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24/04/2019 | FRANCE | N°17/14909

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 24 avril 2019, 17/14909


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 4



ARRÊT DU 24 AVRIL 2019



(n° , 27 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 17/14909 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B32VP (dossier joint : RG n° 17/15667)



Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juillet 2017 - Tribunal de Commerce d'EVRY - RG n° 2016F00674





APPELANTES



- SASU ITM ALIMENTAI

RE INTERNATIONAL

Ayant son siège social : [Adresse 1]

[Localité 1]

N° SIRET : 341 192 227 (PARIS)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège ...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRÊT DU 24 AVRIL 2019

(n° , 27 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 17/14909 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B32VP (dossier joint : RG n° 17/15667)

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juillet 2017 - Tribunal de Commerce d'EVRY - RG n° 2016F00674

APPELANTES

- SASU ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL

Ayant son siège social : [Adresse 1]

[Localité 1]

N° SIRET : 341 192 227 (PARIS)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

Me Pierre DEPREZ de la SCP DEPREZ, GUIGNOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0221

Appelante dans le dossier 17/15667 et intimée dans le dossier 17/14909

- SNC LIDL

Ayant son siège social : [Adresse 2]

[Localité 2]

N° SIRET : 343 262 622 (STRASBOURG)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocats plaidants : Me Yohann TOREAU et Me Marine CLEMENT de l'AARPI DDCT avocats, avocats au barreau de PARIS, toque : L0150

Appelante dans le dossier 17/14909 et intimée dans le dossier 17/15667

INTIMÉES

- SASU ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL

Ayant son siège social : [Adresse 1]

[Localité 1]

N° SIRET : 341 192 227 (PARIS)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

Me Pierre DEPREZ de la SCP DEPREZ, GUIGNOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0221

Intimée dans le dossier 17/14909 appelante dans le dossier 17/15667

- SNC LIDL

Ayant son siège social : [Adresse 2]

[Localité 2]

N° SIRET : 343 262 622 (STRASBOURG)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocats plaidants : Me Yohann TOREAU et Me Marine CLEMENT de l'AARPI DDCT avocats, avocats au barreau de PARIS, toque : L0150

Intimée dans le dossier 17/15667 et appelante dans le dossier 17/14909

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 06 Mars 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Irène LUC, Présidente de chambre, rédacteur,

Monsieur Laurent BEDOUET, Conseiller,

Madame Laure COMTE, Vice-Présidente Placée,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Irène LUC dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de Procédure Civile.

Greffier, lors des débats : Madame Cécile PENG

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Laurent BEDOUET, conseiller faisant fonction de Président par suite d'un empêchement du Président, et par Cécile PENG, greffier auquel la minute de la présente décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société ITM Alimentaire International (ci-après dénommée « ITM ») est en charge de la stratégie et de la politique commerciale des enseignes de distribution du Groupement Les Mousquetaires, et notamment de l'enseigne Intermarché.

La société Lidl est une société de grande distribution alimentaire et de produits de petit électroménager et de bricolage. Elle exploite sur le territoire français une chaîne de supermarchés composée de près de 1 500 magasins.

En matière de publicité, les distributeurs sont soumis à des règles qui interdisent à la télévision les « opérations commerciales de promotion se déroulant entièrement ou principalement sur le territoire national ».

Cette interdiction a pour objet de réserver à la presse la publicité en faveur des « ventes éphémères » ou « occasionnelles » dans le secteur de la distribution.

Ces opérations sont définies par l'article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992 fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité : « Au sens du présent décret, on entend par opération commerciale de promotion toute offre de produits ou de prestations de services faite aux consommateurs ou toute organisation d'évènement qui présente un caractère occasionnel ou saisonnier, résultant notamment de la durée de l'offre, des prix et des conditions de vente annoncés, de l'importance du stock mis en vente, de la nature, de l'origine ou des qualités particulières des produits ou services ou des produits ou prestations accessoires offerts ».

Afin que cette interdiction soit respectée par tous les distributeurs, l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ci-après l'« ARPP ») a publié une note explicative le 15 mai 2006, intitulée « Distribution et publicité télévisée », interprétant ces dispositions : « Pour pouvoir communiquer en publicité télévisée sur le prix des produits et services, le distributeur doit déclarer au BVP (cf. annexe 3) que le prix pratiqué et la disponibilité du produit (stock) ne sont pas promotionnels, à savoir que le prix est normal, stable, qu'il s'inscrit, avec la disponibilité du produit ou service correspondant, dans la durée. Ainsi pourra constituer une période de référence, une durée de 15 semaines de maintien du prix annoncé et des stocks disponibles » (c'est la cour qui souligne).

Entre septembre et novembre 2015, la société Lidl a diffusé 14 spots télévisés relatifs à des produits de petit électroménager et de bricolage.

Entre avril et juin 2016, la société Lidl a diffusé les cinq spots télévisuels suivants:

- du 12 au 14 avril 2016 un spot télévisé relatif à une glacière électrique de marque CRIVIT au prix de 46,99 euros, indiqué comme disponible en magasin à partir du 14 avril 2016 ;

- du 26 au 28 avril 2016 un spot télévisé relatif à un barbecue à charbon de bois de marque FLORABEST au prix de 19,99 euros, indiqué comme disponible en magasin à partir du 28 avril 2016 ;

- du 3 au 5 mai 2016 un spot télévisé relatif à un appareil de mise sous vide de marque SILVERCREST au prix de 27,99 euros, indiqué comme disponible en magasin à partir du 5 mai 2016 ;

- du 10 au 12 mai 2016 un spot télévisé relatif à une mallette à outils de marque POWERFIX composée de « 216 pièces » au prix de 69.99 euros et indiqué comme disponible en magasin à partir du 12 mai 2016 ;

- du 4 au 6 juin 2016 un spot télévisé relatif à un set de manucure et pédicure composé de « 7 accessoires saphir et feutre » de marque SILVERCREST au prix de 14,99 euros, indiqué comme disponible en magasin à partir du 6 juin 2016.

En outre, dans les cinq spots publicitaires ci-dessus, apparaissait la signature « LIDL ' Le vrai prix des bonnes choses ' Meilleure Chaîne de Magasins France 2015-2016 », le logo étant affiché pendant toute la durée de chaque spot. Par ailleurs, à la fin du spot, une voix off indiquait : « Lidl élue pour la quatrième fois meilleure chaîne de magasins de l'année ».

Suite à les diffusion des spots publicitaires de 2015, la société Carrefour a assigné le 23 mars 2016 à bref délai la société Lidl devant le tribunal de commerce d'Evry aux fins de réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi en raison des violations alléguées, par la société Lidl, de l'interdiction de diffusion à la télévision d'opérations commerciales de promotion et de pratiques commerciales trompeuses.

Soutenant également que les spots publicitaires de 2016 ne seraient pas conformes aux dispositions de l'article 8 du décret 98-280 du 27 mars 1992 fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat, la société ITM a par acte du 8 juillet 2016 introduit une requête aux fins de mesure d'instruction devant le Président du tribunal de commerce d'Evry, en vue d'établir la preuve de ce que les produits visés par les publicités de la société Lidl n'étaient pas disponibles à la vente pendant une durée d'au moins 15 semaines suivant la diffusion desdits spots publicitaires.

Par ordonnance du 11 juillet 2016, le vice-président du tribunal de commerce d'Evry a autorisé les mesures d'instruction sollicitées sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et a désigné la société SCP [L]-[Y], ès-qualités de mandataire de justice, afin de réaliser les opérations de constat au siège social de la société Lidl et au sein de quatre magasins de l'enseigne en Ile-de-France.

Ces opérations se sont déroulées le 19 juillet 2016 dans quatre magasins de la société Lidl, à Paris, Orangis et Evry, et le 9 août 2016 au siège opérationnel de la société Lidl à Rungis.

Par exploit d'huissier du 4 août 2016, la société ITM a assigné la société Lidl devant le tribunal de commerce d'Evry aux fins de réparation du préjudice subi du fait de pratiques commerciales déloyales et de pratiques commerciales trompeuses.

Parallèlement, la société ITM avait formé une demande d'intervention volontaire dans le cadre de la procédure initiée par la société Carrefour à l'encontre de la société Lidl. Cette demande a été déclarée recevable par un jugement du tribunal de commerce d'Evry du 22 février 2017 ; le tribunal a relevé la litispendance partielle de cette demande avec celle du présent litige, visant le même genre de pratiques de Lidl, mais sur une période différente, et a renvoyé Carrefour. Ce même tribunal a également rejeté la demande de jonction des affaires.

Par jugement du 5 juillet 2017, le tribunal de commerce d'Evry a :

- débouté la société ITM de son exception d'irrecevabilité des demandes de la société Lidl,

- débouté la société Lidl de sa demande d'écarter le décret n°92-280 du 27 mars 1992 et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur ce sujet,

- écarté des débats les pièces n°30 et 35 rapportées par la société ITM,

- dit que la société Lidl s'est rendue coupable de concurrence déloyale et de pratiques commerciales trompeuses,

- condamné la société Lidl à payer à la société ITM la somme de 252 700 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,

- condamné la société Lidl à payer à la société ITM la somme de 250 000 euros pour pratique commerciale trompeuse,

- débouté la société ITM de sa demande d'ordonner l'arrêt de diffusion, sous astreinte des spots publicitaires contrevenant au décret n°92-280 du 27 mars 1991,

- ordonné l'arrêt par la société Lidl de la diffusion des spots publicitaires contrevenant au décret n° 92-280 du 27 mars 1992, et débouté la société ITM de sa demandé d'astreinte,

- interdit à la société Lidl l'emploi d'une phrase faisant croire qu'elle a été « élue » « meilleure chaîne de magasins », à la radio, sur les chaînes de télévision, dans les catalogue et les publicités écrites,

- pour l'efficacité de cette interdiction, a :

* ordonné une astreinte de 2 000 euros par infraction constatée par huissier de justice dûment mandaté,

* fait démarrer l'astreinte un mois à compter de la date de signification du présent jugement à la société Lidl,

* dit que cette astreinte prendre fin une année suivant la date de signification du présent jugement à la société Lidl,

* s'est réservé la liquidation de l'astreinte,

* condamné la société Lidl à diffuser dans les deux mois suivant la signification du présent jugement, et à ses frais dans la limite de 15 000 euros, le dispositif du présent jugement dans une revue et dans un format au choix de la société ITM,

- condamné la société Lidl à diffuser dans les deux mois suivants la signification du présent jugement, et à ses frais le dispositif du présent jugement sur le site www.lidl.fr,

- dit que le dispositif doit être directement accessible depuis la page d'accueil du site, par un lien visible d'au moins 100x20 pixels, et cependant une durée d'un mois,

- condamné la société Lidl à payer à la société ITM la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes, plus amples ou contraires aux motifs,

- condamné la société Lidl aux dépens de l'instance en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 66,70 euros TTC.

