La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/03/2019 | FRANCE | N°17/03739

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 1, 26 mars 2019, 17/03739


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 1



ARRET DU 26 MARS 2019



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/03739 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2WGE



Décision déférée à la Cour : Sentence du 13 Janvier 2017 rendue par le Tribunal arbitral

composé de MM. Ragaie El Shetewi et Jacques De Werra, co-arbitres et de Mme Martine Karsenty-Ricard, présidente

,



DEMANDEUR AU RECOURS :



Monsieur Dr [R] [H] né le [Date naissance 1] 1959 en Egypte



[Adresse 3]

[Localité 1] (EGYPTE)



représenté et assisté par M...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 1

ARRET DU 26 MARS 2019

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/03739 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2WGE

Décision déférée à la Cour : Sentence du 13 Janvier 2017 rendue par le Tribunal arbitral

composé de MM. Ragaie El Shetewi et Jacques De Werra, co-arbitres et de Mme Martine Karsenty-Ricard, présidente,

DEMANDEUR AU RECOURS :

Monsieur Dr [R] [H] né le [Date naissance 1] 1959 en Egypte

[Adresse 3]

[Localité 1] (EGYPTE)

représenté et assisté par Me Sophie CASTINESCO substituant Me Charley HANNOUN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0374

DÉFENDERESSE AU RECOURS :

Société SYNTHES GmbH

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Adresse 2] (SUISSE)

représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0018

assistée de Me Carole MALINVAUD, avocat plaidant du barreau de Paris, Toque : T03

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 février 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Dominique GUIHAL, présidente de chambre

Mme Anne BEAUVOIS, présidente

M. Jean LECAROZ, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Dominique GUIHAL, présidente de chambre et par Mélanie PATE, greffière présente lors du prononcé.

M. [R] [H] est docteur en médecine et consultant en orthopédie vertébrale, spécialisé en chirurgie vertébrale. Il exerce en Egypte, ayant travaillé antérieurement en Irlande et au Canada.

La société Synthes GmbH est une société de droit suisse, spécialisée dans le développement, la production et la commercialisation d'instruments, d'implants et de biomatériaux pour la fixation, la correction et la régénération chirurgicale du corps humain. Elle appartient au groupe international Johnson & Johnson.

En juillet 2008, M. [K] [X], à l'époque chef du département Innovation Vertébrale de Synthes, est entré en contact par voie électronique, avec M. [H] qui lui avait été présenté par un de ses distributeurs en Egypte comme ayant élaboré une nouvelle approche technique dans le domaine des implants discaux rachidiens. A la suite d'une conversation téléphonique, les parties ont convenu d'établir un projet d'accord de confidentialité. Le projet a été adressé par Synthes à M. [H] début août 2008 et après quelques modifications, a été signé par M. [H] le 14 août et par Synthes le 19 août 2008.

Cet accord contient une clause d'arbitrage ainsi rédigée : « Le présent accord sera régi par le droit suisse selon les dispositions du Règlement d'arbitrage de la CCI. La juridiction exclusivement compétente sera la Cour internationale d'arbitrage de Paris. »

M. [X], accompagné de M. [O], directeur du centre de développement des implants rachidiens et responsable de tout le portefeuille des dispositifs de remplacement des disques vertébraux, pour Synthes, et M. [H], se sont rencontrés le 10 septembre 2008. A la suite de cette réunion, M. [H] a adressé un courrier accompagné de divers documents, à Synthes le 19 septembre 2008.

Le 5 novembre 2008, Synthes a informé M. [H] de ce qu'elle ne donnerait pas suite à l'approche technique présentée et sur la demande de M. [H], lui a restitué les documents qu'il lui avait adressés.

Estimant que la société Ranier Technology avait mis sur le marché en 2012 un nouveau produit dont l'application impliquait la mise en oeuvre du savoir-faire et des techniques nouvelles qu'il avait divulgués à Synthes et que Synthes avait obtenu un brevet international reprenant les deux idées novatrices majeures qu'il lui avait divulguées, M. [H] a introduit le 29 mai 2013 une demande d'arbitrage, sous l'égide de la CCI, sur le fondement de la clause compromissoire stipulée dans l'accord de confidentialité.

