Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRÊT DU 05 MARS 2019
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/05841 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3EV3
Décision déférée à la Cour : Arrêt du 08 Mars 2017 -Cour de Cassation de PARIS - RG n°
APPELANT
Monsieur D... G...
[...]
Représenté par Me Karine LANDRY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0527
INTIMEE
Organisme LIGUE DES ETATS ARABES
[...]
Représentée par Me Pierre-françois ROUSSEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0026
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Décembre 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Anne HARTMANN, Présidente de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Anne HARTMANN, présidente
Monsieur Christophe BACONNIER, conseiller
Monsieur Didier MALINOSKY, vice-président placé ,
Greffier, lors des débats : Mme Caroline GAUTIER
ARRET :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Anne HARTMANN, Présidente de chambre et par Nadia TRIKI, Greffier présent lors du prononcé.
FAITS,PROCEDURE ET PRETENTIONS
La LIGUE DES ETATS ARABES (ci-après LEA) est une organisation intergouvernementale fondée en 1945.
La LEA compte à ce jour 21 Etats souverains, elle a son siège au Caire.
Elle dispose d'une représentation diplomatique en France, sise à Paris à laquelle, par accord du 26 novembre 1997, un statut diplomatique a été reconnu puis a été limité par un nouvel accord du 16 novembre 1999, concernant l'immunité et les privilèges accordés sur le territoire français.
Monsieur D... G... , né en [...], alors ressortissant égyptien, a été engagé le 15 décembre 1976 en qualité de chargé de comptabilité par la LIGUE DES ETATS ARABES selon un contrat de travail régularisé le 1er janvier 2001 se référant au statut du personnel de la Ligue et au règlement intérieur applicable aux employés locaux des missions de la Ligue à l'étranger.
Contestant sa mise à la retraite intervenue le 3 juin 2010, à l'âge de 65 ans, Monsieur D... G... a saisi le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de paiement de diverses sommes au titre tant de l'exécution de son contrat de travail que de sa rupture.
Par jugement du 6 juin 2013, le conseil de prud'hommes de Paris, statuant en formation de départage, l'a débouté de l'ensemble de ses prétentions et condamné aux dépens.
Cette décision a été frappée d'appel par Monsieur G... .
Par arrêt rendu le 2 juillet 2015, la cour d'appel de Paris a statué comme suit:
-Confirme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Statuant de nouveau de ce chef,
-Condamne la LIGUE DES ETATS ARABES à payer à Monsieur D... G... la somme de 25.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter de ce jour.
-Condamne la LIGUE DES ETATS ARABES aux dépens de première instance et d'appel.
Statuant sur le pourvoi formé par la LEA, la Cour de cassation, par arrêt du 8 mars 2016, a cassé et annulé l'arrêt rendu le 2 juillet 2015 entre les parties par la cour d'appel de Paris, mais seulement en ce qu'il condamne la LEA à payer à Monsieur G... la somme de 25.000€ à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en remettant en conséquence sur ce point la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée.
La Cour de cassation a en effet retenu qu'en accueillant la demande au titre de la mise à la retraite requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en retenant que la Ligue ne contestait pas l'application du droit du travail à la relation contractuelle avec un membre du personnel administratif ne participant pas à la mission diplomatique, alors que dans ses conclusions elle contestait que la loi française soit obligatoirement applicable au contrat en cause, la cour d'appel avait dénaturé les termes du litige.
Monsieur D... G... a saisi la cour d'appel de Paris.
Selon des écritures visées par le greffier à l'audience, il a conclu en demandant à la cour de:
- Déclarer les demandes recevables et bien fondées,
- Dire que la cour est compétente pour statuer sur les demandes du salarié,
- Dire que la loi française est pleinement applicable,
- Requalifier la mise à la retraite en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- Condamner le bureau de la LEA à verser à Monsieur D... G... les sommes de:
- 60.000 € à titre de dommages -intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner le bureau de la LEA aux entiers dépens.
