Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 3
ARRÊT DU 18 MARS 2019
(n° 2019/ , 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/11185 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3OVS
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Mai 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 15/13436
APPELANT
Monsieur [S] [S]
Voie de l'Air Pur 71 - Boîte 4
[Adresse 1])
né le [Date naissance 1] 1973
Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assisté de Me Sophie PORTAILLER avocat plaidant du cabinet André PORTAILLER avocat au barreau de PARIS toque : C111
INTIMÉES
SA GMF ASSURANCES
[Adresse 2]
[Adresse 3]
N° SIRET : 398 97 2 9 01
Représentée par Me Alain BARBIER de la SELARL BARBIER ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : J042
Assistée de Me Blanche SZTUREMSKI, SCP BECKER SZTUREMSKI VAUTHIER KLEIN-DESSERRE, AARPI LORRAINE AVOCATS, avocat au barreau de METZ
CAISSE NATIONALE DE SANTE DU LUXEMBOURG, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Adresse 5])
Défaillante
ASSOCIATION D'ASSURANCE ACCIDENT organisme social luxembourgeois, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
2976 (LUXEMBOURG)
Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111
Assistée de Me Alexis SOBIERAT avocat plaidant, de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Janvier 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Mme Clarisse GRILLON, Conseillère
Mme Agnès BISCH, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Zahra BENTOUILA
ARRÊT : Réputé contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente et par Laure POUPET, Greffière présente lors du prononcé.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Le 16 juin 2014, M. [S] [S], né le [Date naissance 1] 1973 et alors âgé de 41 ans, a été victime d'un accident corporel de la circulation (accident de trajet) dans lequel a été impliqué un véhicule terrestre à moteur conduit par M. [N] [A] et assuré auprès de la société Garantie Mutuelle des Fonctionnaires (GMF).
Suivant ordonnance du 23 juin 2015, le juge des référés a rejeté la demande d'expertise technique concernant les circonstances de l'accident mais a ordonné une mesure d'expertise médicale, laquelle n'a pas eu lieu, faute de consignation.
Par jugement du 16 mai 2017 (instance n° 15/13436), le tribunal de grande instance de Paris a :
dit que le véhicule conduit par M. [A] et assuré auprès de la GMF est impliqué dans la survenance de l'accident du 16 juin 2014,
dit que les fautes commises par M. [S] [S] réduisent de moitié son droit à indemnisation,
ordonné une expertise médicale de M. [S] [S],
rejeté la demande de provision,
réservé les demandes de l'Association d'assurances contre les accidents,
condamné la société GMF aux dépens de la présente instance,
condamné la société GMF à verser à M. [S] [S] une indemnité de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
ordonné l'exécution provisoire du jugement,
rejeté le surplus des demandes,
déclaré le jugement commun à la Caisse Nationale de Santé.
M. [S] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 7 juin 2017.
Selon ordonnance en date du 4 janvier 2018, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de provision de M. [S], au motif qu'elle se heurtait à une contestation sérieuse en l'absence de chiffrage par la victime de son préjudice et de la détermination des postes de préjudices concernés par la rente versée par son organisme social.
Le docteur [P] a clos son rapport le 28 janvier 2018.
Selon dernières conclusions notifiées le 3 janvier 2019, M. [S] [S] demande à la cour de :
dire l'appel incident de la GMF irrecevable en application de la règle de l'estoppel,
En tout état de cause,
dire l'appel incident de la GMF mal fondé,
rejeter l'ensemble des demandes fins et conclusions de la GMF,
infirmer le jugement du 16 mai 2017 à l'exception des dispositions concernant la mesure d'expertise médicale ordonnée et concernant l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,
dire et juger que son droit à indemnisation est total et condamner en conséquence la GMF à réparer l'entier préjudice subi par celui-ci,
condamner la GMF à lui payer une indemnité provisionnelle complémentaire d'un montant de 150 000 €, outre la somme de 4 500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en sus de l'indemnité allouée en première instance au même titre,
condamner la GMF aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Me Jeanne Baechlin, avocat aux offres de droit.
Selon dernières conclusions notifiées le 23 novembre 2018, la GMF, formant appel incident, demande à la cour de :
confirmer la décision des premiers juges en ce qui concerne :
- la mesure d'expertise médicale ordonnée et l'avance des frais s'y rapportant,
- la réserve des demandes de l'Association d'assurances accident et le rejet de sa demande provisionnelle,
- la limitation du droit à indemnisation de M. [S], en son principe,
- le rejet de la demande de provision de M. [S],
infirmer le jugement en ce qui concerne le quantum de la limitation retenu,
dire que le droit à indemnisation de M. [S] sera limité à un quart de son préjudice,
En toute hypothèse,
débouter M. [S] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,
débouter M. [S] de sa demande d'indemnité provisionnelle et d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner M. [S] à payer à la GMF une indemnité de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner M. [S] en tous les frais et dépens,
Subsidiairement,
confirmer la décision des premiers juges en ce qui concerne le quantum de limitation à concurrence de 50 % et ses autres dispositions,
condamner M. [S] à payer à la GMF une indemnité de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner M. [S] en tous les frais et dépens,
débouter l'Association d'assurance accident de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Selon dernières conclusions notifiées le 26 décembre 2018, l'Association d'assurances accident, organisme social luxembourgeois, demande à la cour de :
lui donner acte de ce que, dans la mesure où ses droits ont été réservés par le jugement de première instance et où le point essentiel du litige soumis à la cour est l'absence de faute imputable à M. [S] dont le droit à indemnisation doit être déclaré entier, elle renonce en l'état à sa demande de provision et se réserve effectivement de formuler ses demandes d'indemnisation au fond dans le cadre de la liquidation du préjudice de M. [S],
dire et juger que M. [S] n'a pas commis de faute de conduite de nature à réduire de moitié son droit à indemnisation,
dire et juger que le droit à indemnisation de M. [S] est total,
condamner en conséquence la société GMF à réparer l'entier préjudice subi par celui-ci,
renvoyer, pour le surplus, l'affaire devant le tribunal de première instance afin que les préjudices soient liquidés,
condamner la société GMF à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner la société GMF aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
La Caisse Nationale de Santé du Luxembourg à laquelle la déclaration d'appel et les conclusions de l'appelant ont été signifiées les 19 juillet et 7 novembre 2017, n'a pas constitué avocat mais a indiqué le 1er décembre 2017 que, s'agissant d'un accident de trajet/travail reconnu par l'Association d'assurance accident, elle n'interviendrait pas dans la procédure.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 28 janvier 2019.
MOTIFS DE L'ARRÊT
1. Sur le droit à indemnisation de la victime :
Le tribunal a retenu trois fautes de conduite à l'encontre de M. [S] :
- le dépassement par la droite d'un véhicule (prévu et réprimé par l'article R.414-6 du code de la route),
- le non-respect des distances de sécurité (R.412-12 du code de la route),
- le défaut de maîtrise de son véhicule (R.413-17 du code de la route).
Il a estimé que ces fautes de conduite étaient en lien de causalité directe avec l'accident et de nature à réduire de moitié le droit à indemnisation de la victime.
M. [S] reproche aux premiers juges de s'être fondés notamment sur la synthèse des procès-verbaux d'enquête et sur l'appréciation de sa vitesse par un témoin, qu'il juge subjectives et non sur les éléments objectifs et matériels relevés sur les lieux de l'accident et notamment les photographies prises.
Il fait valoir que :
- M. [A] reconnaît avoir changé de file, profitant de la libération de la file de droite pour s'y engager,
- le choc entre les véhicules s'est produit dans le couloir de circulation de droite, ainsi qu'il ressort des photographies prises juste après l'accident par un témoin, des débris laissés sur la voie et de la déclaration même de M. [A],
- le rapport d'accidentologie effectué amiablement par M. [N] à sa demande démontre que le véhicule automobile, qui était auparavant à l'arrêt, a la moitié de son avant droit engagée sur la voie de droite au moment du choc ce qui confirme que celui-ci a bien eu lieu sur la voie de droite,
- ce rapport bien que non contradictoire est corroboré par les éléments matériels contenus dans l'enquête pénale,
- au moment de l'accident, il ne pratiquait plus la circulation inter-files, s'étant rabattu sur la voie de droite où la circulation avait repris,
- le témoin M. [K] parle de sa circulation inter-files quelques minutes auparavant et n'a pas vu l'accident,
- la GMF ne rapporte pas la preuve que la remontée de files qu'il opérait en raison du caractère saturé de la circulation s'est avérée une manoeuvre dangereuse non respectueuse des règles de sécurité communes à toutes les manoeuvres de dépassement et qu'elle est à l'origine totale ou partielle de l'accident,
- la circulation inter-files n'est pas une contravention au code de la route et ne présume pas l'existence d'une faute,
- un décret du 23 décembre 2015 porte expérimentation de cette pratique dans plusieurs départements,
- la manoeuvre opérée par M. [A] impliquait également un dépassement sur la droite de sa part,
- il ne devait respecter les distances de sécurité qu'avec les véhicules qui se trouvaient devant et derrière lui et non avec le véhicule qui est venu le percuter parce qu'il changeait de file,
- le défaut de maîtrise n'est aucunement prouvé,
- l'expert qu'il a mandaté a démontré que sa vitesse se situait entre 21 et 24 km/h,
- l'expert mandaté par la société GMF a fait une erreur grossière d'appréciation de cette vitesse mais ses conclusions ne sont pas, pour le surplus, opposées à celle de M. [N],
- le fait que le choc soit latéral a peu d'incidence sur la vitesse des véhicules, le phénomène de friction ayant justement peu d'effet sur le ralentissement des véhicules,
- aucun élément matériel ne permet de démontrer que la motocyclette a freiné,
- l'appréciation de sa vitesse à 50 km/h par un témoin tardif, M. [F], est totalement subjective.
Il demande à la cour de reconnaître son droit à indemnisation intégrale et, subsidiairement, de confirmer le jugement en ce qu'il l'a réduit de moitié.
A ce titre, il soutient que l'appel incident de la GMF tendant à voir son droit à indemnisation réduit des 3/4 est irrecevable en application de la règle de l'estoppel, au motif qu'elle avait établi le 3 novembre 2014 une quittance provisionnelle faisant étant d'une réduction de moitié et qu'il n'existe aucun élément nouveau depuis cette date.
L'Association d'assurance accident reprend l'argumentation de la GMF et y ajoute que, quand bien même M. [S] aurait-il circulé entre les files au moment de l'accident et devait-il être considéré que cette action serait constitutive d'une faute de conduite, la GMF ne démontre pas que cette faute aurait joué un rôle causal dans l'accident.
La GMF répond que :
- le comportement du conducteur du véhicule impliqué est indifférent, seul le comportement de M. [S], tel qu'il résulte des éléments objectifs de l'enquête pénale, peut être pris en compte dans l'appréciation de sa faute,
- il résulte des constats objectifs et des témoignages qui ont pu être recueillis par les enquêteurs que M. [S] doublait au moment de l'accident entre les deux files,
- le simple fait qu'il ait pu circuler à 50 km/h alors que les autres véhicules étaient tous arrêtés, suffit à établir qu'il circulait bien entre les deux files comme le rapporte M. [F] qui a été le témoin direct de l'accident puisqu'il se trouvait juste derrière le véhicule [A],
- cette analyse est confirmée par le second témoin, M. [K],
- le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu que ce dépassement était dangereux,
- la conduite inter-files est une pratique pénalement sanctionnée, sur le fondement des articles du code de la route suivants : l'article R.414-6 qui interdit le dépassement par la droite, l'article R.412-12 qui impose le respect de distances de sécurité entre un véhicule et celui qui le précède (la conduite inter-files correspondant toujours à un irrespect des distances de sécurité) et l'article R.412-9 qui impose le maintien du véhicule sur le bord droit de la chaussée,
- si le décret visé par M. [S] a provisoirement autorisé cette pratique à titre expérimental, dans certains départements et sous certaines conditions, c'est bien qu'a contrario, elle est par principe interdite,
- moins d'un mois avant la date de clôture initialement fixée, M. [S] a cru devoir produire un rapport d'expertise en accidentologie qui doit être écarté, celle-ci étant privée, non contradictoire, réalisée sur pièces et de manière non objective, puisqu'elle se prononce eu égard à une situation dans laquelle M. [S] ne se serait pas adonné à une conduite inter-files, à tout le moins au moment de l'accident,
- ses conclusions sont contredites par celles de son propre expert, le cabinet CESVI,
- l'emplacement post- accident ne permet nullement d'établir que le point de choc se trouve sur la voie de circulation de droite, notamment du fait de l'inertie des véhicules impliqués,
- M. [S] dénature les déclarations de M. [A] pour tenter de faire admettre qu'il ne circulait pas en inter-files au moment de l'accident,
- quand bien même le choc aurait eu lieu sur la voie de droite, celui-ci se serait nécessairement produit à moins de 30 cm de la ligne médiane, ce qui vient corroborer une circulation inter-files de M. [S], concomitamment à l'accident,
- l'allure de Monsieur [S] était inadaptée aux conditions de circulation (notamment en termes de densité) et les premiers juges ont justement retenu l'infraction de défaut de maîtrise.
La GMF forme un appel incident sur l'étendue de la limitation du droit à indemnisation retenue et, maintenant ses protestations initiales, sollicite que le droit à indemnisation soit limité à un quart et non à la moitié comme retenu par les premiers juges et, subsidiairement, la confirmation du jugement à ce titre.
Elle ajoute qu'elle n'est pas liée par son offre d'indemnisation transactionnelle et que l'argument de l'estoppel est donc inopérant puisque :
- la première proposition de la GMF a été formulée avant tout litige et l'estoppel ne peut s'appliquer qu'au sein d'une procédure judiciaire et ne sanctionne que des moyens ou des comportements procéduraux contradictoires,
- en l'absence de positions contradictoires, la théorie de l'estoppel ne saurait recevoir
d'application.
1-1. En droit, il résulte l'article 1er de la loi n° 85-677 du 5/07/1985 que ses articles 2 à 6 s'appliquent aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur.
L'article 4 de la même loi dispose que la faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis.
La faute du conducteur visée par ce texte doit avoir contribué à la réalisation de son préjudice et s'apprécie indépendamment du comportement des autres conducteurs.
En fait, l'implication, dans l'accident dont a été victime M. [S], du véhicule automobile conduit par M. [A] et assuré auprès de la GMF n'est pas contestée par cette dernière qui, à ce stade du raisonnement, est obligée à l'indemnisation du préjudice corporel subi par M. [S].
En application de l'article 1353 du code civil, il incombe à la GMF de rapporter la preuve d'une/de faute(s) du conducteur victime de nature à réduire ou exclure son droit à indemnisation.
1-2. Si un rapport d'expertise judiciaire n'est opposable à une partie que lorsqu'elle a été appelée ou représentée au cours des opérations d'expertise, le juge ne peut cependant refuser de prendre en considération ce rapport, dès lors qu'il a été régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties, mais il lui appartient alors de rechercher s'il est corroboré par d'autres éléments de preuve.
Dès lors, les deux rapports d'expertise amiable effectués par le cabinet [N] à la demande de M. [S], même non opposables à la GMF, ont été soumis à la discussion des parties et peuvent être pris en compte s'ils sont corroborés par d'autres éléments de preuve. Il en est de même des rapports non contradictoires effectués par la société CesviFrance mandatée par la GMF.
1-3. Il est établi que le 16 juin 2014 à 8h15, alors que la circulation était dense et parfois à l'arrêt sur l'autoroute A 31 à hauteur d'[Localité 1] dans le sens Thionville-Luxembourg, M. [A], à l'arrêt à bord de son véhicule automobile sur la voie de gauche, a profité d'un espace de circulation laissé libre entre deux camions sur la voie de droite pour entamer une manoeuvre afin de se rabattre sur la file de droite, lorsqu'une collision s'est produite avec la motocyclette de M. [S].
Le point de choc relevé par les fonctionnaires de police se situe sur l'avant gauche de la motocyclette et au niveau de l'aile avant droite du véhicule automobile.
Les photographies prises par le témoin, M. [K], avant l'arrivée des secours et de la police, alors que le motocycliste était encore couchée sur la route, montre que le véhicule automobile empiète sur la voie de droite de quelques dizaines de centimètres alors que la motocyclette est couchée sur le sol au milieu de la voie de droite et à quelques mètres devant le véhicule de M. [A].
Les dégâts sur le véhicule automobile se situent au niveau du rétroviseur et de l'aile avant droits, le pare choc étant décroché au niveau droit.
L'examen de la motocyclette montre que la poignée gauche a été arrachée et le carénage présente de multiples fissures ainsi que des brisures sur la partie haute et basse.
M. [S] a indiqué aux enquêteurs n'avoir aucun souvenir des circonstances de l'accident.
Les autres auditions auxquelles les policiers ont procédé sont les suivantes :
M. [A] :
"Il y avait des embouteillages comme tous les matins. Un peu avant la sortie de Volerange-Les-Mines, je me trouvais sur la voie de gauche à l'arrêt. Un camion se trouvait sur ma droite à l'arrêt également.
A un moment la circulation a repris doucement et le camion a mis un peu plus de temps à redémarrer laissant un espace devant lui. J'ai décidé de me placer dans cet espace et pour ce faire de passer de la voie de gauche à la voie de droite. J'ai fait mes contrôles c'est à dire que j'ai regardé dans mon rétroviseur droit mon angle mort et ai mis mon clignotant. J'ai enclenché la première vitesse et j'ai entamé ma manoeuvre.
Après avoir à peine franchi la bande qui sépare les deux voies, je dirais de 30 cm environ, un motard m'a percuté au niveau de l'aile avant droite. Il est tombé au sol sur la voie de droite.
Question : Selon vous quelle était la vitesse du motard '
Réponse : Je l'estime entre 40 et 50 km/h... Du fait qu'il me doublait par la droite le motard est en tort mais vu que je ne l'ai pas vu lors de mon contrôle dans le rétroviseur et dans l'angle mort, j'estime avoir une petite part de responsabilité également."
M. [G] [F], conducteur qui se trouvait, à l'arrêt, juste derrière le véhicule de M. [A] :
' La Renault Clio devant moi entame un changement de file vers la droite car la voie de droite s'est libérée. A ce moment là, une moto a surgi entre les deux files à environ 40 à 60 km/h. Elle n'a pu éviter la Clio et l'a percutée à l'avant droit. La moto a heurté avec son flanc gauche puis est tombée à droite. Elle a glissé sur 2 mètres environ.'
M. [K], circulant à motocyclette :
' Je me trouvais entre les deux voies car la circulation était complètement bouchée en raison d'une circulation très lente. A un moment, j'ai regardé dans un de mes rétroviseurs et j'ai constaté qu'une moto arrivait derrière, d'ailleurs, elle avait les feux allumés. Voyant arriver la moto, j'ai décidé de me rabattre sur la voie de droite pour la laisser passer.
Question : Cette moto circulait-elle vite '
Réponse : Non.
Question : Si je comprends bien, le motard victime circulait entre les véhicules avant d'être percuté '
Réponse : Effectivement.'
D'après son premier rapport, l'expert cabinet [N] estime que la voiture étant auparavant arrêtée et seul son avant droit ayant franchi l'axe médian lorsque le choc s'est produit, sa vitesse peut être évaluée avec une bonne approximation entre 5 et 10 km/h au maximum et que celle du motocycliste ne peut être de 50 km/h, car la distance de projection de la motocyclette et du pilote aurait été bien supérieure à celle observée sur les photographies et n'a, au vu de la distance entre les deux véhicules de l'ordre de 5 mètres, pu être supérieure à 24 km/h.
Dans son premier rapport en réponse, l'expert CesviFrance estime à 10 km/h la vitesse du véhicule automobile et à 29 km/h la vitesse de choc de la motocyclette compte tenu des déformations de la voiture et des distances de projection du motocycliste et de la motocyclette qu'il évalue à 7,5 mètres.
Par ailleurs, les experts s'accordent pour dire que les dommages causés aux véhicules par le choc sont faibles et que l'angle de choc était très faible, mais pour le reste, ils sont d'avis contraire sur leurs hypothèses et schémas d'accident respectifs.
1- 4. Concernant la faute tirée de la circulation de M. [S] entre les voies de circulation 1 et 2 de l'autoroute, en droit, la cour a mis dans les débats l'application possible de l'article R.412-24 du code la route et les parties n'ont pas adressé de note en délibéré sur ce point.
Cet article dispose en ses alinéas 1 et 3 que :
Lorsque, sur les routes à sens unique et sur les routes à plus de deux voies, la circulation, en raison de sa densité, s'établit en file ininterrompue sur toutes les voies, les conducteurs doivent rester dans leur file.
Le fait, pour tout conducteur, de contrevenir aux dispositions du présent article est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe.
Il en résulte que, dans les circonstances décrites par l'alinéa 1er de l'article R.412-24 précité, le fait, pour le conducteur d'un véhicule à deux roues, de circuler entre deux voies de circulation en suivant approximativement l'axe de la ligne discontinue les séparant, est fautif.
La publication, invoquée par M. [S], du décret n° 2015-1750 du 23/12/2015 portant expérimentation de la circulation inter-files, ne prive pas de son caractère fautif une telle circulation antérieure à cette publication, dès lors qu'en vertu de l'article 2 du code civil, la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a point d'effet rétroactif, et que le principe de la non-rétroactivité des lois ne peut recevoir exception que pour d'impérieux motifs d'intérêt général qui n'ont pas dicté le texte réglementaire précité, au regard de son caractère expressément expérimental.
Il ressort clairement de la déclaration de M. [K] que M. [S] circulait en inter-files quelques minutes avant l'accident, ce que ce dernier reconnaît puisqu'il indique dans ses conclusions qu'au moment de l'accident, il ne pratiquait plus la circulation inter-files, s'étant rabattu sur la voie de droite où la circulation avait repris.
Il est cependant établi que le véhicule de M. [A], qui était à l'arrêt, venait de redémarrer pour profiter de l'espace laissé libre par un camion sur la voie de droite et que le véhicule de M. [F] qui le suivait était à l'arrêt. Il en était nécessairement de même pour les autres véhicules de la même file qui n'étaient pas des deux roues.
Il s'en déduit que la motocyclette de M. [S] n'a pu faire autrement que circuler entre les deux files pour doubler le camion situé sur la voie de droite quelques secondes avant l'accident, ce que confirme le témoignage de M. [F].
Les photographies prises démontent, par ailleurs, qu' après le choc, l'avant droit du véhicule automobile dépassait la ligne médiane de 70 cm selon les conclusions des deux rapports amiables qui s'accordent sur ce point.
Cet emplacement post- accident ne permet pas d'établir que le point de choc se trouve sur la voie de circulation de droite, notamment du fait de l'inertie des véhicules impliqués.
Le cabinet [N], mandaté par M. [S], admet dans son second rapport daté du 31 décembre 2018 que le choc s'est produit alors que la motocyclette circulait sur la voie de droite, mais à proximité de la ligne mixte médiane aux deux voies, ce qui vient encore confirmer la circulation inter-files.
Le comportement ainsi adopté par le motocycliste pour tenter d'échapper aux mauvaises conditions de circulation caractérise une faute de conduite au sens de l'article R.412-24 du code de la route.
1-5. Si un non-respect des dispositions de l'article R.412-12, qui impose le respect de distances de sécurité entre un véhicule et celui qui le précède, n'apparaît pas établi puisque cet article ne s'applique pas aux distances latérales entre véhicules, et si un défaut de maîtrise de sa motocyclette par M. [S] n'est pas prouvé, il est également reproché à juste titre à M. [S] d'avoir contrevenu à l'article R. 414-6 qui interdit le dépassement par la droite.
En effet, M. [S], venant de doubler un camion sur la voie de droite en circulant en inter-files, était en train de doubler par la droite le véhicule automobile de M. [A] au moment du choc.
Il résulte des motifs qui précèdent que M. [S], conducteur victime, a commis une double faute de circulation illicite entre les voies de circulation et de dépassement prohibé par la droite, qui a contribué à la réalisation de son dommage.
1-6. La fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui sanctionne l'attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d'une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions.
M. [S] prétend que l'appel incident de la GMF tendant à voir son droit à indemnisation réduit des 3/4 est irrecevable au motif qu'elle avait admis une réduction de moitié seulement dans une quittance établie le 3 novembre 2014.
En l'occurrence, les positions contraires de l'assureur n'ont pas été adoptées au cours de l'instance et la demande est donc recevable.
La double faute retenue à l'encontre de M. [S] est de nature à réduire de 50 % son droit à indemnisation en confirmation du jugement.
2. Sur la demande de provision :
Le docteur [P], expert, a émis l'avis suivant sur le préjudice corporel subi par M. [S] :
- blessures provoquées par l'accident : multiples fractures notamment des vertèbres et un pneumothorax,
- déficit fonctionnel temporaire :
$gt; total du 16.06.2014 au 27.02.2015, date de sortie de l'hospitalisation à temps plein,
$gt; partiel à 80 % du 28.02.2015 à la consolidation,
- assistance temporaire et permanente par tierce personne :
$gt; du 27.02.2015 au 14 novembre 2016 : 8 heures par jour,
$gt; à compter du 15 novembre 2016 : 6 heures par jour jusqu'au moment où M. [S] bénéficiera d'une maison adaptée ; cet aménagement réalisé, les besoins en aide humaine active quotidiens seront de 5 heures par jour,
- souffrances endurées : 6/ 7,
- préjudice esthétique temporaire : 6 / 7,
- consolidation fixée au 16 juin 2017,
- séquelles : paraplégie de niveau D 6, flasque, avec parésie sévère au niveau des muscles abdominaux gênant les transferts,
- dépenses de santé futures :
- matériels et appareillages : fauteuil roulant manuel, deuxième fauteuil roulant pour l'extérieur, un coussin anti-escarres par fauteuil, aide à la propulsion électrique pour les fauteuils, verticalisateur, siège douche transportable, fauteuil de sport, siège aquatec, lit électrique, matelas anti-escarres, bonnette de protection des talons, matériels pour sondages urinaires, doigtiers pour évacuation des selles,
- adaptation du logement,
- adaptation du véhicule,
- préjudice professionnel incontestable : inapte à la reprise de son activité professionnelle qui comportait des déplacements ; apte à un reclassement professionnel à un poste aménagé, mais avec difficultés de reprendre l'exercice d'une profession du fait des troubles digestifs impliquant des fuites de selles, des odeurs, la nécessité de quitter le lieu de travail pour le change, la toilette, ces fuites sphinctériennes en relation directe avec l'atteinte neurologique séquellaire constituant un incontestable frein à la reprise d'emploi,
- déficit fonctionnel permanent : 75 %,
- préjudice esthétique : 5/ 7,
- préjudice d'agrément,
- préjudice sexuel,
- préjudice d'établissement.
M. [S] sollicite une provision de 150 000 € au vu de ces conclusions expertales, en rappelant que seule une provision de 50 000 € a été versée.
Il fait valoir que les prestations versées par l'organisme social sont pour partie en nature et pour partie en espèces et s'imputeront poste par poste, mais qu'en cas de réduction de son droit à indemnisation, la préférence est donnée à la victime, ce qui minimise les effets du partage, et qu'il est certain qu'il ne bénéficiera pas d'une prestation au titre de la tierce personne. Il ajoute, s'agissant des prestations susceptibles de lui être versées au titre de ses préjudices extra-patrimoniaux, que les indemnités qu'il peut percevoir du tiers responsable ou de son assureur doivent venir en déduction de leur montant.
La GMF s'y oppose au motif que :
- la créance des organismes sociaux n'est pas connue,
- 6 types de prestations sont susceptibles d'être versées à l'assuré victime d'un accident du travail au visa du code de la sécurité sociale luxembourgeois :
- des prestations en nature comprenant non seulement le remboursement des dépenses de santé mais aussi la prise en charge d'aides techniques et des adaptations de logement... (cf. articles 97 et 98),
- des prestations en espèce (remboursement du salaire et des autres avantages des salariés),
- une rente complète ou partielle couvrant le salaire perçu avant l'accident,
- des indemnités pour préjudices extra-patrimoniaux (articles 118, 119 et 120) à savoir : indemnité du fait de l'incapacité permanente, indemnité pour préjudice physiologique, d'agrément, souffrances endurées,
- l'article 139 dernier alinéa du code de la sécurité sociale luxembourgeois prévoit expressément la déductibilité de ces indemnités des préjudices de la victime.
Il est justifié que M. [S] perçoit de l'organisme de sécurité sociale luxembourgeois une rente complète en raison de son invalidité sur le marché du travail qui , selon décision du 30 août 2018, lui sera versée jusqu'au moment de l'octroi d'une pension de vieillesse anticipée ou jusqu'à l'âge de 65 ans, et qui s'élevait à la somme mensuelle de 4 452 € au 1er octobre 2018.
Au vu d'un décompte daté du 31 mai 2018, l'Association d'assurance accident, son organisme de sécurité sociale, lui a versé la somme de 145 542,58 € au titre de prestations en nature mais également celle de 67 130,86 € au titre des prestations en espèces et une rente d'invalidité versée à compter du 1er septembre 2014, lesquelles ont vocation à s'imputer sur ses pertes de gains professionnels actuels et futurs.
Par ailleurs, l'assurance accident prévoit une indemnité pour préjudice physiologique et d'agrément destinée à réparer la diminution des plaisirs de la vie et la perte de valeur sur le marché du travail sous forme de rente annuelle pour les taux d'IPP supérieurs à 20 %, une indemnité pour douleurs physiques jusqu'à la consolidation d'un montant maximum de 52 526 € et une indemnité forfaitaire pour préjudice esthétique du même montant maximum.
Toutefois, M. [S] justifie qu'il a sollicité le versement des prestations de l'assurance dépendance et s'est vu opposer un refus, que le conseil arbitral de la sécurité sociale, sur recours de M. [S], a ordonné une expertise et que l'expert a chiffré le 16 juillet 2018 le temps hebdomadaire nécessaire pour les actes essentiels de la vie concernant l'hygiène corporelle, la nutrition et la mobilité à 89 minutes, temps inférieur au seuil prévu par l'article 349 du code des assurances sociales afin d'obtenir le bénéfice de ces prestations.
Dès lors, au vu des conclusions expertales, de la réduction de son droit à indemnisation, des prestations sociales déjà versées et susceptibles d'être versées, du droit de préférence accordé à la victime et de la provision de 50 000 € déjà versée, il sera alloué à M. [S] une provision complémentaire de 100 000 € à valoir sur l'indemnisation de son préjudice.
3. Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Les dépens d'appel doivent incomber à la GMF, partie perdante.
La demande en cause d'appel de M. [S] fondée sur l'article 700 du code de procédure civile sera accueillie en son principe et son montant. En revanche, il n'y a pas lieu d'accorder une indemnité à l'Association d'assurance accident sur le même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement en ce qu'il a :
dit que le véhicule conduit par M. [A] et assuré auprès de la GMF est impliqué dans la survenance de l'accident du 16 juin 2014,
dit que les fautes commises par M. [S] [S] réduisent de moitié son droit à indemnisation,
ordonné une expertise médicale de M. [S] [S],
réservé les demandes de l'Association d'assurance accident,
condamné la GMF aux dépens de l'instance,
condamné la GMF à verser à M. [S] [S] une indemnité de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
ordonné l'exécution provisoire du jugement,
rejeté le surplus des demandes,
déclaré le jugement commun à la Caisse nationale de santé,
Infirme le jugement en ce qu'il a débouté M. [S] [S] de sa demande de provision,
Statuant à nouveau, dans cette limite,
Condamne la GMF à payer à M. [S] [S] une provision de 100 000 € à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel,
Déclare le présent arrêt commun à la Caisse nationale de santé,
Condamne la GMF aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la GMF à payer à M. [S] [S] la somme de 4 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à allouer une somme à l'Association d'assurance accident sur ce même fondement.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE