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06/03/2019 | FRANCE | N°16/13859

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 06 mars 2019, 16/13859


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE


délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS





Pôle 2 - Chambre 1





ARRET DU 06 MARS 2019





(n° 96 , 10 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 16/13859 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZDSJ





Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Mai 2016 -Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY - RG n° 14/12717





APPELANTE





SC

P B... M... - F... V... - O... U... et J... K..., prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège [...]


[...]





N° SIRET : 309 675 825





Représentée par Me Thomas RONZ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRET DU 06 MARS 2019

(n° 96 , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 16/13859 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZDSJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Mai 2016 -Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY - RG n° 14/12717

APPELANTE

SCP B... M... - F... V... - O... U... et J... K..., prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège [...]

[...]

N° SIRET : 309 675 825

Représentée par Me Thomas RONZEAU de la SCP RONZEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499

Ayant pour avocat plaidant Me GONZALEZ RIOS Marie-José de la SCP RONZEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499

INTIMES

Monsieur P... E... Q...

[...]

né le [...] à TUNIS (Tunisie)

Madame A... T... épouse Q...

[...]

née le [...] à TUNIS (Tunisie)

Représentés et ayant pour avocat plaidant Me Audrey CHELLY SZULMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E1406

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 Novembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Christian HOURS, Président de chambre

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

Mme Anne de LACAUSSADE, Conseillère

qui en ont délibéré,

Un rapport a été présenté à l'audience par Mme Anne de LACAUSSADE dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Mme Nadyra MOUNIEN

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Christian HOURS, Président de chambre et par Lydie SUEUR, Greffière présente lors du prononcé.

*****

M. P... Q... et Mme A... T..., son épouse, sont propriétaires d'un fonds de commerce de bijouterie-horlogerie situé [...] , connu sous le nom commercial Jade'Or, immatriculé au RCS de Meaux sous le numéro 310 140 785, acquis le 09 septembre 1990 moyennant le prix de 150 000 francs, soit 22 867 euros.

Par acte authentique du 9 août 2013, Me F... D..., notaire associée de la Scp M..., D..., U..., K..., a reçu, en présence des parties, une promesse de cession de leur fonds de commerce par M. et Mme Q... au profit de M. R... S..., au prix de 23 000 euros.

Aux termes de cet acte, le fonds comprenait :

- des éléments incorporels constitués par l'enseigne, le nom commercial, la clientèle, l'achalandage y attachés et le droit au bail où le fonds était exploité, pour le temps restant à courir,

- des éléments corporels constitués par le mobilier commercial, les agencements et le matériel servant à son exploitation, dont un inventaire du 9 août 2013 annexé, le fonds de commerce étant

cédé vide de toutes marchandises.

La promesse était soumise à diverses conditions suspensives dont six dans l'intérêt du bénéficiaire, la sixième étant la condition 'de l'obtention de l'agrément du bailleur et de son acceptation à renouveler le bail aux conditions actuelles'.

La levée de la promesse par le bénéficiaire devait avoir lieu avant le 31 octobre 2013.

En fin d'acte, les parties reconnaissaient et déclaraient avoir arrêté et conclu entre elles le prix ainsi que les charges et conditions de la cession et donnaient décharge pure et simple, entière et définitive au rédacteur, reconnaissant que l'acte établi avait été dressé sur leurs déclarations, sans que ce dernier soit intervenu entre elles relativement aux conditions du dit acte.

Par courrier du 7 octobre 2013, le notaire a avisé M. et Mme Q... de la caducité de la promesse de vente, du fait du refus du bailleur de renouveler le bail aux conditions actuelles.

Contestant cette caducité, par courrier du 17 octobre 2013, M. et Mme Q... ont invité, en vain, le notaire à fixer un rendez-vous de signature.

