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22/03/2019 | FRANCE | N°18/04814

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 12, 22 mars 2019, 18/04814


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12



ARRÊT DU 22 Mars 2019



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/04814 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5NHW



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 Janvier 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGNY RG n° 17-01175





APPELANT

Monsieur [D] [P]

né le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Arnaud OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0476 substitué par Me Kim BARDINET, avocat au barreau de PARIS, toque : A0476





INTIMEES

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12

ARRÊT DU 22 Mars 2019

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/04814 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5NHW

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 Janvier 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGNY RG n° 17-01175

APPELANT

Monsieur [D] [P]

né le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Arnaud OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0476 substitué par Me Kim BARDINET, avocat au barreau de PARIS, toque : A0476

INTIMEES

SAS BANQUE BCP

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Corinne BARON-CHARBONNIER, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : E0142

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE SAINT DENIS

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale

[Adresse 4]

[Adresse 4]

avisé - non comparant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 24 Janvier 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Claire CHAUX, Présidente de chambre

Mme Chantal IHUELLOU-LEVASSORT, conseillère

M. Lionel LAFON, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Venusia DAMPIERRE, lors des débats

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Mme Claire CHAUX, Présidente de chambre et Mme Venusia DAMPIERRE, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par M. [D] [P] du jugement

rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny en date du 29 janvier 2018 dans un litige l'opposant à la SAS Banque BCP en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis.

EXPOSE DU LITIGE

Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard .

Il suffit de rappeler que M. [P], chargé de caisse et d'accueil au sein de la SAS Banque BCP, a été victime d'un accident le 30 novembre 2011, un braquage à la voiture bélier reconnu accident du travail par la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis.

Consolidé le 30 décembre 2013, il lui a été attribué un taux d'incapacité permanente partielle de 7 %.

Suivant requête du 3 février 2015, il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny d'une procédure de reconnaissance de faute inexcusable contre son employeur.

Par jugement rendu le 29 janvier 2018, ce tribunal a :

- déclaré irrecevable le recours de M. [P] faute d'avoir saisi préalablement la caisse,

- dit prescrite l'action engagée,

- rejeté toutes conclusions plus amples ou contraires.

Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, M. [P] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

- dire et juger ses demandes recevables,

- dire et juger que l'accident dont il a été victime le 30 novembre 2011 résulte de la faute inexcusable de la SAS Banque BCP,

- ordonner la majoration de son capital à un montant maximum,

- désigner un expert pour évaluer ses chefs de préjudices personnels,

- lui allouer une provision de 5 000 € à valoir sur son indemnisation qui sera avancée par la caisse,

- condamner la SAS Banque BCP à lui payer la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, la SAS Banque BCP demande à la cour confirmer le jugement entrepris,

A titre subsidiaire,

- de déclarer la demande d'expertise irrecevable et la rejeter,

- de déclarer la demande de provision irrecevable et la rejeter,

- de dire qu'elle n'a commis aucune faute inexcusable, ayant pris toutes les mesures de sécurité nécessaires pour assurer la sécurité des salariés notamment de M. [P],

En conséquence,

- débouter M. [P] de toutes ses demandes,

- le condamner à lui payer une somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Aux termes de ses observations soutenues oralement à l'audience par son conseil, la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis sollicite de la cour de statuer ce que de droit sur le mérite de l'appel quant à la recevabilité de l'action, le principe de la faute inexcusable de l'employeur et l'éventuelle majoration de l'indemnité en capital qui en résultera,

Dans l'hypothèse où la cour retiendrait la faute inexcusable,

- limiter la mission de l'expert aux postes de préjudices indemnisables au titre de la faute inexcusable,

- dire que la mission de l'expert ne pourra inclure une évaluation de la perte de chance de promotion professionnelle,

- ramener à de plus justes proportions les sommes allouées à M. [P] à titre de provision,

- rappeler qu'elle fera l'avance de l'ensemble des sommes allouées à M. [P] dont elle récupèrera le montant sur l'employeur, y compris les frais d'expertise.

Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions .

SUR CE, LA COUR,

Sur la recevabilité de l'action

M. [P] fait valoir qu'il a perçu des indemnités journalières jusqu'au 30 décembre 2013, ce qui rend recevable la saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale intervenue le 3 février 2015, qu'en matière de procédure de reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur, la saisine de la caisse en conciliation n'est pas obligatoire.

La caisse s'associe à ces deux moyens.

La société BCP reprend la motivation du tribunal sur ces deux points, tendant à déclarer irrecevable

le recours faute de saisine préalable de la caisse, et prescrite l'action engagée, le délai de deux ans partant de l'accident étant écoulé.

L'article L.431-2 du code de sécurité sociale prévoit que l'action en reconnaissance de faute inexcusable pour un accident du travail se prescrit par 2 ans, à compter du jour de l'accident ou de la date de cessation de paiement des indemnités journalières.

En l'espèce, il n'est pas contesté que M. [P] a perçu des indemnités journalières jusqu'au 30 décembre 2013, la saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale du 3 février 2015 est donc recevable en ce qu'elle a bien été faite dans le délai de deux ans. Le jugement sera infirmé sur ce point.

L'article L.452-4 du code de sécurité sociale dispose qu' à défaut d'accord amiable entre la caisse et la victime ou ses ayants droit d'une part, et l'employeur d'autre part, sur l'existence de la faute inexcusable reprochée à ce dernier, ainsi que sur le montant de la majoration et des indemnités mentionnées à l'article L. 452-3, il appartient à la juridiction de la sécurité sociale compétente, saisie par la victime ou ses ayants droit ou par la caisse primaire d'assurance maladie, d'en décider(...)

Il s'en déduit que l'obligation pour la victime de saisir la caisse n'est pas prescrite à peine d'irrecevabilité, ce moyen sera donc rejeté et le jugement infirmé.

Sur l'existence d'une faute inexcusable

M. [P] sollicite la reconnaissance d'une faute inexcusable de son employeur, expliquant que :

- la banque ne saurait soutenir valablement qu'elle n'avait pas conscience du danger de braquage,

- il existe une réglementation relative à la sécurité bancaire pour traiter le thème des agressions,

- le document unique d'évaluation des risques de la société en date du 24 novembre 2011 fait état de deux hold up, du niveau de gravité du risque et de sa fréquence,

- la conscience du danger est clairement établie et aucune mesure n'a été prise contre les voitures béliers,

- la fréquence des braquages a été soulevée par les médias, un dans une agence proche de 100 mètres , et 6 braquages en 4 ans à Saint Denis et aux alentours,

- la convention collective nationale de la banque impose l'élaboration de procédures relatives au transferts de fonds, lesquels doivent faire l'objet de consignes précises avec un maximum de précautions,

- l'attaque a eu lieu un mercredi avant l'ouverture de l'agence au moment où le directeur manipulait des fonds en vue de l'approvisionnement des guichets automatiques (GABS),

- la méthode de réapprovisionnement est simple et aisément prédictible,

- une autre attaque a eu lieu un mercredi 25 janvier 2012 à la [Localité 2],

- la banque n'a pas communiqué à ses salariés les procédures de transfert de fonds comme elle en a l'obligation,

- elle a fait l'économie de dispositifs de sécurité, aucun vigile sauf pendant les vacances, aucun plot,

- aucune formation n'a été dispensée pour instruire les travailleurs des précautions à prendre pour assurer leur sécurité, notamment la conduite à tenir en cas d'accident ou de sinistre,

- il n'a eu qu'une formation en 2010 sur la prévention et la gestion des agressions.

Au contraire, la SAS Banque BCP s'oppose à la reconnaissance d'une faute inexcusable, faisant valoir que :

- M. [P] ne rapporte pas la preuve d'une faute inexcusable de son employeur à l'origine de son état pathologique,

- les pièces produites attestent des démarches faites lorsque le danger s'est présenté,

- le risque de survenance d'une attaque bélier était faible,

- sur ses 96 agences, 9 ont été victimes de hold up et une seule d'une attaque bélier,

- elle a pris toutes les mesures de sécurité nécessaires correspondant aux risques prévisibles : conduites à tenir en cas d'agression, formations obligatoires, mesures de sécurité lors du chargement des GABS, système de vidéo surveillance, portes d'accès blindées, assistance psychologique en cas de braquage,

- une demande de plot avait même été faite en 2009 mais refusée par la commune, avant d'être réitérée et acceptée en 2012.

La caisse s'en rapporte sur ce point.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers lui d'une obligation de sécurité de résultat, et le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. La survenance d'un accident ne suffit pas en soit à caractériser la dite faute.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

En l'espèce, il résulte du compte-rendu établi le 30 novembre 2011 par M. [B], secrétaire du CHSCT, que : "A l'agence [Adresse 5], vers 8 h 43, 3 individus ont utilisé une voiture préalablement garée en face de la vitrine de la banque comme bélier pour défoncer cette même vitrine et leur permettre ainsi l'accès aux locaux. Les 2 employées présentées ont profité du petit délai( ...)pour sortir de l'agence et se mettre à l'abri. Un autre employé est resté au guichet et le directeur qui était à la cave est remonté après avoir caché les fonds qu'il manipulait à ce moment là en vue de l'approvisionnement des GABS. Sous la menace, celui-ci est redescendu à la cave et a remis des fonds au malfaiteur(...)l'individu qui est parti avec les fonds dérobés s'est fait interpeller par une patrouille de police(...)les deux autres se sont enfuis en scooter."

Lors de la réunion du CHSCT du 15 décembre 2011, il était relevé à propos de ce hold up: Les moyens de sécurité en place ont fonctionné normalement. Tous les collaborateurs avaient suivi l'action de formation à la sécurité à l'exception de la stagiaire. Chaque collaborateur a reçu la feuille permettant la prise en charge des soins accident du travail et ont pu bénéficier immédiatement d'une prise en charge par un psychologue. Les déclarations administratives ont été effectuées(...)

Parallèlement, dans son audition aux services de police, M. [P] précisait : Vers 8 h 45(..).je me suis mis à mon poste de travail, à savoir au guichet(...).j'ai entendu un gros bruit comme une petite explosion. Après que Mme [N] ait fermé la porte qui conduit au sous-sol, où se trouvaient les fonds, elle s'est dirigée en compagnie de Mme [D] vers la porte d'entrée de l'agence, je les ai rejoints après avoir déverrouillé cette porte(..).nous avons ouvert la porte du sas qui donne sur la rue(..).au moment où nous fermions cette porte, j'ai entendu plein de bruits qui pourraient évoquer une mitraillette(...) Comme nous avions compris tout de suite qu'il s'agissait sûrement d'un braquage, nous avons pris la fuite(..).je ne suis pas blessé mais je suis choqué(...)

Il s'en déduit que les procédures d'approvisionnement des guichets automatiques ou de transferts de fonds ne sont pas en cause.

L'accord du 4 avril 2011 relatif à la sécurité des agences bancaires invoqué a un caractère normatif. Cependant, il offre de choisir selon les lieux, une combinaison optimale entre de nombreuses préconisations comme la vidéoprotection, l'alimentation des automates en dehors de la vue et de la présence du public, dispositif anti-véhicule bélier notamment plots, transferts de fonds dans des consignes précises, hors la vue du public avec un maximum de précautions, les issues de l'agence devant en principe être fermées et la formation.

Par courrier du 21 décembre 2009 adressée à la sous-préfecture, la BCP demandait des passages d'agents de police.

Du document unique d'évaluation des risques du 24 novembre 2011 versé aux débats, il apparaît que sur l'ensemble des 96 agences françaises, il a été relevé de 2006 à 2011, 18 hold up dont un seul avec une voiture bélier. Les préconisations sont l'embauche d'un vigile et la formation d'un collaborateur. Si le risque d'une attaque à la voiture bélier existe, il est statistiquement très faible et ne justifie donc pas nécessairement d'installer des plots devant toutes les agences.

Sur ce point, il sera observé que la banque n'est pas restée sans réagir à l'attaque à la voiture bélier de l'agence de la [Localité 2], puisqu'elle justifie avoir sollicité auprès de l'Agglomération, dès le 7 janvier 2011, l'installation de plots qui lui a été refusée compte tenu de la largeur trop étroite du trottoir. De même, elle présentait une nouvelle demande le 1er février 2012 en visant cette fois-ci, 3 agences dont celle [Adresse 5] et il lui était donné satisfaction en août suivant.

Parallèlement, il est justifié de formations, notamment au bénéfice de M. [P] en 2010, formation de prévention et de gestion des agressions qui visait notamment les attitudes à adopter en cas d'agressions et les moyens de maîtriser des situations de forte tension.

En conséquence, il est établi que l'employeur avait clairement conscience du risque pour ses salariés d'être agressés, et a pris régulièrement des mesures pour les en préserver. Sa faute inexcusable ne peut donc être reconnue. Les demandes tant principales qu'accessoires présentées par M. [P] seront donc rejetées.

M. [P] qui succombe sera débouté de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile. L'équité commande d'allouer à la société Banque BCP la somme de 800 € sur ce même fondement.

M. [P] qui succombe sera condamné aux dépens de la présente instance.

PAR CES MOTIFS

La COUR,

Infirme le jugement entrepris, en ce qu'il a:

- déclaré irrecevable le recours de M. [P] ,

- dit prescrite l'action engagée,

Statuant à nouveau,

Déclare recevable le recours de M. [P],

Dit que l'action de M. [P] en reconnaissance de la faute inexcusable de la société BANQUE BCP n'est pas prescrite,

Rejette la demande de reconnaissance de faute inexcusable présentée par [D] [P] à l'encontre de la société BANQUE BCP ainsi que l'ensemble des demandes présentées par M. [P],

Condamne M. [D] [P] à payer à la société BANQUE BCP une somme de 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [P] [D] aux dépens de la présente instance.

La GreffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 12
Numéro d'arrêt : 18/04814
Date de la décision : 22/03/2019

Références :

Cour d'appel de Paris L3, arrêt n°18/04814 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-03-22;18.04814 ?
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