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14/05/2019 | FRANCE | N°17/05118

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 14 mai 2019, 17/05118


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRET DU 14 MAI 2019

(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/05118 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3BOM



Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Septembre 2016 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F15/04651





APPELANTE



RÉPUBLIQUE FÉDÉRATIVE DU BRÉSIL prise en la personne de L'AMBASSADEUR DU BRÉSIL EN FRANCE

[Adr

esse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Fabrice PERRUCHOT, avocat au barreau de PARIS, toque : J094

substitué par Me





INTIME



Monsieur [W] [V]

[Adresse 2]

[Loca...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRET DU 14 MAI 2019

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/05118 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3BOM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Septembre 2016 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F15/04651

APPELANTE

RÉPUBLIQUE FÉDÉRATIVE DU BRÉSIL prise en la personne de L'AMBASSADEUR DU BRÉSIL EN FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Fabrice PERRUCHOT, avocat au barreau de PARIS, toque : J094

substitué par Me

INTIME

Monsieur [W] [V]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Sylvain ROUMIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C2081

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Février 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Didier MALINOSKY, Vice-président placé, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Sylvie HYLAIRE , présidente

Monsieur Denis ARDISSON, président

Monsieur Didier MALINOSKY, vice-président placé

Greffier, lors des débats : Mme Anna TCHADJA-ADJE

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- Mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- Signé par Madame Sylvie HYLAIRE, présidente, et par Mme Caroline GAUTIER, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [W] [V], né en 1961, a été engagé par l'ambassade du Brésil en contrat à durée indéterminée à compter du 17 janvier 2007 en qualité d'auxiliaire d'appui et en particulier pour les activités de chef cuisinier « sous l'autorité de ses supérieurs hiérarchiques et dans le cadre des instructions de ces derniers ».

Sa rémunération brute mensuelle pour 151h67 était fixée à la somme de 3.048,26 €.

Il était indiqué que pour les besoins du service, les 151h67 de travail mensuel pourront être modifiées et réparties « à la convenance de l'employeur » et que le salarié sera amené à assurer au siège de l'ambassade du Brésil ou à son domicile « certaines permanences dont les modalités seront déterminées en fonction des besoins du service, le week-end, en soirée, etc et que les heures supplémentaires seront rémunérées comme telles conformément à la réglementation en vigueur ».

Il n'y a pas de convention collective applicable et l'ambassade du Brésil emploie plus de 11 salariés.

Le 19 février 2014, M. [V] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 6 mars 2014 en vue d'un éventuel licenciement.

Il a été licencié le 10 mars 2014 suivant lettre recommandée avec avis de réception présentée le 12 mars 2014 avec dispense d'exécution du préavis de deux mois.

La lettre de licenciement rappelle que M. [V] doit cuisiner quotidiennement pour Monsieur l'Ambassadeur ainsi que lors des réceptions qu'il organise et que ses fonctions et responsabilités sont donc très importantes, la cuisine et la table de l'Ambassade participant au rayonnement et à l'image du Brésil pour les invités et hauts dignitaires.

Sont visés les faits suivants :

- depuis plusieurs mois malgré de nombreuses remarques, vous persistez à ne pas remplir vos fonctions de manière satisfaisante pour M. l'Ambassadeur

- vous adoptez un comportement totalement réfractaire aux remarques qui vous sont faites outre un comportement général inapproprié :

- « 1° - Alors que Monsieur l'Ambassadeur ainsi que son épouse vous ont à maintes reprises demandé d'acheter certains produits plutôt que d'autres, de veiller à vous approvisionner auprès de fournisseurs de qualité, de préparer les plats selon certaines manières très précises y inclus lors d'événements officiels dont vous ne pouvez ignorer l'importance, vous faites totalement fi de leurs demandes et persistez à ne pas vous conformer aux directives, continuant de cuisiner comme vous l'entendez et à votre façon ;

Il arrive fréquemment que vous n'achetiez pas les produits qui vous sont demandés par Monsieur l'Ambassadeur, lequel exige des produits de très grande qualité compte tenu de l'image que doit donner l'Ambassade ; alors que celui-ci souhaite que vous achetiez du coeur de saumon, partie la plus épaisse et la moins grasse, lorsque vous n'en trouvez pas dès le premier fournisseur, vous achetez un autre morceau alors qu'au sein du quartier où vous vous approvisionnez, il est sans conteste possible de trouver du coeur de saumon. Il a déjà été constaté que les produits que vous utilisiez n'étaient pas totalement frais (...).

- Alors que vous savez que vous êtes tenu de préparer et cuisiner vous-même les plats avec des produits frais de qualité, nous avons découvert que vous aviez cuisiné avec des produits de qualité secondaire ou surgelés (en novembre dernier, lors d'un repas de l'ambassadeur et de son épouse, vous aviez acheté de la viande hachée dans un supermarché quelconque alors qu'il est évident qu'il convenait d'aller chez un boucher de qualité et la faire hacher vous-même). Lorsque nous vous avons fait part de notre mécontentement, vous avez reconnu les faits sans pour autant nous apporter de justification satisfaisante puisque vous avez simplement indiqué ne pas avoir eu le temps d'aller chez un fournisseur de qualité.

- Or compte tenu du budget conséquent qui vous est alloué et des heures de travail qui vous sont demandées, vous vous devez d'acheter des produits de qualité.

- 2°) Outre le fait de vous comporter comme bon vous semble, votre comportement général est totalement inapproprié :

- vous n'acceptez aucune critique ou remarque quant à la qualité de votre travail, à chacune de ces occasions, vous cherchez systématiquement des excuses ou considérez que vous avez nécessairement raison ou bien encore vous remettez en cause les goûts et préférences des autres.

Ce comportement conduit à des situations de blocage et nuit à l'esprit convivial qui doit régner au sein de l'Ambassade.

Ce type de comportement se retrouve également dans les relations parfois tendues que vous entretenez avec d'autres salariés de l'ambassade, il n'est pas rare que certains d'entre eux se plaignent de votre caractère rigide et autoritaire, ce qui nuit au travail d'équipe.

- cette situation est d'autant plus inacceptable qu'outre les points réguliers avec vous, vous aviez déjà eu un blâme le 8 décembre 2010 pour avoir eu une violente altercation avec l'un des salariés de l'ambassade.

- un tel comportement n'est pas compatible avec une Ambassade comme la nôtre qui organise des réceptions officielles et à ce titre, se doit de recevoir ses hôtes de la meilleure manière possible et de leur offrir une cuisine de grande qualité, d'autant que la France est un pays reconnu pour son art culinaire (...).

M. [V] a perçu une indemnité de licenciement de 4.592,91 € et une indemnité compensatrice de congés payés de 3.554,71 €.

Le 20 avril 2015, M. [V] a saisi le conseil des prud'hommes de Paris qui, par jugement rendu le 20 septembre 2016, a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné l'employeur à lui payer les sommes suivantes :

- 37.700,00 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 18.836,10 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,

- 1.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le conseil a ordonné à l'employeur de :

- remettre à M. [V] une attestation d'employeur destinée au Pôle Emploi rectifiée et un bulletin de paie conformes au jugement,

- régulariser la situation de M. [V] auprès des organismes sociaux dont l'URSSAF, la caisse de retraite complémentaire et organismes de prévoyance,

- le tout sous astreinte de 5 € par jour de retard et par document, le délai commençant à courir 15 jours après la notification du jugement, le conseil se réservant le droit de la liquidation,

- le conseil rappelant qu'en application de l'article R. 1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaires, calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire, fixée à la somme de 3.138,89 € et ordonnant la capitalisation des intérêts légaux en application de1'artíc1e 1 154 du code civil.

Le conseil a débouté M. [V] du surplus de ses demandes, la République Fédérative du Brésil de sa demande reconventionnelle et a condamnée celle-ci aux dépens.

Le 31 mars 2017, la République Fédérative du Brésil pris en la personne de M. l'Ambassadeur a relevé appel de la décision.

Suivant conclusions adressées par le réseau privé virtuel des avocats le 15 janvier 2019, la République Fédérative du Brésil prise en la personne de M. l' Ambassadeur du Brésil en France demande à la cour de dire que le licenciement de M. [V] est justifié, que le contrat de travail a été exécuté loyalement et que l'intimé a été rempli de ses droits.

Elle sollicite en conséquence la confirmation du jugement en ce qu'il a constaté l'absence de travail dissimulé mais son infirmation pour le surplus.

Subsidiairement, elle conclut à la limitation du montant du rappel d'heures supplémentaires à la somme de 2.302,27 € bruts et à celui des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 18.836,10 € bruts.

En tout état de cause, elle demande à la cour de condamner M. [V] à lui payer la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.

Aux termes de ses conclusions adressées par voie électronique le 15 janvier 2019, M. [V] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé son licenciement sans cause réelle et sérieuse, a fixé la moyenne de ses salaires mensuels à la somme de 3.138,89 €, a condamné l'Ambassade du Brésil à lui payer des heures supplémentaires ainsi que la somme de 18.836,10 € en application de l'article L. 1222-1 du code du travail mais de l'infirmer dans ses autres dispositions et notamment sur le quantum des sommes allouées au titre des heures supplémentaires et des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Statuant à nouveau, il demande à la cour de condamner l'Ambassade du Brésil à lui payer les sommes de :

- 56.500 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- à titre principal 51.377,50 € au titre des 1.811,30 heures effectuées en heures supplémentaires d'avril 2009 jusqu'à la date de la rupture du contrat de travail plus les congés payés afférents à hauteur de 5.137,80 € et subsidiairement, 36.606,18 € au titre des 1301,3h heures effectuées en heures supplémentaires à compter d'avril 2010 plus les congés payés afférents pour 3.660,62 €,

- 18.836,10 € à titre de dommages intérêts pour travail dissimulé,

- 18.833,34 € à titre de dommages intérêts pour licenciement vexatoire,

- 15.413,25 € en réparation du préjudice de retraite et à titre subsidiaire, la somme de 10.981,85 €,

- 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il demande en outre de dire que les condamnations porteront intérêts légaux capitalisés et sollicite, la remise sous astreinte de 200 € par jour et par document, avec réservation de la liquidation par la cour, d'une attestation Pôle Emploi, de bulletins de salaire rectifiés ainsi que la régularisation de sa situation par l'appelante auprès des organismes sociaux (URSSAF, caisses de retraite et organisme de prévoyance).

Le dossier a été communiqué au Ministère Public.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2019.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

L'appelante soutient que le licenciement de M. [V] repose sur une cause réelle et sérieuse et invoque deux griefs :

- le fait de ne pas se conformer aux directives de l'Ambassadeur et de son épouse en matière d'achats des produits culinaires,

- un comportement réfractaire aux remarques et des relations parfois tendues avec d'autres salariés de l'Ambassade.

M. [V] rétorque que la lettre de licenciement ne contient aucun élément précis et objectif non prescrit ; il invoque la qualité de son travail reconnue par tous les ambassadeurs et leurs épouses qu'il a servis tout au long de la relation contractuelle, fait valoir qu'il a toujours acheté des produits frais de qualité et non de qualité secondaire ou surgelés et que, s'agissant du seul exemple cité par l'appelante concernant « l'achat de viande hachée dans un supermarché quelconque » qui selon la lettre de licenciement s'est produit « en novembre dernier », il n'avait alors été formé à son encontre aucun reproche dans les deux mois suivants ni postérieurement et qu'aucun autre exemple n'étant cité cela démontre qu'il respectait les consignes.

Concernant le comportement qui lui est reproché, M. [V] s'insurge contre la référence faite dans la lettre de licenciement au blâme qu'il avait reçu le 8 décembre 2010 suite à une chamaillerie entre collègues de cuisine.

