Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 4
ARRET DU 20 MARS 2019
(n° , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 16/11639 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZTOI
Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Janvier 2016 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 15/01436
APPELANT
Monsieur [T] [A]
Chez [K] [M] [Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Olivier BONGRAND, avocat au barreau de PARIS, toque : K0136
INTIMÉE
Société AMG SECURITE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Sébastien CAP, avocat au barreau de PARIS, toque : D1460
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Janvier 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marianne FEBVRE-MOCAER, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
M. Bruno BLANC, président
Mme Marianne FEBVRE-MOCAER, conseillère
M. Olivier MANSION, conseiller
Greffière, lors des débats : Mme Clémentine VANHEE
Présence lors des débats de Mme Julie BOURLON, avocate stagiaire
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, prorogé à ce jour
- signé par M. Bruno BLANC, Président et par Mme Clémentine VANHEE, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [T] [Q] [A], né le [Date naissance 1] 1974, a été engagé le 1er août 2008 par la société AMG Sécurité en qualité d'agent de sécurité confirmé.
La relation de travail était soumise à la convention collective des entreprises de prévention et de sécurité. L'entreprise employait habituellement au moins onze salariés.
Le salarié a été promu chef d'équipe le 29 mars 2010 et, au cours des trois derniers mois travaillés, il percevait une rémunération mensuelle brute de 2.926,33 € (moyenne des trois derniers mois intégralement travaillés).
M. [Q] [A] a en effet bénéficié d'un arrêt pour cause de maladie du 6 février au 15 mars 2015. Puis, par lettre du 2 avril 2015, il a été convoqué à un entretien préalable à éventuel licenciement fixé au 21 avril suivant. Parallèlement, il a reçu une convocation le 2 avril 2015 pour une visite médicale de reprise fixée au 23, tandis que, par lettre du 12 mai 2015, il a été licencié pour faute grave en raison :
- d'absences injustifiées du 16 au 31 mars 2015,
- d'un retard lors de ses prises de poste,
- d'un non-respect de la réglementation relative à l'interdiction de fumer sur le site, de l'absence de port de la tenue réglementaire et d'un comportement irrespectueux à l'égard de ses collègues de travail affectés sur le théâtre de la Gaîté Lyrique.
Le 4 février 2015, le salarié avait déjà saisi le conseil des prud'hommes de Paris pour solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Après son licenciement, M. [Q] [A] a maintenu cette demande et a contesté son licenciement, réclamant le paiement des indemnités liées à la rupture ainsi que de rappels de salaires, d'heures supplémentaires et d'une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
La cour statue sur l'appel formé par M. [Q] [A] le 16 septembre 2016 à l'encontre du jugement en date du 20 janvier 2016, qui l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens, tout en rejetant la demande reconventionnelle de la société AMG Sécurité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les conclusions en date 15 septembre 2017 par lesquelles M. [Q] [A] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de :
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société AMG Sécurité,
- condamner celle-ci à lui payer les sommes suivantes:
* 40.000 € au titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 4.560 € à titre d'indemnité de préavis outre 456 € à titre de congés payés afférents,
* 3.173 € à titre d'indemnité de licenciement,
* 413,55 € au titre du salaire du 2 au 5 février 2015, outre 41,35 € de congés payés afférents,
* 1.140 € à titre de rappels de salaires du 16 au 31 mars 2015, outre 114 € à titre de congés payés afférents,
* 4.106 € à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre 410 € à titre de congés payés afférents,
* 13.680 € à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,
* 4.500 € au titre des frais de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner l'employeur aux entiers dépens, dont distraction au profit de la société OBP Avocats par application de l'article 699 du code de procédure civile,
Vu les conclusions de la société AMG Sécurité en date du 12 juillet 2017, aux fins de voir confirmer le jugement, déclarer M. [Q] [A] mal fondé en ses prétentions et de le condamner au paiement d'une indemnité de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites susvisées.
A l'issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue le 13 mars 2019 par mise à disposition au greffe, prorogée à ce jour.
SUR CE :
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail :
Le salarié peut demander au conseil de prud'hommes la résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas de manquement grave de l'employeur à ses obligations empêchant la poursuite de ce contrat.
Lorsqu'il est saisi d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail par un salarié ultérieurement licencié, le juge doit d'abord vérifier si les faits invoqués par le salarié à l'encontre de l'employeur sont établis et, dans l'affirmative, si ces manquements présentent une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat aux torts de l'employeur.
Pour apprécier la matérialité et la gravité des manquements dénoncés par le salarié, le juge ne doit pas se placer au jour où la demande a été formée mais au jour de sa décision : il est donc en droit de tenir compte de toutes les circonstances de la cause intervenues jusqu'au jour de sa décision. S'il estime que les faits reprochés à l'employeur sont suffisamment graves pour justifier la résiliation sollicitée, le licenciement notifié au salarié après l'introduction de sa demande est privé d'effet. Quant à la résiliation judiciaire, elle produit ses effets à la date de l'envoi de la lettre de licenciement et non à la date du prononcé de la décision comme cela est en principe le cas lorsque le salarié est toujours présent dans l'entreprise à la date du prononcé de la décision. La résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur a les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En l'espèce, M. [Q] [A] reproche à la société AMG Sécurité de l'avoir rétrogradé du poste de chef d'équipe à celui d'agent de sécurité, de lui avoir imposé de passer d'un horaire de jour à un horaire de nuit et d'avoir omis de lui payer son salaire pour les périodes du 2 au 5 février et du 16 au 31 mars 2015, ainsi qu'un rappel d'heures supplémentaires.
Il ressort des pièces versées aux débats que, suite à la réception d'un planning mentionnant qu'il était affecté, en février 2015, au site [Localité 1] sur un poste d'agent de sécurité en horaires de nuit, le salarié s'en est étonné auprès de son employeur dans un courrier daté du 22 janvier 2015, qu'il a néanmoins pris son poste le 2 février suivant avant d'adresser un nouveau courrier le 3 février pour indiquer qu'il contestait toujours cette affectation.
Or, la société AMG Sécurité a attendu le 23 février 2015 pour lui préciser que l'intitulé de son poste relevait d'une erreur de saisie informatique.
Par ailleurs, elle lui a indiqué, dans ce courrier, qu'elle ne pouvait pas lui imposer de travailler en horaires de nuit. Elle lui a alors notifié qu'il était affecté à compter du 2 mars 2015 sur le site de la Gaîté Lyrique selon des horaires de jour. Toutefois, le planning qu'elle affirme avoir joint à ce courrier - ce que le salarié a contesté dans un nouveau courrier daté du 25 mars 2015 - ne précise aucun intitulé du poste. De même, le 23 mars 2015, la société a adressé à M. [Q] [A] un nouveau planning - pour le mois d'avril 2015 - annulant et remplaçant le précédent envoi, qui ne comportait pas davantage d'intitulé de poste. Enfin, les horaires de travail qu'elle lui imposaient correspondaient à ceux d'un agent de sécurité ou d'un adjoint SSIAP1 et non à ceux des autres chefs de poste.
Par ailleurs, M. [Q] [A] fait à juste titre grief à la société AMG Sécurité une retenue sur salaire pour la période du 2 au 5 février 2015 alors que l'employeur avait reconnu l'avoir à tort affecté sur un poste d'agent de sécurité avec des horaires de nuit, ainsi que pour la période du 16 au 31 mars 2015 alors que, d'une part, il existait une difficulté sur la nouvelle affectation du salarié et, de l'autre, il n'avait toujours pas été convoqué à une visite médicale de reprise. En effet, ce n'est que le 2 avril 2015 que la société AMG Sécurité a adressé à M. [Q] [A] une convocation, pour le 23 avril suivant, au service de santé au travail.
Dans ce contexte, il convient d'infirmer le jugement entrepris et de faire droit à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur.
Compte tenu du fait que le salarié a été licencié après avoir saisi le conseil des prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire, il n'y a pas lieu d'examiner le bien fondé de cette décision. En revanche, il convient de faire remonter les effets de la rupture à la date de la notification du licenciement, soit le 12 mai 2015.
S'agissant du préjudice résultant de la perte de l'emploi, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée, de l'âge de M. [Q] [A], de son ancienneté dans l'entreprise, de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard tel que cela résulte des pièces communiquées et des explications fournies à la cour, la société AMG Sécurité sera condamnée à lui verser la somme de 30.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre les indemnités de préavis et de licenciement ainsi qu'il est précisé au dispositif. Ces dernières ne font en effet l'objet d'aucune contestation quant aux montants réclamés.
Sur les rappels de salaires
La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
En l'espèce et au vu de ce qui précède, M. [Q] [A] est légitime à réclamer le paiement de rappels de salaire suite aux retenues dont il a injustement fait l'objet pour les période du 2 au 5 février 2015 et 16 au 31 mars 2015, durant lesquels il était à la disposition de la société AMG Sécurité pour exercer ses attributions de chef de poste, selon des horaires de jour.
Le jugement sera donc également infirmé en ce qu'il a rejeté ses prétentions à ce titre.
Sur les heures supplémentaires et le travail dissimulé
En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Il appartient toutefois au salarié demandeur de fournir préalablement au juge les éléments de nature à étayer ses prétentions.
Le salarié demandeur doit donc produire des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié compte tenu, notamment, des dispositions des articles D. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail qui lui imposent d'afficher l'horaire collectif de travail ou, à défaut, de décompter la durée de chaque salarié par un enregistrement quotidien et l'établissement d'un récapitulatif hebdomadaire.
Par ailleurs, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L.8221-5 du code du travail - notamment en mentionnant sciemment sur le bulletin de salaire un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli - a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire en cas de rupture de la relation de travail quel qu'en soit le mode.
Le paiement de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé n'est pas subordonné à l'existence d'une décision pénale déclarant l'employeur coupable. En revanche, le travail dissimulé doit être caractérisé dans ses éléments matériel et intentionnel, ce dernier ne pouvant se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie.
En l'espèce, M. [Q] [A] soutient avoir effectué des heures supplémentaires non rémunérées, à hauteur de 245, pour l'année 2014 et 17 pour l'année 2015. Il produit un tableau mentionnant, pour chaque jour de la semaine, les horaires de travail accomplis, et pour chaque semaine, le nombre d'heures réalisées, et - sans y faire la moindre référence dans ses conclusions - il réclame le paiement d'une somme de à 4106 € titre de rappel outre 410 € au titre des congés payés afférents. Il ajoute qu'il est manifeste qu'en se dispensant de rémunérer les heures supplémentaires dont il réclame le paiement, la société AMG Sécurité a intentionnellement dissimulé une partie de son activité.
Cette dernière objecte qu'au regard du régime d'annualisation du temps de travail applicable au sein de l'entreprise, en vertu d'un accord en date du 19 décembre 2012, le décompte effectué par le salarié est erroné. Elle souligne notamment qu'il prétendait avoir effectué 196,66 heures supplémentaires en 2014 devant le conseil des prud'hommes tandis qu'il affirme désormais que le chiffre est de 245 heures supplémentaires. Sur le travail dissimulé, elle fait également valoir, outre le fait que le salarié n'a pas effectué d'heures supplémentaires non rémunérées, que le caractère intentionnel de la minoration des heures de travail n'est pas prouvé.
Force est de constater que le décompte proposé par le salarié ne correspond pas à l'application de l'article 7.1 de l'accord relatif à l'aménagement du temps de travail en vigueur dans l'entreprise. Cet accord d'entreprise, qui a pour objectif de mettre en place une annualisation du temps de travail, prévoit en effet que "sont des heures supplémentaires :
- les heures effectuées au-delà de la limite hebdomadaire haute fixée conventionnellement à 48 heures ;
- les heures effectuées au cours de l'année au-delà de 1607 heures déduction faite, le cas échéant, des heures supplémentaires effectuées au-delà de limite hebdomadaire haute mentionnée ci-dessus et déjà comptabilisées. Ce seuil est majoré proportionnellement pour les salariés n'ayant pas acquis la totalité des congés légaux".
En effet, le salarié ne pouvait prendre comme base d'heures supplémentaires, une semaine de trente cinq heures, sans opérer la compensation prévue par l'accord. Par ailleurs, il a décompté les jours de congés payés comme étant des jours de travail effectif auxquels il a attribué un nombre d'heures théoriques alors que le dispositif d'annulation en vigueur oblige à ne prendre en considération que les heures de travail effectuées.
C'est donc à bon droit qu'après avoir rappelé les dispositions de l'article L.3122-2 du code du travail autorisant la définition des modalités d'aménagement du temps de travail et l'organisation de la répartition de la durée du travail sur une période supérieure à la semaine par voie d'accord collectif d'entreprise, le conseil des prud'hommes a rejeté les prétentions du salarié au titre des heures supplémentaires.
Il convient également de confirmer le jugement qui l'a débouté de sa demande indemnitaire au titre du travail dissimulé, exclusivement fondée sur l'existence de ces heures supplémentaires.
Sur les autres demandes :
Il serait inéquitable que M. [Q] [A] - dont les prétentions sont en partie accueillies - supporte l'intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que la société AMG Sécurité qui succombe doit en être déboutée.
L'employeur sera condamné aux entiers dépens mais il convient de rejeter la demande du salarié au titre de l'article 699 du code de procédure civile, lequel n'est pas applicable devant la cour statuant en matière prud'homale. La postulation n'y est pas en effet obligatoire.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement contradictoirement :
Déclare l'appel recevable ;
Confirme le jugement rendu le 20 janvier 2016 par le conseil des prud'hommes de Paris, mais seulement en ses dispositions relatives aux heures supplémentaires et au travail dissimulé ;
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [Q] [A] aux torts de la société AMG Sécurité ;
Dit que la résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse à compter du 12 mai 2015 ;
Condamne la société AMG Sécurité à payer à M. [Q] [A] les sommes suivantes :
- 30.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, somme nette de tous prélèvements sociaux,
- 4.560 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, en brut,
- 456 € au titre des congés payés afférents, en brut,
- 3.173 € à titre d'indemnité de licenciement,
- 413,55 € au titre du salaire du 2 au 5 février 2015, en brut,
- 41,35 € de congés payés afférents, en brut,
- 1.140 € à titre de rappels de salaires du 16 au 31 mars 2015, en brut,
- 114 € à titre de congés payés afférents, en brut,
Déboute les parties de toute autre demande, plus ample ou contraire ;
Condamne la société AMG Sécurité aux entiers dépens de première instance et d'appel, et à payer à M. [Q] [A] la somme de 2.500 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT