Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 3
ARRÊT DU 22 MARS 2019
(n° , 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/15473 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B34FE
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Avril 2017 -Tribunal d'Instance de Paris 7ème - RG n° 11-16-0089
APPELANTES
Madame H... S...
Née le [...] à Paris 7ème
[...]
[...]
Représentée par Me Hans-christian KAST, avocat au barreau de PARIS, toque : D0316
Madame U... D...
Née le [...] à Paris 15ème
[...]
[...]
Représentée par Me Hans-christian KAST, avocat au barreau de PARIS, toque : D0316
INTIMEE
SCI TRIDOUBEC
Prise en la personne de son gérant
SIRET : 482 462 231 00010
Siège social : [...]
[...]
Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
Ayant pour avocat plaidant Me Félicité MASUREL avocat au barreau de PARIS,
toque : C1202
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 Février 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Daniel FARINA, Président
M. Philippe JAVELAS, Conseiller
Mme Pascale WOIRHAYE, Conseillère
qui en ont délibéré,
Un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Danièl FARINA dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Viviane REA
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, le délibéré initialement fixé au 21 mars 2019 ayant été prorogé à ce jour..
- signé par Daniel FARINA, Président et par Viviane REA, Greffière présent lors de la mise à disposition.
***
Exposé du litige
Suivant engagement de location du 1er juillet 1955 la société ' Les Jeunes Economes', aux droits de laquelle se trouve la SCI TRIDOUBEC, a donné à bail à M E... S... et Mme P... S... un appartement et une cave situés [...] ; la location est soumise aux dispositions de la loi du 1er septembre 1948 .
M E... S... est décédé le [...] .
Mme P... S... est décédée le [...] .
Ses filles Mmes H... S... et U... D... sont demeurées dans le logement susvisé ; invoquant l'absence de droit ni titre sur le logement, la SCI TRIDOUBEC leur a demandé, par courrier du 5 avril 2016, de quitter les lieux .
Le 20 avril 2016 elle les a assignées devant le Tribunal d'instance de Paris 7ème aux fins notamment de voir dire qu'elles occupent sans droit ni titre le logement concerné, et ordonner leur expulsion .
Par jugement du 28 avril 2017, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal d'instance de Paris 7ème a :
- constaté que, depuis le décès de leur mère, Mmes H... S... et U... D... occupent sans droit ni titre les lieux concernés,
- ordonné leur expulsion et celle de tout occupant de leur chef, avec le concours de la force publique et d'un serrurier, passé le délai de deux mois suivant la délivrance d'un commandement d'avoir à quitter les lieux délivré conformément aux dispositions des articles L. 412-1 et suivants du Code des Procédures Civiles d'Exécution,
- les a condamnées à payer à la SCI TRIDOUBEC une indemnité d'occupation égale au montant du loyer si le bail s'était poursuivi, charges en sus, celle-ci étant portée à un montant mensuel de 1 800 euros, outre les charges, à compter du 1er juillet 2017 et ce jusqu'à la libération effective des lieux,
- rappelé que le sort des meubles est régi par les articles L 433-1 et L 433-2 du Code de procédures civiles d'exécution,
- condamné Mmes H... S... et U... D... à payer à la SCI TRIDOUBEC la
somme de 800 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux
dépens.
Mmes H... S... et U... D... ont interjeté appel de ce jugement .
Par acte du 5 juillet 2017 la SCI TRIDOUBEC leur a signifié un commandement de quitter les lieux .
Par ordonnance du 1er septembre 2017 le Premier Président de la Cour d'Appel a :
- suspendu l'exécution provisoire du chef de l'indemnité d'occupation en raison de l'impossibilité financière d'exécuter,
- maintenu l'exécution provisoire des dispositions du jugement déféré relatives à l'expulsion, au motif que « la libération des lieux est en cours, au vu de la demande de relogement selon le dispositif DALO » .