Il rappelle le déroulement de sa carrière, son travail pendant trois ans pour l'ambassadeur [E] [B] et produit de nombreux témoignages de cette dernière quant à la satisfaction de son travail et la qualité des mets qu'il lui servait ainsi qu'à ses convives ; il communique également de nombreux mails de félicitations tant de l'ambassadrice que des convives.

Il indique avoir entretenu de bonnes relations avec le nouvel Ambassadeur M. [X] de 2010 à décembre 2012, qu'à cette date, le second de cuisine ayant démissionné, l'ancien chef de cuisine de l'Ambassadeur, lorsqu'il était en poste à Londres, a été recruté pour remplacer le second de cuisine mais également en tant que chef de cuisine soit au même niveau que lui-même et qu'à partir de janvier 2013, il s'est vu retirer la gestion budgétaire de la comptabilité de l'activité avec l'embauche d'un gestionnaire de cuisine en avril 2013 (fait contesté par l'appelante) ; il indique qu'à partir du mois de novembre 2013, l'Ambassadeur avait décidé de ne plus consommer la nourriture qu'il cuisinait (affirmation contestée par l'appelante), contrairement à son épouse et sa famille, sans qu'il ait reçu d'explication.

Il soutient qu'à partir de la fin de 2013, l'Ambassade s'est attachée à la mise en place d'un processus visant à lui nuire et à le pousser à démissionner, qu'ainsi le 28 janvier 2014, il avait été convoqué par le chef de l'administration qui lui avait proposé de prendre un congé sabbatique de 15 mois, le temps que l'Ambassadeur [X] soit rappelé au Brésil, ce qu'il avait refusé et il explique que c'est son refus qui a conduit à sa convocation à un entretien préalable dès février 2014 puis à son licenciement.

Aux termes de l'article L. 1232-1 du code du travail. , le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse et les motifs invoqués doivent être précis et matériellement vérifiables ; selon l'article L. 1235-1 du code du travail, le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, il forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utile ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l'espèce, la cour constate qu'aucune directive émanant de l'Ambassadeur n'est versée aux débats concernant les achats de produits et qu'en tout état de cause il n'est pas justifié de faits datés concernant des directives qui n'auraient pas été respectées par le salarié ; l'achat de la viande hachée, situé dans la lettre de licenciement au mois de novembre 2013, n'a pas été sanctionné ni même relevé dans les deux mois malgré la prétendue importance qui y était donnée par l'Ambassadeur.

Les nombreux mails communiqués par M. [V] émanant de l'épouse de l'ambassadeur [X] y compris de 2013, justifient de la qualité de sa cuisine et de la satisfaction de cette dernière; M. [V] justifie encore qu'il prévenait par exemple l'épouse de l'ambassadeur (mail du12 février 2013) quant il rencontrait une difficulté pour satisfaire les désirs de l'ambassadeur « pour M. l'Ambassadeur, la mozarella light est introuvable, quant aux cottages cheezes ce sont toujours les mêmes... pour ce soir, le poisson grillé servi sera du vivaneau ».

La cour considère en conséquence que le premier grief n'est pas sérieux.

S'agissant du comportement reproché à M. [V], le blâme qu'il a reçu en 2010, soit plus de trois ans avant l'engagement de la procédure de licenciement, est sans effet sur l'examen du grief invoqué dans la lettre de licenciement et doit être écarté de toute considération, dans la mesure où en application de l'article L. 1333-1 du code du travail aucune sanction antérieure de plus de trois ans ne peut être invoquée à l'appui d'une nouvelle sanction ; or, en dehors de ce blâme sur lequel l'Ambassade du Brésil indique avoir seulement voulu le rappeler pour illustrer le comportement du salarié, l'appelante ne communique aucune autre pièce de sorte qu'elle n'établit pas le grief.

Il s'ensuit que la cour considère que ni la réalité des faits ni leur caractère réel et sérieux ne sont établis en sorte qu'il convient de confirmer le jugement du conseil des prud'hommes en ce qu'il a estimé que le licenciement de M. [V] est sans cause réelle et sérieuse.

Eu égard au salaire mensuel de référence de M. [V] qu'il convient de fixer à la somme de 3.138,89 €, somme qu'il indique lui-même et qui n'est pas contestée, à son ancienneté, à son âge, aux changements et difficultés engendrés par le licenciement pour se reloger, au fait qu'il a retrouvé un emploi le 1er juin 2014 en qualité de chef de cuisine, agent de maîtrise, au salaire de base de 2.236 €, il y a lieu en application de l'article L.1235-3 du code du travail de juger que la somme de 37.700 € qui lui a été allouée par le conseil des prud'hommes à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est appropriée au préjudice subi et en conséquence de confirmer le jugement de ce chef.

En application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, il sera ordonné le remboursement par l'employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié depuis son licenciement dans la limite d'un mois d'indemnités.

Sur la demande de rappel d'heures supplémentaires et de dommages intérêts pour travail dissimulé

L'article L. 3171-4 du code du travail dispose qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié, qui doit fournir au juge des éléments de nature à étayer sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en tant que de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En tout état de cause, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production de tous éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en apportant la preuve contraire.

En l'espèce, M. [V] soutient qu'il réalisait entre 13h et 16h de travail par jour depuis 2009 alors qu'il était payé pour 151h67 par mois dans le cadre d'une pseudo convention de forfait ; il verse aux débats ses agendas ainsi que les tableaux d'heures supplémentaires réclamées pour les années 2009 (à compter d'avril) à 2014 incluse.

La République Fédérative du Brésil prise en la personne de M. l' Ambassadeur du Brésil en France soulève d'abord la prescription d'une partie de la demande de M. [V] compte tenu de la loi de sécurisation de l'emploi en application depuis le 17 juin 2013. Il y a lieu en effet de juger qu'en application de la loi précitée, les heures supplémentaires antérieures à avril 2011 sont prescrites en application de l'article L. 3245-1 du code du travail, compte tenu de la date de saisine du conseil des prud'hommes (20 avril 2015) et de la date de rupture du contrat de travail.

La République Fédérative du Brésil prise en la personne de M. l' Ambassadeur du Brésil en France conteste par ailleurs la crédibilité des demandes du salarié au motif qu'il n'a jamais rien réclamé, que les réclamations de ce dernier ont varié au fil de la procédure qui les a opposés et indique que le contrat prévoyait une rémunération forfaitaire pour 151h67 par mois.

Elle verse aux débats des plannings mensuels pour la période non prescrite et indique que M.[V] bénéficiait de nombreux jours de repos dont elle produit le relevé sous forme de tableaux inclus dans ses conclusions ; elle relève des incohérences dans les calculs et pièces communiqués par le salarié par rapport aux plannings et fait valoir qu'il n'indique jamais les temps de pause et que la préparation des déjeuners et dîners ne nécessitait pas 11h de travail sans discontinuer ; elle reconnaît qu'il n'y avait pas de contrôle du temps de travail qui reposait sur la confiance réciproque si bien que seules les heures supplémentaires déclarées en fin de mois par les salariés étaient réglées ; elle soutient que M. [V] a reçu le paiement d' heures supplémentaires sur la période non prescrite, lesquelles ne sont toutefois pas portées sur les bulletins de salaire : 1.660 € entre mars et décembre 2011, 620 € en 2012, 160 € en 2013 (sommes que M. [V] ne conteste pas avoir reçues).

A titre subsidiaire, l'Ambassade du Brésil indique qu'en tout état de cause il ne pourrait être reconnu que 204h63 ressortant des plannings que M. [V] soutient n'être que prévisionnels.

La seule fixation d'une rémunération forfaitaire, sans que soit déterminé le nombre d'heures supplémentaires incluses dans cette rémunération, ne permet pas de caractériser une convention de forfait, de sorte que c'est sans pertinence que l'appelante se réfère au forfait de 151h67 et à la rémunération forfaitaire mentionnée au contrat de travail qui ne contient pas une convention de forfait régulière et qui est en conséquence inopposable au salarié.

En l'absence de système de contrôle du temps de travail effectif des salariés, après examen comparatif des différents éléments communiqués par les parties et des agendas du salarié comportant des horaires de présence, sans qu'il soit établi que cela constituait systématiquement du travail effectif compte tenu des plannings versés aux débats et à l'absence de mention des temps de pause notamment pour le déjeuner, la cour constate que M. [V] a manifestement effectué des heures supplémentaires au-delà de celles qui lui ont été payées par le biais des sommes mentionnées ci-dessus, mais pas dans la proportion qu'il réclame.

Eu égard à l'ensemble des éléments communiqués, au taux horaire majoré, il y a lieu de condamner l'employeur au paiement de la somme de 13.293,70 € correspondant aux heures supplémentaires réellement effectuées n'ayant pas fait l'objet de rémunération, somme à laquelle il convient d'ajouter les congés payés afférents à hauteur de 1.329,37€.

La République Fédérative du Brésil prise en la personne de M. l' Ambassadeur du Brésil en France fait valoir qu'elle n'a pas cherché à dissimuler le nombre d'heures de travail réalisées par M. [V], qu'elle avait seulement une méconnaissance de la loi française et que c'est la raison pour laquelle elle ne les mentionnait pas sur les bulletins de salaire, ce qu'elle fait dorénavant.

Il y a lieu de confirmer le jugement du conseil des prud'hommes qui a rejeté la demande de dommages intérêts de M. [V] pour travail dissimulé ; en effet la cour constate que l'élément intentionnel de recourir au travail dissimulé n'est pas suffisamment caractérisé en l'espèce.

Sur les demandes de dommages intérêts pour licenciement vexatoire et pour préjudice de retraite

La République Fédérative du Brésil prise en la personne de M. l' Ambassadeur du Brésil en France soulève à tort le caractère irrecevable de ces demandes en se fondant sur les articles 564 à 566 du code de procédure civile.

Le conseil des prud'hommes ayant été saisi le 20 avril 2015, le bénéfice de la loi antérieure et de l'unicité de l'instance rend les demandes recevables, la loi du 1er août 2016 n'étant applicable qu'aux procédures prud'homales introduites postérieurement.

La procédure de licenciement a été régulièrement suivie, cependant les circonstances du licenciement et la tentative qui l'a précédée de faire accepter par le salarié un congé sabbatique alors même qu'il est justifié qu'il n'avait reçu depuis des années et encore en 2013, peu de temps avant son licenciement, que des compliments sur la qualité de ses menus et sur son travail et de nombreuses félicitations, constituent des faits particulièrement vexatoires générateurs d'un préjudice distinct de celui réparé par les dommages intérêts accordés en application de l'article L. 1235-3 du code du travail et il y a lieu d'allouer à M. [V] la somme de 5.000 € à titre de dommages intérêts comme appropriée à son préjudice.

M. [V], né en 1961, n'a pas encore atteint l'âge de faire valoir ses droits à la retraite ; le rappel d'heures supplémentaires alloué par la cour donnera lieu à déclaration aux organismes de retraite et à l'URSSAF de sorte que le préjudice de retraite invoqué n'est pas en l'état établi et que la demande à ce titre doit être rejetée.

Sur la demande de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat

Il résulte des pièces versées aux débats que le salarié n'a pas eu au cours de l'exécution de son contrat de travail d'entretien permettant de vérifier qu'en dépit des heures supplémentaires qu'il effectuait, il bénéficiait de ses temps de repos quotidien et hebdomadaire compte tenu des services assurés des fins de semaines et jours de réceptions et même s'il ne se déduit pas de certains envois tardifs de mails de l'épouse de l'Ambassadeur à M. [V] qu'il était, comme il le soutient sans réel fondement, à la disposition constante et permanente de l'Ambassade et sans liberté, il a été jugé ci-avant que M. [V] effectuait de nombreuses heures supplémentaires qui ne lui ont pas été rémunérées dans leur intégralité, le privant ainsi d'une source de revenu pour ses besoins personnels.

Il n'est en outre pas démenti par l'appelante que le salarié a été incité à accepter la prise d'un congé sabbatique de 15 mois dans l'attente que M. l'Ambassadeur soit rappelé au Brésil, faisant ainsi peser sur lui une pression morale et un climat d'insécurité.

La cour trouve dans ces faits, des éléments pour considérer comme l'a retenu le conseil des prud'hommes, que le contrat de travail n'a pas été exécuté loyalement ; il y a lieu néanmoins réformant le jugement d'allouer de ce chef à M. [V] la somme de 8.000 € à titre de dommages intérêts comme appropriée à la réalité du préjudice subi.

Sur les autres demandes

Il y a lieu de faire droit à la demande de remise des documents sociaux conformes et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, sans qu'il y ait lieu à astreinte (attestation Pôle Emploi , bulletin de salaire récapitulatif).

Il convient par ailleurs de dire que la République Fédérative du Brésil prise en la personne de M. l' Ambassadeur du Brésil en France devra régulariser la situation de M. [V] auprès des différents organismes sociaux et de retraite (URSSAF, caisse de retraite et complémentaire et organisme de prévoyance), dans le même délai, sans qu'il y ait lieu à astreinte.

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1153 et 1153-1 du code civil, recodifiés sous les articles 1231-6 et 1231-7 du même code par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 Février 2016, en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Il y a lieu de dire que les intérêts dus seront capitalisés année par année conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil recodifié sous l'articlde 1343-2 du même code.

La République Fédérative du Brésil prise en la personne de M. l' Ambassadeur du Brésil en France succombe partiellement en son appel ; elle conservera la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés et sera condamnée à payer la somme de 3.000 € à M. [V] en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Confirme le jugement en ce qu'il a fixé le salaire de référence de M. [W] [V] à la somme de 3.138,89 €, a dit que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, a condamné la République Fédérative du Brésil prise en la personne de M. l' Ambassadeur du Brésil en France à lui payer la somme de 37.700 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et celle de 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et l' a débouté de sa demande de dommages intérêts pour travail dissimulé,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la République Fédérative du Brésil prise en la personne de M. l' Ambassadeur du Brésil en France à payer à M. [W] [V] les sommes de :

- 13.293,70 € au titre des heures supplémentaires effectuées et non rémunérées d'avril années 2011 à 2014 incluse plus 1.329,70 € pour congés payés afférents,

- 8.000 € à titre de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 5.000 € à titre de dommages intérêts pour licenciement vexatoire,

Ordonne la délivrance par la République Fédérative du Brésil prise en la personne de M. l' Ambassadeur du Brésil en France à M. [W] [V] d'une attestation employeur pour Pôle Emploi rectifiée, d'un bulletin de salaire récapitulatif conforme à la présente décision, et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision,

Dit que la République Fédérative du Brésil prise en la personne de M. l' Ambassadeur du Brésil en France devra régulariser la situation de M. [W] [V] auprès des différents organismes sociaux et de retraite (URSSAF, caisse de retraite et caisse complémentaire et organisme de prévoyance) et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision,

Dit que les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

Dit que les intérêts dus seront capitalisés année par année conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil recodifié sous l'article 1343-2 du même code,

Ordonne le remboursement par la République Fédérative du Brésil prise en la personne de M. l'Ambassadeur du Brésil en France aux organismes intéressés des indemnités chômage éventuellement versées à M. [W] [V] suite à son licenciement dans la limite d'un mois,

Rejette toutes autres demandes des parties,

Condamne la République Fédérative du Brésil prise en la personne de M. l' Ambassadeur du Brésil en France aux dépens y compris les frais d'exécution et à payer à M. [W] [V] la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 17/05118
Date de la décision : 14/05/2019

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°17/05118 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-05-14;17.05118 ?
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