Le 21 juillet 2017, la société Lidl relevait appel de ce jugement.

Par déclaration du 31 juillet 2017, la société ITM a également interjeté appel dudit jugement.

Vu les dernières conclusions de la société Lidl, appelante et intimée, déposées et notifiées le 18 février 2019, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles 9, 16, 145, 122, 124 du code de procédure civile, L. 121-4, 5°, L. 121-2, 2° du code de la consommation et 1240 du code civil, du décret n°91-280 du 27 mars 1992 tel que modifié par le décret n°2003-960 du 7 octobre 2003, la note de l'ARPP prise en application, la directive n°2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales, et le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de :

- déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société Lidl,

- déclarer mal fondé l'appel interjeté par la société ITM,

Sur le moyen tiré de l'interdiction de diffusion à la télévision d'opérations commerciales de promotion

à titre principal,

- dire qu'aucune faute ne saurait être caractérisée sur le fondement de la concurrence déloyale,

à titre subsidiaire,

- poser la question préjudicielle suivante à la CJUE : « Les articles 3 paragraphe 1, et 5 paragraphe 5 de la directive pratiques commerciales déloyales (ou d'autres dispositions de cette directive) doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale aux termes de laquelle la diffusion d'opérations commerciales de promotion à la télévision pour le secteur de la distribution est interdite de manière générale, sans obligation de vérifier au cas par cas le caractère trompeur, agressif ou déloyal d'une telle pratique commerciale' »

en tout état de cause,

- dire qu'aucune pratique commerciale trompeuse ne saurait être caractérisée que ce soit sur le fondement des dispositions de l'article L. 121-4, 5° du code de la consommation ou sur celui des dispositions de l'article L. 121-2, 2° du même code, en l'absence de démonstration de l'altération ou de la possible altération du comportement économique du consommateur du fait de cette pratique litigieuse,

Sur le moyen tiré du caractère trompeur de l'utilisation des récompenses « Elue Meilleure Chaîne de Magasins »

- dire que l'utilisation par la société Lidl de la mention « Elue Meilleure Chaîne de Magasins » ne présente aucun caractère trompeur ou déloyal,

en tout état de cause,

- dire que le tribunal n'a pas caractérisé le préjudice prétendument subi pas la société ITM et l'éventuel lien de causalité avec la faute alléguée,

en conséquence,

- recevoir la société Lidl en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- débouter la société ITM de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement rendu le 5 juillet 2017 par le tribunal de commerce d'Evry en ce qu'il a :

* considéré que la société ITM avait obtenu de façon déloyale les éléments sur lesquels elle a fondé ses nouvelles prétentions et a, partant, rejeté les pièces adverses n°30 à 35 des débats,

* débouté la société ITM de son exception d'irrecevabilité des demandes de la société Lidl pour estoppel,

- infirmer ledit jugement en ce qu'il a :

* rejeté la demande de la société Lidl d'écarter le décret n°92-280 du 27 mars 1992 et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur ce sujet,

* déclaré que la société Lidl a commis des actes de concurrence déloyale et des pratiques commerciales trompeuses, l'a condamnée à ce titre à payer à la société à payer à la société ITM les sommes 252.700 euros et 250.000 euros,

* ordonné l'arrêt par la société Lidl de la diffusion des spots publicitaires contrevenant au décret n°92-280 du 27 mars 1992, sans astreinte,

* interdit à la société Lidl l'emploi d'une phrase faisant croire qu'elle a été « élue » « meilleure chaîne de magasins », à la radio, sur les chaînes de télévision, dans les catalogues et les publicités écrites et ce sous astreinte de 2.000 euros par infraction constatée par huissier de justice dûment mandaté,

* condamné la société Lidl à diffuser dans les deux mois suivant la signification du présent jugement, et à ses frais dans la limite de 15.000 euros, le dispositif du jugement dans une revue et dans un format au choix de la société TM,

* condamné la société Lidl à diffuser dans les deux mois suivant la signification du jugement, et à ses frais le dispositif du jugement sur le site www.lidl.fr et dit que ce dispositif doit être directement accessible depuis la page d'accueil du site, par un lien visible d'au moins 100x20 pixel, et ce pendant une durée d'un mois,

* condamné la société Lidl à payer à la société ITM la somme de 30.000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la société Lidl aux dépens,

- condamner la société ITM à payer à la société Lidl la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens;

- dire que les dépens d'appel pourront être directement distraits par la Selarl LexavouéParis-Versailles ;

Vu les dernières conclusions de la société ITM, intimée, et appelante à titre incident, déposées et notifiées le 15 février 2019, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992, L. 121-2, L. 121-4 du code de la consommation et 1240 du code civil, de:

- confirmer le jugement du tribunal de commerce d'Evry du 5 juillet 2017 en ce qu'il a :

* débouté la société Lidl de sa demande d'écarter le décret n°92-280 du 27 mars 1992, et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle à ce sujet,

* jugé que les 5 spots publicitaires litigieux diffusés d'avril à juin 2016 sont des opérations commerciales de promotion interdites par l'article 8 du décret n°92- 280 du 27 mars 1992,

* ordonné l'arrêt par la société Lidl de diffuser des spots publicitaires contrevenant au décret n°92-280 du 27 mars 1992,

* jugé que l'emploi du terme « Elue Meilleure Chaîne de Magasins » constitue une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L. 121-2 2° du code de la consommation,

* interdit à la société Lidl l'emploi d'une phrase faisant croire qu'elle a été « élue » « meilleure chaîne de magasins », à la radio, sur les chaînes de télévision, dans les catalogues et les publicités écrites, et ce, sous astreinte de 2.000 euros par diffusion, à compter d'un délai de un mois suivant la date de signification de la décision,

* dit que la société Lidl s'est rendue coupable de concurrence déloyale et de pratiques commerciales trompeuses,

* jugé que ces agissements constituent des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société ITM,

* condamné la société Lidl à payer à la société ITM la somme de 250.000 euros pour pratiques commerciales trompeuses au titre de l'emploi du terme « Elue Meilleure Chaîne de Magasins »,

- infirmer pour le surplus et statuant à nouveau :

- dire recevables les procès verbaux de constat du 8 décembre 2015,

- dire que les 14 spots publicitaires litigieux diffusés de septembre à novembre 2015 sont des opérations commerciales de promotion interdites par l'article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992,

- prononcer une mesure d'astreinte s'agissant de l'interdiction de diffusion des spots publicitaires contrevenant au décret n° 92-280 du 27 mars 1992, de 2 000 euros par jour de retard et par infraction constatée, à compter d'un délai de 8 jours suivant la signification de la décision,

- condamner la société Lidl à payer à la société ITM la somme de 3 717 980 euros en réparation de son préjudice,

- dire que l'utilisation de la récompense « Meilleure Chaîne de Magasins » constitue une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L. 121-2-2° du code de la consommation,

- faire interdiction à la société Lidl d'utiliser la récompense « Meilleure Chaîne de Magasins », à la radio, sur les chaînes de télévision, dans les catalogues et les publicités écrites, et ce, sous astreinte de 2.000 euros par diffusion, à compter d'un délai de un mois suivant la date de signification de l'arrêt,

- confirmer la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans une revue au choix de la société ITM et aux frais de la société Lidl dans la limite de 15.000 euros, ainsi que sur le site internet www.lidl.fr, à un seul clic de la page d'accueil pendant une durée d'un mois,

-Y ajoutant, étendre la mesure de publication du dispositif de l'arrêt sur le site internet www.lidl.fr à une publication en première page du site pendant une durée de deux mois,

En toute hypothèse,

- condamner la société Lidl au paiement de la somme de 80.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;

SUR CE, LA COUR

Sur la recevabilité des pièces n°30 à 35 produites par la société ITM

La société Lidl soutient que la société ITM a détourné la procédure de l'article 145 du code de procédure civile, et porté une atteinte irrémédiable à ses droits, caractérisant sa déloyauté dans l'administration de la preuve, en utilisant contre elle, dans le présent litige, les pièces obtenues dans une autre procédure engagée contre elle par la société Carrefour, procédure dans laquelle la société ITM n'a pas été jugée recevable à intervenir. Elle en déduit que ces éléments ne peuvent être utilisés dans le cadre de la présente procédure, dès lors que ces derniers sont d'une part, couverts par le secret des affaires et le secret comptable, et d'autre part, que seule la société Carrefour a été autorisée à en prendre connaissance dans le cadre d'une procédure spécifique. Elle demande donc à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté ces pièces des débats.

La société ITM AI réplique qu'elle n'a fait preuve d'aucune déloyauté procédurale en s'appuyant sur les procès-verbaux de constat du 8 décembre 2015 obtenus sur requête de Carrefour, versés aux débats par cette dernière dans une autre instance à laquelle elle-même est intervenue volontairement. Elle expose avoir donc eu accès licitement aux dites pièces.

***

Il résulte de l'article 9 du code de procédure civile qu' « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». Le principe de loyauté dans le recueil des preuves constitue un principe fondamental qui s'applique aussi en matière commerciale.

