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10/04/2019 | FRANCE | N°16/08191

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 10 avril 2019, 16/08191


Copie exécutoire transmise

aux parties le : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 10 Avril 2019

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/08191 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZAM3



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Mai 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F 15/04969





APPELANTE

Me [C] [R] (SELARL [C]-[Y]) - Administrateur ju

diciaire de SARL P.PRESTIGE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Jean PRINGAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : C2539



Me [M] [R] - Mandataire liquidateu...

Copie exécutoire transmise

aux parties le : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 10 Avril 2019

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/08191 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZAM3

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Mai 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F 15/04969

APPELANTE

Me [C] [R] (SELARL [C]-[Y]) - Administrateur judiciaire de SARL P.PRESTIGE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Jean PRINGAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : C2539

Me [M] [R] - Mandataire liquidateur de SARL P.PRESTIGE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Jean PRINGAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : C2539

INTIMEE

Madame [X] [A]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée par Me Joseph KENGNE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1681

PARTIE INTERVENANTE :

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF EST

[Adresse 4]

[Adresse 4]

représentée par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS, toque : T10 substitué par Me Charlotte CASTETS, avocat au barreau de PARIS, toque : T10

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Mars 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Séverine TECHER, Vice-Présidente Placée, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sandra ORUS, Présidente de chambre

Mme Carole CHEGARAY, Conseillère

Mme Séverine TECHER, vice-présidente placée

Greffier : Mme Clémence UEHLI, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Sandra ORUS, Présidente et par Madame Catherine CHARLES, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le 9 juin 2016, Me [R] [C] et Me [M] en leur qualité respective d'administrateur judiciaire et de liquidateur judiciaire de la société P. Prestige ont interjeté appel du jugement.

Par conclusions déposées le 3 septembre 2018, visées par le greffier et développées oralement, Mme [A] a demandé à la cour de déclarer l'appel irrecevable.

Par conclusions déposées le 3 septembre 2018, visées par le greffier et développées oralement, Me [C] et Me [M] en leur qualité respective d'administrateur judiciaire et de liquidateur judiciaire de la société P. Prestige ont sollicité de la cour :

- qu'elle déclare l'appel interjeté recevable,

- qu'elle mette hors de cause Me [C],

- qu'elle infirme le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et fixé la créance de Mme [A] à la somme de 57 435 euros de ce chef,

- et qu'elle confirme le jugement pour le surplus.

Par conclusions déposées le 3 septembre 2018, visées par le greffier et développées oralement, l'association CGEA (AGS) d'Ile de France Est a demandé à la cour de :

- déclarer l'appel recevable,

- infirmer le jugement en ce qu'il avait jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et fixé la créance de Mme [A] à la somme de 57 435 euros de ce chef,

- débouter Mme [A] de toutes ses demandes,

- rappeler, le cas échéant, les limites de sa garantie.

L'affaire a été plaidée à l'audience du 3 septembre 2018 et mise en délibéré au 10 octobre 2018.

À cette date, la cour a :

- rejeté l'exception d'irrecevabilité tirée de l'acquiescement au jugement soulevée par Mme [A],

-renvoyé l'affaire au mardi 5 mars 2019 à 13h30 pour plaidoirie au fond,

- enjoint aux parties de conclure dans les délais suivants :

* réponse de Me [C] et Me [M] en leur qualité respective d'administrateur judiciaire et de liquidateur judiciaire de la société P. Prestige et de l'association CGEA (AGS) d'Ile de France Est avant le 4 décembre 2018 à 17h,

* éventuelle réplique de Mme [A] avant le 5 février 2019 à 17h,

- réservé l'ensemble des demandes au fond.

Par conclusions déposées le 5 mars 2019, visées par le greffier et développées oralement, auxquelles il est expressément fait référence, Me [C] et Me [M] en leur qualité respective d'administrateur judiciaire et de liquidateur judiciaire de la société P. Prestige sollicitent de la cour :

- qu'elle mette hors de cause Me [C],

- qu'elle infirme le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et fixé la créance de Mme [A] à la somme de 57 435 euros de ce chef,

- qu'elle juge le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et qu'elle déboute Mme [A] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, subsidiairement, qu'elle ramène à de plus justes proportions le montant de cette indemnité,

- et qu'elle confirme le jugement pour le surplus.

Par conclusions déposées le 5 mars 2019, visées par le greffier et développées oralement, auxquelles il est expressément fait référence, Mme [A] demande à la cour de confirmer le jugement en ses dispositions relatives à l'indemnité légale de licenciement et à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de fixer subsidiairement cette dernière indemnité à la somme de 51 253 euros et de condamner Me [M] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société P. Prestige à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par conclusions déposées le 5 mars 2019, visées par le greffier et développées oralement, auxquelles il est expressément fait référence, l'association CGEA (AGS) d'Ile de France Est demande à la cour :

- de lui donner acte de ce qu'elle s'associe aux explications de Me [C] et Me [M] en leur qualité respective d'administrateur judiciaire et de liquidateur judiciaire de la société P. Prestige sur la recevabilité de l'appel, d'infirmer le jugement en ses dispositions relatives à l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement et à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de débouter Mme [A] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de la condamner à rembourser à Me [M] en qualité de liquidateur judiciaire de la société P. Prestige, à charge pour lui de la restituer à l'organisme de garantie, la somme de 75 096 euros,

- subsidiairement, de limiter ladite indemnité à six mois de salaire et de rejeter le surplus des demandes, sauf en ce qui concerne l'indemnité légale de licenciement, dont elle ne discute plus le quantum dans le dernier état de la procédure,

- en tout état de cause, de constater que le plafond de garantie a été atteint et de prononcer sa mise hors de cause,

- en cas de fixation de créance, de rappeler les limites de sa garantie et de statuer ce que de droit sur les dépens.

MOTIFS

Sur la mise hors de cause de Me [C] en qualité d'administrateur judiciaire de la société P. Prestige

La fin de mission de Me [C] en qualité d'administrateur judiciaire de la société P. Prestige à l'occasion du jugement de liquidation judiciaire rendu le 25 mai 2016, qui a désigné Me [M] en qualité de liquidateur, n'est pas contestée par les intimées.

La demande de mise hors de cause de Me [C] en qualité d'administrateur de la société P. Prestige est donc favorablement accueillie.

Sur le reliquat d'indemnité légale de licenciement

La cour constate que, dans le dernier état de la procédure, il n'existe plus aucun moyen de contestation quant au principe et au quantum de l'indemnité de licenciement qui a été octroyée à Mme [A].

La disposition du jugement déféré y afférente est, en conséquence, confirmée.

Sur la rupture du contrat de travail

Mme [A] conteste le licenciement dont elle a fait l'objet et qui repose sur les faits suivants :

'Préalablement, nous vous rappelons que vous avez été embauchée en contrat de travail à durée indéterminée le 1er août 2009, en qualité de Directrice d'exploitation, statut cadre.

À ce titre, vous avez expressément accepté une délégation de pouvoirs et de signature en matière de :

- Gestion, contrôle et supervision des contrats de travail,

- Contrôle de l'application de la réglementation sociale, environnementale et en matière d'hygiène et de sécurité.

(...)

La mise en danger de la santé et de la sécurité des salariés sur leurs postes de travail :

À toutes fins utiles, nous vous rappelons que l'employeur a, en la matière, une obligation de sécurité de résultat.

En effet, les règles édictées par le code du travail sont bafouées. Plus précisément :

- Les contrats de travail ne sont pas rédigés conformément aux dispositions légales,

- Les règles régissant les contrats à durée déterminée ne sont pas respectées (le tiers-temps ou le mi-temps, le cas échéant, n'est pas respecté, les motifs employés ne sont pas légitimes, il y a une utilisation anarchique du motif « surcroît d'activité », sans indiquer la nature de l'accroissement temporaire d'activité, le même motif de remplacement pour plusieurs salariés est utilisé),

- Le temps de travail des salariés à temps partiel n'est pas maîtrisé (il est fréquent de constater qu'un salarié employé pour 4 jours par semaine travaille 6, voire 7 jours, sans repos et ce, au mépris du respect des règles légales),

- Les amplitudes horaires ne sont pas respectées,

- Les heures supplémentaires effectuées par les salariées à la demande de l'employeur ne sont pas rémunérées conformément aux règles légales, à savoir :

* Le système de paiement de la chambre ou au lit supplémentaire perdure,

* Les salariés ne sont pas rémunérés des heures réellement effectuées sur leurs sites d'affectation, ce qui engendre des contentieux prud'homaux pour travail dissimulé,

* Il n'y a aucune gestion du repos compensateur et du contingent d'heures supplémentaires,

* Pour partie, les salariés travaillent au-delà de la limite légale obligatoire,

- Le contrôle des papiers d'identité des salariés étrangers n'est pas effectué systématiquement avant l'embauche, et vous estimez ne pas être dans votre rôle quand nous vous en faisons le reproche,

Tous les accidents de travail ne sont pas déclarés,

Les procédures disciplinaires ne sont pas suivies, certaines procédures sont caduques (certains salariés négocient des ruptures conventionnelles et sont réembauchés ensuite, les salariés sont mutés d'un site à l'autre sans qu'une procédure n'ait été mise en 'uvre et sans respect du délai de prévenance),

- Les absences des salariés ne sont pas suivies (plus de 50 salariés sont considérés comme étant en abandon de poste, puisqu'en absence injustifiée depuis des mois, voire des années pour certains).

La gestion financière déplorable de vos sites ayant conduit à un déficit comptable considérable mettant ainsi en péril la survie de l'entreprise :

En qualité de directrice d'exploitation, vous avez négocié la réalisation de prestations chez nos clients et à ce titre, vous vous devez de vous assurer de la rentabilité de ces sites afin de garantir la pérennité de l'entreprise.

En lieu et place, nous avons constaté que vous n'assuriez pas vos responsabilités, à savoir :

- Vous n'avez réalisé aucun suivi des comptes d'exploitation et de la rentabilité financière des sites,

- Vous n'avez réalisé aucun plan d'action ni de budget concernant les sites dont vous avez la responsabilité,

- Vous n'analysez pas leurs résultats catastrophiques et de ce fait ne mettez en 'uvre aucune action corrective,

- Vous ne planifiez pas vos interventions,

- Nous n'avons retrouvé aucune traçabilité de vos actions,

- La facturation client est non conforme aux prestations réalisées,

- Vous ne maîtrisez aucunement les heures complémentaires ou supplémentaires effectuées sur ces mêmes sites, ce qui implique une marge négative sur certains d'entre eux.

De plus, les équipes de management sur lesquelles vous avez autorité ne reçoivent pas de directives de votre part permettant à l'entreprise d'adapter une stratégie destinée à améliorer la rentabilité des sites :

- Vous ne pilotez pas les équipes,

- Vous ne mettez en place aucune action pérenne et ne faites que pallier aux urgences,

- Vous ne savez pas fédérer autour d'un projet.

Les irrégularités liées au fonctionnement global des IRP :

Nous avons constaté de graves irrégularités tenant à l'organisation des élections professionnelles dont vous étiez la signataire :

- Le protocole d'accord pré-électoral n'a pas été négocié conformément aux textes légaux, l'ensemble des institutions syndicales représentatives n'ayant pas été convoqué,

- Les récépissés de dépôt des procès-verbaux auprès de la DIRECCTE restent introuvables,

- Monsieur [R] [T], président du syndicat CFTC nettoyage, a été embauché en qualité de chef d'équipe curieusement le mois de l'organisation des élections professionnelles, soit en octobre 2012. Ce salarié n'a jamais 'uvré en tant que chef d'équipe mais il a co-signé à vos côtés le seul exemplaire en notre possession du procès-verbal des élections.

- L'élection du Comité d'Hygiène, de sécurité et des Conditions de Travail n'a pas été organisée conformément aux textes légaux (pas d'auto-saine du Comité d'Entreprise, pas de recueil des candidatures, pas de procès-verbal, pas de dépôt auprès de l'inspection du travail).

Vous bénéficiez d'une délégation de pouvoirs afin de représenter l'employeur lors des réunions des instances représentatives du personnel et à ce titre, vous êtes garante de la bonne tenue des réunions, or nous constatons que :

- Les réunions du Comité d'Entreprise et des délégués du personnel n'étaient toujours pas organisées mensuellement,

- Il n'y avait pas de distinguo entre ces deux instances (un seul procès-verbal, une seule réunion),

- Le délégué syndical CFTC apparaît comme président de séance au sein des procès-verbaux qui ne sont signés ni paraphés,

- Nous n'avons pas trace des convocations des membres élus, ni des ordres du jour,

- Nous n'avons pas trace de l'élection d'un secrétaire et d'un trésorier,

- Les comptes afférents aux budgets de fonctionnement et 'uvres sociales ne sont pas tenus,

- Les réunions du Comité d'Hygiène, de sécurité et des Conditions de Travail ne sont jamais tenues.

Par ailleurs, nous estimons que vous profitez, à des fins personnelles, du crédit de l'entreprise :

- Il apparaît dans les écritures, dûment certifiées par un expert-comptable, que l'entreprise vous a accordé un prêt de 11 000 €. Nous vous avons proposé de vous acquitter de cette dette par un échelonnement, ce que vous avez refusé en arguant qu'il s'agissait gratification accordée par l'ancien gérant de la société qui ne peut attester de cette réalité puisqu'il est décédé. Nous ne pouvons que regretter votre mauvaise foi, d'autant que s'il s'était effectivement agi d'une gratification, celle-ci aurait dû apparaître comme telle sur votre bulletin de paie et des charges salariales auraient dues être prélevées.

- Vous employez votre fille en qualité de gouvernante générale sur l'un de nos sites, statut agent de maîtrise. Il s'avère qu'elle a bénéficié d'un maintien de son salaire lors de ses arrêts maladie, ce qui ne peut être accordé qu'aux salariés cadres, conformément aux dispositions de la convention collective des entreprises de propreté. Il s'agit donc là de faveurs ne pouvant être considérées que comme une discrimination vis-à-vis des autres salariés, mais surtout un avantage particulier pour votre fille.

(...)

Vous comprendrez que devant des réponses aussi fantaisistes et vos erreurs répétées, la Direction de l'entreprise ne peut plus vous accorder sa confiance, sans mettre en danger nos relations commerciales avec nos clients, mais aussi sans mettre gravement en cause notre responsabilité vis-à-vis de nos salariés. Malgré la gravité de certains de vos manquements, qui aurait pu nous conduire à une décision moins favorable pour vous, nous avons décidé de ne retenir qu'un ensemble de cause réelle et sérieuse nous amenant à procéder à votre licenciement'.

Comme le rappelle à juste titre Mme [A], la lettre de licenciement fixe les termes du litige.

Cette lettre évoque pour partie des griefs tenant à une mauvaise exécution des tâches, s'agissant de la formalisation et du suivi des contrats de travail, de la gestion financière des sites et du fonctionnement des instances représentatives du personnel, pour partie des agissements fautifs, s'agissant de l'utilisation à des fins personnelles du crédit de l'entreprise.

Nonobstant la notification d'une mise à pied à titre conservatoire préalablement au licenciement, laquelle n'est pas incompatible avec un licenciement prononcé in fine pour cause réelle et sérieuse, et l'absence de mention expresse d'une insuffisance professionnelle, les premiers griefs relèvent, à défaut de mauvaise volonté délibérée ou d'abstention volontaire de la part de la salariée alléguée, de l'insuffisance professionnelle, laquelle ne présente pas de caractère fautif.

Dans ces conditions, la cour considère que l'employeur ne s'est pas placé sur le terrain disciplinaire pour sanctionner Mme [A] au titre de ces griefs, ce qui rend le moyen tiré de la prescription des faits soulevé par cette dernière inopérant à leur égard.

En revanche, ce moyen doit être examiné pour les griefs relevant d'agissements fautifs.

Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Lorsqu'un fait fautif a eu lieu plus de deux mois avant le déclenchement des poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur de rapporter lui-même la preuve qu'il n'a eu connaissance de ceux-ci que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de la procédure disciplinaire.

L'employeur peut sanctionner un fait fautif qu'il connaît depuis plus de deux mois lorsqu'il n'a pas eu, au moment où il a pris connaissance des faits, une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés.

En l'espèce, indépendamment de la cession alléguée par Mme [A] au mois d'août 2014 et non contestée, qui n'a eu aucune incidence sur le plan juridique, dès lors que la procédure de licenciement a été engagée et menée par la société P. Prestige, il ressort des pièces produites que les faits fautifs qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement, non datés dans celle-ci, reposent sur :

- une attestation de prêt signée le 27 juin 2013 par l'ancienne gérante et Mme [A], prévoyant des modalités de remboursement précises,

- et des bulletins de paie pour les mois d'avril à juin 2014 au nom de Mme [V] [L], engagée depuis le 2 septembre 2009, en qualité de gouvernante générale.

Or, le liquidateur judiciaire de la société P. Prestige ne démontre pas que l'employeur n'a eu connaissance de ces faits que dans les deux mois ayant précédé la convocation, le 5 novembre 2014, de la salariée à un entretien préalable.

Il n'établit pas davantage que la salariée a réitéré ces agissements dans ce même délai.

Dans ces conditions, il est justifié de retenir la prescription des faits fautifs, qui, en conséquence, ne peuvent être retenus pour justifier la mesure de licenciement litigieuse.

Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

En l'espèce, le contrat de travail conclu initialement entre Mme [A] et la société P. Prestige sur un emploi de responsable d'exploitation stipule le 'descriptif des tâches non exhaustif' suivant :

'Développement commercial, recherche de nouveaux clients, Animation, suivi et contrôle de l'activité hôtelière, Relations clients, ...'.

Le 8 avril 2011, la gérante de la société P. Prestige, Mme [I] [T] à l'époque, a délégué à Mme [A], au titre de ses fonctions de responsable d'exploitation de la société, 'la gestion, le contrôle et la supervision des contrats de travail, la mise en 'uvre et le contrôle de l'application de la réglementation en matière sociale, environnementale et en matière d'hygiène et de sécurité'.

Les bulletins de paie produits font apparaître que Mme [A] est devenue par la suite directrice d'exploitation. Aucune fiche de poste n'a été versée au débat sur ces nouvelles fonctions.

Mme [A] met en cause la validité de la délégation de pouvoirs dont elle a fait l'objet, laquelle est expressément visée par l'employeur comme fondement de ses obligations contractuelles et, par voie de conséquence, des manquements reprochés.

Comme elle le soutient, cette délégation manque de précision.

En effet, elle vise, notamment, 'la mise en 'uvre et le contrôle de l'application de la réglementation en matière sociale', ce qui recouvre tout le droit du travail.

Le liquidateur judiciaire de la société P. Prestige, répondant au moyen invoqué sur ce point, a d'ailleurs occulté cette attribution en limitant ladite délégation, dans ses conclusions visées par le greffier à l'audience de plaidoirie, à la gestion des contrats de travail et à la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité, ce qui ne correspond pas à l'acte discuté.

