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15/05/2019 | FRANCE | N°13/07137

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 15 mai 2019, 13/07137


Copie exécutoire délivrée

aux avocats le : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 15 Mai 2019

(n° , 2 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 13/07137 - N° Portalis 35L7-V-B65-BSACS



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Mai 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F11/11982





APPELANT



Monsieur [T] [W]

[Adresse 4]


[Localité 3]

né le [Date naissance 1] 1970 à HAITI

comparant en personne, assisté de M. [G] [Y] (Délégué syndical ouvrier), muni d'un pouvoir

(bénéficie d'une aide juridictionnelle ...

Copie exécutoire délivrée

aux avocats le : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 15 Mai 2019

(n° , 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 13/07137 - N° Portalis 35L7-V-B65-BSACS

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Mai 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F11/11982

APPELANT

Monsieur [T] [W]

[Adresse 4]

[Localité 3]

né le [Date naissance 1] 1970 à HAITI

comparant en personne, assisté de M. [G] [Y] (Délégué syndical ouvrier), muni d'un pouvoir

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2013/034735 du 04/10/2013 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

INTIMÉE

SNC LE VAUGIRARD

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par AD HOC AVOCATS AARPI, agissant par Me Tiziana TUMINELLI, avocat au barreau de PARIS, substituée par Me Layla HAMERY-MOQADDEM, avocat au barreau de PARIS, toque : D1099

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Mars 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Anne BERARD, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Marie-Luce GRANDEMANGE, Présidente de chambre

Mme Anne BERARD, Présidente de chambre

Mme Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère

Greffier : Mme Clémence UEHLI, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Luce GRANDEMANGE, Présidente et par Madame Pauline MAHEUX, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [W] a été embauché le 2 mai 2008 par la société Le Vaugirard, exploitant un fonds de commerce de brasserie-café-tabac, par contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de serveur, niveau 1 échelon 2, la convention collective étant celle des hôtels cafés restaurants.

La société emploie moins de onze salariés.

Par avenant du 19 février 2011, ses horaires de travail ont été modifiés pour lui permettre de se reposer entre les temps de service, conformément aux préconisations de la médecine du travail.

Par lettre du 8 mars 2011, la société Le Vaugirard a notifié à M. [W] une rétrogradation, sanction disciplinaire que celui-ci a contestée par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 15 mars 2011.

M. [W] a été convoqué le 22 mars 2011à un entretien préalable le 4 avril 2011 en vue d'un éventuel licenciement pour faute grave et a été licencié pour ce motif par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 8 avril 2011.

Il a contesté ce licenciement auprès de son employeur par courrier du 27 avril 2011.

M. [W] a saisi le conseil de Prud'hommes de Paris le 14 septembre 2011 qui, par jugement du 22 mai 2013, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et a débouté la société Le Vaugirard de sa demande reconventionnelle.

Le 16 juillet 2013, M. [W] a régulièrement interjeté appel.

Par conclusions déposées au greffe le 11 mars 2019 et développées oralement, auxquelles il est expressément fait référence, M. [W] demande à la Cour d'infirmer le jugement rendu, de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- de condamner la SNC Le Vaugirard à lui verser les sommes suivantes :

- 4.837,22 € d'indemnité de préavis,

- 483,72 € au titre des congés payés afférents,

- 725,58 € d'indemnité de licenciement conventionnel,

- 29.023 € de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,

- 10.000 € de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct,

- Ordonner la remise des bulletins de salaire conformes à la décision à intervenir,

- Ordonner la remise des documents sociaux conformes à la décision à intervenir,

- Condamner la société Le Vaugirard aux dépens ainsi qu'à lui verser une somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées au greffe le 11 mars 2019 et développées oralement, auxquelles il est expressément fait référence, la société Le Vaugirard demande de confirmer le jugement rendu sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle,

- de condamner M. [W] à lui verser :

- la somme de 10.000 € en réparation du préjudice subi pour procédure abusive,

- la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les procédures de première instance et d'appel,

- de le condamner aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur la sanction disciplinaire

Sur la régularité de la notification de la rétrogradation

La lettre du 8 mars 2011 par laquelle la société Le Vaugirard a notifié à M. [W] une rétrogradation à titre de sanction disciplinaire ne fait pas mention de la possibilité pour le salarié de refuser cette sanction, alors que cette sanction emporte modification du contrat de travail.

