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10/05/2019 | FRANCE | N°17/07995

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 12, 10 mai 2019, 17/07995


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12



ARRÊT DU 10 Mai 2019



(n° , 6 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/07995 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3PYF



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Mai 2017 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CRETEIL RG n° 15-00378





APPELANTE

Madame [D] [M]

née le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 1] (95)



[Adresse 1]

[Localité 2]

comparante en personne, assistée de Me Emilie VIDECOQ, avocat au barreau de PARIS, toque : C2002





INTIMEES

SAS PHARE OUEST STUDIO

[Adresse 2]

[Localité 3]...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12

ARRÊT DU 10 Mai 2019

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/07995 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3PYF

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Mai 2017 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CRETEIL RG n° 15-00378

APPELANTE

Madame [D] [M]

née le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 1] (95)

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparante en personne, assistée de Me Emilie VIDECOQ, avocat au barreau de PARIS, toque : C2002

INTIMEES

SAS PHARE OUEST STUDIO

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Gwenaëlle SMET ARTUR, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Rosine DE MATOS, avocat au barreau de PARIS

CPAM DU VAL DE MARNE

Division du contentieux [Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par M. [C] en vertu d'un pouvoir général

Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale

[Adresse 4]

[Localité 5]

avisé - non comparant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 février 2019 en audience publique et rapporteur, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Claire CHAUX, Présidente de chambre, et monsieur Lionel LAFON, conseiller, chargés du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Claire CHAUX, présidente de chambre

Madame Chantal IHUELLOU-LEVASSORT, conseillère

Monsieur Lionel LAFON, conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Mme DAMPIERRE Vénusia, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. L'arrêt mis à disposition initialement le 5 avril 2019 a été prorogé au 10 mai 2019.

-signé par madame Claire CHAUX, présidente de chambre, et par Mme Vénusia DAMPIERRE, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par Mme [D] [M] d'un jugement rendu le 18 mai 2017 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de CRETEIL dans un litige l'opposant à la société PHARE OUEST STUDIO en présence de la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne.

FAITS , PROCEDURE , PRETENTIONS DES PARTIES

Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard .

Il suffit de rappeler que Mme [M], employée en qualité de journaliste reporter images par la société PHARE OUEST STUDIO, a été victime le 8 août 2012, à [Localité 6] au Cambodge d'un accident du travail.

Selon les termes de la déclaration d'accident du travail complétée en France par l'employeur le 14 août 2012, lors du tournage d'un reportage "l'assurée est tombée quelques jours auparavant et s'est cognée. Une plaie a été soignée superficiellement mais une infection s'est logée dans la plaie qui a nécessité une hospitalisation le 13 août 2012."

L'employeur était avisé de l'accident le 8 août 2012, survenu à 15h. Il n'était pas fait mention d'un arrêt de travail.

Un premier certificat médical était dressé le 13 août 2012 à l'hôpital [Établissement 1] rédigé en langue anglaise, indiquant que cinq jours avant la victime avait glissé et était tombée.

Il en résultait une blessure ouverte au bas de la jambe gauche, traitée aux antibiotiques. Mme [M] était rapatriée et prise en charge à l'hôpital [Établissement 2] le 18 août 2012.

Elle avait contracté au Cambodge un staphylocoque qui a été soigné en France, et a été en arrêt de travail jusqu'en novembre 2012.

L'accident a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne au titre de la législation professionnelle par décision du 12 février 2015.

Mme [M] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de CRETEIL par lettre du 27 mars 2015 aux fins de voir juger que l'accident du travail était dû à la faute inexcusable de son employeur.

Par jugement du 18 mai 2017 ce tribunal a rejeté l'ensemble des demandes de Mme [M].

C'est le jugement attaqué.

Mme [M] fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions invitant la cour:

- à infirmer le jugement entrepris,

- à juger que l'accident du travail du 8 août 2012 est dû à la faute inexcusable de l'employeur,

- à fixer la rente à son maximum,

- à ordonner une expertise, aux frais avancés de la caisse,

- à ordonner à la caisse de lui verser la somme de 20 000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation de ses préjudices et la somme de 3500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que son employeur l'a envoyée à l'étranger en mission comportant des risques, notamment de chute, et n'a pas pris des mesures de prévention, dans un pays non démocratique aux structures médicales de valeur inégale, sans permis de travail ni autorisation de tournage, que le tournage portait sur des sujets sensibles et était soumis à un rythme intensif, que la collègue reporter qui l'accompagnait n'était pas formée et qu'en plus de sa fonction d'opérateur prise de vue, elle devait faire en partie un travail de reporter, que les conditions de travail sur place étaient épuisantes, 5 semaines sans temps de repos, que tout ce stress et cette fatigue ont causé sa chute.

Elle soutient qu'elle bénéficie d'une présomption de faute inexcusable pour avoir alerté sa hiérarchie sur l'absence de jours de repos, que les lieux de tournage n'ont pas fait l'objet d'un repérage préalable et d'une sécurisation malgré les règles posées par les articles R 4224 -3, -7 et -20 du code du travail, que l'employeur a le devoir de se renseigner sur les dangers encourus par la salariée quand le travail est exécuté hors des locaux de l'entreprise et que le bassin dans lequel elle est tombée est visible sur le site internet de l'hôtel, que l'accident n'est pas fortuit et aurait dû être évité.

La société PHARE OUEST PRODUCTION, qui vient aux droits de la société PHARE OUEST STUDIO, fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions invitant la cour :

- à confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- à débouter Mme [M] de l'ensemble de ses demandes,

- à la condamner à lui verser la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.

Elle met en avant le fait que Mme [M] avait été recrutée au vu de sa riche expérience professionnelle et de sa connaissance de l'Asie, que le carnet de route qui lui avait été remis contenait toutes les informations détaillées sur le tournage, que l'accident du 8 août 2012 n'avait justifié ni hospitalisation ni traitement et qu'elle avait voulu continuer à travailler.

Elle soutient qu'elle ne pouvait pas avoir conscience du danger auquel était exposée sa salariée, que le Cambodge n'est pas un pays à haut risque, que la salariée n'a encouru à aucun moment le risque d'être arrêtée ou incarcérée, qu'il ne s'agissait pas d'un reportage d'investigation, que c'est de manière totalement fortuite que sa jambe a heurté un bloc de verre entourant un bassin après avoir glissé.

Elle ajoute que Mme [M], chef OPV (opérateur prise de vues), avait une grande liberté d'organisation de son travail, que le lieu de tournage où s'est produit l'accident ne lui était pas imposé, qu'elle déterminait elle-même les conditions du tournage, que l'éloignement géographique empêchait l'employeur de vérifier les lieux, que Mme [M] était expérimentée et avait toutes les capacités pour effectuer la mission qui lui était confiée, que le rythme de travail était soutenu mais non harassant, que dès le jour de l'accident, elle a envisagé d'alléger le planning mais que Mme [M] n'a pas voulu, évoquant le 13 août un début d'infection qui ne l'empêchait pas de poursuivre son travail, que la glissade est par nature imprévisible, que les mesures préventives pour la sécurité de Mme [M] étaient prises.

La caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne fait déposer et soutenir oralement par son représentant des conclusions par lesquelles elle s'en remet à justice sur l'existence de la faute inexcusable de l'employeur et sur le principe de la demande en réparation des préjudices de Mme [M], et invite la cour:

- à ramener à de plus justes proportions la provision réclamée,

- à rappeler qu'elle fera l'avance des sommes allouées à Mme [M] mais que la société PHARE OUEST PRODUCTION devra supporter au final les conséquences financières de la reconnaissance de sa faute inexcusable, y compris les frais d'expertise et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions .

SUR CE ,

Il y a lieu de relever que le jugement déféré a été rendu au contradictoire de la société PHARE OUEST STUDIO SAS, qui a été dissoute et dont le patrimoine a été transféré à la société PHARE OUEST PRODUCTIONS. Cette dernière société vient donc aux droits de la première.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les accidents du travail. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il appartient à la victime de justifier que son employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel exposé son salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver de ce danger.

La conscience du danger doit être appréciée objectivement par rapport à la connaissance de ses devoirs et obligation que doit avoir un employeur dans son secteur d'activité.

En outre, il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident . Il suffit qu'elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité soit retenue alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

En l'espèce, Mme [M] était employée par la société PHARE OUEST STUDIO en qualité de chef OPV (opérateur prise de vues), cadre, du 20 juillet au 23 août 2012, pour un tournage au Vietnam, au Cambodge et en Thaïlande, dans une optique de voyage et de découverte, avec des sujets de vie quotidienne, des sujets d'enquêtes et des interviews, destiné à la télédiffusion.

L'accident du 8 août 2012 s'est produit dans l'hôtel "BIZ" situé à [Localité 6] au CAMBODGE. Mme [M], qui allait y tourner une séquence , a glissé et heurté avec sa jambe gauche le bloc de verre saillant qui constituait le rebord d'un bassin. Il en résultait une plaie ouverte.

Mme [M] présente d'abord la mission qui lui avait été confiée comme "à risques" et non préparée par l'employeur.

A la lecture du carnet de route établi par la société employeur et remis à l'appelante il s'agissait de divers sujets de société, et non de journalisme d'investigation. Rien ne permet de considérer que Mme [M] courait le risque d'être arrêtée ou incarcérée pour avoir filmé sans autorisations, et l'accident s'est produit dans un hôtel, c'est à dire dans un endroit protégé.

Mme [M] entreprend de démontrer que ses conditions de travail étaient épuisantes puisqu'il était prévu cinq semaines de tournage sans aucun jour de repos et que cette extrême fatigue imputable à l'employeur serait la cause de l'accident.

Mais le carnet de route remis à l'appelante donnait des indications et des idées de thèmes et de lieux de tournage, avec cette conséquence que Mme [M] comme sa collègue reporter, avaient une grande liberté pour organiser leur travail. Cette organisation souple était adaptée à la mission confiée et aux usages de la profession.

Mme [M] était très expérimentée et apte à remplir la mission qui lui avait été confiée et il n'est établi aucune légèreté de la part de l'employeur pour la lui avoir confiée.

Mme [M] soutient aussi que sa collègue peu expérimentée ne tenait pas son rôle et que sa charge de travail en était accrue, mais cette version des faits ne repose que sur ses propres écrits.

Il ne peut pas donc être considéré que son employeur l'avait soumise à des conditions de travail anormalement rudes et stressantes, qui seraient en lien direct avec l'accident.

Mme [M] affirme avoir alerté son employeur sur le risque qui s'est réalisé, au sens de l'article L 4131-4 du code du travail, et produit ses messages électroniques des 27 et 30 juillet et 4 et 5 août, qui sont antérieurs à l'accident.

Mais il s'agit soit d'un problème technique ponctuel avec un micro, soit de l'évocation d'un état de fatigue général, et rien qui puisse permettre à l'employeur d'avoir conscience du risque qui s'est par la suite réalisé avec la survenance de l'accident.

Il n'y a donc pas de présomption de faute inexcusable de l'employeur.

Le choix de l'hôtel où s'est produit l'accident a été opéré par Mme [M] et sa collègue, et non pas imposé par l'employeur. Il ne donc être reproché à l'employeur de ne pas avoir procédé à un repérage des lieux, situé dans un pays lointain, pour prendre des mesures qui auraient pu empêcher l'accident, par référence à la réglementation française. Les articles R 4224-3, R 4224-7, R 4224-20 du code du travail ne sont pas applicables au litige, et l'employeur ne pouvait pas faire installer des gardes corps, en application de la circulaire DRT du 14 avril 1995, dans un hôtel se trouvant au Cambodge.

L'accident a été qualifié avec raison de banal par le tribunal, et il est apparu également bénin sur le coup. Il en est résulté une plaie et un hématome mais le premier médecin consulté n'a rien décelé de grave et la victime elle-même n'a pas pu en anticiper les conséquences et a continué de travailler.

Dans son message du 11 août 2012 Mme [M] se plaint de sa coéquipière mais nullement de sa jambe. C'est l'infection de la plaie qui a fait d'une blessure à caractère apparemment bénin une lésion sérieuse.

Il est manifeste que les soins dispensés comme la prise en charge de la patiente n'ont pas été satisfaisants au Cambodge, mais l'employeur ne saurait en être tenu pour responsable.

Il n'est donc pas démontré que l'employeur aurait dû avoir conscience du risque auquel la salariée était exposée.

Il n'est pas davantage établi qu'il aurait pu prendre des mesures permettant d'éviter la survenance de l'accident.

De surcroît, entre l'accident et l'infection qui s'est ensuite déclarée, il résulte des messages échangés que la société PHARE OUEST STUDIO a pris en compte la situation de Mme [M] en lui proposant d'alléger son planning. Elle a en outre mis en oeuvre l'assistance souscrite auprès de TOKIO MARINE ASSISTANCE pour faire réaliser des examens médicaux complémentaires, puis organiser son rapatriement et son remplacement.

Et le 13 août 2012, soit cinq jours après l'accident, Mme [M] écrivait à son employeur qu'elle avait un début d'infection, qu'elle allait être traitée aux antibiotiques par intraveineuse la nuit à venir, mais qu'elle n'avait pas de fièvre et qu'elle pouvait travailler. C'est son employeur qui le lendemain insistait pour qu'elle se repose et revienne à [Localité 7] après l'avis du médecin.

La faute inexcusable de l'employeur n'est pas établie.

Il convient donc de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de débouter Mme [M] de l'ensemble de ses demandes.

L'équité commande de condamner Mme [M] à verser à la société PHARE OUEST PRODUCTION la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [M] qui succombe sera condamnée au paiement des dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS ,

LA COUR ,

Deboute Mme [M] de l'ensemble de ses demandes,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Condamne Mme [M] à verser à la SAS PHARE OUEST PRODUCTION la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [M] aux dépens d'appel.

La GreffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 12
Numéro d'arrêt : 17/07995
Date de la décision : 10/05/2019

Références :

Cour d'appel de Paris L3, arrêt n°17/07995 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-05-10;17.07995 ?
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