Le tribunal arbitral composé de MM. Ragaie El Shetewi et Jacques De Werra, co-arbitres et de Mme Martine Karsenty-Ricard, présidente, a rendu le 13 janvier 2017 à Paris la sentence arbitrale CCI n°19514/MCP, accompagnée d'une opinion dissidente de M. El Shetewi, aux termes de laquelle il a jugé que :

« 1. Aucune information communiquée par le Demandeur au Défendeur couverte par l'accord de confidentialité n'a été utilisée par le Défendeur ou divulguée par le Défendeur à une tierce partie en violation des dispositions de l'accord de confidentialité.

2. l'accord de confidentialité n'a pas été conclu de mauvaise foi par le Défendeur et/ou aucune des obligations qu'il stipule n'a été enfreinte par le Défendeur. En conséquence, les demandes du Demandeur sont rejetées dans leur intégralité. »

M. [H] a saisi la cour d'appel de Paris le 21 février 2017 d'un recours en annulation.

Par dernières conclusions notifiées le 27 avril 2018, il demande à la cour de :

- constater que le Tribunal arbitral a soulevé d'office des moyens de fait et de droit, à savoir :

la méthode d'interprétation objective ou subjective de l'accord de confidentialité litigieux,

la notion d'informations confidentielles figurant à l'article 1 de l'accord de confidentialité litigieux,

la théorie de I'absorption de droit suisse ;

- juger que le Tribunal arbitral n'a jamais invité les parties à débattre desdits moyens de fait et de droit soulevés d'office ;

En conséquence,

- juger que le Tribunal arbitral a manifestement violé le principe de la contradiction et prononcer la nullité de la Sentence CCI n°19514/MCP dans son intégralité;

- condamner la société Synthes GmbH au paiement de 150 000 euros au titre de l'article 700 du

code de procédure civile ;

- condamner la société Synthes GmbH aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 30 novembre 2018, la société Synthes GmbH demande à la cour de dire mal fondé le recours en annulation formé par M. [H] contre la sentence arbitrale du 13 janvier 2017 rendue dans l'affaire CCI N°19514/MCP/DDA, rejeter sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamner M. [H] à lui payer 200 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner aux entiers dépens.

SUR QUOI :

Sur le moyen tiré du non respect du principe de la contradiction (1520, 4° du code de procédure civile)

M. [H] demandeur au recours sollicite l'annulation de la sentence sur le fondement de l'article 1520, 4 ° du code de procédure civile pour non respect du principe de la contradiction par le tribunal arbitral reprochant à celui-ci d'avoir fondé sa décision sur de nombreux éléments de fait et de droit relevés d'office et qui ont échappé au débat contradictoire entre les parties, à savoir, en premier lieu, la règle de droit encadrant deux méthodes dites objective ou subjective d'interprétation des contrats, en second lieu, l'attribution de la qualification juridique de secret d'affaires et de savoir-faire à la notion d''Informations confidentielles', et enfin, l'application unilatérale de la théorie juridique suisse de l'absorption des demandes contractuelles, le tribunal arbitral a manifestement violé le principe de la contradiction.

En réplique, Synthes fait valoir que le tribunal arbitral n'a commis aucune violation du principe de la contradiction, que la motivation retenue par le tribunal arbitral est fondée sur des moyens débattus entre les parties, qui étaient nécessairement dans le débat, que la motivation critiquée purement illustrative ou surabondante ne peut fonder l'annulation de la sentence et que M. [H] sous couvert d'un moyen tiré de la violation du principe de la contradiction, cherche à obtenir la révision au fond de la sentence.

