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13/03/2019 | FRANCE | N°17/20208

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 13 mars 2019, 17/20208


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE


délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS











COUR D'APPEL DE PARIS





Pôle 2 - Chambre 1





ARRET DU 13 MARS 2019





(n° 116 , 6 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/20208 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4MEM





Décision déférée à la Cour : Décision du 27 Juillet 2017 -Bâtonnier de l'ordre des avocats de PARIS








APPELANT







Maître F... I...


Elisant domicile au Cabinet de Me COBLENCE


[...]


[...]





Représenté et plaidant par Me Jean-Marc COBLENCE de la SCP COBLENCE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0053








INTIMEE...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRET DU 13 MARS 2019

(n° 116 , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/20208 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4MEM

Décision déférée à la Cour : Décision du 27 Juillet 2017 -Bâtonnier de l'ordre des avocats de PARIS

APPELANT

Maître F... I...

Elisant domicile au Cabinet de Me COBLENCE

[...]

[...]

Représenté et plaidant par Me Jean-Marc COBLENCE de la SCP COBLENCE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0053

INTIMEE

SELAS CVML prise en la personne de ses représentants légaux

[...]

[...]

Représentée et plaidant par Me Dominique SANTACRU de la SCP DUFFOUR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0470

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 19 Décembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Christian HOURS, Président de chambre

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère, chargée du rapport

Madame Anne DE LACAUSSADE, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffière, lors des débats : Mme Nadyra MOUNIEN

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Christian HOURS, Président de chambre et par Lydie SUEUR, Greffière présente lors du prononcé.

*****

La selas CVML, anciennement dénommée C... V... M... &L..., est une structure d'exercice inscrite au barreau de Paris, constituée en 2003 sous la forme d'une AARPI puis, à partir de 2011, sous celle d'une société d'exercice libéral par actions simplifiée.

Parallèlement à son développement en France, CVML a créé plusieurs implantations en Asie dont une à Singapour. C'est dans ce cadre que par lettre du 17 octobre 2007, CVML a proposé à monsieur F... I..., avocat au barreau de Paris, enregistré auprès de l'Attorney General de Singapour en qualité de Foreign Lawyer, de rejoindre le bureau de CVML à Singapour, en cours de constitution. Le bureau a été transformé en société selon des statuts du 28 octobre 2011 et M.I... était désigné en qualité de 'director', ce qui lui conférait la qualité de représentant légal de la société. M.I... a acquis une action, les autres étant détenues par la selas.

Par acte du 23 mai 2012, la selas CVML a garanti "à première demande" une ligne de crédit renouvelable annuellement accordée par la Société Générale Singapour à la Société CVML de Singapour, ligne de crédit dont le montant, initialement de 800 000 SGD, devait être annuellement réduit de 160.000 SGD par la société CVML de Singapour pour être complètement apuré en mai 2017.

Les modalités financières des relations entre les parties donnaient lieu à des discussions et à un accord formalisé aux termes d'un échange de courriels des 11 et 21 janvier 2013. Il en résultait en substance qu'outre le remboursement à CVML des dettes passées forfaitisées à la somme de 250 000 euros, F... I... s'engageait :

- à verser à CVML une redevance annuelle de 5 % du CA net encaissé après déduction de la sous traitance distribuée, sous forme de dividendes,

- à ne pas quitter le bureau de Singapour avant le remboursement des dettes

précitées arrêtées à la somme de 250 000 euros et la levée de la totalité de la

garantie à première demande émise par CVML en faveur de la Société Générale en

garantie de la ligne de crédit de 800 000 SGD consentie à la société.

Fin juin 2015, F... I... et son épouse P... H..., également avocate au sein de CVML Singapour, informaient oralement CVML, de leur souhait de se séparer du cabinet et de ne plus travailler au sein de la société de Singapour.

Le 23 octobre 2015, les époux I... -H... saisissaient le bâtonnier de Paris d'une demande de conciliation préalable. Cette procédure devant la commission de règlement des difficultés d'exercice de l'ordre n'ayant pas permis de régler amiablement ce litige, CVML saisissait le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris le 14 avril 2016 de demandes de communication de documents et de paiement de dommages-intérêts pour le non-respect de l'engagement de payer personnellement la dette de la Société générale.

Par décision du 13 décembre 2016, le bâtonnier :

- retenait sa compétence pour connaître des demandes dont il se trouvait saisi,

- condamnait monsieur I... au paiement à CVML de la somme de 324 390 €,

- ordonnait à l'intéressé de produire des documents comptables relatifs à CVML

Singapour dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision,

- fixait un calendrier de procédure afin que les parties précisent leur argumentation telle qu'explicitée et développée notamment dans les notes en délibéré après l'audience de jugement, concluent sur les comptes de CVML Singapour et sur les rémunérations et frais ainsi que sur les dividendes payés à M.I..., son épouse et à la selas CVML par la CVML Singapour;

Monsieur I... ayant relevé appel de cette première décision, la cour, par arrêt du 16 mai 2018, a confirmé la décision du bâtonnier, sauf sur la condamnation à payer

324 390 €. CVML a régularisé un pourvoi contre cet arrêt qui est actuellement pendant devant la Cour de cassation.

La procédure s'est poursuivie devant le bâtonnier qui a fixé un nouveau calendrier de procédure.

Le 27 juillet 2017, il a rendu une nouvelle sentence entre la CVML et M.I... aux termes de laquelle :

- il se reconnaît seul compétent pour connaître du différend opposant CVML et M.I..., tous deux inscrits au barreau de Paris,

- il juge que l'inexécution fautive de son obligation de présence par M.I... a causé à CVML un préjudice qui sera réparé par l'octroi d'une somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts,

- il renvoie les demandes de CVML sur la communication de pièces et astreinte à l'examen de la cour d'appel saisie du recours contre la décision du 13 décembre 2016,

- il dit que la juridiction du bâtonnier n'a pas compétence pour statuer sur l'analyse des comptes de la CVML Singapour et renvoie CVML à mieux se pourvoir,

- il rejette les demandes plus amples ou contraires,

-il dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et que chaque partie supporte ses dépens.

Le 14 septembre 2017, M.I... a formé un recours devant la cour d'appel par déclaration au greffe.

Dans ses écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, M.I... demande à la cour de recevoir l'exception d'incompétence et de désigner les tribunaux de la République de Singapour compétents pour statuer sur les demandes, de déclarer la selas CVML irrecevable dans toutes ses demandes, subsidiairement, de l'en débouter, d'infirmer la decision déférée en ce qu'elle l'a condamné à payer à la selas CVML la somme de

100 000 € à titre de dommages-intérêts pour inexécution fautive de son obligation de présence, et de la condamner à lui payer la somme de 25 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Dans ses écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, CVML demande à la cour de confirmer la décision du bâtonnier en ce qu'elle a retenu sa compétence, de l'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau, de condamner M.I... à lui payer la somme de 201 000 € à titre de dommages-intérêts ainsi que la somme de 283 035SGD à titre de dommages-intérêts correspondant aux dépenses personnelles liées aux loyers de sa résidence personnelle et aux frais de scolarité de ses enfants, ainsi que la somme de

30 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION :

- 1 - Sur la compétence du bâtonnier :

M.I... soutient que la société qui a subi un préjudice n'est pas la selas CVLM mais la société de droit singapourien ainsi qu'il résulte du mémoire déposé par l'intimée et qu'il n'exerçait son activité qu'au sein de cette dernière qui ne relève pas de la juridiction du bâtonnier. Il fait valoir que la selas, faisant fi de la personnalité de la société singapourienne, entend faire apprécier par le bâtonnier la manière dont un mandataire social d'une société étrangère a rempli ses fonctions et éventuellement engagé sa responsabilité.

La selas CVML répond que cette exception d'incompétence est irrecevable en raison de la règle de l'Estoppel et que la contestation de la compétence du bâtonnier est en contradiction avec le fait qu'il a lui-même saisi le bâtonnier d'une demande de conciliation préalable à la saisine de ce dernier.

Elle ajoute que cette exception est mal fondée puisque M.I... est inscrit comme avocat au barreau de Paris et dispose d'une adresse professionnelle à Paris, et qu'il s'agit d'un différend entre avocats. Elle reprend la motivation de la sentence du 13 décembre 2016 et de l'arrêt de la cour du 16 mai 2018.

M.I... peut sans se contredire considérer que le bâtonnier de Paris est compétent pour effectuer une conciliation sur les modalités de sa séparation d'avec la selas CVML mais que celui-ci ne l'est pas pour examiner les demandes que la selas entend soumettre à son arbitrage dans la mesure où il estime que celles-ci sont mal dirigées à son encontre et concernent en réalité la société singapourienne. L'exception d'incompétence soulevée par M.I... est donc recevable.

Aux termes de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971, tout différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel est, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du bâtonnier.

Il est constant que la selas et M.I... sont tous deux inscrits au barreau de Paris. Il ressort par ailleurs des explications de la selas qu'elle entend formuler ses demandes à l'égard de M.I... en considérant que celui-ci a pris personnellement des engagements à son égard. Dès lors le bâtonnier a bien été saisi d'un différend entre deux personnes inscrites au barreau de Paris, relevant de sa juridiction en application de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971.

- 2 - Sur le fond :

M.I... soutient que la selas CVML ne l'estimait plus capable de gérer le bureau de Singapour et qu'il a été contraint avec son épouse de quitter le cabinet en 2017 après avoir informé la selas de leur intention dès juin 2015 et avoir saisi le bâtonnier d'une tentative de conciliation qui a duré jusqu'en avril 2016. Il déclare que la selas CVML n'a pris aucune disposition pour le remplacer de sorte qu'au regard du droit local, il continue à être le responsable de la société.

Il conteste l'existence d'une responsabilité contractuelle, faisant valoir que l'engagement de rester dans la société ne comportait pas de terme. Il conteste également que les conditions de la responsabilité délictuelle soient réunies. Il explique que son départ ne peut être considéré comme prématuré alors qu'il en a avisé la selas CVML dès juin 2015. Il ajoute que celui-ci était subordonné à l'exécution de ses engagements mais que cette disposition était inapplicable. Il considère donc que la clause était potestative et contraire à la liberté d'entreprendre ainsi qu'à l'indépendance de l'avocat.

M.I... fait en outre valoir que la selas CVML ne justifie ni du quantum de son préjudice ni de l'existence d'un préjudice d'image.

la selas CVML après avoir exposé les griefs qu'elle formule à l'encontre de M.I... dans la gestion de la société de Singapour, explique que celui-ci s'était engagé personnellement à ne pas quitter le bureau de Singapour avant le remboursement du solde du passé visé au (i) et levée de la totalité de la garantie actuellement donnée par Paris et qu'elle sollicite des dommages-intérêts pour non-respect de cet engagement. Elle ajoute que les accords conclus en janvier 2013 forfaitisaient le solde du passé à la somme de 250 000 € réglée moyennant un versement mensuel de 7 000 € par mois à partir du mois de janvier 2013, versements effectués sous forme de dividende. Elle précise que la dette de M.I... était la conséquence d'une condamnation prononcée par cette cour en raison du comportement de ce dernier dans un litige avec la société d'avocats DS. Elle indique qu'à la suite de plusieurs versements, la dette a été ramenée à la somme de 210 000 € et que c'est ce montant qu'elle entend réclamer à M.I... sur le fondement de sa responsabilité contractuelle pour ne pas avoir respecté son engagement de payer.

Si la cour refusait de reconnaître un caractère personnel à l'engagement de payer la somme susvisée, la selas CVML demande que la décision du bâtonnier soit confirmée en ce qu'elle a condamné M.I... à indemniser le préjudice résultant du non-respect de rester dans le cabinet de Singapour jusqu'au paiement de la dette, sauf à porter le montant des dommages-intérêts à 210 000 €.Elle conteste le caractère purement potestatif de cette disposition alors que son engagement de rester était conditionné par le respect des engagements financiers de la société de Singapour. Elle conteste toute atteinte à la liberté d'entreprendre et à la l'indépendance de l'avocat.

M.I... a accepté un accord figurant dans un mail de B... C... du 11 janvier 2013 prévoyant :

'(i) solde du passé 250K euros réglements de 7K/mois à partir de janvier 2013 sous forme de dividendes.

(v) engagement de ne pas quitter le bureau de Singap avant remboursement du solde du passé visé au(i) et levée de la totalité de la garantie actuellement donnée par Paris.'

Il ressort des explications des parties et de la sentence du bâtonnier que le 'solde du passé' correspondait à une condamnation solidaire de la selas CVML et de M.I... à l'égard du cabinet d'avocats DS pour des actes de concurrence déloyale.

Cependant comme l'a retenu le bâtonnier dans la décision critiquée, l'engagement de payer cette condamnation a été transféré à la société CVML de Singapour par le versement de dividendes. Dès lors la selas CVML ne peut se prévaloir de l'accord du 11 janvier 2013 pour solliciter la condamnation de M.I... à payer la somme de 210 000 € au titre du solde du passé.

M.I... s'est obligé personnellement à rester dans le cabinet de Singapour jusqu'à ce que cet engagement soit exécuté ainsi que celui relatif à la dette contractée auprès de la Société générale. Néanmoins il ressort de l'arrêt de la cour d'appel du 16 mai 2018 que cet engagement a également été souscrit par la société singapourienne.

Il doit donc être retenu que l'engagement de M.I... de rester dans le cabinet de Singapour dépendait de circonstances extérieures dont la survenance était soumise à aléa, ce qui aboutissait à un terme indéterminé et qui pouvait même ne jamais survenir si la société de Singapour se révélait incapable de respecter les obligations mises à sa charge.

Il s'ensuit que cette clause contraire à la liberté d'entreprendre doit être déclarée nulle et qu'il ne peut être reproché à M.I... d'avoir quitté la société.

La décision du bâtonnier sera donc infirmée en ce qu'elle a condamné M.I... à payer à la selas CVML la somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts.

La selas CVML forme également une demande en dommages-intérêts tenant aux frais personnels -loyers et frais de scolarité des enfants- que M.I... a fait prendre en charge par la société de Singapour. La selas CVML mentionne qu'en sa qualité d'actionnaire à 99% c'est elle qui va supporter le poids de ces dépenses indues.

Cette demande a été soumise au bâtonnier lequel a répondu en rappelant qu'il n'avait pas compétence pour statuer sur l'analyse des comptes de la CVML de Singapour et a renvoyé la selas à mieux se pourvoir.

Il y a lieu de confirmer la décision du bâtonnier sur ce point ainsi que sur celui de la communication des pièces qui ne fait aps l'objet de discussion.

Il n'y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Confirme la décision du bâtonnier sauf en ce qu'elle a condamné M.I... à payer à la selas CVML la somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts,

Statuant à nouveau :

Déboute la selas CVML de sa demande en dommages-intérêts,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la selas CVML aux dépens.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 17/20208
Date de la décision : 13/03/2019

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°17/20208 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris C1


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-03-13;17.20208 ?
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