne la société GEB ADOPTAGUY aux dépens d'appel.

LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 17/02281
Date de la décision : 15/05/2019

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°17/02281 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-05-15;17.02281 ?
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