C'est dans ces circonstances que, par acte d'huissier de justice du 16 octobre 2014, M. et Mme Q... ont fait assigner en responsabilité la Scp M..., D..., U..., K... devant le tribunal de grande instance de Bobigny qui, par jugement du 20 mai 2016, a notamment :

- constaté que la Scp de notaires avait engagé sa responsabilité délictuelle en insérant deux conditions suspensives inutiles dans la promesse de cession de fonds de commerce du 9 août 2013, à l'origine d'une perte de chance de vendre le fonds de commerce de 50 % ;

- condamné en conséquence la Scp de notaires à payer à M. et Mme Q... la somme de 11 500 euros à titre de dommages et intérêts ;

- ordonné l'exécution provisoire de l'entier jugement ;

- condamné la Scp de notaires à payer à M. et Mme Q... la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens ;

- rejeté comme injustifié le surplus des demandes.

Le tribunal a retenu que si les demandeurs ne démontraient pas la partialité dont ils accusaient l'étude notariale, il était cependant constant que Me D... avait inséré dans la promesse de cession du 9 août 2013 une condition suspensive, sans valeur juridique, tenant à l'agrément du cessionnaire par le bailleur, manquant ainsi à son devoir d'établir des actes juridiquement efficaces et une autre, inutile, tenant à l'accord du bailleur pour renouveler le contrat de bail aux conditions antérieures alors que le bail avait été renouvelé ; qu'il avait manqué à son devoir d'information et de conseil à l'égard de M. et Mme Q... en ne les informant pas que le bail s'était renouvelé à la suite de la demande de M. Q... du 05 juin 2012, non contestée dans le délai de trois mois par le bailleur ; que les cédants sollicitant l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'absence de cession de leur fonds de commerce, il n'y avait pas lieu d'examiner l'éventuelle faute du notaire ayant consisté à avoir retenu avec légèreté une caducité de la promesse qu'il avait en tout état de cause favorisée par l'insertion des conditions suspensives, le préjudice étant identique ; qu'en n'exerçant pas son devoir d'information et de conseil auprès des parties et en insérant dans l'acte deux conditions suspensives inutiles dont le bailleur s'est par la suite prévalu pour refuser un renouvellement d'ores-et-déjà acquis, le notaire a fait perdre à M. et Mme Q..., une chance de céder leur fonds de commerce, évaluée à 50 %.

La Scp M..., D..., U..., K... a interjeté appel de la décision le 23 juin 2016.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18 juin 2018, la Scp de notaires demande à la cour de la déclarer recevable et bien fondée en son appel, y faisant droit d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions condamnant le notaire au titre de sa responsabilité civile professionnelle en application de l'article 1382 du code civil et de :

- constater l'absence de faute du notaire, l'absence de préjudice actuel et certain et l'absence de lien de causalité entre une hypothétique faute de l'étude et le préjudice allégué,

- déclarer M. et Mme Q... irrecevables en cause d'appel en leur demande de condamnation au titre des loyers impayés,

- en tout état de cause, les déclarer mal fondés en l'ensemble de leurs demandes et les en débouter,

- les condamner à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Thomas RONZEAU, avocat aux offres de droit.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 juin 2018, M. et Mme Q... demandent à la cour de :

- constater que la Scp de notaires a commis une pluralité de fautes engageant sa responsabilité,

- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que la responsabilité de la Scp de notaires était engagée,

- constater qu'ils n'ont pas retrouvé d'acquéreur du fonds de commerce et se sont vu signifier un commandement de payer visant la clause résolutoire,

- constater qu'ils ont restitué les clefs du local au propriétaire,

- constater qu'ils ont perdu toute chance de céder leur fonds de commerce,

- juger que leur préjudice s'évalue à la somme de 40 970,32 euros se décomposant comme suit:

- 23 000 euros au titre du prix de la perte de chance de céder leur fonds de commerce,

- 17 970 euros au titre des loyers dus par eux postérieurement à la caducité de la promesse,

- condamner la Scp de notaires au paiement de ces sommes,

- débouter la Scp de notaires de l'ensemble de ses demandes,

- en conséquence, condamner la Scp de notaires au paiement de la somme de 23 000 euros, outre celle de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

SUR CE

- Sur la faute :

La Scp de notaires conteste toute faute alors qu'elle a intégré les conditions suspensives à la demande expresse des parties exprimée devant elle ; M. S..., cessionnaire, a ainsi sollicité expressément l'intégration de la condition suspensive liée à l'agrément du bailleur et exigeait d'avoir l'absolue certitude que la caractéristique principale du bail, à savoir le montant du loyer, ne puisse être ultérieurement revue à la hausse. Elle souligne que la non contestation du bailleur, dans les trois mois suivant la signification de la demande en renouvellement, n'assure pas au cessionnaire la poursuite du bail dans les mêmes conditions ; rien ne garantissait que le bail renouvelé soit signé avec un loyer conforme aux attentes de l'acquéreur du fonds de commerce, ce que confirme le courrier de l'avocat des cédants du 14 mai 2013 sollicitant de la bailleresse la signature du bail renouvelé en mentionnant que trois acquéreurs potentiels n'avaient pas concrétisé l'acte de cession pour ce motif. Elle précise que, le loyer n'étant pas définitivement fixé, le cessionnaire n'aurait pas eu d'autres solutions, à défaut d'accord amiable, que de saisir le président du tribunal de grande instance à cette fin au visa de l'article R.145-23 du code de commerce, cette procédure apparaissant inéluctable, faute d'accord du bailleur qui estimait les conditions actuelles déraisonnables. Elle ajoute que rien n'interdisait non plus au bailleur de donner congé au locataire avec une offre de renouvellement à des conditions financières moins avantageuses. Elle indique que l'article L.145-9 du code de commerce, disposant qu'en cas de renouvellement tacite du bail, le congé doit être donné au moins six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil, le cessionnaire avait un risque sérieux d'être confronté à une procédure du bailleur, même si le principe du renouvellement était acquis.

Que M. S..., qui n'a pas la qualité de témoin pour avoir été partie à l'acte, ait remis à M. et Mme Q..., une attestation, contestée, postérieure de plus d'un an à la cession, selon laquelle le notaire aurait tout fait pour le dissuader d'acheter, ne remet pas en cause les termes de la promesse et les conditions insérées par le notaire à la demande de ses clients et n'a pas de valeur probante au regard d'un acte authentique que l'attestant a signé. Elle ajoute que le courrier de M. S..., du 12 août 2013, annulant la promesse après avoir appris les conflits existants entre la bailleresse et le cédant, confirme ses dires, ce dernier n'ayant pas voulu prendre le risque d'être soumis à l'incertitude d'un bail renouvelé à des conditions économiques supportables. Avoir réclamé de M. S... la lettre du 12 août 2013, ne fait pas la démonstration d'une faute de sa part alors que cet écrit était nécessaire au soutien de sa demande de restitution de l'indemnité d'immobilisation, finalement refusée par les vendeurs.

Elle indique qu'en outre, aux termes de l'acte, les parties lui ont donné décharge de son contenu, reconnaissant qu'il avait été dressé sur leurs déclarations, sans qu'elle soit intervenue relativement aux conditions de la cession.

La Scp de notaires estime avoir établi un acte équilibré reprenant la volonté des parties et transcrivant les conditions arrêtées entre elles, de sorte qu'elle justifie avoir rempli

son devoir de conseil et d'information en rédigeant un acte clair.

M. et Mme Q... soutiennent que la Scp de notaires, allant bien au-delà de son devoir de conseil, a manqué à son devoir d'impartialité en tentant de dissuader le bénéficiaire de faire l'acquisition de leur fonds de commerce. Ils ajoutent qu'elle s'est en outre abstenu de remettre une copie du projet de la promesse de vente, que ce soit avant comme après la signature de l'acte faisant ainsi preuve de carence dans ses obligations de compétence.

Ils exposent que la Scp de notaires a manqué à son obligation de conseil en insérant à l'acte, de sa propre initiative, une condition suspensive inutile, concernant l'agrément du bailleur et son accord au renouvellement du bail aux conditions actuelles. Ils indiquent qu'il est mensonger de prétendre que M. S... en est l'initiateur et qu'il ait pu s'agir d'une condition essentielle et déterminante de son consentement, alors qu'il atteste du contraire, sans que le notaire ne vienne justifier de l'inverse et mentionne que son courrier relatif à l'indemnité d'immobilisation a été écrit sous la dictée du notaire. Ils ajoutent que l'attestation du bénéficiaire de la promesse ne peut sérieusement être remise en cause alors qu'il aurait tout intérêt à l'établir en faveur du notaire pour obtenir la restitution de l'indemnité d'immobilisation, qu'il n'a toujours pas récupérée.

Ils précisent qu'aux termes du bail, seule la convocation du bailleur à l'acte, était requise de sorte que, tenu d'un devoir de conseil impartial et d'assistance active à l'égard de toutes les parties, le notaire était tenu d'en informer les parties et de les inviter à ne pas insérer une telle clause. Ils ajoutent que le notaire ne peut davantage justifier la clause d'obtention de l'acceptation du bailleur à renouveler le bail aux mêmes conditions ; avisé, puisque mentionnant à l'acte la demande de renouvellement du 05 juin 2012, le notaire aurait dû prendre acte du renouvellement du bail du fait de l'expiration du délai de 3 mois prévu par l'article L.145-10 du code de commerce et non offrir à la bailleresse la possibilité de s'y opposer. Ils exposent que le défaut de conseil et d'information est d'autant plus avéré qu'il a écrit, à tort, à leur conseil, le 12 mai 2014, que le bail s'était renouvelé le 31 août 2004 pour une durée indéterminée, préjudiciable au cessionnaire du fonds, sans évoquer le renouvellement opéré par la demande de juin 2012. Ils précisent que la bailleresse ayant, le 16 septembre 2013, augmenté le prix du loyer conformément aux indices du coût de la construction, elle ne pouvait plus pratiquer de déplafonnement.

M. et Mme Q... font valoir que, dès lors qu'ils reprochent au notaire de ne pas avoir exercé son rôle de conseil préalablement à la conclusion de ladite promesse, le caractère authentique de celle-ci importait peu. Ils exposent que la clause de décharge, insérée à l'article 14 de l'acte, ne saurait dégager le notaire de son obligation de conseil.

M. et Mme Q... soutiennent enfin que le notaire, en déclarant la promesse caduque, a agi avec une légèreté d'autant plus blâmable qu'il était rédacteur unique de l'acte. Ils lui reprochent de n'avoir pas pris le soin de les consulter préalablement, ni d'informer le bénéficiaire de sa possibilité de renoncer à cette condition suspensive, ni de les inviter à négocier avec le bailleur, ni de valider juridiquement la position du bailleur, au surplus contradictoire au vu de ses courriers des 09 et 20 septembre 2013. Ils exposent que c'est dans ces circonstances que le bénéficiaire de la promesse, faisant confiance au professionnel, a compris que l'acquisition du fonds était impossible et s'est mis à la recherche d'un autre local, de sorte qu'il ont perdu le seul acquéreur qu'ils avaient pu trouver.

En sa qualité d'officier public, le notaire est tenu d'assurer la validité, l'efficacité et la sécurité des actes qu'il instrumente et il lui appartient d'éclairer les parties, d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets de ceux-ci.

Pour assurer la validité des actes qu'il reçoit, le notaire doit vérifier si toutes les conditions de fait nécessaires à la validité d'un acte sont réunies et s'assurer qu'aucune condition de droit ne fait défaut. S'agissant des conditions de droit, le notaire doit vérifier l'existence des droits de ses clients afin de prévenir la survenance de toute irrégularité, et l'état du droit positif. Pour assurer l'efficacité des actes qu'il reçoit, le notaire doit construire des actes qui réalisent exactement les buts poursuivis par leurs clients et dont les conséquences sont pleinement conformes à celles qu'ils se proposaient d'atteindre. Il doit ainsi rechercher l'intention des parties afin de pouvoir lui donner la forme juridique qui lui convient le mieux et se renseigner effectivement afin de déceler les obstacles juridiques qui pourraient venir s'opposer à cet aboutissement.

La preuve du conseil donné incombe au notaire et celle-ci peut résulter de toute circonstance ou de toute pièce établissant l'exécution de son obligation. L'étendue du devoir de conseil auquel le notaire est tenu doit s'analyser au regard de la mission qui lui est confiée.

Le notaire ne peut se décharger conventionnellement de ses obligations fonctionnelles.

En l'espèce, compte tenu de l'observation qui précède, la décharge de responsabilité introduite par le notaire dans l'acte authentique est indifférente.

Pour le reste, les parties s'accordent pour considérer que le contrat de bail conclu entre la bailleresse d'une part, M. et Mme Q... d'autre part, comportait au paragraphe cession les mentions suivantes : 'Le preneur peut céder son bail à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise. Toute autre cession est interdite.... La cession devra avoir lieu par acte notarié passé avec la participation du notaire du bailleur. Le bailleur devra être appelé, par lettre recommandée avec accusé de réception, à intervenir à cet acte et il lui sera délivré une copie exécutoire sans aucun frais pour lui'.

Il résulte de ces dispositions, que le contrat de bail ne prévoyait pas de clause imposant l'accord du bailleur à la cession mais uniquement son intervention. La bailleresse, contactée par le notaire le 20 août 2013, lui a d'ailleurs répondu par courrier du 23 août 2013 en ce sens en écrivant ' M. Q... est parfaitement libre de vendre son fonds en toute indépendance' et le confirmera le 09 septembre 2013 en sollicitant la communication de la copie intégrale ou un extrait de la promesse relatif à l'identité complète du cessionnaire, ajoutant ne pas envisager pour l'instant de désigner un notaire personnel pour la représenter au moment de la signature des actes de cession.

Par ailleurs, la promesse de cession rappelle en page 3 au paragraphe 'Enonciation du bail', l'historique des contrats. Il est mentionné notamment que le dernier acte sous seing privé renouvelant pour neuf ans le bail en cours, a été conclu le 15 avril 1996, à effet au 1er septembre 1995 et à échéance au 31 août 2004, puis que M. et Mme Q..., ont, par acte d'huissier de justice du 05 juin 2012, sollicité le renouvellement du bail aux clauses et conditions inchangées et 'déclarent ensemble n'avoir pas obtenu de refus de renouvellement de la part du bailleur, dans les mêmes formes, et dans pareille situation le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail précédent'.

Alors que le notaire sollicite la bailleresse en suite de la signature de l'acte, pour connaître sa position, celle-ci répond le 09 septembre 2013 en ces termes : 'Vous savez sans doute que par acte d'huissier qui m'a été signifié le 05 juin 2012, M. Q... a sollicité le renouvellement du bail qui lui avait été consenti par ma défunte mère, dont je suis la seule héritière, et qui était venu à expiration le 31 août 2004. Et aussi que je suis réputée avoir accepté le principe du renouvellement.'

Il résulte en effet de l'application combinée des articles L. 145-9 et L. 145-9 du code de commerce qu' 'à défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat', qu' 'à défaut de congé, le locataire qui veut obtenir le renouvellement de son bail, doit en faire la demande, soit dans les six mois qui précèdent l'expiration du bail, soit, le cas échéant, à tout moment de sa prolongation' et que 'dans les trois mois de la signification de la demande en renouvellement, le bailleur doit, par acte extrajudiciaire, faire connaître au demandeur s'il refuse le renouvellement en précisant les motifs de ce refus. A défaut d'avoir faire connaître ses intentions dans ce délai, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement'.

En application des textes susvisés, le bailleur étant 'réputé' avoir accepté le principe du renouvellement, il n'est pas privé du droit de demander la fixation d'un nouveau loyer lequel ouvre, en cas de désaccord, la possibilité au bailleur, de refuser le renouvellement.

Ces éléments concordent avec le courrier adressé par le conseil de l'époque de M. et Mme Q... à la bailleresse, le 14 mai 2013, par lequel ce dernier lui rappelait qu' 'elle avait accepté le principe du renouvellement du fait de l'écoulement du délai qui lui était imparti pour le contester', lui indiquait que ' M. Q... souhaite céder son fonds de commerce et a trouvé un acquéreur intéressé', que 'cela étant, celui-ci ne pourra acquérir le fonds que lorsque l'acte de renouvellement aura été signé, ce qui est parfaitement compréhensible', que 'M. Q... souhaite donc qu'un bail de renouvellement soit signé conformément aux dispositions légales applicables', qu' 'il lui avait déjà, à plusieurs reprises par le passé demandé la signature de ce renouvellement', qu' elle n'avait 'pas cru devoir donner suite' , que 'trois acquéreurs potentiels du fonds... n'ont pas de ce fait pu concrétiser l'acte de cession' et que M. Q... n'entend pas une fois de plus risquer de perdre la possibilité de céder son fonds de commerce'.

Or, dans son courrier adressé au notaire le 09 avril 2014, le conseil de M. et Mme Q... confirme les dires du notaire, selon lesquels M. S... souhaitait avoir l'assurance de la poursuite du bail aux conditions actuelles, alors qu'il cite une lettre en sa possession rédigée par ce dernier en ces termes : 'J'étais intéressé par votre fonds de commerce où je m'étais engagé à reprendre la suite du bail dans les mêmes conditions...'

Et dans son courrier du 12 août 2013, M. S... indique au notaire : 'Vous avez précisé que si la propriétaire ne se manifeste pas, je risque de perdre 1 150 euros de frais. Alors j'ai fait des démarches et j'ai appris que la propriétaire était en guerre avec M. Q... le vendeur. Donc j'ai conclu qu'elle ne vous répondra pas et elle ne viendra pas à toute convocation. Pour cette raison, je souhaite annuler la promesse de vente au plus vite et je demande que vous me remboursiez toute somme versée.' Si M. S... indique dans un courrier du 15 janvier 2017, avoir écrit ce courrier sous la dictée du notaire, il ne conteste pas l'exactitude de ses énonciations.

Il résulte de ce qui précède que, si le notaire au vu du courrier de 2014 par lequel il indique au conseil de M. et Mme Q..., que 'le bail étant venu à expiration le 31 août 2004 sans avoir fait l'objet d'un congé avec offre de renouvellement dans les délais légaux, il est réputé s'être renouvelé automatiquement mais à durée indéterminée' de sorte que 'le cessionnaire entendait être garanti contre le risque éventuel de voir ultérieurement le propriétaire donner congé à tout moment, avec offre de renouvellement à d'autres conditions financières, moins avantageuses', ne justifie pas avoir informé les parties de l'exacte et complète réalité juridique applicable à la situation de l'espèce, il n'en demeure pas moins que le renouvellement du bail aux conditions actuelles n'était, à la date de la signature de la promesse, en effet, pas garanti, de sorte que la mention du renouvellement du bail aux conditions actuelles ne peut être imputée à tort au notaire.

M. S... dans son attestation du 15 septembre 2014 ne mentionne pas autre chose en écrivant notamment que le notaire '... avait tout fait pour me dissuader d'acheter allant jusqu'à me dire qu'il s'agissait d'une mauvaise affaire. Il m'a dit que le bail n'était pas fiable et qu'il me fallait un bail neuf avec un loyer fixe...'.

Et de fait, par courrier du 27 septembre 2013, la bailleresse a informé le notaire qu'elle 'n'accepterait pas de renouveler le bail aux conditions déraisonnables actuelles', sachant que le 16 septembre 2013, le gestionnaire a appliqué une révision du loyer de quasiment 10 % à effet au 1er octobre suivant.

M. et Mme Q... ne justifient pas que M. S... l'aurait acceptée s'il l'avait connue. Que la bailleresse n'ait depuis lors, dans le délai légal, pas sollicité le déplafonnement du loyer est indifférent s'agissant d'une circonstance bien postérieure à l'effet de la promesse.

Il en résulte que la mention portée à l'acte de ce chef ne peut être légitimement imputée à faute au notaire.

Dans ce contexte, le constat de la caducité de la promesse de vente ne peut être imputé à tort au notaire et il ne peut davantage lui être reproché sa partialité à l'égard de M. S....

- Sur le préjudice et le lien de causalité :

La Scp de notaires expose que, le fonds de commerce étant resté la propriété de M. et Mme Q..., le préjudice invoqué ne saurait être constitué par le prix de cession convenu entre les parties. Elle ajoute que, les conditions particulières ayant été négociées directement entre les parties sans son concours ni sa participation, aucun préjudice ne peut lui être imputé du fait de l'absence de réalisation des conditions suspensives. Elle indique qu'il pourrait s'agir, tout au plus, d'une perte de chance, laquelle est nulle au regard de la volonté des parties, et plus particulièrement de l'acquéreur, de faire figurer dans l'acte la condition suspensive susvisée.

La Scp de notaires indique qu'en tout état de cause, le préjudice invoqué ne peut avoir aucun lien de causalité avec une hypothétique faute de l'étude alors que la condition suspensive n'a pas été levée, uniquement du fait de l'attitude de la propriétaire des murs dans lesquels le fonds est exploité.

Elle indique que le préjudice est d'autant moins établi que M. Q... reste propriétaire du fonds de commerce alors qu'il ne justifie pas des suites données au mandat de vente portant sur le fonds qu'il a délivré à une agence le 21 mars 2014, à un prix de 25 000 €, bien supérieur à celui de la promesse du 9 août 2013. Elle observe qu'elle ne saurait être tenue pour responsable du fait que le fonds n'est pas vendu si le vendeur fixe un prix manifestement trop élevé pour parvenir à la vente. La perte de chance, en lien avec une hypothétique faute du notaire, est dès lors nulle.

Elle estime que l'évaluation du tribunal ne prend pas en compte le refus du bailleur de renouveler le bail aux mêmes conditions financières de sorte qu'il aurait nécessairement donné congé au locataire et lui aurait proposé la conclusion d'un nouveau bail à des conditions financières différentes et nécessairement moins avantageuses alors que le cessionnaire avait fait du maintien des stipulations prévues dans le bail d'origine une condition essentielle et déterminante de son consentement. Sans l'insertion de ces conditions suspensives dans la promesse de vente, le cessionnaire n'aurait pas signé la promesse de vente. Leur insertion n'est pas à l'origine de la non réitération de la promesse de vente.

La Scp ajoute que la demande portant sur les loyers dus par M. et Mme Q... à leur propriétaire pour 17 970 euros est nouvelle en cause d'appel et, partant, irrecevable. Elle ne saurait se rattacher à la demande initiale dès lors que M. Q... était débiteur de loyers impayés depuis le 1er octobre 2013, soit antérieurement à la délivrance de l'assignation et encore au jour de ses dernières conclusions devant le tribunal. En tout état de cause, elle n'est pas constitutive d'un poste de préjudice imputable à une hypothétique faute du notaire alors qu'ils sont toujours propriétaires du fonds de commerce et qu'ils ont donné mandat de vendre à un prix supérieur à la promesse. Dès lors, il ne peut y avoir aucun lien de causalité entre cette dette locative et la faute reprochée au notaire.

M. et Mme Q... soulignent le préjudice subi alors que, sans la légèreté du notaire, la cession du fonds de commerce aurait pu se réaliser puisque toutes les autres conditions suspensives étaient levées. Ils ajoutent qu'ils n'ont pas retrouvé d'acquéreur et que, l'état de santé de M. Q... et son âge avancé, ne lui permettent plus de continuer son exploitation. Ils indiquent qu'ils n'ont dégagé aucun revenu et que la valeur d'exploitation du local ne fait que décliner, qu'ils ont dû assumer le paiement des loyers, faute pour son bailleur d'accepter une résiliation anticipée du bail et que, n'y parvenant pas, ils s'étaient vu délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire et avaient dû restituer les clefs du local à la propriétaire, perdant ainsi toute chance de percevoir un quelconque prix de cession de leur fonds de commerce.

Ils contestent que l'attitude de la bailleresse soit à l'origine de cette situation alors que le notaire a requis un agrément à la cession inutile et qu'il a tiré des conséquences juridiquement erronées du courrier de la bailleresse, sans jamais recueillir l'avis des parties. Ses allégations, selon lesquelles la bailleresse aurait demandé une augmentation du montant du loyer, ou aurait refusé le renouvellement du bail, sont aussi fantaisistes qu'hypothétiques, étant indiqué, qu'au regard de l'emplacement du local, les loyers sont plus à la baisse qu'à la hausse.

La faute du notaire engage sa responsabilité si celle-ci a entraîné l'apparition d'un dommage.

Au vu des observations précédentes, la seule faute retenue à l'encontre du notaire consiste à avoir rendu nécessaire l'agrément du bailleur à l'acte.

Cependant, la bailleresse, au vu de ses courriers, a constaté par elle-même que son agrément à la cession n'était pas nécessaire sans jamais le refuser. C'est au renouvellement du bail aux conditions actuelles qu'elle s'est opposée, ce qui était bien une condition de la validité de l'acte et qui a entraîné la caducité de la promesse sans qu'aucune faute du notaire ne soit retenue sur ce point.

Dès lors, la seule faute retenue à l'encontre du notaire n'est pas à l'origine du préjudice invoqué par M. et Mme Q..., consistant en la perte de la possibilité de céder leur fonds de commerce, étant observé qu'ils ne justifient pas de la diminution de sa valeur alors qu'ils ont signé un mandat de vente en 2014 à un prix supérieur à celui proposé en 2013 et ne produisent aucune pièce actualisée.

Pour les mêmes motifs, à supposer recevable la demande, nouvelle en cause d'appel, alors que l'arriéré de loyers débute en octobre 2013 soit antérieurement à la promesse de cession et à la procédure de première instance, le paiement des loyers par M. et Mme Q..., toujours propriétaires du fonds et titulaires du bail, ne saurait résulter de la faute du notaire dans le contexte sus décrit.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Chacune des parties conservera à sa charge ses dépens et sera déboutée de sa demande formée au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Confirme le jugement du 20 mai 2016 du tribunal de grande instance de Bobigny en ce qu'il a retenu une faute du notaire tenant à l'introduction d'une condition suspensive d'agrément du bailleur à la cession du fonds de commerce par M. et Mme Q... ;

L'infirme pour surplus ;

Déboute M et Mme Q... de leurs demandes de dommages intérêts ;

Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit d e l'une ou l'autre des parties ;

Dit que chacune des parties conservera à sa charge ses dépens.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 16/13859
Date de la décision : 06/03/2019

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°16/13859 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-03-06;16.13859 ?
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