Par des écritures visées par le greffier à l'audience, la LEA a demandé à la cour de:
Vu les articles 3 et 6 de la Convention de Rome,
Vu le règlement intérieur applicable aux employés locaux des missions de la Ligue à l'étranger ;
A titre principal,
- dire que le règlement intérieur applicable aux employés locaux des missions de la Ligue à l'étranger est la seule loi applicable au contrat de travail entre la LIGUE DES ETATS ARABES et Monsieur G... ;
- dire que les articles L. 1237-5 et suivants du code du travail n'ont pas de caractère impératif dans l'ordre international et ne sont pas plus protecteurs que la réglementation de la LIGUE DES ETATS ARABES ;
A titre subsidiaire,
- dire que Monsieur G... ne relevant pas du régime français de retraite au titre de son emploi au sein de la LIGUE DES ETATS ARABES ne peut bénéficier des dispositions des articles L. 1237-5 et suivants du code du travail ;
A titre infiniment subsidiaire,
- constater que Monsieur G... a manifesté son accord pour partir à la retraite ;
En conséquence,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
- condamner Monsieur G... à payer à la LIGUE DES ETATS ARABES la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Monsieur G... aux entiers dépens.
Selon des observations écrites versées au dossier le 9 mars 2018, le Ministère public a précisé qu'il était d'avis que la loi française était applicable au contrat de travail de Monsieur G... en tant que lieu d'accomplissement habituel du travail.
L'affaire a été évoquée à l'audience de plaidoirie du 18 décembre 2018.
La cour se réfère aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des faits, des moyens et des prétentions des parties.
SUR CE, LA COUR:
Il n'est pas discuté que l'accord signé le 16 novembre 1999 entre le gouvernement de la République française et la LEA relatif à l'établissement à Paris d'un bureau de la LEA et à ses privilèges et immunités sur le territoire français prévoit en son article 1- 3° que «la ligue reconnaît la compétence des juridictions françaises» et dans son article 4-1 que «La LEA jouit, pour ce qui concerne l'activité officielle de son bureau sur le territoire français, de l'immunité de juridiction sauf dans les cas :
a)d'une action civile fondée sur une obligation de la LIGUE DES ETATS ARABES résultant d'un contrat, y compris d'un contrat de travail conclu avec un membre du personnel. »
Il est par ailleurs acquis aux débats que Monsieur G... a exercé son activité professionnelle depuis son embauche au sein de la représentation diplomatique de la LEA à Paris en vertu d'un contrat de travail régularisé le 1er janvier 2001 mais à effet au 15 décembre 1976.
Sur la loi applicable au contrat de travail conclu entre Monsieur G... et la LEA
Les parties conviennent de l'application de la convention de Rome du 19 juin 1980 pour la détermination de la loi applicable au contrat litigieux.
Il est constant que la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux relations contractuelles concerne les contrats conclus jusqu'au 17 décembre 2009, date à partir de laquelle est entré en vigueur le règlement CE 593/2008 du 17 juin 2008.
Pour infirmation du jugement déféré qui l'a débouté de ses prétentions en estimant que le droit du travail français n'est pas applicable, Monsieur G... se prévaut d'une application de la loi française en s'appuyant sur l'article 6§2 de la Convention de Rome, qui précise que la loi applicable au contrat de travail est en principe celle du pays où le salarié exécute ou organise habituellement son travail, ou à défaut la loi du pays où est situé l'établissement d'embauche du salarié. Il souligne qu'il n'est pas agent diplomatique, qu'il ne participait pas à l'exercice de la souveraineté d'un Etat, qu'il a la nationalité française, qu'il travaille en France depuis le 15 décembre 1976 où il habite depuis 40 ans, qu'il est résident fiscal et paie ses impôts en France.
La LEA soutient quant à elle que le contrat est régi selon l'article 3 de la convention de Rome précitée par la loi choisie par les parties, qui en l'espèce est le règlement intérieur applicable aux employés locaux des missions de la Ligue à l'étranger visé par le contrat, lequel est au surplus la loi qui présente les liens les plus étroits avec le contrat de travail au sens de l'article 6§1de la convention précitée. Elle ajoute que ce règlement a été adopté par l'organe exécutif conformément aux règles définies dans la charte constitutive de la Ligue, selon un processus parfaitement comparable à celui d'un Etat souverain, et qu'il s'agit bien d'une loi au sens de la convention précitée. A défaut, s'agissant d'une question nouvelle, elle suggère une question préjudicielle auprès de la Cour de justice de l'Union européenne.
