RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 22 Février 2019
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/15311 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4V7N
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Décembre 2017 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGNY RG n° 16-00875
APPELANT
Monsieur [E] [I]
né le [Date anniversaire 1] 1984 à [Localité 1] (COTE D'IVOIRE )
[Adresse 1]
[Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Carole YTURBIDE, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : PB 131
INTIMEES
SAS LEADER INTERIM 92
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Laurent RIQUELME, avocat au barreau de PARIS, toque : D0295 substitué par Me Emilie BOUQUET, avocat au barreau de MONTPELLIER
La société SICRA IDF, venant aux droits de la société SOGETRAV
[Adresse 3]
[Adresse 4]
représentée par Me Alain SALGADO, avocat au barreau de PARIS, toque : E1680
CPAM de [Localité 2]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
représenté par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901 substitué par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 6]
[Adresse 6]
avisé - non comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Décembre 2018, en audience publique et rapporteur, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Claire CHAUX, Présidente de chambre, et monsieur Lionel LAFON, conseiller, chargés du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Claire CHAUX, présidente de chambre
Madame Chantal IHUELLOU-LEVASSORT, conseillère
Monsieur Lionel LAFON, conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Typhaine RIQUET, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par madame Claire CHAUX, présidente de chambre, et par Mme Vénusia DAMPIERRE, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par M. [E] [I] d'un jugement rendu le 4 décembre 2017 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de BOBIGNY dans un litige l'opposant à la société LEADER INTERIM SAS, à la société SOGETRAV aux droits de laquelle vient la société SICRA IDF, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 2].
FAITS , PROCEDURE , PRETENTIONS DES PARTIES
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard .
Il suffit de rappeler que M. [I] était salarié de la société LEADER INTERIM en qualité de boiseur depuis le 8 février 2010, selon différents contrats d'intérim.
Le 7 août 2015, alors qu'il travaillait sur le chantier de la bibliothèque de [Localité 3] de la société SOGETRAV, il a été victime d'un accident du travail.
Selon la déclaration d'accident du travail en date du 10 août 2015, en voulant poser un bastaing, le panneau métallique aurait touché son oreille gauche. Il en est résulté une amputation du pavillon de cette oreille gauche. Le 2 mars 2016 une opération de réfection de cette oreille a été réalisée au centre hospitalier de Saint Denis.
Par lettre du 28 avril 2016 M. [I] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de BOBIGNY afin de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur.
Par jugement en date du 4 décembre 2017 le tribunal des affaires de sécurité sociale de BOBIGNY a déclaré recevable mais mal fondé le recours de M. [I],
M. [I] a interjeté appel de ce jugement par déclaration faite au greffe enregistrée le 22 décembre 2017.
M. [I] fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions invitant la cour à infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, à reconnaître la faute inexcusable de l'employeur,
- à ordonner la majoration maximale de la rente d'accident du travail,
- à ordonner une expertise médicale pour déterminer ses préjudices,
- à lui allouer une provision de 6000 euros à valoir sur la réparation de ses préjudices.
Il fait valoir que la faute inexcusable est présumée car il était intérimaire affecté à un poste présentant des risques particuliers pour la santé et la sécurité, qu'il n'avait reçu aucune formation en matière de sécurité, que l'employeur avait forcément conscience du danger de travaux avec une grue, qu'il ne lui avait pas été remis de protection individuelle de type baudrier, que les risques n'avaient pas été évalués dans le document unique d'évaluation des risques (DUER), et mettant en avant les séquelles de l'accident sont très importantes et invalidantes.
La société de travail temporaire LEADER INTERIM 92 fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions invitant la cour :
- à titre principal, à confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, à débouter M. [I] de l'intégralité de ses demandes et à le condamner à lui verser la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- à titre subsidiaire, à dire que la société utilisatrice SOGETRAV est l'auteur de toute éventuelle faute inexcusable et à la condamner à la garantir de toute condamnation prononcée au profit de M. [I], ainsi que la somme de 3000 euros en application de l'article 700 précité,
- à fixer dans ce cas à de plus justes proportions la provision allouée à M. [I].
Elle fait valoir que M. [I] ne bénéficie d'aucune présomption de faute inexcusable, en l'absence de démonstration des risques particuliers présentés par son poste de travail au sens de l'article L 4154-2 du code du travail, qu'il n'apporte aucune démonstration des éléments caractérisant cette faute inexcusable, subsidiairement, en cas de reconnaissance par la cour de cette faute, que la société SOGETRAV, aux droits de laquelle vient la société SICRA IDF, était substituée dans la direction au sens de l'article L 412-6 du code de la sécurité sociale, qu'elle même a respecté les obligations du contrat de mise à disposition, que la demande d'expertise est trop large et que la demande de provision est manifestement excessive.
La société SICRA IDF, venant aux droits de la société SOGETRAV, entreprise utilisatrice du travailleur intérimaire, fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions invitant la cour:
- à confirmer le jugement déféré,
- à titre principal, à juger que l'accident a pour cause exclusive la faute de M. [I] et à rejeter toutes ses demandes,
- à titre subsidiaire, à désigner un expert,
- à condamner M. [I] à lui verser la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Elle expose que le poste de boiseur de M. [I] ne l'exposait à aucun risque particulier, qu'il ne rapporte en rien la preuve d'une faute inexcusable de l'employeur et que l'accident découle de sa propre imprudence.
La caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 2] fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions par lesquelles elle s'en remet à justice sur l'existence de la faute inexcusable de l'employeur.
Elle demande à la cour, dans l'hypothèse où cette faute serait caractérisée, de ne pas accorder à M. [I] de majoration de la rente, son état de santé résultant de l'accident n'ayant pas fait l'objet d'une consolidation avec attribution d'un taux d'incapacité permanente partielle, et pour ce même motif, elle s'oppose à l'octroi d'une provision et sollicite le sursis à statuer en ce qui concerne l'expertise. A défaut, elle demande que certains chefs de mission demandés par M. [I] soient rejetés, et rappelle qu'elle procédera à l'avance des sommes allouées à ce dernier, et en recouvrera le montant auprès de l'employeur, y compris les frais d'expertise.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions .
SUR CE ,
En application de l'article L 452 - 1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident, ou la maladie professionnelle, est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat.
La faute inexcusable est caractérisée lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
M. [I] soutient qu'il bénéficie d'une présomption de faute inexcusable de l'employeur, au motif qu'il était intérimaire, que son poste présentait des risques particuliers pour sa santé et sa sécurité et qu'il n'avait jamais reçu de formation à la sécurité renforcée, en application des articles L 452-1 du code de la sécurité sociale, L 4154-2 et L 4154-3 du code du travail.
En application de l'article L 4154-3 du code du travail, la faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale et présumée établie pour les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité ils n'auraient par bénéficié de la formation à la sécurité renforcée.
Mais à la lecture du contrat de mission temporaire il apparaît que M. [I] était mis à disposition en qualité de boiseur NIV 3P1 k210, son activité consistant à participer au coffrage des voiles en béton, les risques identifiés étant la chute de hauteur liée à la manutention manuelle et celle liée aux effondrements et chute d'objets, d'où le port obligatoire du casque et des chaussures de sécurité.
Il s'agissait donc d'un poste classique d'ouvrier sur un chantier qui intervient au sol dans les opérations de coulage des ouvrages en béton, et non pas d'un poste de travail présentant des risques particuliers au sens de la circulaire DRT n°90/18 du 30 octobre 1990, qui liste d'une part des travaux habituellement dangereux comme la conduite d'engins, les travaux de maintenance, les travaux sur machines dangereuses, les travaux en hauteur ou l'exposition à des produits chimiques dangereux, et d'autre part les travaux nécessitant une formation particulière comme celui de cariste.
M. [I] ne rapporte donc pas la preuve que son poste présentait, au sens des textes précités, des risques particuliers pour sa santé et sa sécurité, et il ne bénéficie pas d'une présomption de faute inexcusable pour l'absence d'une formation renforcée qui n'était pas légalement nécessaire
M. [I] soutient ensuite que son employeur n'avait pas pris les mesures de sécurité nécessaires exigées par l'article L 320-2 du code du travail, et ne lui a pas donné les informations nécessaires.
Mais la société utilisatrice du salarié, ainsi que son employeur, la société d'intérim, répondent que M. [I] a exercé les fonctions de boiseur pendant plusieurs années depuis 2010 au sein de la société LEADER INTERIM et qu'il avait été mis à disposition de multiples entreprises de travaux pour des missions similaires sur le chantier de la bibliothèque de [Localité 3], et connaissait parfaitement les risques inhérents à ce type de chantier. Le 5 mars 2013 la société LEADER INTERIM lui a remis un livret de sécurité intitulé "intérimaires, vos missions en toute sécurité". Le défaut d'information n'est pas établi.
M. [I] indique que son employeur aurait dû avoir conscience du danger du simple fait que le travail était réalisé avec une grue. Mais cet élément est inopérant, l'appelant étant simple ouvrier de chantier et non grutier. Il ne précise pas en quoi l'employeur aurait pu avoir conscience du risque qui s'est réalisé avec l'accident.
Il soutient qu'il aurait dû porter un baudrier et qu'aucun équipement n'avait été mis à sa disposition qui aurait évité un accident aussi grave. Mais s'agissant d'une blessure à l'oreille, il n'est pas expliqué par l'appelant en quoi le port d'un baudrier l'aurait protégé. Il avait à l'évidence reçu casque et chaussures de sécurité et ne conteste pas qu'il les portait au moment de l'accident.
Sur les circonstances de celui-ci, il ressort des explications de l'appelant qu'il était à ce moment occupé avec ses collègues à préparer un coffrage qui allait ensuite recevoir du béton. Pour ce faire des bastaings devaient être posés et une plaque de métal tenue par une grue se trouvait à côté de lui, à hauteur d'homme. Ce panneau de métal dont le bord est tranchant est entré en contact avec son oreille gauche, dont une partie du pavillon a été sectionnée.
Le contact est manifestement latéral, et le casque de chantier obligatoire qui ne couvre pas les oreille, ne peut pas le protéger de cette blessure.
M. [I] ne précise pas clairement pourquoi ce panneau métallique l'a heurté à l'oreille, indiquant seulement que "des ouvriers" ont poussé le panneau qui était tenu en suspension par la grue.
Mais la société SICRA IDF venant aux droits de la société SOGETRAV, entreprise utilisatrice du salarié, produit des éléments bien plus précis sur les circonstances de l'accident.
La fiche d'information accident (pièce n°2) indique que lors d'une opération de mise en place de banches double hauteur à l'aide de la grue pour coffrer une poutre, un compagnon s'est coupé l'oreille sur le bord de la banche. Le compagnon a passé sa tête entre un poteau et la banche en cours d'élingage. Cette fiche comprend une photo qui permet de visualiser la position tout à fait anormale de la tête de la victime lors de l'accident. Les éléments identifiés sur cette fiche sont que la grue a été vérifiée, que le système radio était opérationnel, que la zone de l'accident n'était pas aveugle pour le grutier, et que le mode opératoire ne prévoit pas de passer derrière les banches et qu'il s'agit d'une initiative dangereuse de la part de la victime.
A tout le moins, l'appelant ne rapporte pas la preuve que son employeur pouvait avoir connaissance du risque, puisqu'il s'est lui même exposé à ce risque en adoptant un comportement imprévisible, alors que les travaux étaient menés de façon normale et avec un matériel vérifié.
Cette société intimée produit aussi (pièce n°3) une attestation de M. [P] [G] du 24 novembre 2015 qui précise que M. [I] avait reçu avant l'accident les consignes appropriées à sa tâche, qu'une organisation de sécurité spécifique avait été mise en place pour les opérations de coffrage, à savoir équipe stable pendant 15 jours de trois boiseurs, grutier compétent qui lors de l'accident ne travaillait pas en aveugle mais à vue, avec usage d'appareils radio portatifs. Il ajoute que la position de la victime lors de l'accident ne s'explique ni par l'organisation du travail ni par les consignes de l'encadrement.
M. [I] invoque aussi une absence d'évaluation du risque dans le document unique d'évaluation des risques (DUER), mais ne développe pas complètement ce moyen, se contentant d'affirmer que "rien n'a été fait", ce qui est manifestement inexact.
L'article R 4121-1 du code du travail concerne l'ensemble des postes de travail au sein de l'entreprise, et l'appelant n'indique pas en quoi, en ce qui concerne son poste de travail, l'employeur n'aurait pas mis en oeuvre les actions de prévention et les méthodes de travail garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.
Il est au contraire établi, comme exposé plus haut, que l'intervention de l'équipe en charge de l'opération le jour de l'accident était bien préparée, bien organisée et que cette équipe était compétente et pourvue du meilleur matériel possible au regard de la technicité du travail à exécuter.
Il convient donc de considérer que M. [I] ne démontre pas l'existence des deux éléments qui caractérisent la faute inexcusable de l'employeur. Ce dernier ne pouvait pas connaître le risque de l'accident qui est survenu et ne disposait d'aucun moyen pour en prévenir la survenance.
Le jugement sera donc intégralement confirmé et l'appelant débouté de l'ensemble de ses demandes.
L'équité commande de condamner M. [I] à verser à la société LEADER INTERIM 92 la somme de 1000 euros et à la société SICRA IDF la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'appelant qui succombe sera condamné au paiement des dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS ,
LA COUR ,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,
Deboute M. [I] de l'intégralité de ses demandes,
Condamne M [I] à verser à la société LEADER INTERIMLEADER INTERIM 92 la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne M [I] à verser à la société SICRA IDF venant aux droits de la société SOGETRAV la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [I] aux dépens d'appel postérieurs au 1er janvier 2019, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
La GreffièreLa présidente