Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 9
ARRÊT DU 21 MARS 2019
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/04935 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5HBN
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 février 2018 - Tribunal paritaire des baux ruraux de FONTAINEBLEAU - RG n° 51-17-000001
APPELANTE
Madame [P], [M], [E] [O] épouse [V]
née le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
COMPARANTE EN PERSONNE
Assistée de Me Denis EVRARD de CABINET EVRARD - BRENNUS AVOCATS, avocat au barreau de SENS
INTIMÉE
Madame [N] [E] veuve [O]
née le [Date naissance 2] 1944 à [Localité 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
COMPARANTE EN PERSONNE
Assistée de Me Caroline VARLET-ANGOVE de la SCP LACHAUD MANDEVILLE COUTADEUR & Associés - DROUOT AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : W06
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 janvier 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Fabienne TROUILLER, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Philippe DAVID, président
Mme Fabienne TROUILLER, conseiller
Mme Agnès BISCH, conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Camille LEPAGE
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Philippe DAVID, Président et par Mme Camille LEPAGE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par acte authentique du 1er mars 2002, M. [B] [O], Mme [O] [S] épouse [O], Mme [N] [E] veuve [S] [O], M. [X] [O] et Mme [Z] [O] ont donné à bail rural à Mme [P] [O] épouse [V], des parcelles de terres sises sur les communes d'[Localité 3] et [Localité 4] pour une durée de dix-huit ans, à compter du 1er novembre 2000 et jusqu'au 31 octobre 2018.
Le 6 janvier 1990, M. [B] [O] et Mme [O] [S] épouse [O] ont consenti une donation-partage entre leurs trois enfants': M. [S] [O], M. [A] [O] et Mme [P] [O].
M. [S] [O] s'est vu attribuer la nue-propriété des terres agricoles objet du bail rural en date du 1er mars 2002.
Suivant acte sous-seing privé du 1er avril 2009, Mme [P] [V] a créé une exploitation agricole à responsabilité limitée dénommée TERTRE DOUX.
[B] [O] et [O] [O] sont décédés respectivement le [Date décès 1] 2008 et le [Date décès 2] 2013.
Par acte sous seing privé du 31 mai 2012, Mme [P] [O] épouse [V] a arrêté son activité et cédé la totalité de ses parts sociales détenues dans l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) à ses fils qui ont transformé l'exploitation en société civile d'exploitation agricole (SCEA).
Le 13 décembre 2016, Mme [E] a assigné Mme [P] [V] devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Fontainebleau aux fins de tentative de conciliation et, à défaut, aux fins d'obtenir la résiliation judiciaire du bail sur le fondement de l'article L. 411-35 du code rural.
Par jugement contradictoire en date du 13 février 2018, le tribunal paritaire des baux ruraux de Fontainebleau'a :
- déclaré nulle et de nul effet la cession du bail rural du 1er mars 2002 réalisée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 411-35 du code rural, le 31 mai 2012 lors du retrait de Mme [P] [V],
- ordonné l'expulsion de Mme [P] [V] ainsi que celle de tous occupants de son chef, des lieux loués, dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement,
- débouté les parties de toute autre demande,
- condamné Mme [P] [V] au paiement à Mme [N] [E] de la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La juridiction a retenu que le changement d'exploitant des terres louées intervenu le 31 mai 2012 accompagné de la cession d'activité de Mme [P] [V] constituait, en droit, une cession de bail devant être soumise à l'accord préalable du bailleur, que par courrier du 15 mars 2012, Mme [O] [O], en sa qualité de seule usufruitière, a donné son autorisation à la cession du bail rural du 1er mars 2002 au profit de la société TERTRE DOUX, et ce jusqu'à son terme mais que cette cession était prohibée en dépit de cette autorisation puisqu'elle n'avait pas été consentie au profit de l'un des proches limitativement déterminés par l'article L. 411-35 du code rural puisque le bail rural avait en effet été cédé à la société TERTRE DOUX et non aux descendants de la preneuse.
Par déclaration en date du 2 mars 2018, Mme [P] [V] a interjeté appel de ce jugement.
L'affaire a été examinée à l'audience du 30 janvier 2019 à laquelle étaient présents les parties, le conseil de l'appelante ainsi que le conseil de l'intimée.
Le conseil de Mme [P] [V] a soutenu oralement à l'audience les conclusions visées par le greffier. Il demande l'infirmation du jugement et sollicite le débouté de l'ensemble des demandes adverses et la condamnation de Mme [E] au paiement d'une indemnité de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel et aux entiers dépens.
Il fait valoir que Mme [O] [O] était en droit, en sa qualité de seule et unique usufruitière, d'autoriser la cession du bail rural au profit de la société TERTRE DOUX dont la seule et unique associée n'était autre que sa fille, Mme [P] [V], titulaire du bail, peu importe que l'actionnariat de la société TERTRE DOUX ait été modifié le 31 mai 2012, que s'agissant d'une affaire de famille, Mme [E] était parfaitement informée de la situation et de la création de l'EARL, que son intention est de vendre les terres alors que ses ex-beaux parents avaient manifesté leur volonté que ces terres restent dans la famille, que la demande d'expulsion de l'EARL non partie au procès est irrecevable.
Le conseil de Mme [N] [E] a soutenu oralement à l'audience les conclusions visées par le greffier. Il réclame la confirmation du jugement, outre le prononcé de la résiliation du bail consenti le 1er mars 2002 et la condamnation de l'appelante au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Il fait valoir qu'elle a appris fin 2015 que la preneuse avait cédé la totalité de ses parts sociales dans l'EARL TERTRE DOUX à ses trois fils, que cet EARL a été transformée en SCEA qui exploite les terres objet du bail, qu'elle a tenté d'obtenir une résiliation amiable du bail en présence de cette cession illicite, que contrairement à ce qui est soutenu, Mme [O] [O] ne pouvait autoriser la cession du bail hors cadre familial, qu'une cession au profit d'une personne morale est absolument prohibée, qu'il importe peu que la SCEA soit constituée des descendants de Mme [O] et que cette modification ait été faite avec le concours du CER France.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
Sur ce, les parties ont été avisées de ce que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 21 mars 2019.
SUR CE,
Sur la demande de résiliation du bail
En application de l'article L. 411-31 II 1° du code rural, le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie d'une contravention aux dispositions de l'article L. 411-35.
Aux termes de l'article L. 411-35 du code rural, toute cession de bail est interdite sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit des descendants du preneur ayant atteint l'âge de la majorité. A défaut d'agrément du bailleur, la cession peut être autorisée par le tribunal paritaire.
En autorisant ces cessions familiales, le législateur donne une dimension familiale au statut des baux ruraux, en correspondance avec la volonté de soutenir une exploitation moyenne et de faciliter la transmission des exploitations.
En l'espèce, il ressort de pièces produites que par acte notarié du 6 janvier 1990, les époux [O] ont consenti une donation-partage à leurs trois enfants ([S], [A] et [P] [O]), que le lot n°2 attribué à [S] [O] en nue-propriété comprenait les parcelles objet du bail initial du 1er mars 2002 conclu au profit de Mme [P] [O] épouse [V], que les donateurs se sont réservés l'usufruit des terres, que le 1er avril 2009, la preneuse a créé, suivant acte sous seing privé du 1er avril 2009, l'Exploitation Agricole à Responsabilité Limitée (EARL) dénommée TERTRE DOUX, que par acte sous seing privé du 31 mai 2012, Mme [P] [V] a arrêté son activité et a cédé la totalité de ses parts sociales détenues dans l'EARL à ses fils (MM [H], [I] et [V] [I]) qui ont ensuite transformé l'EARL en SCEA TERTRE DOUX.
Il n'est pas contesté qu'après les décès successifs de M. [S] [O] en 2001 et des donateurs, en 2008 et en 2013, Mme [N] [E] veuve [O] est désormais, depuis le [Date décès 2] 2013, seule usufruitière des biens loués mais ne l'était pas lors de la conclusion du contrat de bail.
Par courrier du 15 mars 2012, Mme [O] [O] a, en sa qualité de seule usufuitière donné son autorisation à la cession du bail rural au profit de la SCEA TERTRE DOUX, et ce jusqu'à son terme.
Par courrier du 3 juillet 2012, MM [H] et [I] [I] ont informé leur grand-mère et bailleresse du départ à la retraite de leur mère, de sa démission de la gérance et de leur nomination en tant que co-gérants au sein de la SCEA issue de la transformation de l'EARL.
Comme l'a justement relevé le premier juge, le changement d'exploitant des terres louées intervenu le 31 mai 2012 accompagné de la cessation d'activité de Mme [P] [V] constitue en droit, une cession de bail devant être soumise à l'accord préalable du bailleur.
Mme [E] soutient que cette cession est nulle car contraire à l'article L. 411-35 et aux dispositions contractuelles qui prohibent toute cession hors du cadre familial précisé, qu'elle ait été ou non autorisée par le bailleur, qu'une personne morale n'est ni le conjoint, ni le descendant du preneur et qu'il importe peu que la SCEA soit constituée des descendants de la preneuse puisque la cession n'a pas été consentie à ceux-ci mais à la société qui n'a aucun lien de parenté avec Mme [O].
Mme [P] [V] soutient quant à elle qu'il importe peu que l'actionnariat de l'EARL TERTRE DOUX ait été modifié le 31 mai 2012 alors qu'elle a cédé ses parts à ses trois enfants issus de sa première union avec M. [I] et que Mme [E] était parfaitement informée de la situation et de ces opérations qui ont été conduites en toute transparence et dans la légalité.
Il ressort des statuts de la SCEA TERTRE DOUX que la cession de parts sociales intervenue le 31 mai 2012 n'a apporté aucune modification aux statuts de l'EARL, que la transformation n'entraîne pas de novation, qu'elle est faite sans apport de fonds ni modification du capital social.
Par ailleurs, les dispositions contractuelles du contrat litigieux prévoient, avec l'autorisation préalable du bailleur, la possibilité de faire apport de son droit au bail à toute SCEA ou à tout groupement de propriétaires ou d'exploitants.
Ainsi contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, il y a lieu de considérer que la cession a été faite au profit des descendants de la preneuse qui ont fait le choix de s'associer sous la forme juridique d'une EARL puis d'une SCEA, ce que n'exclut pas l'article L. 411-35.
Mme [O] avait toute légitimité pour autoriser seule la cession au profit des trois enfants de la preneuse, ce qu'elle a fait expressément dans son courrier du 15 mars.
Rien n'établit une fraude ni même une absence de bonne foi et Mme [V] justifie avoir informé et sollicité l'accord de sa bailleresse, régulièrement et de façon transparente.
De surcroît, les statuts de la SCEA prévoient que cette société a pour objet l'exploitation et la gestion des biens agricoles et généralement l'exercice d'activités réputées agricoles, ce qui est conforme à l'objet du contrat de bail rural qui prévoit une mise à disposition à titre onéreux d'immeubles à usage agricole en vue de leur exploitation pour une longue durée.
Le jugement sera en conséquence infirmé en toutes ses dispositions et il ne sera pas fait droit à la demande de résiliation du bail rural et aux demandes subséquentes.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Mme [N] [E], qui succombe, supportera la charge de ses frais et des entiers dépens de première instance et d'appel.
Il n'apparaît pas inéquitable d'octroyer à Mme [P] [O] épouse [V] une somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant après débats en audience publique, par arrêt rendu contradictoirement en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
- Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant de nouveau,
- Dit n'y avoir lieu à annulation de la cession du bail rural effectuée le 31 mai 2012 par Mme [P] [O] épouse [V] en faveur de ses trois fils, MM [H], [I] et [V] [I],
- Déboute Mme [N] [E] veuve [O] de sa demande de résiliation du contrat de bail et de ses demandes subséquentes,
Y ajoutant,
- Condamne Mme [N] [E] veuve [O] à payer à Mme [P] [O] épouse [V] une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne Mme [N] [E] veuve [O] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le greffierLe président