Par conclusions du 28 mars 2018 Mmes H... S... et U... D... demandent à la cour de :
- au visa des articles 5 de la loi du 1er septembre 1948 en vigueur le [...], 1742 du Code civil, L. 613-1 du Code de la construction et de l'habitation, et L. 412-3 du Code des procédures civiles d'exécution,
- infirmer le jugement déféré,
- statuant de nouveau,
- constater que H... S... a la qualité de locataire
- rejeter les demandes de la la SCI TRIDOUBEC,
- à titre infiniment subsidiaire :
- accorder à H... S... et à U... D... un délai de 12 mois pour quitter
le logement,
- fixer l'indemnité d'occupation à 936,72 euros par mois
- en toute hypothèse :
- condamner la SCI TRIDOUBEC aux dépens et au paiement de la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Par conclusions du 30 octobre 2018 la SCI TRIDOUBEC demande à la cour de :
- au visa des articles 5 et 17 de la loi du 1er septembre 1948, 1751 du Code civil, de l'arrêt du 30 janvier 2018 de la Cour européenne des droits de l'homme, l'article 1er du protocole additionnel n°1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950,
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ,
- dire que la loi du 1er septembre 1948 ne peut bénéficier à Mmes H... S... et U... D... , cette application étant de nature à constituer une violation de l'article 1er du protocole additionnel n°1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme,
- dire qu'en raison du décès de Mme P... S..., Mmes H... S... et U... D... , ses filles, sont occupantes sans droit ni titre et se sont maintenues dans les lieux alors qu'elles ne peuvent prétendre à un transfert du bail de leur mère, soumis aux dispositions de la loi du 1er septembre 1948,
- dire que Mme H... S... n'a jamais bénéficié d'un transfert du droit au maintien dans les lieux du fait du décès de son père survenu alors qu'elle était mineure [...] , ou subsidiairement qu'elle a perdu son droit au maintien dans les lieux à la date de sa majorité soit le [...],
- dire que Mmes H... S... et U... D... ne justifient pas de la dévolution successorale au décès de leur père ;
-subsidiairement dire que Mmes H... S... et U... D... ont renoncé à tout droit sur le bail depuis 1963, le bail ayant été exécuté par leur mère,
- débouter Mmes H... S... et U... D... de leurs demandes et notamment de la demande tendant à bénéficier d'un délai d'une année pour quitter les lieux,
- ordonner leur expulsion et celle de tous occupants de leur chef à défaut de départ volontaire dans un délai de 8 jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir des locaux concernés, avec si besoin est, l'assistance d'un serrurier, et de la force publique,
- dire qu'à défaut de départ volontaire dans le délai susvisé, Mmes H... S... et U... D... seront en outre tenues au paiement d'une astreinte de 100 euros par jour de retard que le Tribunal se réservera la faculté de liquider,
-fixer l'indemnité d'occupation à la somme mensuelle de 1.800 euros, charges en sus, et condamner Mmes H... S... et U... D... à régler à ce titre la somme de 1.800 euros, à compter du 1er janvier 2016, ou de toute autre date fixée par ' le Tribunal'et cela jusqu'à la libération des lieux et la remise des clés,
- dire que Mmes H... S... et U... D... ne pourront bénéficier du délai de carence de deux mois prévu par l'article 412-1 du Code des procédures d'exécution ;
- ordonner le séquestre des biens mobiliers se trouvant dans les locaux conformément aux dispositions des articles L 433-1 et suivants du Code des procédures d'exécution, soit en un lieu désigné par la partie expulsée aux frais et risques de celle-ci, soit, à défaut d'une telle désignation, sur place ou en un autre lieu approprié ;
- condamner Mmes H... S... et U... D... aux dépens, tant de première instance que d'appel, distraits pour ces derniers, au profit de la SCP REGNIER BEQUET MOISAN, Avocat, en application des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure civile.
Le 18 janvier 2019 le conseiller de la mise en état a notifié aux avocats des parties un avis de fixation annonçant les dates de clôture et de plaidoiries de l'affaire .
L'ordonnance de clôture a été prise le 14 février 2019 .
L'affaire a été appelée à l'audience de plaidoiries du 21 février 2019 .
Par messages Rpva des 28 février et 14 mars 2019 l'avocat des appelantes demande la révocation de l'ordonnance de clôture et la réouverture des débats aux motifs qu'à la suite d'un dysfonctionnement d'E-Barreau il n'a pas été alerté de la fixation de l'audience ni du prononcé de la clôture, et qu'ayant changé de structure, donc de numéro de toque, l'original de l'ordonnance lui a été communiqué postérieurement à l'audience, de sorte qu'il n'a pu répliquer aux conclusions adverses ni plaider .
Par courriers en réponse des 4 et 14 mars 2019 l'avocat de la SCI TRIDOUBEC s' oppose à ces demandes en invoquant l'absence de motif de révocation de l'ordonnance de clôture.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et de réouverture des débats
Attendu qu'au soutien de sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture Me KAST expose essentiellement que :
- à compter de la mi-janvier 2019 il n'a plus reçu de message d'alerte du système E-Barreau,
- il n'a pas en conséquence eu connaissance de l'avis de fixation du 18 janvier 2019 et de la clôture,
- il n'a pas été informé du fait qu'à la suite de son changement d'adresse professionnelle il avait été automatiquement désinscrit de la communication électronique;
- cette désincription a entraîné la suppression de son adresse d'alerte sans qu'il en soit avisé
- depuis le 15 janvier 2019 il n'a donc reçu aucune notification relative aux messages E-Barreau et il n'a pu répondre aux dernières écritures de son contradicteur avant la clôture ni se présenter à l'audience,
- il a demandé aux services du Conseil National des Barreaux d'examiner son accès E-Barreau durant la période de janvier à février 2019 ; la réponse du 7 mars 2019 mentionne par erreur une demande limitée au mois de janvier 2019,
- il n'a appris la suppression des alertes relatives aux messages E-Barreau qu'après l'audience du 21 février 2019 ;
- les conditions d'application de l'article 784 du Code de procédure civile sont ainsi réunies ;
Attendu que s'opposer à la demande de révocation de l'ordonnance de clôture la SCI TRIDOUBEC par son conseil fait état de l'ancienneté de l'affaire et soutient en outre que:
- les dernières conclusions pour la SCI TRIDOUBEC ayant été signifiées le 30 octobre 2018, Me KAST disposait du temps nécessaire pour y répondre avant la clôture fixée au 14 février 2019.
- Me KAST ne justifie pas du dysfonctionnement d'e-barreau dont il fait état,
- il invoque un changement de structure et donc de numéro de toque.
- or dans le courrier du 7 mars 2019 du centre services CNB celui-ci :
- indique « avoir immédiatement renvoyé une demande d'inscription avec ses coordonnées à jour » et ce, juste après le 15 janvier 2019,
- précise qu'il a également demandé à Me KAST de renseigner son adresse d'alerte à la connexion suivante ( indiquée dans le message ),
- dès lors Me KAST aurait dû renseigner son adresse d'alerte, ce qu'il n'a pas fait.
- il ne justifie pas ne pas s'être connecté entre le 15 janvier et la fin février 2019,
- de même il ne justifie pas qu'il n'aurait appris la suppression des alertes relatives à ses messages E-barreaux que postérieurement à l'audience du 21 février 2019.
- il n'existe en conséquence aucune cause grave au sens de l'article 784 du code de procédure civile justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture, ainsi qu'un renvoi des plaidoiries.
- le droit au procès équitable suppose également le respect des droits de l'intimé à
voir statuer sur son dossier.
SUR CE
Attendu que selon les dispositions de l'article 784 du Code de procédure civile : '
L'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue ..;
L'ordonnance de clôture peut être révoquée d'office ou à la demande des parties soit par ordonnance motivée du conseiller de la mise en état, soit après l'ouverture des débats par décision du tribunal' ;
Qu'il résulte de ces dispositions que la décision de révocation doit être motivée ( Cass Civ 2ème 18 novembre 1992 )et relever une cause grave de révocation( civ 3ème 21 mars 1984; 4 octobre 1989 ) qui s'est révélée postérieurement à la clôture ( Civ 2ème 5 mai 1975 ) ;
Qu'il appartient à la partie qui sollicite la révocation de l'ordonnance de clôture d'établir l'existence d'une cause grave de nature à entraîner la révocation ;
Attendu en l'espèce que par message du18 janvier 2019 le conseiller de la mise en état a adressé aux avocats des parties, un avis de fixation annonçant :
- le prononcé de la clôture : pour le 14 février 2019,
- l'audience de plaidoiries : pour le 21 février 2019 ;
Que l'ordonnance de clôture a été prise le 14 février 2019 et l'audience de plaidoiries s'est tenue le 21 février 2019 ;
Attendu qu'au soutien de sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture et de réouverture des débats l'avocat des appelantes produit le courriel du 7 mars 2019 par lequel le responsable du Centre de Services du Conseil National des Barreaux indique essentiellement que :
- une modification d'adresse postale sur E-barreau entraîne automatiquement la suppression de l'adresse d'alerte associée au compte E-Barreau,
- l'Ordre des avocats au barreau de M KAST a demandé la désinscription de celui-ci à la communication électronique ( comportant son ancienne adresse postale ) le15 janvier 2019 à 18 h 48 puis a immédiatement renvoyé une demande d'inscription avec les coordonnées de Me KAST à jour,
- cette démarche a aussitôt entraîné la suppression de l'adresse d'alerte de Me KAST,
- le service E-Barreau a demandé à Me KAST de renseigner son adresse d'alerte à la connexion suivante,
- une fois cette opération réalisée, Me KAST a été de nouveau rendu destinataire des notifications de nouveaux messages E-barreau,
- mais dans l'intervalle il n'en était plus rendu destinataire ;
- le Centre de Services va dresser les connexions qui ont été faites sur le compte de Me KAST entre le 15 et le 31 janvier 2019, ce qui lui sera adressé par mail séparé ;
Attendu que le conseil des appelantes ne produit pas d'autres éléments à l'appui de sa demande ;
Que le message d'E-Barreau ne fait pas état d'un dysfonctionnement du système électronique de E-Barreau allégué et n'établit pas l'existence d'un tel dysfonctionnement;
Qu'il décrit la procédure habituelle en cas de modification d'adresse postale sur E-Barreau en précisant que la démarche de désinscription entraîne aussitôt la suppression de l'adresse d'alerte mais que l'avocat est de nouveau destinataire des notifications de messages lorsqu'il a renseigné son adresse d'alerte ;
Qu'il ressort de ce message que :
- le 15 janvier 2019 l'Ordre des avocats de Me KAST a demandé la désincription de celui-ci à la communication électronique et a immédiatement après renvoyé une demande d'inscription avec les coordonnées à jour de Me KAST,
- le service E-Barreau a demandé à Me KAST de renseigner son adresse d'alerte à la connexion indiquée ;
Attendu qu'il appartenait ainsi à Me KAST de renseigner son adresse d'alerte à la connexion qui lui était indiquée,cette opération ayant pour effet de le rendre de nouveau destinataire de nouveaux messages E-Barreau ;
Attendu que Me KAST n'indique pas la date à laquelle il a renseigné le message d'alerte à la connexion indiquée par la Centre de Services E-Barreau ;
Qu'il ne justifie pas :
- d'une absence de notification de nouveaux messages E-Barreau du 15 janvier 2019 jusqu'à une date postérieure à celle de l'audience de plaidoiries,
- de ce que la suppression des alertes relatives aux messages E-Barreau n'ait été portée à sa connaissance que postérieurement au 21 février 2019 date de l'audience ;
Attendu au surplus que les dernières conclusions de l'intimée ayant été notifiées en octobre 2018, les appelantes disposaient du délai nécessaire pour y répliquer ;
Attendu que compte tenu de ce qui précède il n'est pas justifié de l'existence d'une cause grave au sens de l'article 784 du Code de procédure civile de nature à motiver la révocation de l' ordonnance de clôture ;
Qu'il ne peut en conséquence être fait droit à la demande ;
Sur le moyen pris d'une atteinte aux dispositions de l'article 1 de la Convention européenne des droits de l'homme
Attendu que la SCI TRIDOUBEC fait valoir essentiellement que :
- la loi du 1er septembre 1948 prévoit des avantages exceptionnels liés aux modalités de détermination du loyer, imposant aux propriétaires des montants particulièrement bas,
- en cas d'application de cette loi et de maintien dans les lieux de Mmes H... S... et U... D... elle subirait une charge exorbitante et disproportionnée au regard des dispositions de l'article 1er du protocole additionnel n°1 à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales du 4 novembre 1950 relatives au droit de propriété,
- l'application de la loi du 1er septembre 1948 doit donc être écartée en l'espèce,
Sur ce
Attendu que les dispositions de la loi du 1er septembre 1948 ont en particulier pour objet d'encadrer les loyers susceptibles d'être pratiqués dans des zones urbaines marquées par le manque de logements disponibles ; qu'en considération de cet objet elles ne méconnaissent pas les exigences des dispositions du protocole additionnel n°1 à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales invoquées par l'intimée et leur application ne caractérise pas en elle même une atteinte à ces dispositions ;
Attendu que le moyen ne peut être retenu ;
Sur la demande tendant à voir dire que les appelantes sont sans droit ni titre sur le logement concerné
Attendu qu'au soutien de ses prétentions la SCI TRIDOUBEC fait valoir essentiellement que :
- Mme P... S..., décédée le [...] , était seule bénéficiaire du bail soumis aux dispositions de la loi du 1er septembre 1948, et en application de l'article 17 de la loi du 1er septembre 1948 ce droit était exclusivement attaché à sa personne et non transmissible,
- ses filles Mmes H... S... et U... D... ne remplissent pas les conditions de l'article 5 de la loi du 1er septembre 1948, lequel ne permet de transfert du droit au maintien dans les lieux qu'au conjoint ou partenaire, aux ascendants, aux personnes handicapées ou aux enfants mineurs.
- elles sont donc occupantes sans droit ni titre.
- Mme H... S... soutient être locataire du logement par transmission du droit au bail en 1963, à la suite du décès de son père, M E... S...,
- or en application des dispositions d'ordre public de l'article 1751 du Code civil dernier alinéa, issu de la loi du loi du 3 décembre 2001 mais applicable aux baux en cours à la date de son entrée en vigueur, Mme P... S..., conjoint survivant, cotitulaire du bail, disposait, à la suite du décès de son conjoint, d'un droit exclusif sur le bail ;
- Mmes H... S... et U... D... ne justifient pas de la dévolution successorale au décès de Monsieur E... S...,
- elles prétendent que lors du décès de M E... S..., Mme H... S... aurait bénéficié du maintien dans les lieux.
- Mme H... S... n'apporte aucune preuve de ce qu'elle aurait hérité de ce
droit au bail et accepté la succession de son père conformément aux articles 768 et
suivants du code civil.
- elle ne peut se prévaloir de solutions jurisprudentielles sans justifier de ce qu'elles lui sont applicables.
- à supposer que Mme H... S... ait hérité du droit au bail en 1963, elle y a par la suite renoncé puisque depuis cette date jusqu'au décès de sa mère, le bail n'a été exécuté que par celle-ci qui s'est comportée comme unique locataire, en réglant seule chaque mois les loyers ;
- subsidiairement en application de l'article 5 de la loi du 1er septembre 1948 Mme H... S..., à supposer qu'elle ait hérité du droit au bail, en aurait été déchue à sa majorité, soit le [...], ce texte prévoyant que le droit au maintien dans les lieux est transmissible, en cas de décès du locataire ou de l'occupant de bonne foi, aux enfants mineurs jusqu'à leur majorité.
-à cette date, elle était hébergée par sa mère qui bénéficiait du droit au maintien dans les lieux, mais au décès de celle-ci, elle et sa s'ur, Mme U... D... se sont retrouvées occupantes sans droit ni titre ;
Attendu qu'au soutien de leur appel, Mme H... S... et Mme U... D... font valoir essentiellement que :
- en application de l'article 1742 du Code civil et de l'article 5-I de la loi du 1er septembre 1948 dans sa version en vigueur au [...], date du décès de M E... S..., le droit au bail de celui-ci s'est transmis de plein droit à sa fille Mme H... S...,
- en conséquence depuis lors Mme H... S..., qui habitait avec son père le logement concerné, était, avec Mme P... S..., conjoint survivant , cotitulaire du bail ;
- selon en effet l'article 1742 du Code civil : « Le contrat de louage n'est point résolu par la mort du bailleur ni par celle du preneur ».
- si par une réforme intervenue le 13 juillet 2006 l'article 1742 du Code civil ne s'applique plus aux baux soumis à la loi du 1er septembre 1948, cette modification n'est pas rétroactive ;
- ainsi en cas de décès du locataire à une date antérieure à la réforme du [...] son bail est transmis à ses enfants par voie successorale ;
- le bail a donc été transmis à Mme H... S... le [...], devenue ainsi, avec sa mère, co-titulaire du bail ;
- sur cette co-titularité du bail : il n'est pas utilement soutenu qu'en application de l'article 1751 du Code civil, Mme P... S... disposait seule, depuis le décès de son époux, de la qualité de locataire,
- en effet l'actuel article 1751 alinéa 3 du code civil introduit par la loi du 3 décembre 2001, ne s'applique pas au bail concerné, M E... S... étant décédé antérieurement à l' entrée en vigueur de ce texte ;
- de même l'actuel article 5 I de la loi du 1er septembre 1948 qui limite le bénéfice du maintien dans les lieux aux enfants mineurs du locataire jusqu'à leur majorité, ne s'applique pas en l'occurrence, cette restriction introduite par la loi du 16 juillet 2006, n'ayant pas d'effet rétroactif,
- en conséquence Mme H... S... a la qualité de locataire par transmission successorale du bail ;
Sur ce
Attendu que suivant engagement de location du 1er juillet 1955 M E... S... et Mme P... S... étaient locataires d'un appartement à usage d'habitation soumis aux dispositions de la loi du 1er septembre 1948 ;
Que M E... S... est décédé le [...] ;
Qu'il est constant qu'aucun congé ne lui avait été délivré avant le décès, de sorte qu'à la date de celui-ci, M E... S... était co-titulaire du bail ;
Attendu que pour la détermination du droit au maintien dans les lieux au décès du locataire ou de l'occupant il convient d'appliquer la législation en vigueur à la date de ce décès ( Civ 3ème 14 décembre 1994 ) et en particulier les dispositions de l'article 5-1 de la loi du 1er septembre 1948 consacrées au droit au maintien dans les lieux ;
Attendu que selon les dispositions de l'article 5-I de la loi du 1er septembre 1948 dans sa version initiale ( loi du 1er septembre 1948 rectifiée : J 0 10 septembre et 27 octobre 1948 ) en vigueur à la date de décès de E... S... : « I. - Le bénéfice du maintien dans les lieux, pour les locaux visés à l'article 1er appartient, en cas d'abandon de domicile ou de décès de l'occupant, au conjoint, ascendants, descendants, ou personnes à charge qui vivaient effectivement avec lui depuis plus d'un an ». ;
Que ce texte ne vise pas le locataire mais seulement l'occupant de bonne foi ;
Que le bénéfice du maintien dans les lieux qu'il prévoit est distinct du droit résultant de la transmission du bail à l'héritier du locataire en application des dispositions de l'article 1742 du Code civil ;
Que selon l'article 1742 du Code civil : « Le contrat de louage n'est point résolu par la mort du bailleur ni par celle du preneur » ;
Attendu que l'article 5 I de la loi du 1er septembre 1948 dans sa version précitée, a été modifié par :
- la loi du 23 décembre 1986, notamment en ce qui concerne le droit au maintien dans les lieux des descendants ;
- la loi du 3 décembre 2001 en ce que, modifiant l'article 1751 du Code civil, elle consacre le droit exclusif du conjoint survivant sur le bail,
- et par la loi du 13 juillet 2006 qui exclut du champ d'application de la loi du 1er septembre 1948 les dispositions de l'article 1742 du Code civil précité ;
Attendu que la loi du 23 décembre 1986 a exclu du bénéfice de l'article 5 les descendants majeurs du locataire ou de l'occupant ;
Mais attendu qu'il ne résulte pas du caractère d'ordre public de l'article 27 de cette loi
( qui a modifié l'article 5 précité ) que les dispositions de cet article soient rétroactives et atteignent les droits acquis ;
Attendu que les dispositions de la loi du 3 décembre 2001 qui instituent un droit exclusif du conjoint survivant sur le bail n'ont pas d'effet rétroactif ;
Qu'il s'ensuit que pour les situations nées avant l'entrée en vigueur de la loi du3 [...] , le droit au bail de l'époux décédé se transmet de plein droit à ses héritiers qui deviennent co-titulaires du bail avec le conjoint survivant, l'alinéa 3 de l'article 1751 du
code civil résultant de cette loi n'étant pas applicable à ces situations ;
Attendu que la loi ENL du 13 juillet 2006 exclut du champ d'application des baux soumis à la loi du 1er septembre 1948, l'article 1742 du Code civil précité ;
Attendu qu'avant cette réforme les dispositions de la loi du 1er septembre 1948 ne faisaient pas obstacle à l'application de l'article 1742 du Code civil en cas de décès du locataire ( Cass Civ 3ème 26 juin 1996 ) ;
Qu'il s'ensuit que jusqu'à la réforme opérée par la loi ENL du 13 juillet 1986 la transmission du bail par voie successorale et en conséquence la faculté, pour les héritiers, d'invoquer le droit au maintien dans les lieux étaient de droit lorsque le décès avait lieu en cours de bail ;
Que si le locataire en titre est décédé sans avoir reçu congé, le droit au bail, en application de l'article 1742 du Code civil, est dévolu à ses héritiers, lesquels héritent d'un droit locatif propre indépendant du droit au maintien dans les lieux ;
Que cette transmission intervenait même si l'héritier n'appartenait pas à l'une des catégories des personnes prévues à l'article 5 de cette loi ( Civ 3ème 26 juin 1996 ) ; qu'en revanche si le défunt était par l'effet du congé en situation de maintien dans les lieux le droit ne pouvait passer dans le patrimoine des héritiers ;
Attendu qu'il ne résulte pas du caractère d'ordre public de l'article 85 de la loi du 13 juillet 2006, que les dispositions de cet article soient rétroactives et atteignent les droits acquis;
Qu'en conséquence, en cas de décès du locataire à une date antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 13juillet 2006, le descendant majeur qui justifie de sa qualité d'héritier, a droit au maintien dans les lieux ( Civ 3ème 23 juin 1998 ) ;
Attendu que des développements qui précédent il résulte sur l'application de l'article 1742 du Code civil, que l'article 5 de la loi du 1er septembre 1948 dans sa version actuelle ne s'applique qu'aux situations postérieures à son entrée en vigueur et que c'est la date du décès de l'occupant ou du locataire qui détermine les droits des descendants majeurs ;
Qu'en application des dispositions de la loi du 1er septembre 1948 applicables au [...] et ci-dessus rappelées, en cas de décès du locataire, le droit au bail, est dévolu à ses héritiers ;
Attendu sur la co-titularité du bail que dans la législation applicable au [...], le droit au bail de l'époux décédé se transmet de plein droit à ses héritiers qui deviennent co-titulaires du bail avec le conjoint survivant, l'alinéa 3 de l'article 1751 du code civil, résultant de la loi du 3 décembre 2001 et consacrant le droit exclusif du conjoint survivant sur le bail n'étant pas applicable aux situations nées antérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi ;
Attendu sur l'exclusion des descendants majeurs du bénéfice du droit au maintien dans les lieux, que l'actuel article 5 I de la loi du 1er septembre 1948 qui limite le bénéfice du maintien dans les lieux des descendants du locataire aux enfants mineurs jusqu'à leur majorité, ne s'applique pas aux situations nées antérieurement à l'entrée en vigueur de cette limitation ;
Attendu qu'au vu de ce qui précède, et en application des dispositions en vigueur à la date du décès de M E... S..., il appartient à Mme H... S... qui soutient être devenue le [...], co-titulaire avec sa mère du bail concerné par suite d'une transmission par voie successorale, d'en rapporter la preuve ;
Que selon la SCI TRIDOUBEC, Mme H... S... ne justifie pas de sa qualité d'héritière conformément aux articles 768 et suivants du code civil.
Mais attendu qu'aux termes de l'article 730 du code civil la qualité d'héritier se prouve par tous moyens ; qu'en outre la loi ne détermine les héritiers qu'en fonction des liens de parenté existant entre eux et le défunt ; que la succession est ainsi dévolue par la loi, elle même, en particulier aux descendants du défunt, les enfants succédant à leur père et mère;
Attendu en l'espèce que par la copie du livret de famille produit, sur lequel elle figure comme enfant unique de Mme P... S... et de M E... S..., Mme H... S..., établit sa qualité d'héritière de celui-ci ;
Que les articles 768 et suivants du Code civil invoqués par la SCI TRIDOUBEC figurent au chapitre IV du Code civil intitulé : ' De l'option de l'héritier', ces textes prévoyant la possibilité pour l'héritier d'accepter la succession purement et simplement ou d'y
renoncer ;
Mais attendu que la renonciation à une succession se présume pas ; qu'aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que Mme H... S... ait renoncé à sa qualité d'héritière;
Attendu que compte tenu de ce qui précède Mme H... S... justifie être devenue, en qualité d'héritière de son père, titulaire du droit au bail sur le logement concerné ,
Attendu sur le moyen pris d'une renonciation au droit au bail, que la SCI TRIDOUBEC soutient que depuis 1963 Mme H... S... a renoncé à son droit sur le bail, le contrat de location ayant été exécuté par sa mère qui s'est acquittée seule du loyer ;
Mais attendu que la renonciation au bénéfice du droit au bail ne se présume pas ; qu'elle ne peut résulter que d'actes établissant une volonté non équivoque de renoncer à ce droit;
Attendu en l'espèce que le règlement du loyer par Mme P... S... ne démontre pas à lui seul que Mme H... S... ait renoncé à se prévaloir du droit au bail ;
Que le moyen n'est donc pas fondé ;
Attendu que la demande de la SCI TRIDOUBEC tendant à voir dire que Mme P... S... est sans droit ni titre sur le logement n'est pas fondée,
Attendu que si Mme U... D... ne justifie pas être titulaire à titre personnel d'un droit au bail ou au maintien dans les lieux sur le logement concerné, aucune disposition légale ne peut empêcher Mme H... S... d'héberger un parent proche en l'occurrence sa soeur ;
Que les demandes tendant à voir dire que Mme H... S... et Mme U... D... occupent sans droit le logement concerné ne sont donc pas fondées ; qu'il en est de même en conséquence des demandes d'expulsion et de paiement d'une indemnité d'occupation;
Sur les autres demandes
Attendu que l'équité ne commande pas l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure de première instance et l'instance d'appel ;
Attendu qu'en application de l'article 696 du Code de procédure civile les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la SCI TRIDOUBEC, le jugement déféré étant infirmé en ses dispositions relatives aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Déboute les appelantes de leur demande de révocation de l'ordonnance de clôture et de réouverture des débats,
Infirme le jugement déféré,
Statuant de nouveau, et ajoutant au jugement déféré,
Déclare la SCI TRIDOUBEC mal fondée en ses demandes,
L'en déboute,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile pour la première instance et pour la procédure d'appel,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif,
Condamne la SCI TRIDOUBEC aux dépens de première instance et d'appel .
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT