Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 11 MARS 2019
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/21670 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4QZJ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Avril 2016 -Tribunal de Grande Instance de MEAUX - RG n° 14/03956
APPELANTE
SAS DUTY FREE ASSOCIATES
Ayant son siège social [Adresse 1]
[Adresse 2]
[Adresse 3]
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119
Représentée par Me Maëva RANCOEUR, avocate au barreau de PARIS
INTIMEES
ADMINISTRATION DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS, prise en la personne de
- Monsieur le directeur régional des douanes et droits indirects de paris est
- Monsieur le receveur régional des douanes et droits indirects de paris est
Ayant ses bureaux [Adresse 4]
[Adresse 5]
Représentés par Me Ralph BOUSSIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141, substitué par Me Thomas CHOLET, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 Janvier 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Edouard LOOS, Président
Madame [B] CASTERMANS, Conseillère
Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Conseillère
qui en ont délibéré,
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame [B] CASTERMANS dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme Cyrielle BURBAN
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Edouard LOOS, Président et par Mme Cyrielle BURBAN, Greffière à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
La société Dutry Free Associates (« DFA ») est une centrale d'achat qui distribue à travers ses filiales distribue divers produits en détaxe dans les aéroports français dont les vins, tabac.
La société stocke les vins, tabacs et spiritueux destinés aux comptoirs de vente des aéroports dans un entrepôt central situé à [Localité 1], en Seine-et-Marne.
Dans la nuit du 16 au 17 avril 2014, l'entrepôt de [Localité 1] a fait l'objet d'une attaque à main armée par une bande organisée d'une dizaine de malfaiteurs cagoulés et armés. Après s'être introduits dans les locaux en déjouant les systèmes de sécurité, ceux-ci ont, sous la menace, séquestré le personnel. Ils ont acheminé sur le site trois camions volés pour les charger des marchandises dérobées.
Les produits dérobés au cours de cette attaque étaient des cigarettes, cigares et tabacs soumis à droits d'accises, et pour certains à droits de douane. Le montant total des droits et taxes s'élevait à 825 232 euros pour les produits originaires de l'Union européenne et 10 471 euros pour les produits tiers.
Par courrier du 19 mai 2014, la société DFA a demandé à bénéficier d'une décharge des droits et taxes se rapportant aux marchandises tierces et communautaires dérobées en se fondant sur la réglementation européenne et nationale qui autorise une décharge des droits et taxes en cas de disparition de produits soumis à accises ou droits de douane par suite d'un cas de force majeure.
Par lettre recommandée datée du 4 juillet 2014, le directeur régional des douanes de Paris Est a informé la société DFA qu'il maintenait sa position par l'envoi d'un avis définitif de taxation pour les produits communautaires pour un montant de 825 232 euros.
La société DFA a saisi le tribunal de grande instance de Meaux en annulation de AMR par assignation du 7 août 2014. Par jugement en date du 28 avril 2016, le tribunal de grande instance de Meaux a débouté la société DFA de l'ensemble de ses demandes.
DFA a interjeté appel de la décision.
Par conclusions signifiées le 7 décembre 2018, la société Dutry Free Associates demande à la cour de :
Infirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Meaux le 28 avril 2016 ;
Annuler la décision administrative du 12 juin 2014 et en tirer toutes les conséquences de droit qui en découlent s'agissant notamment de la remise totale des droits et taxes ;
Annuler les deux avis de mise en recouvrement du 21 juillet 2014 ;
Condamner l'administration des douanes prise tant en la personne du directeur régional des douanes de paris est que du receveur régional des douanes de paris est à payer à la société DFA la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner l'administration des douanes prise tant en la personne du directeur régional des douanes de paris est que du receveur régional des douanes de [Localité 2] est aux entiers dépens de la présent instance qui pourront être recouvrés par maître Belgin Pelit-Jumel dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions signifées le 17 mai 2018, Monsieur le directeur régional des douanes et droits indirects de Paris Est, le receveur régional des douanes et droits indirects de Paris Est, l'administration des douanes et droits indirects demandent à la cour de :
Confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de meaux le 28 avril 2016 ;
Débouter la sas Duty Free Associates de sa demande d'annulation des avis préalables de taxation et de résultat de contrôle émis le 16 mai 2014 ;
Debouter la sas Duty Free Associates de sa demande d'annulation de la décision de rejet prise par l'administration le 12 juin 2014 ;
Debouter la sas Duty Free Associates de sa demande d'annulation de l'avis de mise en recouvrement de la somme de 10 471 euros pris le 21 juillet 2014 au titre de marchandises tierces ;
Debouter la sas Duty Free Associates de sa demande d'annulation de l'avis de mise en recouvrement de la somme de 825 232 euros pris le 21 juillet 2014 au titre de marchandises communautaires ;
Condamner la société Duty Free Associates à payer en cause d'appel à la direction regionale des douanes et droits indirects de paris est la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
SUR CE
Sur les marchandises non communautaires placées sous le régime de l'entrepôt douanier
Des produits du tabac soumis à accises stockés dans un entrepôt situé à Comans (94) ont été dérobés. L'administration des douanes a refusé d'assimiler le vol de la marchandise à une perte ou une destruction. La société DFA soutient qu'elle ne devait pas être taxée dès lors que le vol devait être assimilé à un cas de force majeure.
La société DFA fait grief au tribunal d'avoir jugé que « le vol avec violence est exclu du champ d'application de l'article 206 et de la notion de force majeure ou de cas fortuit prévoyant dans certains cas l'absence de cette dette douanière ». Selon DFA, le juge du tribunal a commis une confusion relative à la réglementation applicable aux marchandises communautaires et aux marchandises tierces.
Elle soutient qu'à supposer que l'article 206 du code des douanes ne soit pas applicable, il découle des textes douaniers qu'il n'existe pas d'empêchement juridique dans le texte du règlement n° 2913/92 qui a institué le code des douanes communautaire, ni dans la jurisprudence de la Cour de justice, dont celle de 2013, à la possibilité d'éteindre la dette douanière née d'une soustraction sur un fondement autre que l'article 206 du Code des douanes communautaire.
Elle énonce à titre subsidiaire le principe de proportionnalité souligne les incohérences de l'administration des douanes.
En réponse, l'administration fait valoir que selon la jurisprudence de la CJUE et de la Cour de cassation le 04 février 2014 l'article 206 du code des douanes communautaires n'est pas applicable au vol de marchandises placée sous le régime de l'entrepôt douanier.
Elle énonce que la cour de justice de l'Union Européenne a jugé que le vol ne constituait pas un cas de force majeure susceptible de conduire à l'extinction de la dette douanière, car le vol laisse présumer que la marchandise passe dans le circuit commercial de la communauté et dès lors ne saurait être assimilé à une perte ou destruction constitutive de force majeure.
Elle ajoute que l'article 233 du code des douanes communautaires ne s'applique pas aux marchandises placées sous le régime de l'entrepôt douanier.
Ceci exposé,
Il est constant que si aucune dette douanière n'est réputée naître en cas de force majeure, la Cour de justice européenne a retenu que le vol d'une marchandise placée sous le régime de l'entrepôt douanier constitue une soustraction des marchandises faisant naître une dette douanière. La cour de cassation, par arrêt du 04 février 2004, a dit que l'article 206 du code des douanes communautaires n'est pas applicable au vol d'une marchandise placée sous le régime de l'entrepôt douanier. Il s'ensuit que la société DFA n'est pas fondée à demander l'application de l'article 206 dans cette hypothèse.
S'agissant de l'article 233 du code des douanes communautaires, cette disposition ne s'applique pas aux marchandises placées sous le régime de l'entrepôt douanier qui constitue un régime suspensif.
S'agissant des incohérences alléguées, l'administration des douanes est fondée à individualiser ses positions au cas par cas et à appliquer strictement les textes en fonction des situations qui lui sont soumises.
Pour l'ensemble de ces motifs, le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la nullité de l'avis de mise en recouvrement des droits d'accises
La société DFA fait valoir que le droit national ne s'oppose pas, en cas de vol, à l'exonération des droits d'accise ; les conditions de la force majeure sont réunies en visant l'article 302 D, I, 2°, a) du code général des impôts. Elle se prévaut également d'une décision de l'administration de douanes qui a admis que le vol de marchandises pouvait constituer une cause d'extinction de la dette.
En réponse, l'administration des douanes conteste l'application de l'exonération des droits d'accises en cas de vol du fait de la force majeureen faisant valoir que la perte fait défaut. Elle considère, en outre, que la répétition de vols au sein des locaux de la société Dutyfly Solutions ne permet pas de retenir l'existence du critère d'imprévisibilité.
Ceci exposé,
Le vol de marchandises communautaires placées sous le régime de l'entrepôt fiscal suspensif des droits d'accises relève des dispositions du code général des impôts.
La directive 2008 /118 CE a été transposée en droit interne en 2009 et a modifié les articles 302 K, 302 Q et 302 D.
En droit interne, le paragraphe I de l'article 302 K du code général des impôts , prévoit que : 'les pertes, constatées dans les conditions prévues en régime intérieur et, le cas échéant, les limites fixées par l'Etat membre de destination, de produits circulant en suspension de droits vers un entrepositaire agréé ou un destinataire enregistré ne sont pas soumises à l'impôt, s'il est justifié qu'elles résultent d'un cas fortuit ou d'un cas de force majeure, ou qu'elles sont inhérentes à la nature des produits'.
Le paragraphe I 2° a) de l'article 302 D du CGI exonère de droits : « a. Les alcools, les boissons alcooliques et les tabacs manufacturés dont la destruction totale est intervenue à la suite d'une autorisation donnée par l'administration des douanes et droits indirects ou dont la destruction totale ou la perte irrémédiable est imputable à une cause dépendant de la nature même des produits ou à un cas fortuit ou de force majeure ».
La mise à la consommation implique la sortie, y compris irrégulière, de produit soumis à accise. La directive 2008/118/CE relative au régime général d'accise précise que les droits d'accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation et qu'aucun droit ne peut être perçu en cas de destruction du produit ou perte irrémédiable.
En l'espèce, l'entrepositaire est poursuivi au titre des droit de consommation frappant les produits du tabac à la suite d'un vol à main armée commis dans l'entrepôt de [Localité 1].
Dans cette hypothèse, le vol ne saurait faire l'objet d'une exclusion de principe et il doit être recherché si le vol pouvait revêtir les conditions de la force majeure telle que prévue par l'article 1148 du code civil alors applicable.
Il convient dès lors de rechercher si le vol remplit les conditions de la force majeure.
La notion de force majeure implique la démonstration que la perte de la marchandise est intervenue dans des circonstances étrangères, irrésistibles et imprévisibles dont les conséquences n'ont pu être évitées malgré les diligences déployées par la victime.
En l'espèce, la condition d'extériorité est remplie, il est établi que la société DFA a été victime d'un vol, commis par une bande organisée. L'imprévisibilité et l'irrésistibilité sont également établies au vu de l'organisation de la bande armée qui a déjoué les dispositfs de sécurité pourtant performants et validés par les assureurs.
Il apparaît dans ces conditions que la société DFA pouvait raisonnablement estimer être protégée de toute intrusion et que dès lors le vol revêt les conditions de la force majeure.
Il convient d'infirmer la décision déférée et de dire qu'aucun droit de consommation ne peut être réclamé à la société DFA.
Il paraît équitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'elle a exposés.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
CONFIRME le jugement rendu en ce qu'il a débouté la sas Duty Free Associates de sa demande d'annulation de l'avis de mise en recouvrement de 10 471 euros, au titre des marchandises tierces ;
INFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau,
ANNULE l'avis de mise en recouvrement de la somme de 825 232 euros pris le 21 juillet 2014 au titre de marchandises communautaires ;
DÉBOUTE les parties du surplus de leur demandes
DIT n'y avoir à dépens.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT
C. BURBAN E. LOOS