Sur le moyen pris en sa première branche

M. [H] soutient que l'introduction par le tribunal arbitral de l'article 18(1) du code des obligations suisse qui n'était invoqué par aucune des parties, pour asseoir son raisonnement, constitue une violation du principe de la contradiction tel que conçu par les articles 1510 et 16 du code de procédure civile, consacré par la jurisprudence française et la pratique internationale de l'arbitrage, qu'un débat sur un contrat ne saurait réputé inclure un débat sur son interprétation et encore moins sur les règles spécifiques d'interprétation, qu'en l'espèce, le tribunal a introduit dans la sentence arbitrale un nouveau moyen juridique de droit suisse portant sur le choix de la méthode « subjective ou objective » d'interprétation des termes de l'accord de confidentialité, qui a constitué, in fine l'assise fondamentale et déterminante de l'ensemble des développements subséquents ayant abouti à la décision finale.

Il conteste que les deux questions relatives au contrat posées dans des termes généraux et abstraits lors des débats puissent s'assimiler à l'introduction dans le débat de la méthode objective et subjective d'interprétation, telles que consacrées par le droit suisse à l'article 18(1) précité, et qui reposent sur des normes et directives spécifiques appliquées selon les critères particuliers posés par la jurisprudence suisse.

Synthes réplique que le droit suisse était le droit applicable au fond du litige conformément à l'acte de mission, qu'il n'est ni contestable, ni contesté que le débat devant le tribunal arbitral portait sur l'interprétation des stipulations de l'accord de confidentialité, en particulier la notion d'informations confidentielles, que la question de la méthode d'interprétation de l'accord de confidentialité a été débattue entre les parties pendant la procédure arbitrale.

L'accord de confidentialité conclu entre les parties est ainsi rédigé :

« 1. Aux fins du présent accord, le terme « Informations confidentielles » désigne toutes les informations du Domaine, y compris et de manière non limitative, les données, logiciels informatiques, échantillons, informations techniques et économiques, techniques de commercialisation, de développement et de recherche ainsi que les autres secrets commerciaux et savoir-faire divulgués ou communiqués par une Partie à l'autre conformément au présent Accord.

2. Chaque Partie s'engage à limiter son utilisation des Informations confidentielles transmises par l'autre Partie aux seules fins d'apprécier le bien-fondé de l'établissement de la relation d'affaires et de négocier, dans un but complémentaire jugé approprié par les Parties, les termes et conditions de l'accord conclu entre elles, à l'exclusion de toute autre fin, sauf disposition contraire convenue par écrit entre les Parties.

3. La Partie destinataire s'engage à garder strictement confidentielles toutes les informations transmises par écrit ou verbalement par la Partie les communiquant ou par toute société affiliée de cette Partie ainsi que toutes celles obtenues à l'issue d'un examen personnel, que ces informations soient ou non marquées « confidentielles » et elle s'engage, par les présentes, à ne pas divulguer d'informations confidentielles à des tiers et à ne les utiliser qu'aux fins décrites à l'article 2. [...]

4. L'obligation visée à l'article 3 ne s'appliquera pas toutefois aux informations pour lesquelles la Partie destinataire pourra démontrer par des preuves documentaires que les dites informations :

a) Se trouvaient en sa possession avant la divulgation ;

b) Étaient tombées dans le domaine public par voie de publication ou d'une autre manière avant la divulgation ci-dessous, ou par la suite, sans violation du présent accord par la Partie destinataire ;

c) Ont été transmises à la Partie destinataire par un tiers ayant le droit de les communiquer sans enfreindre une obligation de confidentialité ;

d) Doivent être divulguées en vertu de la loi ou d'un processus

judiciaire ou légal, à condition que la Partie destinataire informe l'autre Partie par écrit de cette obligation avant la divulgation et apporte son assistance à la Partie divulguant les informations pour obtenir, avant la divulgation, une ordonnance de protection desdites informations ;

e ) Ont été développées par la Partie destinataire ou par ses employés sans avoir accès aux Informations confidentielles [...] ».

Le principe de la contradiction exige seulement que les parties aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de telle sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n'ait échappé à leur débat contradictoire. Les arbitres n'ont aucune obligation de soumettre au préalable leur motivation à une discussion contradictoire des parties.

Constatant le désaccord entre les parties sur la nature des informations confidentielles protégées par l'accord de confidentialité, le tribunal a considéré qu'il était nécessaire de définir la méthodologie propre à l'interprétation de cet accord.

Le tribunal a alors énoncé le texte de l'article 18(1) du code des obligations suisse relatif à l'interprétation des contrats en indiquant que si les parties à un accord régi par le droit suisse s'opposent sur l'interprétation de certains éléments de leur accord, il faut rechercher d'abord l'intention réelle des parties en vertu du principe général énoncé à cet article lequel stipule que « Pour apprécier la forme et les clauses d'un contrat, il y a lieu de rechercher la réelle et commune intention des parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention ». Le tribunal arbitral a indiqué que ceci constitue la 'méthode subjective d'interprétation des contrats' (sentence §103 à 107).

Il a ensuite expliqué que si l'intention réelle et commune des parties ne peut pas être établie avec certitude ou si les intentions réelles respectives sont contradictoires, la méthode subjective ne pourra pas s'appliquer et qu'il sera nécessaire dans ce cas d'appliquer la méthode objective d'interprétation des contrats selon laquelle :

- « les dispositions contractuelles pertinentes doivent être interprétées en déterminant comment elles pourraient et auraient dû être comprises en toute bonne foi, sur la base de leur libellé et de leur contexte, y compris les circonstances ayant précédé l'accord et en vertu desquelles l'accord a été conclu. Une telle interprétation doit commencer par le libellé de l'accord » (sentence §111),

- « L'interprétation doit également se faire à la lumière de l'objectif global de l'accord et des intérêts recherchés par les parties à la conclusion de cet accord »,

- l'objectif recherché par l'accord doit également être pris en considération afin que l'on puisse présumer de manière générale que l'accord a été fait pour parvenir à un résultat raisonnable et approprié (sentence §112).

Après analyse des déclarations des témoins, le tribunal arbitral a conclu qu' 'aucune preuve n'a été fournie au cours de la procédure sur les intentions réelles des

parties et sur leur compréhension des termes et conditions contestés de l'AdC (accord de confidentialité) et compte tenu du fait que les parties ne sont pas d'accord sur la manière dont les termes et conditions doivent être interprétés, le Tribunal arbitral doit interpréter l'AdC selon la méthode objective d'interprétation des contrats ».

En premier lieu, le droit suisse était le droit applicable au fond du litige comme le rappelle l'acte de mission, l'accord de confidentialité étant expressément régi par le droit suisse. Les parties ont conclu devant le tribunal arbitral en visant des dispositions du code des obligations suisse et du code civil suisse et en se référant à la jurisprudence suisse.

En second lieu, il résulte de l'exposé des positions des parties figurant dans l'acte de mission lui-même que celles-ci avaient des avis contraires sur la nature des 'Informations confidentielles' couvertes par l'accord et l'articulation des obligations résultant des différents articles (acte de mission § 38 à 44).

Les parties étant en désaccord sur ce qu'il convenait d'entendre par 'Informations confidentielles' au sens de l'accord, les règles d'interprétation du contrat étaient nécessairement en débat devant les arbitres, sans qu'il soit nécessaire pour les parties de s'en prévaloir expressément et pour le tribunal d'inviter spécialement les parties à s'expliquer sur l'article 18(1) du code des obligations suisse, dont le tribunal arbitral a in fine écarté l'application.

En troisième lieu, la question de la méthode d'interprétation a effectivement été débattue entre les parties pendant la procédure arbitrale, M. [H] ayant lui-même cité dans son mémoire en demande en date du 1er septembre 2014 une décision du Tribunal fédéral suisse du 14 octobre 2002 (§ 60, pièce 4 du recourant) qui renvoie aux règles d'interprétation des contrats auxquelles le tribunal arbitral s'est référé dans la sentence.

Le moyen pris en sa première branche n'est donc pas fondé.

Sur le moyen pris en sa deuxième branche

M. [H] soutient que pour interpréter la notion d''Informations confidentielles' figurant à l'accord, le tribunal arbitral a relevé d'office :

- les définitions issues du Dictionnaire de Cambridge de la notion de secret et de savoir-faire,

- la conception des notions de secret d'affaires et de savoir-faire issue de la jurisprudence suisse à laquelle il a été fait renvoi par le tribunal qui s'est appuyé sur un article de doctrine suisse,

- la référence à un article de doctrine, rédigé entièrement en allemand, sans que ne soit fournie une traduction, alors que l'allemand n'est pas la langue de l'arbitrage et n'est pas parlée par le demandeur.

Il considère que le principe de la contradiction a été violé dès lors que le tribunal arbitral n'a pas invité les parties à discuter de la notion de « secret des affaires et de savoir-faire » ce qui lui a permis de retenir une interprétation particulièrement restrictive de la notion d''Informations confidentielles' et qu'il n'est pas établi que ces moyens relevés d'office auraient eu un caractère surabondant.

Synthes réplique que le raisonnement et la conclusion du tribunal sont fondés exclusivement sur une interprétation combinée des articles 1 et 4 de l'accord, qu'il n'y a pas de violation du principe de la contradiction lorsque les arbitres se réfèrent à des documents non soumis au débat contradictoire seulement pour corroborer leur interprétation et expliciter leur point de vue et que dès lors, cette motivation surabondante ne saurait être une cause d'annulation.

Il résulte tant de l'acte de mission (§45) que de la sentence elle-même (§ 118 et suivants) que confronté à des positions des parties qui divergeaient sur la nature des 'Informations confidentielles' couvertes par l'accord de confidentialité, le tribunal arbitral a considéré que l'interprétation de cette notion était fondamentale pour comprendre la portée de l'accord et déterminer s'il y avait eu violation dudit accord. M. [H] le reconnaît dans ses écritures et admet que les parties ont ainsi discuté « de l'articulation des clauses de l'Accord litigieux et de l'interprétation qu'elles faisaient respectivement de la clause balai contenue à l'Article 1 définissant la notion d'Informations confidentielles » (§ 85 de ses dernières conclusions).

Le tribunal arbitral, pour décider si l'article 1 de l'accord protègeait « tous types d'informations sans condition quant au contenu des informations elles-mêmes, c'est-à-dire sans obligation de nouveauté et/ou de non disponibilité publique des informations ou si l'état de l'art ne doit pas être pris en considération dans le champ d'application de l'accord » (§134 sentence) et après avoir rappelé la position de chacune des parties, a commencé par donner une définition du terme 'confidentiel'.

Il a précisé que « d'après son sens ordinaire (qui est pertinent selon la méthode objective d'interprétation des contrats), le terme « Confidentiel » implique une notion de secret (voir par exemple la définition de Confidentiel dans le Dictionnaire de Cambridge) de sorte qu'un secret est une information qui n'est connue que par une seule personne, voire quelques personnes et qui ne doit pas être révélée à d'autres personnes ».

Il a ensuite confirmé son interprétation de la notion d'information confidentielle visée à l'article 1 de l'accord en se référant expressément à la liste non exhaustive des éléments pouvant être considérés comme des informations confidentielles selon cet article (§ 140 de la sentence) laquelle comprend notamment d'« autres secrets commerciaux et savoir-faire ».

Poursuivant son raisonnement, le tribunal arbitral a noté que « L'Art. 1 de l'AdC ne renferme pas de définition des termes 'secrets commerciaux et savoir-faire' qui sont utilisés dans cette disposition. Leur définition doit donc être déduite de manière objective en se référant au droit suisse qui régit l'AdC. Selon le droit suisse, la définition de ces termes implique la confidentialité / le secret des informations concernées : [...] le Tribunal fédéral estime que l'on est en présence dès lors que la connaissance considérée n'est pas de notoriété publique et qu'elle n'est pas facilement accessible », se référant donc à la jurisprudence suisse et citant en bas de page un article de doctrine suisse (§142 de la sentence).

Il a donc estimé qu' « Une interprétation objective de l'AdC et, en particulier, de la définition des Informations confidentielles (art. 1 de l'AdC) conduit à la conclusion que la notion d'Informations confidentielles ne couvre pas les informations connues du public ».

Le tribunal arbitral s'est ensuite livré à une analyse systématique des différentes clauses de l'accord, estimant « qu' en se basant sur la méthode objective d'interprétation des contrats, l'accord doit être interprété de manière cohérente et logique ».

C'est dans le cadre de cette analyse que le tribunal arbitral, a remarqué (§ 148 de la sentence) que « les exceptions à la protection des Informations confidentielles définies à l'art. 4 sont conformes aux principes de droit suisse en vertu desquels il n'est pas permis d'introduire contractuellement l'utilisation d'informations tombées dans le domaine public. Ceci confirme l'interprétation de l'AdC faite ici par le Tribunal arbitral » renvoyant en note de bas de page à un article de doctrine en allemand.

Le tribunal arbitral a conclu (§150 de la sentence) « qu'une information confidentielle conformément à l'Adc conclu entre les parties correspond à une information qui n'est pas déjà publiquement disponible, qui peut appartenir à l'une des catégories de la liste non exhaustive figurant à l'article 1 de l'Adc et qui ne répond pas aux exigences de l'un des cas d'exclusion visés à l'article 4 ».

Pour aboutir à cette définition de ce que constituait une 'Information confidentielle' au sens de l'accord, le tribunal arbitral, à partir de la confrontation des positions divergentes des parties, s'est livré à un examen exhaustif et minutieux des clauses de l'accord de confidentialité, le conduisant à rechercher une interprétation logique et cohérente de la notion d''Informations confidentielles' dans la combinaison des articles de l'accord, et à retenir que les articles dudit accord ne prévoyaient pas de définitions et de règles de protection différentes des 'Informations confidentielles' selon ces différents articles, contrairement à ce que soutenait M. [H] (§ 121 à 128 de la sentence).

En premier lieu, il ressort du raisonnement mené par le tribunal arbitral que la définition donnée par le 'Dictionnaire de Cambridge', n'a manifestement pour objet que d'illustrer le sens commun du terme 'confidentiel' sans que le tribunal arbitral fasse ainsi entrer dans les débats un moyen nouveau qui aurait dû être soumis aux parties. Cette référence surabondante ne saurait être une cause d'annulation.

En second lieu, figurent dans la liste non exhaustive des informations confidentielles, « les autres secrets commerciaux et savoir-faire ». M. [H] soutenait devant les arbitres que tout savoir-faire divulgué lors de la réunion à Strasbourg relevait de la protection de l'accord conformément à son article 1er et que « si les informations nouvelles sont nouvelles pour la partie destinataire, même si elles font partie du domaine public, la partie destinataire doit s'engager à ne pas les divulguer » alors que de son côté, Synthes prétendait que toute idée appartenant à l'état antérieur de la technique et tombée dans le domaine public ne peut pas être considérée comme une information confidentielle en vertu de l'accord (§121 à 133 de la sentence).

Ayant fondé son raisonnement sur l'analyse des dispositions de l'accord, notamment de l'article 1er et de l'articulation des clauses de l'accord entre elles, en citant deux articles de doctrine et en évoquant une décision de jurisprudence suisse, par des références surabondantes et uniquement pour conforter son examen des éléments de fait et de droit soumis et discutés par les parties, le tribunal arbitral qui n'a pas l'obligation de soumettre préalablement sa motivation à la discussion des parties n'a pas méconnu le principe de la contradiction.

Le moyen pris en sa deuxième branche n'est donc pas fondé.

Sur le moyen pris en sa troisième branche

M. [H] reproche au tribunal arbitral d'avoir rejeté sa demande fondée sur la responsabilité précontractuelle de Synthes, en relevant d'office, sans avoir invité les parties à en débattre, la théorie juridique du droit suisse de l'absorption selon laquelle 'toute demande résultant du comportement des parties pendant la négociation est absorbée par les demandes contractuelles'.

Il soutient que le tribunal arbitral a modifié le fondement qu'il invoquait sur la base d'une théorie qui n'était pas discutée par les parties et qu'il a été privé de la faculté de discuter de l'application de cette théorie juridique.

Synthes répond que l'intégralité du raisonnement du tribunal arbitral porte sur le fondement discuté par les parties, à savoir sa supposée mauvaise foi dans la conclusion de l'accord de confidentialité.

M. [H] faisait valoir devant les arbitres que Synthes avait conclu l'accord de confidentialité de mauvaise foi sans avoir eu jamais l'intention d'entretenir ultérieurement une relation d'affaires car la société aurait dû lui demander des informations complémentaires, que la mauvaise foi résulterait également du fait que pendant la réunion de Strasbourg, « la nouveauté de l'invention du Dr [H] et son savoir-faire [auraient été] reconnus par Synthes » et que pendant cette réunion [T] [O] et [K] [X] l'aurait informé des informations et des brevets dont ils avaient connaissance (sentence § 327 à 329).

Synthes soutenait que les idées présentées par M. [H] étaient vagues et trompeuses, que la réunion de Strasbourg « a été une discussion informelle au cours de laquelle le Demandeur n'a apporté aucune documentation et aucun prototype », qu'elle n'a pas reconnu la nouveauté lors cette réunion et qu'elle a attiré l'attention du demandeur sur les brevets existants (sentence § 330 à 333).

Pour statuer sur la mauvaise foi de Synthes alléguée par M. [H], à titre préliminaire, le tribunal arbitral a indiqué que la demande de M. [H] était fondée sur une responsabilité précontractuelle alors que selon la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse dite 'théorie de l'absorption', lorsqu'un contrat est en vigueur, il ne peut y avoir aucune responsabilité précontractuelle supplémentaire.

Le tribunal arbitral a ensuite dit que :

- « L'accord de confidentialité est un accord contraignant, de telle sorte que les parties ne sont pas dans une situation typique de négociations précontractuelles. Elles sont, dans tous les cas, obligées d'agir en toute bonne foi conformément aux principes généraux du droit privé suisse (art. 2 paragr. 1 du Code civil suisse) »

- le demandeur avait la charge de la preuve de la mauvaise foi du défendeur,

- lors de l'audience, il a été établi que seulement très peu d'accords de confidentialité aboutissent à des relations d'affaires ultérieures (5%),

- lors de la réunion de Strasbourg, les représentants de Synthes ont demandé des éléments complémentaires et informé M. [H] de l'existence du processus d'examen interne de Synthes,

- Synthes a expliqué dans sa réponse pourquoi les idées de M. [H] n'étaient pas intéressantes pour elle et M. [H] n'a pas répondu ni fourni d'éléments de réponse complémentaires à cela,

- les brefs commentaires de [T] [O] et [K] [X] pendant la réunion de Strasbourg ne sont pas suffisants pour démontrer une reconnaissance par Synthes de la nouveauté des idées de M. [H].

Il en résulte que pour juger que M. [H] n'avait pas établi que Synthes aurait agi de mauvaise foi, le tribunal arbitral a considéré que même si les parties n'étaient pas dans une situation précontractuelle, elles étaient dans tous les cas, obligées d'agir en toute bonne foi conformément aux principes généraux du droit prévus par l'article 2 du code civil suisse qui était invoqué expressément par M. [H] dans son mémoire en demande du 1er septembre 2014 (§ 58 pièce 4 du demandeur).

La référence surabondante à la théorie de l'absorption alors que le tribunal arbitral a statué sur les moyens de droit et de fait invoqués et débattus entre les parties, ne saurait conduire à l'annulation de la sentence.

Le moyen pris en sa troisième branche n'est donc pas fondé.

Il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré du non respect du principe de la contradiction doit être écarté et que le recours en annulation contre la sentence doit être rejeté.

Sur les dépens et l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Le recourant qui succombe doit supporter les dépens de l'instance et ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de le condamner à payer à Synthes une indemnité de 50 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile .

PAR CES MOTIFS :

Rejette le recours en annulation de la sentence arbitrale CCI n°19514/MCP rendue entre les parties le 13 janvier 2017 à Paris.

Condamne M. [R] [H] aux dépens et à payer à la société Synthes GmbH une indemnité de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Rejette toute autre demande.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 17/03739
Date de la décision : 26/03/2019

Références :

Cour d'appel de Paris A1, arrêt n°17/03739 : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-03-26;17.03739 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award