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11/04/2019 | FRANCE | N°18/11383

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 2, 11 avril 2019, 18/11383


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2



ARRÊT DU 11 Avril 2019



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/11383 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6RBI



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 Juin 2018 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° 15/07676





APPELANT DU CHEF DE LA COMPETENCE

M. [R] [R]

né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité

1] (59)

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, avocat postulant

représenté par Me Julie SOLAND, avoca...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2

ARRÊT DU 11 Avril 2019

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/11383 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6RBI

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 Juin 2018 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° 15/07676

APPELANT DU CHEF DE LA COMPETENCE

M. [R] [R]

né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 1] (59)

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, avocat postulant

représenté par Me Julie SOLAND, avocat au barreau de PARIS, toque : C0749, avocat plaidant

INTIMEE DU CHEF DE LA COMPETENCE

SARL GROUPE PIERRE CONSEILS

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Chantal MEININGER BOTHOREL de la SELARL PEISSE DUPICHOT LAGARDE BOTHOREL et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : J149, substituée par Me RAFFIN, avocat postulant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 mars 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Mariella LUXARDO, Président , chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:

Madame Mariella LUXARDO, Président

Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller

Madame Monique CHAULET, Conseiller

GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Mariella LUXARDO, Président et par Madame FOULON, Greffier.

**********

Vu le jugement rendu le 27 juin 2018 par le conseil de prud'hommes de Paris qui s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes présentées par M. [R] au profit du tribunal de commerce de Quimper ;

Vu l'appel interjeté le 12 octobre 2018 par M. [R] ;

Vu l'ordonnance rendue le 24 octobre 2018 par le délégataire de Mme le premier président aux fins d'autoriser l'assignation à jour fixe pour statuer sur la compétence ;

Vu l'assignation délivrée le 15 novembre 2018 par M. [R] et ses dernières conclusions signifiées le 4 mars 2019 aux fins de voir :

Infirmer le jugement du 27 juin 2018,

Statuant à nouveau,

Requalifier le contrat d'agent commercial de M. [R] en contrat de travail,

Dire que le conseil de prud'hommes de Paris est matériellement compétent pour connaître du litige dont il a été saisi et opposant M. [R] à la société Groupe Pierres Conseils,

En conséquence,

Renvoyer l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Paris pour qu'il soit statué sur le fond du litige,

En conséquence,

Condamner la société Groupe Pierres Conseils à payer à M. [R] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;

Vu les conclusions signifiées le 12 février 2019 par la société Groupe Pierres Conseils qui demande à la cour de :

Confirmer le jugement rendu le 27 juin 2018 par le conseil de prud'hommes se déclarant incompétent pour avoir à connaître du litige opposant M. [R] à la société Groupe Pierres Conseils au profit du tribunal de commerce de Quimper,

Condamner M. [R] à payer à la société Groupe Pierres Conseils la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la compétence de la juridiction prud'homale et l'existence d'une relation de travail

A l'appui de son appel, M. [R] soutient qu'il doit bénéficier du statut de salarié dès lors que M. [U] gérant de la société Groupe Pierres Conseils spécialisée dans les transactions immobilières, lui donnait des instructions précises malgré son statut d'auto-entrepreneur ; que la

société se réservait le droit de ne pas donner suite aux affaires qu'il proposait, qu'il devait appliquer la politique commerciale et appliquer des honoraires fixes avec une marge de négociation réduite à 10% ; que la société assurait sa formation et lui imposait des objectifs à atteindre dans le cadre de réunions, de mails, d'outils informatiques, portant sur le nombre de visites, de mandats et de contacts clients ; qu'il réalisait en moyenne 91,7% de son chiffre d'affaires avec la société, assurait la direction de commerciaux, organisait des événements et était chargé du développement de l'enseigne Côte et littoral.

La société Groupe Pierres Conseils fait valoir en réplique que M. [R] était indépendant puisqu'il était immatriculé au registre spécial des agents commerciaux ; que le litige est commercial puisqu'il oppose deux société commerciales ; que la présomption de non salariat de l'article L.8221-6 du code du travail n'est pas renversée par M. [R] qui est devenu en 2011 associé de la société Groupe Pierres Conseils à hauteur de 20% des parts; qu'en 2008 l'Urssaf du Sud Finistère a confirmé l'application du statut d'agent commercial indépendant ; que les éléments invoqués par M. [R] sont insuffisants pour apporter la preuve du lien de subordination.

En droit, il y a contrat de travail quand une personne s'engage à travailler pour le compte et sous la direction d'une autre personne moyennant rémunération ; l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs ; que cette définition suppose la réunion de trois éléments indissociables, l'exercice d'une activité professionnelle, la rémunération et le lien de subordination.

Le lien de subordination, élément déterminant du contrat de travail, se caractérise par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son salarié.

En l'absence de contrat de travail apparent, il appartient à celui qui se prétend salarié de rapporter la preuve de l'existence du lien de subordination, et en présence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui en invoque le caractère fictif d'en rapporter la preuve.

S'agissant de la présomption de non salariat édictée par l'article L.8221-6 paragraphe I du code du travail au profit des personnes exerçant sous le statut d'auto-entrepreneur, il convient de rappeler qu'il s'agit d'une présomption simple qui peut être détruite par la preuve qu'elles fournissent directement ou par personne interposée, des prestations au donneur d'ordre dans des conditions qui la placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.

En l'espèce, la société Groupe Pierres Conseils dont le siège social est situé à Paris 8ème, est spécialisée dans les transactions immobilières de biens immobiliers haut de gamme situés en proximité de mer et notamment en Bretagne, dans le cadre de trois enseignes commerciales, Pierres et Mer, Pierre et capital, et Côte et littoral.

M. [R] a signé avec la société Groupe Pierres Conseils en 2008 (absence de date précise sur le document communiqué par M. [R]) un contrat d'agent commercial par lequel la société lui a donné mandat de la représenter auprès de sa clientèle.

Le contrat a été renouvelé le 23 juillet 2010 puis signé le 1er mars 2011 avec M. [R] agissant en sa qualité d'associé unique de la société AV Conseils située à [Adresse 3].

La signature du contrat entre deux sociétés commerciales n'est pas un élément suffisant pour fonder la compétence de la juridiction commerciale dès lors que M. [R] est en droit de démontrer devant la juridiction prud'homale l'existence d'une relation salariée dans les conditions d'exécution de fait répondant à la définition du lien de subordination.

En outre la participation de M. [R] le 2011 au capital social de la société Groupe Pierres Conseils n'est pas non plus incompatible avec le statut de salarié, à la condition que l'intéressé ne s'immisce pas dans la gestion de la société, sa participation à hauteur de 106 parts sociale sur un total de 533 parts, représentant environ 20% des parts, n'étant pas déterminante.

Toutefois elle constitue un élément à prendre en considération dans la qualification de la relation contractuelle, comme l'est également sa qualité de gérant de l'agence de la Conciergerie du Littoral avant son entrée en relation avec la société Groupe Pierres Conseils, du 7 novembre 2006 au 12 août 2008.

La cour relève en revanche que les courriers communiqués par la société Groupe Pierres Conseils, des 13 septembre 2007 et 5 mars 2008 émanant de l'Urssaf du Sud Finistère, ne peuvent pas être un indice de l'autonomie de M. [R] dès lors qu'ils ne le concernent pas de manière spécifique, ces courriers se limitant à rappeler les conditions générales d'immatriculation des négociateurs immobiliers.

Il convient d'examiner les éléments de fait invoqués par M. [R] pour démontrer l'existence du lien de subordination, avec cette précision que l'exercice d'une activité professionnelle et le versement de commissions ne sont pas spécialement contestés par la société Groupe Pierres Conseils.

M. [R] invoque en premier lieu les conditions contractuelles de la fixation de ses commissions qui au vu de l'examen des trois contrats successifs signés entre les parties, imposent le respect de la politique générale de la société Groupe Pierres Conseils, avec une faculté de remise sur les honoraires ne pouvant pas excéder 10% du montant devant revenir à la société, ce qui est contraire à l'autonomie dont doit disposer un responsable indépendant d'une agence immobilière.

En outre le contrat précise dans son article 2 que la société Groupe Pierres Conseils se réserve le droit de ne pas donner suite à toute affaire proposée par l'agent commercial.

L'article 2.3 prévoit dans ses missions, l'obligation de centraliser les mandats de vente et d'achat conclus par l'agent, pour permettre à la société de contrôler que les transactions respectent les termes des mandats qui lui ont été confiés, de créer un fichier, d'assurer la formation de l'agent commercial et de lui donner accès à son interface administrative pour présenter les biens à vendre sur le site internet de la société.

Il ressort de ces éléments que M. [R] devait partager tous les mandats immobiliers conclus avec les clients et avait accès aux biens présents sur le site internet de la société, de sorte que son activité était intégrée à celle de la société Groupe Pierres Conseils.

Il justifie en outre de la dépendance économique de son activité à l'égard de la société Groupe Pierres Conseils puisque son chiffre d'affaires en 2011 a été réalisé exclusivement par la perception des commissions relatives à des transactions de cette société, la proportion pour les années suivantes étant de 86,5% en 2012, 82,6% en 2013 et 90,5% en 2014, avec cette précision que la relation contractuelle a pris fin en décembre 2014 par une lettre de prise d'acte de M. [R].

Par ailleurs les articles 3 et 4 des contrats prévoient que l'agent commercial doit informer régulièrement la société Groupe Pierres Conseils de 'tout élément utile dont il pourrait avoir connaissance concernant notamment les services contractuels, les besoins de la clientèle, l'état du marché et de la concurrence', cette obligation d'information était exclusive de l'autonomie d'un agent commercial.

Il doit également s'engager à respecter 'la présentation argumentaire, documentaire, publicitaire et vestimentaire' de la société, ce qui confirme son intégration à un service organisé.

M. [R] démontre que la société avait mis à sa disposition un argumentaire téléphonique et qu'il était destinataire des documents d'information et de formation communiqués par le gérant de la société M. [U].

Il devait utiliser les mandats de vente de la société et disposait de cartes de visite lui donnant la qualité de directeur commercial des agences Pierres et Mer et Pierres et Capitale.

Des objectifs lui ont été assignés en qualité de responsable de secteur, dans des documents communs envoyés à tous les agents commerciaux de la société, à hauteur de cinq biens au minimum devant 'rentrer' tous les mois, correspondant pour M. [R] à des biens d'une gamme supérieure aux autres négociateurs, de l'ordre de 700.000 euros, dans une perspective commune de conclure dix affaires par an.

M. [R] était destinataire des mails et documents adressés par M. [U] à tous les agents commerciaux intégrant tous les mois les résultats de leur activité, concernant les nouveaux contacts, les 'fans' sur les réseaux sociaux, les visites générées sur le site Pierres et Mer.

Il adressait à M. [U] des tableaux hebdomadaires intitulés 'reporting' détaillant les résultats d'activité de l'enseigne Côte et littoral, reprenant le détail du nombre d'annonces, d'entretiens téléphoniques, les marges de progression d'une semaine sur l'autre.

Le conseil de prud'hommes a estimé qu'il s'agissait 'd'échanges d'informations entre collègues' pour écarter le lien de subordination alors que ces éléments confirment l'existence d'un service organisé, mis en oeuvre par le gérant de la société Groupe Pierres Conseils, M. [U], et dont M. [R] est directeur commercial sur un secteur régional par le biais de sa société unipersonnelle AV Conseils.

La société Groupe Pierres Conseils fait valoir que le lien de subordination est exclu en l'absence de plannings et d'horaires de travail imposé à M. [R].

Or cet élément n'est pas déterminant dès lors que celui-ci disposait d'une autonomie suffisante concernant ses horaires résultant de sa qualité de directeur commercial et qu'il était contraint à l'exercice d'une activité effective, sans horaires fixes, lui permettant de réaliser les objectifs chiffrés qui lui étaient assignés par M. [U], avec un contrôle par le biais de comptes-rendus hebdomadaires et mensuels d'activité.

Il ressort ainsi des pièces produites par M. [R] que son activité s'inscrivait dans le cadre d'un lien de dépendance et de subordination à l'égard de M. [U] gérant de la société Groupe Pierres Conseils, établissant par suite l'existence d'une relation de travail salarié.

Le jugement du 27 juin 2018 mérite par suite l'infirmation en ce qu'il a déclaré le conseil de prud'hommes de Paris incompétent pour statuer sur les demandes de M. [R].

L'affaire sera renvoyée devant le conseil de prud'hommes pour qu'il soit statué sur le fond.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Compte tenu des éléments de la cause, la société Groupe Pierres Conseils devra verser à M. [R] une indemnité de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement du 27 juin 2018 du conseil de prud'hommes de Paris qui s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes de M. [R],

Statuant à nouveau,

Dit le conseil de prud'hommes de Paris compétent pour statuer sur les demandes de M. [R],

Renvoie l'affaire devant ce conseil pour y être jugée,

Condamne la société la société Groupe Pierres Conseils aux dépens de l'appel sur la compétence et à payer à M. [R] une indemnité de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 18/11383
Date de la décision : 11/04/2019

Références :

Cour d'appel de Paris K2, arrêt n°18/11383 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-04-11;18.11383 ?
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