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10/04/2019 | FRANCE | N°17/16886

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 10 avril 2019, 17/16886


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRET DU 10 AVRIL 2019



(n° 163 , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/16886 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4A7A



Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Juillet 2017 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 15/09359





APPELANTE



Madame [B] [K] [H] [V]

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[Adresse 1]

née le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 1]



Représentée et ayant pour avocat plaidant Me Aurore CRESSENT, avocat au barreau de PARIS, toque : E0066







INTIMES



Monsi...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRET DU 10 AVRIL 2019

(n° 163 , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/16886 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4A7A

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Juillet 2017 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 15/09359

APPELANTE

Madame [B] [K] [H] [V]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 1]

Représentée et ayant pour avocat plaidant Me Aurore CRESSENT, avocat au barreau de PARIS, toque : E0066

INTIMES

Monsieur [N] [B]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

né le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 2]

SCP [A]R

[Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : [A]

Représentée et ayant pour avocat plaidant Me Barthélemy LACAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0435

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 06 Février 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Christian HOURS, Président de chambre

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

Madame Anne de LACAUSSADE, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Anne de LACAUSSADE dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Nadyra MOUNIEN

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Christian HOURS, Président de chambre et par Nadyra MOUNIEN, Greffière présente lors du prononcé.

*****

Le 13 mars 2008, M. [O] [J] a établi, en présence de deux témoins, un testament authentique reçu par Me [N] [B], notaire, dans les termes suivants :

'Ceci est mon testament : Je lègue à Madame [B] [K] [H] [E] [V],

mon épouse, la quotité disponible de tous les biens meubles et immeubles qui composeront ma succession au jour de mon décès. Etant ici précisé que cette disposition doit s'harmoniser avec les stipulations de notre contrat de mariage, reçu par Maître [N] [B], notaire associé à [Localité 3], le 6 février 2008, concernant la faculté d'attribution du logement de la famille et du mobilier m 'appartenant le garnissant.

Par contre, je déclare priver Madame [B] [K] [H] [E] [V], mon épouse, de tous les droits viagers d'habitation principale lors du décès et sur le mobilier le garnissant, conformément aux dispositions de l 'article 763 du Code Civil.

Je déclare, en outre, révoquer toutes dispositions testamentaires antérieures.'

M. [J] est décédé le [Date décès 1] 2010, laissant pour lui succéder ses deux filles issues de son premier mariage, Mmes [P] et [A] [J], ainsi que son épouse, Mme [B] [V].

Les 6 juillet et 19 août 2010, à la demande des héritières, Me [N] [B] a procédé à un partage provisionnel attribuant à chacune d'elles un tiers des liquidités du défunt.

Par courrier du 18 février 2011, Me [B] a écrit au notaire des filles du défunt que sa cliente, Mme [V], devait être considérée comme légataire universelle.

Le 28 juillet 2011, Mme [V] a adressé au notaire une déclaration d'option, en vertu du testament du 13 mars 2008, pour le 1/4 en toute propriété et les 3/4 en usufruit des biens et droits mobiliers et immobiliers composant la succession de M. [J] au jour de son décès.

Par jugement du 1er avril 2014, le tribunal de grande instance de Paris, saisi le 23 septembre 2011 par Mmes [P] et [A] [J] en désaccord avec l'interprétation faite du testament par Mme [V] et son notaire, a notamment 'dit que par l'emploi du terme quotité disponible dans le testament du 13 mars 2008, M. [O] [J] a légué à son épouse, Mme [B] [V] la quotité disponible ordinaire en présence de deux enfants, soit un tiers (1/3) en propriété, à l'exclusion de tout droit en usufruit (..)'.

Par arrêt du 10 juin 2015, la cour d'appel de Paris a confirmé ce jugement, sauf en ses dispositions concernant l'indemnité d'occupation relative au bien immobilier situé [Adresse 1].

C'est dans ces circonstances que Mme [V] a fait assigner en responsabilité, le 7 mai 2015, Me [B] et la Scp [A] devant le tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 26 juillet 2017, a notamment, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, rejetant toutes prétentions plus amples ou contraires des parties :

- déclaré recevables les conclusions notifiées par les défendeurs le 27 janvier 2016 ;

- condamné in solidum Me [N] [B] et la Scp [A] à payer à Mme [V] la somme de 2 500 euros en réparation de son préjudice moral outre celle de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le tribunal a retenu que :

- les dispositions du testament ne s'imposaient pas avec la clarté nécessaire à l'efficacité et la sécurité de l'acte attendue du notaire,

- en outre, que ce dernier ait donné à l'acte une portée juridique qui n'est pas celle retenue par les juridictions est constitutif en un manquement à son devoir de conseil,

- la seule attestation notariée produite aux débats par l'épouse ne suffit pas à établir que la volonté du défunt était contraire à l'interprétation judiciaire de son testament, de sorte que sa perte de chance de recevoir le quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit des biens et droits mobiliers et immobiliers composant la succession de M. [J] n'est pas valablement établie, sans qu'il soit besoin dès lors de commettre un notaire pour évaluer les biens.

- il n'est pas démontré que les filles du défunt n'auraient pas, en tout état de cause, introduit une action en partage source de frais de procédure pour Mme [V],

- le défaut de clarté des dispositions testamentaires et la défaillance du notaire dans son devoir de conseil ont créé une situation d'insécurité juridique durable, à l'origine d'un préjudice moral pour Mme [V].

Cette dernière a interjeté appel de la décision le 31 août 2017.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 janvier 2019, Mme [V] demande à la cour de la déclarer recevable en son appel, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu l'existence d'un manquement de Me [B], notaire, à son devoir de conseil, réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamné in solidum avec la Scp de notaires à lui payer la somme de 2 500 euros en réparation de son préjudice moral et, statuant à nouveau, constater que Me [B] a commis plusieurs fautes professionnelles et qu'elle a subi :

- à titre principal, un préjudice matériel de 1 742 427 euros représentant la différence entre, d'une part, la valeur des droits correspondant au quart en pleine propriété et aux trois quarts en usufruit de la succession et, d'autre part, la valeur des droits correspondant au tiers en pleine propriété de la succession, outre un préjudice matériel de 244 837,85 euros correspondant à l'indemnité d'occupation mise à sa charge,

- à titre subsidiaire, une perte de chance de réussite de l'action en justice née des manquements de Me [B] postérieurement au décès du testateur évaluée à 80 % du préjudice réel et certain subi soit 1 422 741,16 euros et une perte de chance de ne pas avoir à verser une indemnité d'occupation née des manquements de Me [B] évaluée à 80 % du montant total de l'indemnité d'occupation versée soit 195 870,28 euros,

- en tout état de cause, un préjudice matériel de 36 880,48 euros correspondant aux frais de procédure qu'elle a engagés et un préjudice moral de 10 000 euros,

- constater le lien de causalité existant entre les fautes du notaire et les préjudices subis et juger en conséquence que la responsabilité civile professionnelle de Me [B] est engagée solidairement avec celle de la Scp de notaires, et :

- à titre principal, condamner Me [B] et la Scp de notaires, solidairement, à lui payer

1 778 427 euros au titre de son préjudice matériel et 244 837,85 euros au titre de son préjudice matériel lié à l'indemnité d'occupation indûment versée,

- à titre subsidiaire, condamner Me [B] et la Scp de notaires, solidairement, à lui payer

1 422 741,16 euros au titre de sa perte de chance de réussite de l'action en justice et 195 870,28 euros au titre de sa perte de chance de ne pas avoir à verser une indemnité d'occupation,

- en tout état de cause, condamner Me [B] et la Scp de notaires, solidairement, à lui payer

36 880,48 euros au titre du préjudice matériel résultant de ses frais de procédure, 10 000 euros au titre de son préjudice moral et 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens distraits au profit de Me Aurore Cressent.

Par conclusions du 25 janvier 2019, l'ordonnance de clôture étant intervenue le 08 janvier 2019, Mme [V] a sollicité sa révocation afin que ses dernières écritures et pièces soient prises en compte, sa communication tardive étant liée à une difficulté informatique.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 janvier 2018, Me [B] et la Scp de notaires, appelants incidents, demandent à la cour de :

- à titre principal, infirmant le jugement entrepris, débouter Mme [V] de toutes ses demandes et la condamner à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- à titre subsidiaire, confirmant le jugement entrepris, juger que l'appelante ne fait la preuve de ses préjudices matériels ni dans leur existence, ni dans leur quantum, la débouter de sa demande de réparation à ce titre, dire que son préjudice moral a été justement évalué par les premiers juges et limiter à 2 500 euros son indemnisation,

- en tout état de cause, condamner Mme [V] aux dépens de première instance et d'appel et dire que Me Lacan, avocat, pourra, en application de l'article 699 du code de procédure civile, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont il déclarera avoir fait l'avance sans avoir reçu provision.

SUR CE

Sans opposition des parties, et après en avoir délibéré, la cour a révoqué l'ordonnance de clôture du 08 janvier 2019 et prononcé la clôture à l'audience du 06 février 2019.

Mme [V] reproche à Me [B] un manquement à son devoir de conseil en n'ayant pas retransmis efficacement la volonté véritable du testateur lors de la rédaction du testament. Elle lui reproche également de l'avoir induite en erreur lors du partage partiel des liquidités de la succession en l'assurant qu'il était sans conséquence sur la fixation de ses droits dans la succession de son époux et d'avoir contribué à voir ses droits fixés à 1/3 en pleine propriété en préparant un projet de déclaration de succession faisant apparaître des droits égaux pour chacune des héritières. Elle ajoute que, réputée de ce fait, avoir exercé tacitement son option, la déclaration reçue le 28 juillet 2011 en faveur du 1/4 en pleine propriété et des 3/4 en usufruit ne pouvait qu'être inefficace. Elle observe qu'à aucun moment Me [B] ne fait la preuve, qui lui incombe, qu'il a rempli son devoir de conseil à son égard. Elle conclut à des fautes cumulatives à savoir des manquements au devoir de conseil lors de la rédaction du testament et des manquements au devoir de conseil et des actions positives contraires à ses intérêts postérieurement au décès.

Mme [V] fait état de son préjudice matériel en résultant, constitué par la différence entre les droits de succession initialement légués par le défunt et les droits de succession qui lui ont été attribués outre l'indemnité d'occupation dont elle s'est trouvée en conséquence redevable et le coût de la procédure engagée, laquelle aurait été évitée si le testament n'avait pas été susceptible d'interprétation. Elle fait aussi valoir son préjudice moral compte tenu de l'insécurité juridique dans laquelle elle s'est trouvée. A titre subsidiaire, elle évoque la perte de chance de bénéficier d'une décision de justice conforme à la volonté du testateur.

Mme [V] souligne le lien de causalité existant entre les fautes commises et les préjudices allégués alors qu'elle n'a pu utilement se fonder sur les termes du testament, que la juridiction a déduit du partage partiel et du projet de déclaration de succession, sur lesquels les héritiers ont pu s'appuyer, qu'un partage par parts égales avait toujours été envisagé, et qu'elle-même n'a pas pu prendre les décisions que la protection de ses intérêts lui aurait dictée si elle avait été correctement informée.

M. [B] et la Scp de notaires contestent toute faute alors que la volonté du testateur de conférer à son épouse une option entre la quotité disponible ordinaire et l'une des quotités disponibles entre époux n'est pas établie. Ils précisent que le notaire, dans son courrier et ses actions postérieurs, s'est contenté d'interpréter les termes du testament sans rapporter sa compréhension et son souvenir de la volonté véritable du testateur, qu'il ignore. Ils ajoutent que le notaire ne doit pas entraver la liberté du disposant qui lui dicte le testament, ni suggérer des dispositions auxquelles il ne songe pas. Ils font valoir que Mme [V] était désireuse initialement d'opérer un partage parfaitement égal, d'où les actes passés. Ils contestent que le projet de déclaration de succession ait été transmis au fisc et affirment que Mme [V] était désireuse d'opter, ce dont les termes du testament ne la privaient pas, le notaire étant quant à lui tenu d'instrumenter.

M. [B] et la Scp de notaires indiquent que faute de justifier d'une volonté du défunt de lui conférer l'option, Mme [V] n'a subi aucun préjudice matériel. Ils contestent subsidiairement tout lien de causalité avec les fautes prétendues alors que la juridiction s'est fondée sur les termes de l'ensemble du testament, sur le contrat de mariage et des éléments de fait comme la situation et les relations familiales mais aussi la situation personnelle et matérielle de chacun au temps du testament. Ils ajoutent qu'en tout état de cause, il ne pourrait s'agir que d'une perte de chance, ténue, compte tenu de l'incertitude de concevoir la volonté du défunt en présumant qu'elle ne serait pas celle exprimée à l'écrit authentique. Ils indiquent que les données chiffrées du préjudice matériel ne sont pas justifiées, que les frais de procédures, pas plus que leur paiement, ne sont pas établis et se trouvent, en tout état de cause, sans lien de causalité avec les prétendus manquements mais en lien avec l'action en partage. Ils concluent au caractère en tout état de cause exagéré dans son montant de la demande formée au titre du préjudice moral.

***

En sa qualité d'officier public, le notaire est tenu d'assurer la validité, l'efficacité et la sécurité des actes qu'il instrumente et il lui appartient d'éclairer les parties, d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets de ceux-ci. Pour assurer la validité des actes qu'il reçoit, le notaire doit vérifier si toutes les conditions de fait nécessaires à la validité d'un acte sont réunies et s'assurer qu'aucune condition de droit ne fait défaut. S'agissant des conditions de droit, le notaire doit vérifier l'existence des droits de ses clients afin de prévenir la survenance de toute irrégularité, et l'état du droit positif. Pour assurer l'efficacité des actes qu'il reçoit, le notaire doit construire des actes qui réalisent exactement les buts poursuivis par leurs clients et dont les conséquences sont pleinement conformes à celles qu'ils se proposaient d'atteindre. Il doit ainsi rechercher l'intention des parties afin de pouvoir lui donner la forme juridique qui lui convient le mieux et se renseigner effectivement afin de déceler les obstacles juridiques qui pourraient venir s'opposer à cet aboutissement. La preuve du conseil donné incombe au notaire et celle-ci peut résulter de toute circonstance ou de toute pièce établissant l'exécution de son obligation. L'étendue du devoir de conseil auquel le notaire est tenu doit s'analyser au regard de la mission qui lui est confiée. Le notaire ne peut se décharger conventionnellement de ses obligations fonctionnelles.

En l'espèce, force est de constater que le testament reçu par Me [B], en ce qu'il ne précisait pas l'étendue de la quotité disponible attribuée à Mme [V], a été sujet à interprétation. Le notaire des filles du défunt, co-héritières, a estimé, aux termes d'un courrier du 14 février 2011, que la quotité léguée portait sur la quotité disponible ordinaire, quand Me [B] a indiqué, dans un courrier du 18 février 2011, que Mme [V] devait être considérée comme légataire universelle. Les juridictions ont été saisies et, en première instance comme en appel, après avoir rappelé que, conclu devant notaire, le testament devait s'interpréter dans son expression juridique rigoureuse, ont retenu au terme d'une analyse de l'ensemble de l'acte dont les clauses devaient s'interpréter les unes par rapport aux autres, du contrat de mariage établi de façon concomitante, de la situation de famille, des actes positifs posés depuis le décès, que M. [J] avait légué à son épouse la quotité disponible ordinaire en présence de deux enfants, soit un tiers en propriété à l'exclusion de tout droit en usufruit.

Me [B] ne peut se retrancher derrière le rôle de simple scribe ; si le notaire doit transcrire fidèlement les propos qu'il recueille, il doit, remplissant son devoir de conseil, rechercher si les conditions requises pour l'efficacité de l'acte qu'il dresse sont réunies, ce qui, compte tenu de ce qui précède, n'a manifestement pas été le cas.

Si, en outre, le fait qu'il ait donné à l'acte dans son courrier susvisé une portée juridique qui n'est pas celle que les juridictions ont retenue, doit s'analyser en un manquement à son devoir de conseil envers sa cliente.

Il ne peut en revanche lui être imputé à tort l'établissement d'un partage partiel et d'un projet de déclaration de succession égalitaires, et l'établissement même de ces actes. En effet, le notaire des co-héritières, dans son courrier du 14 février 2011, confirme les dires de Me [B] selon lesquels Mme [V] a modifié sa volonté avec l'avancement des opérations successorales et la dégradation de ses relations avec ses belles-filles, souhaitant initialement un partage égalitaire.

Les changements d'orientation de Mme [V] avec le temps sont également confirmés par les échanges de courriers entre les notaires de décembre 2010 où est évoquée cette fois une option pour l'usufruit de la totalité des biens, quand celle-ci optera finalement en juillet 2011 pour le quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit.

Mme [V] ne peut enfin légitimement reprocher à son notaire l'inefficacité de la déclaration d'option du 28 juillet 2011, alors qu'elle est intervenue de façon concomitante au désaccord des héritières sur le sens à donner au testament et à la saisine de la juridiction de première instance sur ce point. Elle lui a, dans cette instance, servi d'argument pour soutenir son interprétation du testament, tout comme d'ailleurs l'attestation, reçue le 12 octobre 2011 par Me [B], de M. [I], témoin lors de l'établissement du testament selon laquelle le défunt souhaitait déshériter ses filles et en protéger au maximum son épouse 'à son choix'. Enfin, les juridictions, pour interpréter le testament, se sont servies de l'ensemble des actes passés.

S'agissant des préjudices résultant des fautes précédemment retenues, Mme [V] soutient que la volonté du défunt était de l'instituer légataire universel et que le défaut de clarté du testament et les actes positifs postérieurs l'ont empêchée ou lui ont fait perdre une chance d'exercer l'option ouverte par l'article 1094-1 du code civil.

Elle ne produit pas d'éléments nouveaux par rapport à ceux précédemment analysés par la juridiction de première instance puis la cour d'appel dans son arrêt confirmatif du 10 juin 2015 qui ont, entre les parties intéressées, définitivement interprété le testament, en fonction de l'ensemble de ces termes et de ceux, auquel il renvoie, du contrat de mariage conclu de façon concomitante par les époux et de la situation de famille. Les actes passés par le notaire (partages partiels, projet de déclaration de succession) ne lui sont pas retenus à faute et, postérieurs au testament et au contrat de mariage, éclairent l'intention du seul conjoint survivant. L'attestation notariée de M. [I], précédemment évoquée, est, tout comme la déclaration d'option, contemporaine de l'action en partage exercée par les cohéritières. Celle-ci et les autres attestations produites se contredisent mutuellement. Il en résulte que Mme [V] ne rapporte pas la preuve de ce que la volonté du défunt était contraire à l'interprétation judiciaire des dispositions testamentaires et ne peut dès lors se prévaloir d'un préjudice financier, y compris sous la forme d'une perte de chance, de recevoir le quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit des biens et droits composant la succession de son mari et de ne pas être redevable d'une indemnité d'occupation.

S'agissant des frais de procédure auxquels Mme [V] a fait face, et dont à titre subsidiaire, elle sollicité le paiement à hauteur de 80 %, faisant ainsi référence à une perte de chance de ne pas les engager, ils sont justifiés aux débats pour une somme totale de 36 880,48 euros constituée à hauteur de 20 630,16 euros de frais d'avocats pour les procédures judiciaires, à hauteur de

12 250,32 euros de consultations de professeurs de droit dans ce même cadre et de 4 000 euros de frais irrépétibles.

Les procédures judiciaires ont porté sur le partage successoral après détermination de la volonté testamentaire du défunt. Dans ce contexte, faute de précisions, les factures produites ne permettent pas d'affirmer que certaines d'entre elles ont été engagées exclusivement pour l'analyse du testament.

Si les nombreuses attestations produites aux débats font ressortir des liens anciennement compliqués voire tendus entre les co-héritières, il résulte de ce qui précède qu'à l'ouverture du testament, un accord a été possible entre elles, concrétisé par deux partages de liquidités mais a porté sur des sommes (32 100 euros) sans proportion avec l'actif net de succession (8 166 682,75 euros).

Le partage successoral fait apparaître que les droits reconnus à Mme [V] dans la succession ont été fixés à la somme de 2 484 410,65 euros, que l'appartement du défunt où résidait le couple jusqu'au décès et où Mme [V] est ensuite demeurée, a été évalué à la somme de 1 545 000 euros dans la succession, que l'actif successoral était, déduction faite du passif à acquitter, exclusivement immobilier.

Il convient dès lors de retenir que le défaut d'efficacité de l'acte testamentaire, outre le manquement du notaire à son devoir de conseil résultant de la mauvaise interprétation du testament auprès de sa cliente, a fait perdre une chance à Mme [V] d'éviter une procédure judiciaire, qu'il convient de valoriser, dans ce contexte fragile, à 50 % du total des frais engagés soit la somme arrondie de 18 500 euros.

Enfin, il est constant, comme retenu par les premiers juges, que les fautes du notaire ont créé pour Mme [V], qui connaissait en outre des difficultés financières, une situation durable d'insécurité juridique et d'anxiété, alors que se sont écoulées cinq années entre le décès de M. [J] survenu le [Date décès 1] 2010 et l'arrêt de la cour d'appel du 10 juin 2015 et encore un peu plus de deux ans jusqu'au partage intervenu le 26 septembre 2017, à l'origine d'un préjudice moral que la cour évaluera à la somme de 5 000 euros.

Me [B] et la Scp de notaires seront condamnés in solidum entre eux aux dépens d'appel ainsi, au vu de l'équité, qu'à verser à Mme [V] une somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel et déboutés de leur propre demande formée de ce chef.

PAR CES MOTIFS :

la cour,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris en ce qu'il a retenu le manquement de Me [N] [B] à ses obligations et l'a condamné, in solidum avec la Scp [A], à verser à Mme [B] [V] la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens de première instance;

L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau :

Condamne, in solidum Me [N] [B] et la Scp [A] à verser à Mme [B] [V] les sommes de :

- 18 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice de frais de procédure;

- 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;

- 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires ;

Condamne, in solidum Me [N] [B] et la Scp [A] aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de Me Aurore Cressent, par application de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 17/16886
Date de la décision : 10/04/2019

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°17/16886 : Statue à nouveau en déboutant le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-04-10;17.16886 ?
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