La société ITM a versé aux débats cinq procès-verbaux de constat, dressés le 8 décembre 2015, dans 22 magasins Lidl répartis dans toute la France, à la demande de Carrefour, qui y avait été autorisée sur la base de l'article 145 du code de procédure civile, concernant des ventes promotionnelles télévisuelles de Lidl, diffusées de septembre à novembre 2015, susceptibles d'être constitutives de concurrence déloyale :

- PV de constat réalisé le 8 décembre 2015 dans les magasins Lidl du Calvados,

- PV de constat réalisé le 8 décembre 2015 dans les magasins Lidl de l'Essonne,

- PV de constat réalisés le 8 décembre 2015 dans les magasins Lidl du Rhône,

- PV de constat réalisés le 8 décembre 2015 dans les magasins Lidl de Toulouse,

- PV de constat réalisé le 8 décembre 2015 dans les magasins Lidl du Nord et avenant du 20 janvier 2016 (pièces 30 à 35 de ITM).

Les ordonnances sur requête obtenues par Carrefour, sur le fondement desquelles les huissiers se sont rendus dans plusieurs magasins Lidl le 8 décembre 2015 pour effectuer des constats, n'ont donné lieu à aucune action en référé aux fins de rétractation.

La société ITM, étant intervenue volontairement dans l'instance ayant opposé Carrefour à Lidl sur la base de ces constats, a régulièrement eu accès à ces procès-verbaux, le tribunal de commerce d'Evry ayant jugé son intervention volontaire « recevable en la forme », dans son jugement du 22 février 2017, mais s'en étant ensuite dessaisi au profit de la présente instance introduite par ITM, en considérant que l'intervention volontaire d'ITM dans la procédure initiée par Carrefour pouvait créer « une situation de litispendance partielle » par rapport à celle qu'elle avait elle-même initiée.

'

Le tribunal a donc renvoyé ITM, « pour une bonne administration de la justice », à faire valoir toutes ses demandes concernant les différentes campagnes publicitaires de Lidl, dans le cadre d'une seule et unique procédure.

Aucune déloyauté, ni aucun détournement de procédure ne peuvent donc être imputés à la société ITM dans le versement de ces pièces, auxquelles elle a eu accès régulièrement.

Par ailleurs, la société Lidl ne démontre pas quels secrets des affaires seraient dévoilés en l'espèce, dans la mesure où les procès-verbaux en cause avaient seulement pour objet de vérifier la présence, dans les rayons et réserves des magasins Lidl, des produits mis en avant dans les 14 spots télévisés, ce qui ne relève pas du secret des affaires.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a « écarté des débats les pièces n°30 à 35 rapportées par la SASU ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL » se rapportant aux procès-verbaux relatifs aux 14 spots publicitaires diffusés sur la période de septembre à décembre 2015.

Sur la diffusion à la télévision d'opérations de promotion et sur le caractère illicite de cette pratique

La société ITM estime que la diffusion des spots télévisés par la société Lidl et relatifs aux produits de petit électroménager et de bricolage constituait une opération commerciale de promotion strictement interdite.

A titre préliminaire, elle demande le rejet de la demande de question préjudicielle formulée par la société Lidl et fondée sur la prétendue absence de conformité de l'article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992 au droit de l'Union. Elle avance, en premier lieu, que ce moyen de non conformité au droit de l'Union est irrecevable au regard du principe de l'estoppel. Elle estime en effet qu'en prétendant, dans une instance engagée à l'encontre de la société Carrefour le 25 novembre 2016, que cette dernière aurait violé les dispositions de l'article 8 du décret n°92-280, tout en soutenant dans la présente instance l'opposant à la société ITM que ce même texte n'est pas applicable, car il serait contraire au droit de l'Union européenne, la société Lidl se contredirait au détriment d'autrui, ce qui justifie l'irrecevabilité de ses demandes tendant à ce que le décret n°92-280 soit écarté et à titre subsidiaire qu'une question préjudicielle soit renvoyée à la CJUE.

En deuxième lieu, elle estime que l'appréciation de la licéité du décret n°92-280 doit être opérée au regard de la directive 2010/13/UE du 10 mars 2010 relative à la fourniture de services de médias audiovisuels et non à la directive relative aux pratiques commerciales déloyales. Ce décret ne comporte, selon elle, pas de disposition interdisant aux entreprises de réaliser des opérations promotionnelles mais seulement la publicité à la télévision en faveur de telles opérations, de sorte qu'il ne vise pas la protection des intérêts économiques des consommateurs, champ d'application de la directive pratiques commerciales déloyales, mais poursuit l'objectif de préservation de la pluralité des médias, qui relève du champ d'application matériel de la directive fourniture de services de médias audiovisuels. Elle en déduit que la société Lidl ne saurait se prévaloir de la non conformité du décret au droit de l'Union, d'autant que les publicités télévisées incriminées sont en tout état de cause contraires à l'article L. 121-4, 5° du code de la consommation, qui constitue une transposition en droit interne de la directive 2005/29/CE. La question préjudicielle n'est donc, selon elle, ni nécessaire, ni pertinente.

En troisième lieu, la société ITM soutient qu'en application de l'article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992 et de la note de l'ARPP du 15 mai 2006 prise en application, est interdite à la télévision la diffusion d'opérations commerciales promotionnelles. Afin d'échapper à cette qualification, le prix du produit objet de la publicité ne doit pas être promotionnel ; il doit être normal, stable et s'inscrire dans la durée, comme la disponibilité du produit qui doit durer au moins 15 semaines. Or, en présentant les produits mis en avant dans ses spots publicitaires comme des offres permanentes alors qu'il s'agissait d'opérations promotionnelles, dès lors que les produits n'étaient pas maintenus à la vente pendant la période de référence de 15 semaines suivant la diffusion des spots, la société Lidl a violé l'interdiction énoncée à l'article 8 du décret n°92-280 et s'est rendue coupable de pratiques déloyales à l'encontre de ses concurrents distributeurs depuis 2015.

Elle demande à la cour de rejeter la fin de non recevoir soulevée par la société Lidl, qui soutient que, dès lors que le décret litigieux ne poursuit pas un objectif de protection des consommateurs, la société ITM ne disposerait plus d'un intérêt légitime au sens de l'article 31 du code de procédure civile. Elle explique a contrario que la société ITM dispose d'un intérêt légitime à agir dès lors qu'en violant le décret n°92-280, la société Lidl bénéficie d'un avantage illicite décisif par rapport à ses concurrents.

Elle explique également que la note de doctrine de l'ARPP est opposable à la société Lidl et que le délai de 15 semaines revêt un caractère contraignant. La société Lidl, membre de l'ARPP, s'est engagée à maintenir pendant le délai de 15 semaines les produits présentés dans ses publicités. Elle ne peut donc soutenir en cause d'appel que le délai de 15 semaines ne serait pas contraignant. En tout état de cause, la note de doctrine de l'ARPP, qui s'analyse en « soft law », doit être prise en compte par le juge comme moyen d'interprétation auxiliaire de la règle de droit. En l'espèce, la grille de lecture élaborée par l'ARPP permet d'interpréter l'interdiction de l'article 8 du décret de 1992, le délai de 15 semaines et le maintien du prix fixé ayant été fixés en accord avec les professionnels et jusqu'ici respectés par les distributeurs.

Elle demande donc à la cour de rejeter l'argument de la société Lidl selon lequel aucune action en concurrence déloyale ne peut être fondée sur le non respect du délai de 15 semaines.

Elle expose avoir fait procéder à des constats d'huissier dans 4 magasins de la société Lidl, desquels il ressort, selon elle, une très faible durée de l'offre, dès lors que six semaines après la diffusion de la publicité, un seul produit parmi les cinq visés par les spots publicitaires est encore en magasin. Les constats révèlent également des délais de rupture de stock encore plus réduits, notamment des délais de 4 à 5 jours. Elle estime que cette situation est constitutive d'une violation de l'article 8 du décret de 1992.

Elle souligne encore que le décret de 1992 définit l'opération commerciale de promotion par rapport au stocks « mis en vente », notion qui doit se distinguer de la notion de stock disponible. Or, si la société Lidl prétend qu'elle disposait d'un stock de produits pendant 17 à 25 semaines à compter de leur mise en vente, elle ne prouve aucunement que ces stocks étaient mis effectivement en vente dans ses magasins pendant 15 semaines. Elle expose que la société Lidl ne fournit pas la preuve que ces stocks étaient constitués de produits disponibles à la vente, comme a pu le relever le tribunal de commerce d'Evry.

Elle ajoute encore que la possibilité pour les consommateurs de commander les produits indisponibles est inopérante, injustifiée, dès lors que les sports publicitaires ne font pas mention de cette possibilité, que le service client n'a pas fourni d'informations fiables, et qu'il a été démontré que les clients ont été dans l'incapacité de commander les produits litigieux.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il serait, selon elle, établi que la société Lidl a violé les dispositions de l'article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992.

Enfin, en quatrième lieu, elle soutient que la société Lidl ne saurait faire grief au jugement entrepris de n'avoir pas caractérisé en quoi la violation de l'interdiction édictée à l'article 8 du décret de 1992 a altéré ou était susceptible d'altérer le comportement économique du consommateur, dès lors que la société ITM avait invoqué la violation de l'article L. 121-4, 5° du code de la consommation qui constitue une pratique trompeuse per se.

D'autre part, elle expose que constitue une pratique trompeuse per se au sens de l'article L. 121-4, 5° du code de la consommation, le fait de mettre en avant des produits dans des spots publicitaires sans disposer des quantités suffisantes et au vu de l'ensemble des publicités sur l'ensemble du territoire national. Or, en l'espèce, elle relève que la grande majorité des produits objets des 14 publicités télévisées diffusées de septembre à novembre 2015 et des 5 spots d'avril à juin 2016 étaient absents des rayons et réserves de la société Lidl. Elle estime que cette pratique démontre la volonté de la société Lidl de mettre en place un système de vente éphémère. Or, elle souligne également que les spots publicitaires ont fait l'objet d'une diffusion massive. Elle demande par conséquent à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la société Lidl s'est rendue coupable de pratiques commerciales trompeuses et de juger que les spots litigieux constituent une pratique commerciale trompeuse per se au sens de l'article L. 121-4, 5°du code de la consommation.