Cependant, cette sanction n'ayant pas été exécutée puisque le salarié l'a refusée, ce défaut d'information ne constitue pas un manquement suffisamment grave pour fonder la rupture du contrat de travail comme le prétend M. [W].

Sur la rupture du contrat de travail

En cas de refus du salarié, l'employeur peut, dans le cadre de son pouvoir disciplinaire, prononcer une autre sanction au lieu et place de la sanction refusée, qui peut aller jusqu'au licenciement, y compris pour faute grave.

Sur le licenciement pour faute grave

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l'employeur.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Il appartient au juge de qualifier le degré de gravité de la faute. Si la faute retenue n'est pas de nature à rendre impossible le maintien du salarié pendant la durée du préavis, il appartient au juge de dire si le licenciement disciplinaire repose néanmoins sur une cause réelle et sérieuse.

Aux termes de la lettre de licenciement, il est fait grief à M. [W] :

- de problèmes de comportements, caractérisés par une attitude belliqueuse et de l'agressivité, tant envers ses collègues qu'envers la direction et la clientèle, outre un non respect des règles élémentaires d'hygiène et de politesse,

- des fautes professionnelles : défaut de surveillance des denrées en cuisson, rangement et présentation inadaptés des alcools, erreurs diverses ( sur les commandes, les calculs, les prix, les tickets des clients), non respect de la tenue vestimentaire.

Sur les motifs de la lettre de licenciement

Le fait de reporter les mêmes griefs dans la lettre de licenciement que ceux articulés dans la notification de la sanction disciplinaire ne constitue pas une double sanction comme le soutient le salarié et ne justifie nullement de dire que le licenciement est dépourvu de cause réelle ou sérieuse ou que le salarié est fondé à prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur, étant surabondamment observé qu'aucune prise d'acte n'a été faite en l'espèce.

Sur les attestations produites par l'employeur

Si M. [W] soutient, sans demander expressément de les écarter des débats, que plusieurs attestations produites par l'employeur sont irrégulières, il convient de constater :

- que les attestations de Mme [J] et celle de M. [L] (et non [N]) constituent deux documents séparés et conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile,

-que l'attestation de Mme [R] est accompagnée d'une pièce d'identité, ainsi que toutes les attestations produites aux débats

Les attestations produites sont donc conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile.

Sur la faute grave

Il résulte des très nombreuses attestations de clients, ainsi que des témoignages circonstanciés de personnels produits par l'employeur que M. [W] s'est montré en leur présence, non seulement particulièrement irrespectueux, mais aussi insultant envers M. [P], le gérant et son épouse, en leur tenant dans l'enceinte de l'établissement des propos outrageants et d'une particulière grossièreté (précisés dans les attestations), et ce de façon non exceptionnelle.

Il est également établi qu'il a publiquement usé du même vocabulaire insultant et vulgaire à l'égard d'un de ses collègues.

Il est également avéré qu'il pouvait être désinvolte, désagréable voire grossier envers la clientèle, balançant avec mauvaise humeur sur la table un café, un verre d'eau ou du sucre réclamé, faisant remarquer publiquement la modicité d'un pourboire, facturant malgré les consignes expresses de son employeur une rondelle de citron, refusant de renseigner une cliente sur une adresse et l'injuriant, refusant à une autre d'indiquer un magasin en l'insultant à son tour et ayant à plusieurs reprises injurié des femmes, y compris des passantes, en tenant des propos outrageants, sexistes et vulgaires.

Ces témoignages caractérisent aussi des erreurs dans les commandes, des erreurs répétées de rendu de monnaie et une grande désinvolture face à ces erreurs. L'un d'eux évoque la saleté de ses tenues.

Plusieurs clients précisent que ce comportement les incitait à éviter l'établissement ou du moins ce serveur.

Mme [P] justifie quant à elle au 11 juin 2012 d'un traitement et d'une psychothérapie de soutien depuis le 10 janvier 2011 'pour syndrome dépressif réactionnel à un contexte professionnel (harcèlement par un employé)'.

La société le Vaugirard verse aux débats plusieurs attestations de clients appréciant ses qualités professionnelles et ne l'ayant jamais vu manquer de respect à quiconque.

Plusieurs de ces mêmes clients, ainsi qu'un ancien employé évoquent les pressions dont il aurait été victime de la part de ses employeurs et sa fatigue subséquente, sans énoncer cependant de faits ou circonstances précis permettant d'établir la réalité et l'importance des prétendues pressions et de les distinguer de l'exercice normal d'un pouvoir de direction.

La fatigue peut en revanche être déduite des pièces produites par l'employeur qui établit qu'il bénéficiait d'un suivi médical renforcé par la médecine du travail, avec interdiction de porter des charges de plus de 20 kg et nécessité d'effectuer des pauses en l'absence des clients.

Pour autant, cette fatigue ne caractérise pas les pressions de l'employeur évoquées, étant par ailleurs observé que celui-ci avait tenu compte de cette fatigue, notamment par la modification de ses horaires de travail.

M. [W] justifie aussi d'un état 'sub-dépressif à dépressif' au 10 mars 2011, d'un arrêt de travail à partir du 15 mars jusqu'au 1er juin 2011 et d'un suivi dans une unité de psychopathologie du travail du 30 mars au 20 mai 2011, contemporains de l'engagement de la procédure disciplinaire.

Si M. [W] démontre qu'il a pu adopter un comportement apprécié par plusieurs clients, force est de constater que plus de trente attestations circonstanciées établissent qu'il a commis dans les derniers mois de son service, particulièrement entre janvier et mars 2011, des manquements répétés dans l'exercice de son activité professionnelle, tant avant la sanction disciplinaire qu'il a refusée, que dans les semaines qui ont suivi.

Ces manquements répétés et persistants, qui ont nuit à l'image de l'établissement et conduit Mme [P] à un syndrome dépressif, ont rendu son maintien dans l'entreprise impossible et justifient le licenciement pour faute grave qu'il a subi.

M. [W] n'établit pas que la cause réelle de ce licenciement résiderait dans l'obligation qui avait été faite à son employeur de lui aménager ses horaires de travail.

Il sera débouté de sa demande de voir juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef

Sur les demandes indemnitaires

Sur l'existence d'un préjudice distinct

Si la preuve d'une irrégularité de procédure n'est pas rapportée par le rapport de M. [Z], conseiller salarié régulièrement désigné, sa relation des circonstances dans lesquelles s'est tenu l'entretien préalable au licenciement, dans la salle de restaurant, en présence de clients, dont certains sont intervenus aux débats, caractérise des circonstances vexatoires, qui justifient l'allocation de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1147 du code civil.

Le préjudice moral subi par M. [W] sera réparé par l'allocation d'une somme de 2.000€ à titre de dommages et intérêts. Cette condamnation emportera au taux légal à compter à compter de la présente décision conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur les autres demandes indemnitaires

Le licenciement ayant une cause grave, M. [W] sera débouté de l'ensemble de ses autres demandes indemnitaires.

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle

L'employeur, qui avait déjà demandé des dommages et intérêts pour procédure abusive en première instance, n'établit pas en quoi le droit d'agir en justice de M. [W] aurait dégénéré en abus, quand bien même il succombe en ses demandes.

Il sera débouté de sa demande fondée sur l'art 32-1 du code de procédure civile.

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur les frais irrépétibles

M. [W] qui succombe sera condamné aux dépens de l'instance et conservera la charge de ses frais irrépétibles.

L'équité et les circonstances de la cause commandent de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la société Le Vaugirard qui se verra allouer la somme de 2.500 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement en ce qu'il a débouté M. [W] de sa demande indemnitaire liée au non respect de la procédure de licenciement ;

Statuant à nouveau ,

Condamne la société Le Vaugirard à verser à M. [W] une somme de 2.000 € de dommages et intérêts au titre de son préjudice distinct ;

Dit que cette condamnation portera intérêt au taux légal à compter de la présente décision;

Confirme le jugement entrepris pour le surplus ;

Y ajoutant,

Condamne M. [W] aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne M. [W] à payer à la société Le Vaugirard la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute M. [W] de sa demande présentée au titre des frais irrépétibles.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 13/07137
Date de la décision : 15/05/2019

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°13/07137 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-05-15;13.07137 ?
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