Aucune des pièces produites n'établit, par ailleurs, que Mme [A] a bénéficié de la compétence et des moyens nécessaires à la bonne exécution de cette délégation.

Dès lors, et indépendamment des autres moyens de contestation soulevés, la cour ne peut que constater que cette délégation de pouvoirs n'est pas valide.

Si cette invalidation a incontestablement pour effet de ne fournir aucune cause exonératoire à une éventuelle responsabilité pénale du chef d'entreprise, elle a également pour conséquence, non d'entraîner la nullité de l'acte, mais d'écarter les attributions qui y sont mentionnées comme fondement des obligations contractuelles de Mme [A] et des manquements qui lui sont reprochés.

Or, il a été constaté, d'une part, que la lettre de licenciement visait exclusivement ces attributions en préambule des griefs énoncés, d'autre part, qu'aucune fiche de poste n'avait été produite au débat en sus des stipulations du contrat de travail, la convention collective applicable n'étant d'aucun éclairage utile sur la délimitation des fonctions de l'intéressée in concreto.

Les obligations énoncées dans la lettre de licenciement ne s'imposant pas à Mme [A], il en résulte que les manquements reprochés au seul vu de ces obligations ne sont pas fondés.

Au surplus, la cour observe, en premier lieu, que la preuve de tous les griefs énoncés dans la lettre de licenciement et non prescrits n'est pas rapportée.

En effet :

- les trois contrats de travail produits par le liquidateur de la société P. Prestige, dont il n'est pas contestable qu'ils sont non conformes aux règles relatives au temps partiel, dès lors qu'ils ne précisent pas, notamment, la répartition de la durée du travail, comportent une signature, pour le premier, datant du 23 janvier 2013, distincte de celle de Mme [A] apparaissant sur son contrat de travail ou encore sur l'attestation de prêt qu'elle a signée le 27 juin 2013, ne comportent aucune signature pour les deux autres, et ne font aucune mention, ni les uns ni les autres, d'une intervention de Mme [A] dans leur formalisation, ce dont il se déduit que l'imputabilité de ces non-conformités à l'intéressée n'est pas démontrée,

- les lettres de doléances de deux salariées, en date respectivement des 29 avril et 10 juillet 2013, sur les modalités d'exécution de leur contrat de travail, n'ont pas été adressées à Mme [A], aucun autre élément ne permettant de relier cette dernière aux difficultés dénoncées, ce dont il se déduit qu'aucun manquement ne peut être utilement reproché à Mme [A] à leur égard,

- le bon de commande et le devis communiqués, datés respectivement des 1er août et 23 septembre 2014, font mention de son nom, mais à aucun moment de sa signature, de sorte que les faits y afférents ne peuvent être considérés comme étant imputables à Mme [A],

- aucun élément objectif n'établit le caractère fautif du renouvellement, le 30 août 2013, de la période d'essai d'un salarié, contesté par ce dernier, ni le défaut d'encadrement imputé à Mme [A] de ce salarié, de sorte qu'aucun manquement de l'intéressée ne peut être retenu sur ce point.

La cour relève, en second lieu, s'agissant des dysfonctionnements reprochés quant à l'organisation des élections professionnelles, que sont versés au débat uniquement un protocole d'accord préélectoral pour les élections des délégués du personnel et du comité d'entreprise, signé le 22 octobre 2012 par Mme [A], ainsi que des documents relatifs à la situation contractuelle du seul salarié ayant signé, en qualité de représentant du syndicat CFTC, ledit protocole.

Le protocole en lui-même n'est pas suffisant pour imputer des manquements à Mme [A] sur un défaut d'invitation des organisations syndicales ayant précédé sa signature, ni sur sa validité au vu de la seule signature du salarié susvisé, étant relevé, en ce qui concerne ce dernier, que son embauche et les conditions d'exécution de son contrat de travail n'ont pas été décidés par Mme [A], comme cela ressort des documents produits le concernant, soit un contrat de travail à durée déterminée signé le 10 octobre 2012, ne portant aucune référence à Mme [A] ni la signature de cette dernière, un bulletin de paie le concernant, une lettre de doléance qu'il a adressée à la direction et au terme de laquelle il a déclaré que ses conditions contractuelles avaient été fixées par les anciens gérants, ce qui est corroboré par les déclarations de la responsable paie reprises par la nouvelle responsable des ressources humaines.

Il se déduit de l'ensemble des éléments ainsi recueillis que le licenciement litigieux est dépourvu de cause réelle et sérieuse, comme l'ont à juste titre considéré les premiers juges.

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version en vigueur, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, de l'ancienneté de la salariée, soit 5 ans 4 mois et 8 jours, du salaire mensuel brut qui lui était dû pour les six derniers mois, abstraction faite des périodes de maladie, soit 28 717,26 euros, de son âge lors de la rupture du contrat de travail, soit 50 ans, des circonstances de la rupture et des conséquences qu'elle a eues à son égard, telles qu'elles résultent de sa déclaration d'activité en tant qu'auto-entrepreneur le 20 avril 2015, des factures qu'elle a établies dans ce cadre, de ses recherches d'emploi en août et décembre 2017, janvier, avril et octobre 2018, de sa prise en charge par le Pôle emploi entre les 2 janvier et 4 juin 2018, ainsi que de ses activités salariées en intérim entre mai et novembre 2018, la cour alloue à Mme [A] la somme de 35 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, par infirmation du jugement uniquement sur le quantum.

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version applicable, il y a lieu de fixer au passif de liquidation de la société P. Prestige le remboursement au Pôle emploi des indemnités de chômage versées à Mme [A] du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite d'un mois des indemnités versées.

Sur les autres demandes

En application de l'article L. 622-28 du code de commerce, applicable également aux procédures de redressement et de liquidation judiciaires, le jugement du tribunal de commerce qui a prononcé l'ouverture de la procédure collective à l'encontre de la société P. Prestige a arrêté le cours des intérêts légaux.

En conséquence, la somme allouée à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ne peut être assortie d'aucun intérêt.

Il est, en outre, rappelé que la rupture du contrat de travail étant antérieure à l'ouverture de la procédure collective, la créance de Mme [A] a pris naissance à la date de la rupture et doit être garantie par l'association CGEA (AGS) d'Ile de France Est, à qui le présent arrêt est déclaré opposable, dans la limite des plafonds applicables à cette date, conformément aux articles L. 3253-6 et suivants du code de procédure civile, aucune mise hors de cause n'ayant à être prononcée au vu de la minoration effectuée par le présent arrêt de l'indemnité allouée.

La société P. Prestige, appelante, succombant principalement à l'instance, il y a lieu de dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

L'équité commande, en revanche, de laisser à Mme [A] la charge de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Met hors de cause Me [C] en qualité d'administrateur judiciaire de la SARLU P. Prestige ;

Confirme le jugement déféré sauf sur le quantum de l'indemnité allouée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau sur le chef infirmé,

Fixe la créance de Mme [A] au passif de liquidation de la SARLU P. Prestige à la somme de 35 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Dit qu'aucun intérêt n'est dû sur cette créance ;

Fixe par ailleurs au passif de liquidation de la SARLU P. Prestige le remboursement au Pôle emploi des indemnités de chômage versées à Mme [A] du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite d'un mois des indemnités versées ;

Dit que la créance de Mme [A] est garantie par l'association CGEA (AGS) d'Ile de France Est, à qui le présent arrêt est déclaré opposable, dans la limite des plafonds applicables à la date de la rupture, conformément aux articles L. 3253-6 et suivants du code de procédure civile ;

Ajoutant,

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire ;

Laisse à Mme [A] la charge de ses frais irrépétibles.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 16/08191
Date de la décision : 10/04/2019

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°16/08191 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-04-10;16.08191 ?
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