La société Lidl soutient qu'aucune action en concurrence déloyale ne saurait prospérer en l'espèce, dès lors que, par la diffusion des spots publicitaires litigieux, elle n'a commis aucune violation ni de la réglementation relative à la publicité télévisuelle ni des règles relatives à la publicité déloyale ou trompeuse.

En premier lieu, elle explique qu'aucune action en concurrence déloyale ne saurait être fondée sur le non respect du délai 15 semaines de disponibilité des produits objets de la publicité, tel qu'édicté par l'ARPP, dès lors que les avis de cette autorité sont dépourvus de toute force contraignante. Elle ajoute que l'ARPP indique que la quantité de stock disponible devra être appréciée au cas par cas selon le type de produit qui fait l'objet d'une publicité, de sorte qu'en s'appuyant sur ce texte afin de dégager une règle générale de comportement selon laquelle la disponibilité d'un produit en stock devait être en toute circonstance de 15 semaines, le tribunal a procédé à une mauvaise interprétation des textes.

Elle estime également que le jugement entrepris est entaché d'une erreur de droit dès lors qu'il considère qu'en application de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales, notamment prise en son article 6§2-b, le respect de ce code de conduite s'imposait à la société Lidl alors que, d'une part, le droit français n'a pas repris cette disposition dans la liste des pratiques réputées trompeuses de l'article 121-4 du code de la consommation et, d'autre part, que les conditions posées par la directive ne sont pas remplies en l'espèce, dès lors qu'il n'est pas établi que la société Lidl aurait présenté son appartenance à l'ARPP comme un argument commercial. Elle souligne que les publicités litigieuses ne font aucune référence à l'adhésion de la société Lidl à l'ARPP, de sorte qu'aucune violation de la directive 2005/29/CE n'est caractérisée.

Elle soutient également que, compte tenu du fait que la pratique litigieuse n'est pas mentionnée à l'article L. 121-4 qui établit une liste de présomption de pratiques commerciales trompeuses, la caractérisation d'une pratique commerciale trompeuse suppose que soit démontrée l'altération ou la possible altération du comportement économique du consommateur du fait de la pratique litigieuse. Or, elle relève que, dans son jugement du 5 juillet 2017, le tribunal de commerce d'Evry n'a pas vérifié si, in concreto, les publicités litigieuses ont été de nature à altérer ou susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen. Le tribunal a a contrario considéré que la pratique était trompeuse per se, en violation des dispositions d'harmonisation totale de la directive 2005/29/CE.

En deuxième lieu, elle fait valoir qu'aucune action en concurrence déloyale ne saurait être fondée sur le non respect de l'article 8 de ce décret, et a fortiori de la note de l'ARPP prise en application, en raison de la non conformité de ce dernier au droit de l'Union européenne, et notamment à la directive 2005/28/CE relative aux pratiques commerciales déloyales.

La société Lidl soutient en effet que les publicités télévisées pour les opérations commerciales de promotion dans le secteur de la distribution constituent des pratiques commerciales au sens de l'article 2 sous d) de la directive 2005/29/CE et relèvent en conséquence du champ d'application matériel de celle-ci. Elle souligne que si seules relèvent du champ d'application de la directive les règles nationales visant la protection des intérêts économiques des consommateurs, tel est le cas du décret. Elle fait, en outre, valoir que la directive 2005/29/CE est fondée sur le principe de l'harmonisation complète ou maximale, de sorte que les Etats membres ne peuvent se prévaloir de dispositions nationales plus strictes que celles prévues par la directive (les dérogations temporaires et limitées initialement prévues ne sont plus applicables depuis le 12 juin 2013), même aux fins d'assurer un degré plus élevé de protection des consommateurs.

Elle souligne, enfin, que la CJUE a eu l'occasion de rappeler que les critères permettant de considérer une pratique commerciale comme déloyale sont énumérés à l'article 5 de la directive, tandis que l'annexe 1 établit une liste exhaustive de pratiques réputées déloyales, de sorte que si une pratique ne figure pas en annexe 1, il convient de déterminer suivant une analyse in concreto si elle remplit les critères de l'article 5. Elle fait valoir que ce raisonnement est transposable à l'interdiction générale des opérations commerciales de promotion à la télévision pour le secteur de la distribution. Ces opérations n'étant pas listées en annexe 1 de la directive, elles ne peuvent être interdites qu'au cas par cas en fonction de leur caractère déloyal. Elle en déduit que le décret n°92-280 dès lors qu'il prévoit une interdiction générale de la publicité télévisuelle pour les opérations commerciales de promotion réalisées par les distributeurs, sans une évaluation in concreto, est contraire au droit de l'Union européenne. Elle demande donc à la cour de l'écarter ou, en cas de doute, d'opérer un renvoi préjudiciel devant la CJUE. Elle demande à ce que la question préjudicielle suivante, soit, le cas échéant, soumise à la Cour de justice :

« Les articles 3 paragraphe 1, et 5 paragraphe 5 de la directive PCD (ou d'autres dispositions de cette directive) doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale aux termes de laquelle la diffusion d'opérations commerciales de promotion à la télévision pour le secteur de la distribution est interdite de manière générale, sans obligation de vérifier au cas par cas le caractère trompeur, agressif ou déloyal d'une telle pratique commerciale '».

La société Lidl soutient que le moyen soulevé par la société ITM, selon lequel la société Lidl serait irrecevable à formuler une demande relative à la non conformité du décret n°92-280 du 27 mars 1992 au droit de l'Union européenne au regard du principe de l'estoppel, doit être rejeté.

En troisième lieu, elle soutient que, dans l'hypothèse où la présente cour retiendrait que le décret litigieux ne poursuit pas un objectif de protection des consommateurs, mais vise le seul pluralisme des médias, l'action en concurrence déloyale fondée sur le non respect dudit décret ne pourra qu'être rejetée sur le fondement de l'article 122 du code de procédure civile.

Enfin, elle soutient que les stocks de produits objets des publicités étaient, en tout état de cause, disponibles en quantités suffisantes et qu'aucune violation des textes régissant la publicité télévisuelle ou la publicité trompeuse n'est établie.

Elle fait en effet valoir que sur la seule base de quelques manquements constatés sur quatre magasins, la société ITM ne saurait inférer une politique dissimulée de la société Lidl, laquelle disposait en tout état de cause de stocks adaptés, la société ITM n'en rapportant d'ailleurs pas la preuve inverse, étant en outre relevé que n'existe aucune exigence de présence permanente pendant 15 semaines de stocks dans l'ensemble des magasins mais, uniquement, que le volume de stock global ait été défini en cohérence avec la demande globale sur le territoire et que ce volume puisse être aisément mis à disposition des consommateurs dans un délai raisonnable.

A titre subsidiaire, elle avance que les volumes de stocks disponibles dans les quatre magasins ayant fait l'objet des constats étaient proportionnés à l'action publicitaire d'une durée de 3 jours, dès lors que les stocks couvraient une période de 2 à 3 semaines suivant la diffusion des spots, soit la période de forte demande des consommateurs.

Sur le non respect du délai de 15 semaines édicté par le code de l'ARPP

La société Lidl soutient qu'aucune action en concurrence déloyale ne saurait être fondée sur le non-respect du délai de 15 semaines édicté par l'ARPP en l'absence de force contraignante des avis de l'ARPP.

La sociétés ITM réplique que si les recommandations ou notes de doctrine de l'ARPP sont dépourvues de force contraignante, il n'en demeure pas moins qu'elles sont opposables aux professionnels concernés.

***

L'action intentée par la société ITM est fondée sur la violation, par la société Lidl, de l'article 8 du décret de 1992, tel qu'interprété par l'ARPP.

L'ARPP a émis une note de doctrine le 15 mai 2006 « Distribution et publicité télévisée » précisant que le prix annoncé à l'occasion d'une publicité télévisée doit être normal, stable et s'inscrire dans la durée, tout comme la disponibilité des produits en cause. Dans ce cadre, une durée de 15 semaines de maintien du prix annoncé et des stocks disponibles doit être respectée par les distributeurs, sauf exceptions tenant à la nature des produits mis en avant (tels que les produits périssables). Il en résulte a contrario que l'indisponibilité des produits pendant ce délai de 15 semaines caractérise des publicités promotionnelles interdites.

La société Lidl ne démontre pas que cette note, dépourvue de force contraignante, mais résultant d'un usage de la profession et s'imposant donc aux acteurs, serait dépourvue de pertinence en prévoyant à tort la règle de 15 semaines.

La grille de lecture élaborée par l'ARPP permet donc d'interpréter l'interdiction de diffusion à la télévision d'opérations commerciales de promotion prévue par l'article 8 du décret de 1992. Le délai de 15 semaines de maintien du prix annoncé et de mise en vente effective des produits a été fixé en accord avec l'interprofession publicitaire et est d'ailleurs respecté par les distributeurs qui souhaitent communiquer à la télévision.

L'argument de la société Lidl sera donc rejeté.

Sur l'application par les premiers juges de l'article 6§2 b) de la directive

La société Lidl critique encore le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que l'article 8 du décret s'appliquait, au motif que la pratique sanctionnée dans cet article constituait une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article 6. 2 b) de la directive PCD, la société Lidl n'ayant pas respecté le code de conduite de l'ARPP.

***

La société Lidl relève à juste titre que la directive PCD, sur laquelle se fonde le jugement, prévoit expressément dans son article 6§2 b) deux conditions cumulatives pour que le non respect d'un code de conduite de nature à tromper le consommateur constitue une pratique commerciale trompeuse : a) les engagements du code de conduite sont fermes et vérifiables ; b) le professionnel doit avoir indiqué, dans le cadre d'une pratique commerciale, qu'il est lié par un code de conduite ; or, cette seconde condition n'est pas remplie en l'espèce.

Cet article n'a donc pas lieu de s'appliquer.

Sur la conformité à la directive PCD de l'article 8 du décret

Sur la recevabilité de la demande de la société Lidl tendant à voir écarter l'article 8

La fin de non recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui sanctionne l'attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d'une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions.

En l'espèce, la circonstance que la société Lidl ait soutenu dans d'autres instances que le décret (et les recommandations de l'ARPP) était applicable au litige et reconnu qu'il s'imposait à l'ensemble des acteurs de la distribution, est sans effet dans le présent litige, s'agissant d'instances distinctes.

Cette fin de non recevoir sera donc rejetée.

Sur la conformité à la directive PCD

La directive s'applique à l'ensemble des pratiques commerciales déloyales, car celle-ci a un champ d'application matériel particulièrement large, s'étendant à toute pratique commerciale qui présente un lien direct avec la promotion, la vente ou la fourniture d'un produit aux consommateurs (arrêt CJUE Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag, C-540/08, EU:C:2010:660, point 21).

La circonstance que le décret de 1992 ait été pris sur le fondement de la directive 2007/65/CE du 11 décembre 2007 modifiant la directive 89/552/CEE du 3 octobre 1989 (et codifiée par la directive 2010/13/UE dite « directive SMA »), ne peut soustraire en soi l'interdiction générale des opérations commerciales de promotion à la télévision pour le secteur de la distribution à la directive PCD.

Il convient en premier lieu de déterminer si les pratiques interdites par l'article 8 du décret constituent des pratiques commerciales au sens de la directive et si celles-ci portent atteinte, même partiellement, aux intérêts économiques des consommateurs. L'article 3 de la directive PCD prévoit qu'elle s'applique aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, telles que définies à l'article 5, avant, pendant et après une transaction commerciale portant sur un produit.

L'article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992, pris pour l'application des articles 27 et 33 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relatif à la publicité et au parrainage audiovisuel et de la directive 89/552/CEE, dispose dans sa dernière version en vigueur (laquelle est issue du décret n°2003-960 du 7 octobre 2003) que : « Est interdite la publicité concernant, d'une part, les produits dont la publicité télévisée fait l'objet d'une interdiction législative et, d'autre part, les produits et secteurs économiques suivants : (') distribution pour les opérations commerciales de promotion se déroulant entièrement ou principalement sur le territoire national ».

Le décret de 1992 et l'article 8 plus particulièrement visent, de façon générale, à régir les obligations des éditeurs de services de télévision en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat.

Selon le rapport au Premier Ministre (pièce J-4 des sociétés intimées), la limitation à la publicité de l'article 8 vise à sauvegarder le pluralisme des médias en évitant que la télévision ne constitue le support essentiel de publicité au détriment des autre supports : « La limitation de la publicité portant sur les promotions permettra de contribuer à la sauvegarde du pluralisme en évitant un impact non maîtrisé de l'ouverture sur les ressources globales des médias à moindre potentiel de collecte publicitaire que la télévision, comme la presse écrite régionale ou locale ou les radios locales et généralistes. Cette évolution maîtrisée permettra d'éviter des transferts brutaux de ressources de la presse et de la radio vers la télévision, contribuant à l'objectif d'intérêt général de réservation du pluralisme et de la diversité des médias (') ».

Cette finalité a été rappelée par le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel dans son avis du 22 juillet 2003 sur les projets de décrets relatifs à la publicité, au parrainage et au téléachat : « L'interdiction des campagnes de promotion en télévision est justifiée en ce qu'elle permet de contenir en partie l'impact de l'ouverture sur les médias les plus exposés (radio et presse quotidienne régionale). Cette interdiction reflète d'ailleurs les contraintes du marché, la télévision nationale étant un média peu adapté à la diffusion d'annonces publicitaires pour des promotions ponctuelles de produits ou de services, souvent réservées à un marché local ».

La circonstance, alléguée par la société Lidl, que le rapport d'information n° 413 (2004-2005) de M. [D] [A], fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification et déposé le 21 juin 2005 sur le thème « L'ouverture de la publicité télévisée aux secteurs interdits : quels équilibres entre déréglementation et pluralisme ' » (pièce n°24 de Lidl) explicite, de façon générale, l'intérêt et les inconvénients de la publicité pour le consommateur, ne saurait modifier cette appréciation. S'il en allait ainsi, toutes les pratiques anticoncurrentielles seraient également couvertes par la directive PCD.

La pratique interdite ne constitue pas une pratique commerciale déloyale au sens de l'article 4 de la directive, en ce sens que l'interdiction de ventes promotionnelles de la grande distribution sur les chaînes de télévision vise toutes les promotions télévisuelles de la grande distribution, qu'elles soient ou non déloyales, car son objectif n'est pas de protéger le consommateur, mais de préserver l'attractivité des différents médias par rapport à la télévision, au regard de la publicité des annonceurs. Au regard de cet objectif, la publicité de la grande distribution qui constitue une source de revenus publicitaires importante ne doit pas se concentrer sur les régies publicitaires des chaînes de télévision.

La circonstance, spécifique à la présente espèce, que la promotion illégale ait revêtu une forme dissimulée, donc potentiellement déloyale, qualifiée d'ailleurs par la société ITM également sur le fondement du code de la consommation, ne doit pas induire la confusion sur l'objet, distinct, de l'interdiction générale posée par l'article 8 du décret de 1992.

La pratique n'entre donc pas dans le champ d'application de l'article 3.

Il n'y a donc pas lieu de vérifier la conformité de l'article 8 à cette directive, ni de poser une question préjudicielle à la Cour de justice.

Sur le défaut d'intérêt à agir de la société ITM

La société Lidl expose que, « si malgré les arguments développés ci-dessus, la Cour considère que le décret ne poursuit aucune finalité de protection des intérêts des consommateurs, alors elle devra constater qu'ITM n'a aucun intérêt à agir sur ce fondement. En effet, si le décret de 1992 n'a pas vocation à traiter de la question de la publicité vis-à-vis des consommateurs mais seulement à s'occuper de la question de la préservation de la pluralité des médias, la Cour ne pourra prononcer aucune condamnation sur le fondement d'une pratique commerciale trompeuse ou déloyale ».

Mais la société ITM agit sur le fondement de la concurrence déloyale, le non respect de l'article 8 du décret constituant une illégalité, source de désavantage dans la concurrence pour la société ITM qui le respecte, par rapport à Lidl, qui use d'une publicité prohibée. De même, le non respect allégué des articles L. 121-2 et L. 121-4 du code de la consommation constitue-t-il une pratique de concurrence déloyale, si est démontrée en sus l'altération substantielle du consommateur.

Il en résulte l'intérêt à agir de la société ITM.

Cette fin de non recevoir sera donc écartée.

Sur les pratiques de violation de l'article 8

La société Lidl soutient qu'aucune action en concurrence déloyale ne saurait prospérer sur le fondement d'une violation des textes susvisés (que ce soit la réglementation de la publicité télévisée ou celles relatives à la publicité déloyale ou trompeuse) compte tenu de l'existence de stocks suffisants et de la disponibilité des produits, objets des publicités.

A cet égard, la société Lidl expose, en premier lieu, que l'importance du stock ou la disponibilité des produits ne saurait être appréciée magasin par magasin que ce soit sur le fondement :

- de la publicité télévisuelle : elle invoque, à ce titre, que l'ARPP n'exige pas qu'il lui soit démontré la disponibilité des produits pendant 15 semaines dans tous les magasins mais uniquement que le volume global ait été défini en cohérence avec une demande globale sur le territoire national ; la disponibilité est appréciée au regard de l'importance du stock mis en vente ; de plus, elle invoque que la note du 15 mai 2006 « Distribution et publicité télévisée », évoque la notion de « disponibilité dans la durée », en admettant d'ailleurs un renouvellement du stock,

- de la prohibition des pratiques commerciales trompeuses (article L.121-4, 5° nouveau du code de la consommation) : elle précise en effet que la jurisprudence de la Cour de cassation admet la mobilisation des stocks entre magasins d'une même enseigne, se mettant réciproquement les produits à disposition, exigeant par ailleurs que ce stock global de produits faisant l'objet d'offres publicitaires ait non seulement une taille suffisante, mais encore que chacun de ces produits soit disponible à bref délai dans chacun des magasins concernés,

- elle indique par ailleurs que la condition relative aux stocks disponibles est commune à de nombreux textes (la réglementation des annonces de réductions de prix, la distribution sélective ou encore la réglementation des soldes) et qu'aucun de ces textes ne précise s'il faut considérer le stock disponible établissement par établissement ou de manière plus globale.

En deuxième lieu, elle soutient que les stocks disponibles à la vente étaient, dans les faits, suffisants. Elle produit, à ce titre, des pièces démontrant que les produits étaient disponibles en stock dans d'autres magasins Lidl ou dans les entrepôts et rappelle qu'il ne faut pas confondre ce cycle particulier de commercialisation de produits faisant l'objet de publicités TV avec le cycle normal de produits vendus par l'intermédiaire de prospectus classiques, lequel a une durée de 4 semaines. De plus, en cas d'absence dans les rayons, les produits pouvaient être acheminés sans délai de leur plate-forme de stockage vers tout magasin. De plus, elle invoque que lorsqu'un produit est manquant en magasin, ce produit peut être commandé via son Service Client auquel elle prête un soin particulier puisqu'il s'agit d'un service intégré.

La société ITM soutient que la diffusion par Lidl de spots télévisés, en violation de la réglementation applicable, est constitutive d'un acte de concurrence déloyale.

Elle explique que Lidl diffuse des publicités télévisées pour des produits non-alimentaires en violation de la réglementation applicable à la publicité télévisée (l'article 8 du décret) au regard de l'importance du stock mis en vente et de la limitation de l'offre commerciale dans la durée car :

- les produits objets des publicités sont indisponibles pendant la période de référence ; elle s'appuie sur des constats d'huissier pour invoquer que bien que les offres de Lidl ne soient pas présentées explicitement comme étant limitées dans le temps, de fait, en raison du très faible stock de produits mis en vente, les produits objets des publicités télévisées sont offerts au public durant une période très courte ; ainsi selon elle, la diffusion de publicités télévisées par Lidl ne constitue pas une opération qui s'inscrit dans la durée, avec des produits destinés à rester en rayon pendant une durée significative, à savoir 15 semaines selon l'ARPP, mais bien une opération commerciale de promotion au sens de l'article 8 du décret, interdite de publicité télévisée,

- le modèle commercial de Lidl est fondé sur une offre de produits limitée dans le temps, des « ventes éphémères » ;

***

Les opérations promotionnelles à la télévision sont interdites. Peuvent être qualifiées de promotions les opérations « éphémères », caractérisées par une exposition à la vente en magasin courte, inférieure à 15 semaines. En effet, pour rappel, l'ARPP considère que n'est pas une opération commerciale de promotion une campagne qui s'inscrit dans la durée, c'est-à-dire dont les produits sont en magasin pendant 15 semaines.

Or, il résulte des pièces du dossier que les publicités litigieuses constituaient des opérations promotionnelles, interdites à la télévision.

Les constats ont en effet mis en évidence que les cinq produits mis en avant dans les spots télévisés diffusés en avril, mai et juin 2016 n'étaient plus offerts à la vente dans chacun des quatre magasins Lidl visités par huissier, le 19 juillet 2016, alors qu'ils auraient dû être présents en magasin pendant une durée de 15 semaines à compter de la date annoncée de disponibilité en magasin (pièces 9 et 10 de ITM).

De même, dans les 22 magasins visités par huissiers le 8 décembre 2015, la très grande majorité des 23 produits alimentaires et produits de petit électroménager et de bricolage mis en avant dans les spots diffusés de septembre à novembre 2015 étaient absents des rayons des magasins visités (pièces 30 à 34 de ITM).

Un responsable de l'un des magasins Lidl a indiqué à l'huissier, à propos des produits de petit électroménager et de bricolage, que ces derniers étaient gérés par sa direction régionale dans le cadre « d'opérations commerciales » et que « les produits « NON FOOD » ont un cycle de 4 semaines en magasin avant retour en Direction Régionale » (Pièce DDG n°32 ' PV de constat dans les magasins LIDL du Rhône, voir PV concernant le magasin LIDL de Saint-Fons, p. 16 et 17).

Si Lidl prétend que la disponibilité des stocks mis en vente doit s'appréhender au niveau de l'ensemble des magasins, soit 1.500 points de vente Lidl en France, et ajoute que les stocks étaient disponibles, tous magasins confondus, pendant au moins 15 semaines, cette argumentation contredit le décret de 1992 puisque celui-ci prévoit que les produits doivent être offerts à la vente pendant toute la durée de 15 semaines.

De plus, les campagnes publicitaires télévisées de Lidl étant diffusées sur le territoire national, la présence de ces produits sur tous les lieux de vente situés sur l'ensemble du territoire national était présumée, puisque les spots n'ont jamais précisé que les produits en cause étaient disponibles dans un nombre limité de points de vente Lidl.

Le tribunal de commerce d'Evry a à bon droit considéré que les fiches produits communiquées par Lidl démontraient en réalité que :

- l'essentiel des ventes intervient dans les 2 à 4 premières semaines de mise en vente des produits,

- le niveau de stock final est quasiment atteint à l'issue de la 4ème semaine,

- le stock final correspond à 3 à 13% de l'approvisionnement initial,

- enfin, LIDL n'a procédé à aucun réassort puisque les courbes de stock figurant sur les fiches produits ne croissent jamais.

Il y a lieu d'approuver les motifs du jugement en ce qu'il a souligné que si Lidl démontre l'existence d'un stock résiduel à l'issue de la période de 15 semaines, celle-ci « ne fournit pas la preuve que ce stock était composé de produits disponibles à la vente » et que « le stock comptable ne reflète pas l'existence de produits disponibles à la vente ».

Enfin, l'argument selon lequel le service client permettait aux clients d'obtenir les produits manquants dans les magasins n'est pas établi. Il n'a jamais été fait mention dans les spots ou sur le site internet de Lidl de la possibilité pour le consommateur de s'adresser audit service en cas d'indisponibilité des produits en magasin.

En second lieu, ce même service client ne s'est pas montré capable de fournir des informations fiables. A titre d'exemple, après que le service client de Lidl ait été contacté afin de savoir si le set de manucure et de pédicure était disponible dans un magasin autre que celui d'Arpajon, le service client précisait par sms du 22 juin 2016 que ce produit était disponible dans le magasin Lidl de Saint-Germain les Arpajon (Pièce DDG n°7 précitée). Or, cette information n'était pas exacte, ITM AI ayant pu constater, le 23 juin 2016, que le produit n'y était pas davantage disponible, ce que Lidl ne conteste pas.

Sur l'article L. 121-4, 5° du code de la consommation

Selon l'article L. 121-4 du code de la consommation :

« Sont réputées trompeuses, au sens des articles L. 121-2 et L. 121-3, les pratiques commerciales qui ont pour objet :

(')

5° De proposer l'achat de produits ou la fourniture de services à un prix indiqué sans révéler les raisons plausibles que pourrait avoir le professionnel de penser qu'il ne pourra fournir lui-même ou faire fournir par un autre professionnel, les produits ou services en question ou des produits ou services équivalents au prix indiqué, pendant une période et dans des quantités qui soient raisonnables compte tenu du produit ou du service, de l'ampleur de la publicité faite pour le produit ou le service et du prix proposé ;

6° De proposer l'achat de produits ou la fourniture de services à un prix indiqué, et ensuite :

a) De refuser de présenter aux consommateurs l'article ayant fait l'objet de la publicité ;

b) Ou de refuser de prendre des commandes concernant ces produits ou ces services ou de les livrer ou de les fournir dans un délai raisonnable ;

c) Ou d'en présenter un échantillon défectueux, dans le but de faire la promotion d'un produit ou d'un service différent ».

L'article L. 121-4, 5° du code de la consommation répute trompeur le fait de proposer l'achat de produits à un prix indiqué « sans révéler les raisons plausibles que pourrait avoir le professionnel de penser qu'il ne pourra fournir lui-même ».

Or, en diffusant sur les chaînes télévisées des publicités pour des produits dont les stocks mis à disposition des clients étaient très faibles, la société Lidl avait conscience qu'elle ne pourrait pas fournir lesdits produits pendant une période raisonnable. En violant cet article, elle a adopté un comportement susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen et s'est donc rendue responsable d'une pratique de concurrence déloyale à l'encontre de la société ITM.

Sur l'utilisation de la mention « Elue Meilleure Chaîne de Magasins » et le caractère de pratique commerciale trompeuse

La société ITM soutient que la société Lidl a fait faussement croire avoir été élue « Meilleure Chaîne de Magasins », indépendamment de toute procédure d'élection, comportement constitutif selon elle d'une pratique commerciale trompeuse. Elle estime que la communication opérée par la société Lidl sur le slogan « meilleure Chaîne de Magasins » ou « Elue meilleure chaîne de magasins » trompe les consommateurs sur les qualités essentielles du service proposé par la distribution au sens de l'article L. 121-2-2 sous b) ainsi que sur ses qualités, aptitudes et droits au sens de l'article L. 121-2-2°, sous f). En effet, elle explique que le consommateur n'est pas en mesure de comprendre qu'il ne s'agit pas d'une véritable élection. Elle demande donc sur la base de ces éléments que soit confirmée la décision du tribunal de commerce d'Evry ordonnant la cessation de la diffusion des messages y relatifs, et condamnant la société Lidl à payer la somme de 250 000 euro pour pratique commerciale trompeuse.

Elle fait valoir en outre que l'utilisation du slogan « Meilleure Chaîne de Magasins » est de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur, dès lors qu'il est apposé sur tous les spots publicitaires. Elle ajoute que le caractère trompeur de cette allégation est accentué par la signature de la société Lidl « Le vrai prix des bonnes choses » figurant dans ces mêmes spots télévisés. Elle demande donc que le jugement soit infirmé en ce qu'il a jugé non trompeur le slogan « Meilleure Chaîne de Magasins ». Elle demande également à ce que la mesure de cessation de l'emploi sur tout canal de communication de la formule « Elue Meilleure Chaîne de Magasins » sous astreinte de 2 000 euros par infraction constatées pour une durée d'un an suivant signification soit étendue à tout message faisant état à la récompense « Meilleur Chaîne de Magasins ».

La société Lidl soutient que l'utilisation du slogan « Meilleure Chaîne de Magasins » ne présente aucun caractère trompeur, dès lors que la société Lidl mentionne clairement dans sa publicité de manière lisible et intelligible que cette récompense repose sur les résultats de l'élection organisée par la société Q&A Research and Consultancy qui, elle même, repose sur une étude menée auprès de 99 000 consommateurs interrogés de mai à septembre 2015. Cette publicité est donc objective et vérifiable par le consommateur qui est en mesure d'apprécier l'origine des informations, les critères utilisés et la portée des résultats puisqu'au moins deux enseignes ont participé à l'élection. Elle conteste la qualification de pratique commerciale trompeuse retenue par le tribunal s'agissant de l'utilisation du slogan « Elue Meilleure Chaine de magasins » dès lors que l'action repose effectivement sur une élection de consommateur, comptabilisant près de 370 000 participants, et mettant en compétition plusieurs enseignes. En tout état de cause, elle relève que le tribunal de commerce d'Evry n'a pas vérifié si l'utilisation de ce slogan dans les publicités était susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen. La société Lidl conteste donc également la demande d'arrêt de la diffusion du message « Elue Meilleure Chaîne de Magasins », l'élection sur laquelle est fondée ce slogan étant valide et la pratique non trompeuse.

***

L'article 121-1, I, 2°, b du code de commerce dispose :

«Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes : (...) ;

2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants : (...)

b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ; (...) ».

La cour approuve les premiers juges d'avoir estimé que l'annonce « LIDL élue pour la quatrième fois meilleure chaîne de magasins de l'année » caractérise une pratique commerciale trompeuse.

Il sera simplement souligné que :

- Lidl rappelle, en fin de spot, pour 7 des 14 spots publicitaires diffusés de septembre à novembre 2015, être la « Meilleure Chaîne de Magasins » 2014-2015 tandis qu'une voix off indique dans certains spots : « Lidl réélue meilleure chaîne de magasins de l'année » ; les 5 spots publicitaires diffusés d'avril à juin 2016 comportent le logo « Meilleure Chaîne de Magasins » 2015-2016 pendant toute leur durée de diffusion tandis que la voix off rappelle en fin de spot « Lidl élue pour la quatrième fois meilleure chaîne de magasins de l'année »,

- Lidl met en avant ces récompenses sur son site internet (pièce 17 d'ITM),

- cette élection est organisée par une société néerlandaise Q&A Research & Consultancy qui délivre le prix « Meilleure Chaîne de Magasins »,

- la méthodologie ne garantit pas une élection objective, n'est pas le résultat d'un sondage ou d'un vote des consommateurs réalisé par la société organisatrice, mais résulte d'un appel aux consommateurs financé par l'enseigne participante elle-même pour obtenir un maximum de votes (pièce 18 d'ITM),

- la seule précision « par 99'000 consommateurs interrogés de mai à septembre 2015 par Q&A Research and Consultancy » sur les différents supports de communication de LIDL ne permet pas de contrebalancer l'absence d'objectivité des conditions de vote et d'informer les consommateurs,

- cette mention est trompeuse,

- et de nature à affecter substantiellement le comportement du consommateur.

Le jugement sera en revanche infirmé en ce qu'il a estimé que l'utilisation du titre « Meilleure Chaine de Magasins » ne constituait pas une pratique commerciale déloyale. Ce titre induit en effet également une comparaison avec d'autres enseignes, dont aucun élément du dossier ne permet d'attester la véracité. En outre, Lidl fait état du titre de « Meilleure chaîne de magasins » dans des spots télévisés portant sur des opérations commerciales de promotion qui sont illicites à la télévision, créant ainsi un lien entre les prix annoncés dont le caractère promotionnel est caché au public et la qualité de Lidl, annoncée « meilleure chaîne de magasins ».

Son objet et ses effets sont donc identiques.

Sur le préjudice subi par ITM

La société ITM soutient que la violation de la réglementation sur les publicités par la société Lidl constitue une distorsion de concurrence à son préjudice, dès lors que le non respect de la réglementation conduit à une rupture d'égalité des moyens et place la société Lidl dans une situation anormalement favorable par rapport à ses concurrents. Elle explique que les publicités litigieuses créent un lien artificiel entre les prix promotionnels annoncés et le fait que la société Lidl se présente depuis quatre ans comme « Meilleur Chaîne de Magasins » ce qui renforce aux yeux des consommateurs le rapport qualité/prix du magasin, aggravant le caractère trompeur des spots publicitaires. Ces actes caractérisent des actes de concurrence déloyale, ouvrant droit à réparation sur le fondement de l'article 1240 du code civil.

La société ITM soutient que le préjudice s'infère nécessairement des actes de concurrence déloyale. En l'espèce elle souligne que le changement d'image de la société Lidl est principalement porté par une communication en publicité télévisée massive, la société Lidl étant, en 2015, le 4ème annonceur sur une liste des 100 premiers annonceurs français, et le 2ème en 2016 avec des investissements publicitaires d'un montant de 415 millions d'euros bruts. Les spots litigieux ont ainsi eu une grande ampleur puisqu'ils ont été diffusés 16 261 fois à la télévision, et relayés sur internet pour un investissement d'un montant de 17 millions d'euros sur la période septembre/novembre 2015 et 5,2 millions d'euros sur avril/juin 2016. Cette stratégie publicitaire a, selon elle, permis à la société Lidl d'augmenter considérablement ses parts de marché sur les périodes de diffusion, avec un gain de plus de 0,2 point de parts de marché en 2015, et 0,3 point en 2016, et sur l'année une augmentation de 4,9 % des parts de marché en 2015 et 5,1 % des parts en 2016. ITM a contrario a vu, sur la période de diffusion des spots litigieux, sa marge baisser de 0,2 point. Elle estime que le lien de causalité est donc clairement établi entre la faute de la société Lidl et son préjudice.

La société ITM demande à la cour de retenir une méthode d'évaluation de son préjudice basée sur le coût des campagnes télévisés litigieuses, conformément à la méthode retenue dans l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 février 2019.

Elle avance qu'il ressort des données, versées aux débats, des sociétés Arena Media et Kantar Media que le coût des campagnes télévisées engagées par la société Lidl sur les deux périodes litigieuses, et concernant 19 spots, s'établit comme suit : pour la période de septembre à novembre 2015 (14 spots) le coût total est de 17 030 000 euros bruts, soit un coût moyen de 1 214 284 par campagne publicitaire ; pour la période d'avril à juin 2016 (5 spots), le coût total est de 5 1771 000 euros, soit un coût moyen de 1 040 000 euros. Le total de ces investissement s'élève à 22 207 000 euros.

Elle estime que les chiffres avancés par la société Lidl ne peuvent être retenus, au détriment des données des sociétés Kantar Media et Aréna Media relatives aux investissements publicitaires qui sont des données officielles et publiques émanant d'organismes tiers. Elle explique en effet que les chiffres de la société Lidl ne permettent pas de connaître le budget moyen par campagne de publicité et le nombre de spot avancé ne ressort d'aucune pièce. En outre, ces chiffres sont contredits par les données officielles Kantar Media et Aréna Media.

S'agissant de la société ITM, elle rappelle que sa part de marché sur la période de septembre à novembre 2015 et d'avril à juin 2016 s'établissait à 13,3%, ce qui n'est pas contesté. Par conséquent dès lors que la cour a retenu une méthode d'évaluation proportionnelle à la part de marché représentée par les distributeurs victimes des agissements illicites de la société Lidl, elle expose qu'elle est fondée à évaluer son préjudice comme suit : total des investissements publicitaires de la société Lidl (22 230 000) multiplié par la part de marché de la société ITM sur la même période (13,3%), ce qui donne un préjudice de 2 956 590 euros.

Elle ajoute que cette somme ne correspond pas à l'intégralité de son préjudice économique, dès lors qu'elle ne peut utiliser les mêmes armes que la société Lidl, et que ces publicités promotionnelles ont eu un effet fortement mobilisant, tel que cela ressort de l'arrêt précité de la cour d'appel. Elle demande par conséquent à ce que la somme de 2 956 590 euros soit augmentée de l'indemnité complémentaire de 761 390 euros, soit un préjudice d'un montant total de 3 717 980 euros, que la société Lidl sera condamnée à lui verser.

La société Lidl soutient d'abord que les premiers juges n'ont pas démontré l'existence d'un préjudice ni déterminé les modalités selon lesquelles les calculs de ce préjudice ont été effectués, de sorte que les indemnités allouées à la société ITM s'apparentent à une réparation sous forme forfaitaire en violation du principe de réparation intégrale qui prime en responsabilité civile délictuelle, et de l'interdiction des dommages et intérêts punitifs. Elle relève en outre que la société ITM ne rapporte par la preuve du préjudice qu'elle aurait subi, ni du lien de causalité entre le prétendu acte de concurrence déloyal et le préjudice allégué.

S'agissant du calcul du montant du préjudice, elle relève que la société ITM se fonde désormais sur la méthode de calcul retenue par la cour d'appel dans le dossier opposant la société Carrefour à la société Lidl. Elle conteste les données prises en compte par la cour d'appel dans cet arrêt du 6 février 2019, dès lors qu'a été pris en compte le budget moyen publicitaire de la société Lidl sans que ce soit distingués les produits alimentaires des produits non alimentaires, seuls concernés par le présent litige. Elle avance a contrario que sur la base des attestations d'avril 2017 versées aux débats, sur deux années (2015 et 2016), le coût moyen d'un spot de publicité sur un produit non alimentaire est de 258 000 euros (et non de 1 328 000 euros). Elle ajoute qu'en outre, la société ITM conteste les spots diffusés sur une partie des années 2015 et 2016 et non sur la totalité de ces périodes et qu'il convient d'écarter la méthode de calcul retenue dans l'arrêt du 6 février 2016, lequel ne précise pas la période de référence retenue pour calculer le coût moyen d'un spot publicitaire. La société ITM aurait du, selon elle, effectuer un calcul au prorata des spots publicitaires concernés, sauf à considérer tous les spots comme illicites. Elle fait également grief à la société ITM de fonder ses demandes sur des données brutes alors que les investissements publicitaires bruts ne prennent pas en compte les différentes remises professionnelles (liées aux négociations, volumes, etc) et conduisent donc à une surestimation relativement importante des investissements publicitaires. La société ITM ne saurait à cet égard soutenir que les données fournies par la société Lidl sont erronées par rapport à ces données brutes dès lors qu'elle n'est pas sans ignorer ces problèmes d'écarts. Elle demande en conséquence le rejet des demandes d'indemnisation de la société ITM comme injustifiées.

La société Lidl relève en outre que la cour d'appel dans l'arrêt précité a octroyé à la société Carrefour des sommes supérieures au calcul effectué, sans qu'il soit possible de comprendre cette méthode de calcul. Sur cette base, la société ITM, sans justifier d'un préjudice supplémentaire distinct, réclame à son tour la somme supplémentaire de 761 390 euros. Or, dans le cadre de l'affaire opposant la société Carrefour à la société Lidl, la cour avait retenu que les deux sociétés ne pouvaient utiliser les mêmes armes ; or, un tel argument, qui n'est d'ailleurs pas établi à l'égard de la société Carrefour, ne peut être repris par la société ITM. S'agissant du caractère fidélisant de ces publicités, il s'agit d'une affirmation infondée, selon elle, sur laquelle la société ITM ne peut s'appuyer. Elle réclame le rejet de la demande de complément indemnitaire de la société ITM à hauteur de 761 390 euros.

En tout état de cause, et au delà de la méthode de calcul du préjudice, elle relève que le lien de causalité n'est pas en l'espèce établi, dès lors que la société ITM n'établit pas que l'augmentation de 0,2% en parts de marché de la société Lidl serait due à cette stratégie publicitaire, cette augmentation étant due, en réalité, à une combinaison de facteurs tels que l'état des magasins, la qualité des produits et services, la gestion, le rapport qualité/prix, etc.