Au titre de la proximité entre le contrat et la loi de la LEA, elle fait valoir que le contrat est rédigé en langue arabe, que Monsieur G... exerçait une fonction régalienne au sein de la représentation, détenant une procuration sur les comptes et ordonnant les dépenses, qu'il ne travaillait pas en France, qu'il était de nationalité égyptienne au jour de son embauche, avait sa résidence au Caire selon son passeport et n'a pas payé d'impôts en France jusqu'en 2010.
La détermination de la loi applicable, eu égard à la date de signature du contrat de travail, relève en effet des articles 3 et 6 de la convention de Rome du 19 juin 1980 suivant lesquels le contrat est régi par la loi choisie par les parties et ce choix ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assure les dispositions impératives de la loi qui lui serait applicable, à défaut de choix, à savoir la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, ou, si le travailleur n'accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, la loi du pays où se trouve l'établissement qui l'a embauché.
En l'espèce, sans qu'il soit besoin de recourir à une question préjudicielle, il convient de considérer, comme l'admet une partie de la doctrine, que la loi choisie par les parties s'entend nécessairement d'une loi émanant d'un système juridique d'origine étatique, seul à même d'édicter des règles impératives de fond. Dès lors le règlement applicable aux employés locaux des missions de la LIGUE DES ETATS ARABES auquel se réfère le contrat, ne saurait être assimilé à une loi au sens de la convention applicable.
En conséquence, il doit être retenu que la référence au réglement précité équivaut à une absence de choix quant à la loi applicable au contrat de travail et il doit en être déduit que le contrat est régi par la loi du pays où le salarié a accompli habituellement son travail, sauf s'il présente des liens plus étroits avec un autre pays.
Il est de droit que lorsqu'il s'agit de rechercher, par application de l'article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 relative aux obligations contractuelles, la loi qui aurait été applicable à défaut de choix exercé en application de l'article 3, c'est à celui qui prétend écarter la loi du lieu d'accomplissement habituel du travail de rapporter la preuve que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays.
La notion de liens plus étroits n'est pas définie par la Convention de Rome et il est admis qu'il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des éléments qui caractérisent la relation de travail et d' apprécier celui ou ceux qui sont les plus significatifs.
À cette fin, il est de droit qu'un certain nombre d'éléments permettant de rattacher le contrat de travail à la loi applicable à savoir :
- le pays où le salarié s'acquitte des impôts et taxes afférents aux revenus de son activité ;
- le pays dans lequel le salarié est affilié à la sécurité sociale, aux régimes de retraite, d'assurance maladie et d'invalidité ;
- les paramètres liés à la fixation du salaire et aux autres conditions de travail.
En l'espèce, au soutien de la démonstration qui lui incombe de liens plus étroits avec la réglementation applicable au sein de la LEA , celle-ci fait valoir :
- que le contrat signé était rédigé en arabe ;
- que Monsieur G... entre 1976 et 2010 n'a pas payé d'impôts en France ;
- qu'il était de nationalité égyptienne et qu'il a continué à être domicilié principalement en Egypte pendant la durée du contrat ;
-qu'il bénéficiait d'une assurance maladie et d'un régime de retraite propre à la LEA;
- que Monsieur G... n'a pas exercé sur le territoire français stricto sensu ;
- que Monsieur G... avait une fonction régalienne.
La cour rappelle que contrairement à ce que prétend la LEA, Monsieur G... a exercé son activité professionnelle en France pendant près de 33 ans.
S'il est constant que le bureau de la LEA, comme il a été rappelé plus haut, bénéficie à l'instar des ambassades d'une immunité et notamment de l'inviolabilité de ses locaux, il demeure situé en fait et en droit sur le territoire français.
En outre, il est établi que pendant la relation de travail, Monsieur G... résidait incontestablement en France quand bien même son passeport portait encore mention d'une adresse en Egypte, à telle enseigne qu'il a obtenu la nationalité française.