***

Il s'infère nécessairement d'actes constitutifs de concurrence déloyale un trouble commercial générant un préjudice, fût-il seulement moral.

En l'espèce, l'impact des publicités télévisuelles est établi par l'étude Kantar Worldpanel menée en décembre 2015 et 2016 (pièces 42 et 25 d'ITM). L'absence de corrélation parfaite entre les baisses de chiffres d'affaires d'ITM et les périodes des campagnes publicitaires illicites de Lidl ne saurait remettre en question le lien de causalité entre elles et le préjudice subi par ITM.

Ce principe de préjudice ne dispense toutefois pas la victime de démontrer son étendue, pour en demander réparation au titre non pas des publicités télévisuelles dans leur ensemble, mais des publicités télévisuelles illicites.

Le tribunal a évalué le préjudice subi par la société ITM à 252 700 euros, après avoir écarté la méthode basée sur la comparaison entre l'évolution des parts de marché qu'aurait connue Lidl en l'absence des pratiques et celle effectivement constatée, ces chiffres ne permettant pas, selon lui, d'évaluer l'impact des publicités contestées, la part de marché d'un distributeur résultant de très nombreux facteurs.

Il a adopté sa propre méthode de calcul, exposant que le préjudice concernait tous les acteurs du marché, que la société ITM avait subi un préjudice au prorata de ses parts de marché et que les infractions avaient concerné 5 spots publicitaires dans 4 magasins.

***

Les constats versés aux débats ont permis de mettre en évidence le caractère illicite de certaines publicités télévisuelles mises en 'uvre par la société Lidl. Il convient d'établir le périmètre de la faute délictuelle à 19 campagnes publicitaires illicites, ce qui n'est pas sérieusement contesté par les parties. Il ne saurait en effet s'inférer des constats de publicité illicite versés aux débats que l'intégralité des publicités effectuées par Lidl revêtaient ce caractère de mai 2014 à fin 2016.

Le tribunal a, à bon droit, écarté la méthode de calcul du préjudice basée sur la comparaison entre les parts de marché qu'aurait eues la société Lidl en l'absence de ses pratiques déloyales et celles qu'elles a eues effectivement.

Toutefois, la société ITM souligne à juste titre qu'il n'est pas pertinent de limiter l'indemnisation du préjudice subi par ITM aux seules infractions constatées dans les magasins concernés par les constats. En effet, le préjudice subi par ITM ne se limite pas au manque à gagner de ces seuls magasins, les constats versés aux débats ayant permis, par une sélection aléatoire des magasins, de démontrer l'illicéité des pratiques du réseau Lidl de dimension nationale.

LIDL n'a pas été en mesure d'apporter la preuve contraire du respect de la réglementation dans ses autres magasins que ceux concernés par les constats.

La société ITM demande que soit pris en compte, pour évaluer son préjudice, le coût de la publicité qu'elle devrait diffuser en réponse à chacune des campagnes illicites de Lidl, pour contrebalancer l'effet de captation de ces campagnes à son détriment.

Selon les chiffres communiqués par ITM, et détaillés par campagne, dans les tableaux de la page 51 de ses conclusions :

- pour la diffusion des 14 spots télévisés, de septembre à novembre 2015, Lidl a engagé près de 17 millions euros bruts (pièce ITM n°37 ' Montant des investissements publicitaires relatifs aux 14 spots publicitaires et pièce ITM n°38 ' Attestation du Directeur général d'Arena Media),

- pour la diffusion télévisée des 5 spots diffusés d'avril à juin 2016, les frais se sont élevés à près de 5,2 millions euros bruts (pièce ITM n°22 ' Données Kantar Media sur les investissements publicitaires de LIDL relatifs aux 5 spots publicitaires).

Ces chiffres sont contestés par la société Lidl qui verse aux débats une attestation de son commissaire aux comptes (pièce 18 de Lidl), selon laquelle les dépenses relatives à l'achat d'espaces publicitaires pour la publicité télévisuelle sur des produits non alimentaires serait seulement de 10,628 millions d'euros pour 2016 et 10,312 millions d'euros pour 2017, pour calculer le coût moyen d'un spot de produit non alimentaire, soit 234.090 euros par campagne (pour 2015 : 10,6 millions d'euros / 37 = 286.486 euros par campagne'et pour 2016 : 10,3 millions d'euros / 44).

Mais cette attestation n'est corroborée par aucune pièce comptable, de sorte qu'elle ne saurait prévaloir sur les données officielles Kantar Média et Aréna Media.

La société Lidl réplique qu'il s'agit de chiffres bruts dont il faudrait soustraire les remises. Mais la cour rappelle qu'il appartient à la société Lidl de rapporter la preuve de ses investissements publicitaires télévisuels, et notamment des campagnes visées par le présent litige et aussi du montant des remises dont elle a pu bénéficier. Elle seule est en mesure de les fournir.

La cour retiendra donc les chiffres d'ITM.

La société ITM qui est victime, comme les autres enseignes, de ces pratiques, devra réaliser, pour contrebalancer les effets négatifs de ces publicités illicites sur son propre chiffre d'affaires, une campagne proportionnelle à sa part de marché pour la période considérée, soit 13,3 %, soit engager une dépense de 2 959 590 euros (13,3 % de 22 230 000 euros).

Toutefois, cette somme ne correspond pas à l'intégralité du préjudice économique réel subi par la société ITM ; en effet, la cour souligne :

- qu'elles ne peuvent utiliser les mêmes armes que la société Lidl, puisqu'elle est victime de publicités illicites qui combinent la visibilité de la publicité télévisuelle et l'attractivité de la promotion,

- que ces publicités promotionnelles télévisuelles, conjuguées aux publicités institutionnelles classiques ont un effet fortement fidélisant, de sorte que les campagnes de publicité licites pour les combattre auront un coût nécessairement plus élevé et que l'effort de reconquête sera long,

- que cet effet fidélisant est encore amplifié par la diffusion du slogan « Meilleure Chaîne de Magasins ».

La cour condamnera donc la société Lidl à payer à la société ITM la somme de 3,7 millions d'euros.

Le jugement entrepris sera donc infirmé sur le quantum alloué.

Sur les autres demandes de la société ITM

La société ITM demande que l'interdiction de diffusion de tout message publicitaire contrevenant à l'article 8 du décret de 1992, prononcée par le tribunal, soit assortie d'une astreinte qui ne pourra être inférieure à 2 000 euros par infraction constatée à compter du délai de 8 jours suivant la date de signification de la décision à venir. Elle demande également que l'injonction prononcée par le tribunal s'agissant du message « élue meilleure chaîne de Magasins » sous astreinte, soit élargie à « meilleure chaîne de magasins ». Elle sollicite enfin la confirmation de la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans une revue au choix de la société ITM et aux frais de la société Lidl dans la limite de 15 000 euros, mais en l'étendant au site de la société lidl.fr pour une publication en première page pour une durée de deux mois.

La société Lidl soutient que la demande d'arrêt de diffusion des spots publicitaires sous astreinte est sans objet, ces derniers n'étant plus diffusés. En tout état de cause, elle ne peut valoir pour l'avenir. Elle estime également que la demande tendant à la publication du jugement est disproportionnée, cette mesure n'étant pas, selon elle, adaptée à la nature des faits, puisque le jugement porte sur des publicités anciennes diffusées sur une durée de 2/3 jours relativement à des produits qui ne sont plus commercialisés. Elle sollicite le rejet de ces demandes.

***

L'article 1382 du code civil dans sa version alors en vigueur et le principe de la réparation intégrale permettent à la juridiction saisie d'ordonner à la société fautive, le cas échéant sous astreinte, la cessation de son comportement fautif. Ils n'autorisent pas le juge à ordonner des comportements pour le futur.

En l'espèce, il n'est pas établi que les comportements de la société Lidl seraient encore en cours.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a ordonné la cessation des pratiques.

S'agissant des mesures demandées par la société ITM, le comportement de la société Lidl sera suffisamment réparé par l'allocation des dommages-intérêts et par la publication, dans les formes et selon les modalités prévues par le jugement déféré, sur le site internet www.lidl.fr, du dispositif de l'arrêt à intervenir, à un seul clic de la page d'accueil pendant un mois. La cour rejette le surplus des demandes d'ITM. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a ordonné la publication dans une revue.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Lidl sera condamnée à payer à la société ITM la somme de 30.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle sera en outre condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a « écarté des débats les pièces n°30 à 35 rapportées par la SASU ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL » se rapportant aux procès-verbaux relatifs aux 14 spots publicitaires diffusés sur la période de septembre à décembre 2015, en ce qu'il a écarté le grief relatif à l'emploi du terme « Meilleure chaîne de magasins », en ce qu'il a ordonné la cessation des pratiques, la publication du dispositif de l'arrêt dans une revue, et évalué le préjudice subi par la société ITM à 252 700 euros au titre de la concurrence déloyale et 250 000 euros pour les pratiques commerciales trompeuses ;

L'INFIRME sur ces points ;

et, statuant nouveau,

REJETTE la demande de la société Lidl tendant à voir écarter des débats les pièces n°30 à 35 rapportées par la SASU ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL se rapportant aux procès-verbaux relatifs aux 14 spots publicitaires diffusés sur la période de septembre à décembre 2015 ;

DIT qu'en employant le terme « Meilleure chaîne de magasins », la société Lidl s'est rendue responsable d'une pratique commerciale déloyale ;

REJETTE les demandes d'injonction de cesser d'ITM et la demande de publication de l'arrêt à intervenir dans une revue ;

CONDAMNE la société Lidl à payer la somme de 3,7 millions d'euros à la société ITM ;

CONDAMNE la société Lidl aux dépens de l'instance d'appel ;

LA CONDAMNE à payer la société ITM la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier Le Président

Cécile PENG Laurent BEDOUET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 17/14909
Date de la décision : 24/04/2019

Références :

Cour d'appel de Paris I4, arrêt n°17/14909 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-04-24;17.14909 ?
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