La cour constate par ailleurs que si le contrat signé était rédigé en arabe, les fiches de paye versées aux débats par Monsieur G... étaient établies en français par référence à une durée de 169 heures avec la mention de cotisations versées à l'Urssaf.
La cour relève qu'il importe peu que Monsieur G... n'ait pas payé d'impôts en France jusqu'en 2010 ou qu'il n'y serait pas affilié à un organisme social ou encore qu'il ait eu des fonctions régaliennes d'ordonnateur des dépenses au sein du bureau de la LEA en France puisque en réalité la LEA échoue à rapporter à établir avec quel autre pays le contrat de travail présente des liens plus étroits, au sens de l'article 6§2 précité de la convention applicable, se limitant à invoquer des liens étroits avec la réglementation de la LEA.
La cour retient donc que dès lors qu'il est constant que le contrat de travail de ce dernier a été exécuté sur le territoire français, celui-ci relève des dispositions de la loi française.
S'agissant de la demande de requalification de la rupture, en application de l'article L.1237-5 du code du travail, la mise à la retraite s'entend de la possibilité donnée à l'employeur de rompre le contrat de travail d'un salarié ayant atteint l'âge à partir duquel tout assuré peut liquider ses pensions de retraite, soit en l'espèce 65 ans, peu important qu'il n'ait pas acquis la durée de retraite pour bénéficier d'une retraite complète.
Il doit en être déduit que la mise à la retraite est déconnectée des droits acquis en vue de la retraite et que rien ne s'oppose à ce que ce dispositif légal issu de l'article L.1237-5 du code du travail s'applique à Monsieur G... .
Or, aux termes de l'article L. 1237-5,4° du code du travail, issu de la loi du 17 décembre 2008, tant que le salarié n'a pas atteint l'age de 70 ans, l'employeur doit, s'il souhaite mettre en ouvre ce dispositif, interroger le salarié par écrit sur son intention de quitter volontairement l'entreprise pour bénéficier de sa retraite. En cas de réponse négative ou à défaut d'avoir respecté cette obligation, l'employeur ne peut faire usage de cette possibilité.
Au cas d'espèce, il ressort du dossier que la LEA n'a pas demandé par écrit à Monsieur G... s'il entendait partir à la retraite le jour de ses 65 ans, l'attestation produite au dossier par la LEA émanant d'une salariée témoignant de ce que Monsieur G... «a toujours été parfaitement d'accord pour partir » qui au demeurant n'emporte pas la conviction de la cour, ne peut se substituer à la consultation écrite exigée par le texte, peu importe que Monsieur G... ait procédé aux calculs de ses indemnités. Or, il est établi que la LEA a simplement délivré à Monsieur G... sa date de fin de service au 03 juin 2010 selon un certificat de travail remis dès le 9 mars 2010.
Or, si les conditions de mise à la retraite ne sont pas réunies, la rupture du contrat de travail par l'employeur constitue aux termes de l'article L. 1237-8 du code du travail un licenciement.
En considération de l'ancienneté de Monsieur G... , de son âge au moment de la rupture et de sa situation financière, il lui sera alloué une somme de 25.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en réparation intégrale de son préjudice. Le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris sera infirmé sur ce point.
Sur les autres demandes
Partie perdante, la LEA est condamnée aux dépens devant la cour d'appel de renvoi.
L'équité commande d'allouer à Monsieur D... G... une somme de 2.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, la LEA étant quant à elle déboutée de sa demande sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
Vu l'arrêt de cassation et de renvoi rendu le 08 mars 2017 par la chambre sociale de la Cour de cassation,
INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 06 juin 2013 en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Et statuant de ce chef :
CONDAMNE la LIGUE DES ETATS ARABES à payer à Monsieur D... G... la somme de 25.000€ à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la LIGUE DES ETATS ARABES à payer à Monsieur D... G... la somme de 2.000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la LIGUE DES ETATS ARABES aux dépens devant la cour d'appel de renvoi.
LE GREFFIER LE PRESIDENT