Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 4
ARRÊT DU 18 FÉVRIER 2019
(n°2019/ , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/07753 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5QC3
Décision déférée à la Cour : Décision de rejet du 16 Février 2017 du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante
DEMANDEURS
Madame [U] [Y]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
née le [Date naissance 1] 1953
Madame [K] [F]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
née le [Date naissance 2] 1983
Représentés par Me Michel LEDOUX de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0503 substitué par Me Romain BOUVET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0503
DÉFENDEUR
FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE (FIVA)
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représenté par Me Julien TSOUDEROS, avocat au barreau de PARIS, toque : D1215
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Décembre 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Christine LAGRANGE, magistrate honoraire désignée par décret du 27 novembre 2017 du Président de la République, aux fins d'exercer des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Catherine COSSON, Conseillère faisant fonction de présidente
Mme Sylvie LEROY, Conseillère
Mme Marie-Christine LAGRANGE, Magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : Mme Camille MOLINA
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Catherine COSSON, Conseillère faisant fonction de présidente et par Camille MOLINA, Greffière présente lors de la mise à disposition.
****
Monsieur [D] [N], né le [Date naissance 3] 1922, a été au contact de l'amiante au cours de sa vie professionnelle.
Un cancer broncho-pulmonaire a été diagnostiqué le 29 novembre 2005 et a été reconnu comme maladie professionnelle par l'organisme social de Monsieur [D] [N].
Monsieur [D] [N] est décédé de sa pathologie le [Date décès 1] 2006.
Ses ayants droit ont saisi le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) d'une demande d'indemnisation des préjudices subis par Monsieur [D] [N] de son vivant et de leurs préjudices personnels par différentes requêtes successives.
Les consorts [N] ont accepté les offres du FIVA datées des 22 juillet 2010, 6 août 2010, 26 septembre 2013, 18 juin 2014, 24 octobre 2016 et 19 janvier 2017.
Par lettre du 30 novembre 2017, Madame [U] [Y] et ses trois enfants, [K] [F], [V] [Z] et [Y] [Z] ont saisi le FIVA d'une demande d'indemnisation de leur préjudice moral et d'accompagnement respectif subi du fait du décès de leur père et grand-père.
Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 20 février 2018, le FIVA a rejeté leur demande au motif qu'elle est prescrite.
Madame [Y] et Mademoiselle [K] [F] ont contesté cette décision par recours envoyé le 20 avril 2018 et reçu au greffe de la cour le 23 avril 2018.
Par dernières conclusions reçues au greffe de la cour le 25 octobre 2018 et soutenues oralement à l'audience par leur avocat, Madame [Y] et Mademoiselle [K] [F] demandent à la cour :
- de dire que Madame [U] [Y] disposait de la pleine capacité d'ester en justice lors de la saisine de la cour et que son recours ne peut donc être frappé de nullité,
- en conséquence, de donner acte au FIVA de sa proposition formulée dans ses dernières écritures à titre subsidiaire au titre du préjudice moral subi par Madame [Y] et Mademoiselle [K] [F],
- de constater, cependant, que le quantum de ce préjudice demeure contesté,
- à titre principal :
* de dire que le délai de prescription de dix ans opposable à la demande tendant à l'indemnisation de l'intégralité des préjudices subis par les ayants droit de Monsieur [D] [N] du fait de son décès a été interrompu par l'offre présentée par le FIVA le 22 juillet 2010,
* de constater que la demande d'indemnisation de Madame [Y] et de Mademoiselle [K] [F] au titre de leur préjudice moral n'est pas prescrite,
- à titre subsidiaire :
* de dire que le délai de prescription de dix ans opposable à la demande tendant à l'indemnisation du préjudice moral et d'accompagnement des consorts [N] a été interrompu par le règlement des sommes proposées par le FIVA dans son offre présentée le 22 juillet 2010,
* de constater que la demande d'indemnisation déposée le 28 novembre 2017 par Madame [Y] et Mademoiselle [K] [F] au titre de l'indemnisation de leur préjudice moral et d'accompagnement n'est pas prescrite,
- de fixer aux somme suivante l'indemnisation du préjudice moral et d'accompagnement :
* de Madame [U] [Y] à 40 000 €
* de Mademoiselle [K] [F] à 10 000 €,
- de dire que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la date de l'arrêt à intervenir,
- de condamner le FIVA au paiement d'une somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernière conclusions reçues au greffe de la cour le 7 novembre 2018 et soutenues oralement à l'audience par son avocat, le FIVA demande à la cour :
- de prendre acte de l'accord des parties sur le point de départ du délai de prescription, soit le 22 novembre 2006,
- de constater que le Fonds n'a pas été mis en mesure ni d'identifier l'existence ni d'évaluer les préjudices prétendument subis par les requérantes lors du dépôt de la demande d'indemnisation formulée en 2009,
- de dire que les offres formulées par le Fonds les 22 juillet 2010, 6 août 2010, 26 septembre 2013, 18 juin 2014, 24 octobre 2016 et 19 janvier 2017 ne constituent pas des causes interruptives du délai de prescription,
- en conséquence, de confirmer la décision de rejet du Fonds du 16 février 2018, les demandes adverses étant prescrites,
- subsidiairement, confirmer que l'indemnisation du préjudice moral et d'accompagnement de ne saurait excéder 8 700 € pour Madame [U] [Y] et 3 300 € pour Mademoiselle [K] [F],
- de débouter les requérantes de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
En cours de délibéré, le conseil du FIVA a produit un arrêt rendu le 7 décembre 2018 par la cour d'appel de Toulouse.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR :
La jurisprudence produite en cours de délibéré par le FIVA est écartée des débats dès lors qu'aucune autorisation de production en délibéré n'a été donnée par la cour.
Le FIVA ne soutenant plus que le recours de Mme [U] [Y] est frappé de nullité, il n'y a pas lieu de statuer sur cette question.
Les parties sont d'accord pour fixer le point de départ du délai de prescription décennale au 22 novembre 2006, date du certificat médical établissant le lien de causalité entre le décès de Monsieur [D] [N] et sa pathologie liée à son exposition à l'amiante.
Madame [U] [Y] et Mademoiselle [K] [F] soutiennent que la prescription décennale a été interrompue par l'offre partielle d'indemnisation en date du 22 juillet 2010 faite par le FIVA aux consorts [N] et qu'elles disposent dès lors d'un délai expirant le 22 juillet 2020 pour formuler auprès de cet organisme une demande d'indemnisation complémentaire.
Le FIVA le conteste en opposant en premier lieu les dispositions de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics.
Madame [U] [Y] et Mademoiselle [K] [F] font valoir que le délai décennal de prescription est soumis aux règles de droit commun régies notamment par le code civil dès lors que la loi du 20 décembre 2010, en instaurant une prescription de dix ans, a entendu écarter l'application de la loi du 31 décembre 1968. Elles demandent donc l'application des articles 2235, 2240 à 2242 du code civil.
Le FIVA considère que le régime de prescription applicable, du fait qu'il est un établissement public doté d'un comptable public, ressort de la loi du 31 décembre 1968 et que la loi du 20 décembre 2010 s'est bornée à modifier le délai de prescription sans rien apporter sur le régime de l'interruption ou de la suspension de cette prescription..
Les victimes d'une maladie liée à une exposition à l'amiante tiennent leur droit à réparation directement de l'article 53 de la loi 2000-1257 du 23 décembre 2000. Cet article 53 instaurait initialement un délai de prescription de ces droits à indemnisation de quatre ans pour tenir compte de la loi du 31 décembre 1968 sur les créances à l'encontre des personnes publiques. Il a été modifié par l'article 92 de la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 qui dispose désormais que les droits à indemnisation des préjudices liés à l'exposition à l'amiante se prescrivent par dix ans.
L'article 53 de la loi du 23 décembre 2000, dans sa version initiale, appliquait au FIVA, établissement public national doté d'un comptable public, le régime spécifique à ce type d'établissement prévu par l'article 1 de la loi du 31 décembre 1968 sur les créances à l'encontre des personnes publiques. En particulier, le point de départ de la prescription obéissait aux règles de ladite loi, c'est à dire qu'il était fixé au premier janvier de l'année suivant la date à laquelle le droit était acquis, soit à la date de la consolidation.
La loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 a modifié l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000 non seulement en portant le délai de prescription à dix ans afin d'aligner le délai pour les victimes sur celui de l'article 2226 du code civil mais aussi en modifiant, de manière spécifique, les points de départ de ladite prescription de la demande d'indemnisation puisque, désormais, le délai court à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante ou à compter de la date de constatation de l'aggravation en lien de causalité avec l'exposition à l'amiante ou, comme en l'espèce, à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre le décès et cette exposition.
En modifiant complètement le régime de la prescription dans sa durée et dans ses points de départ pour les demandes des victimes auprès du FIVA, le législateur a entendu instaurer un régime spécifique au profit des victimes et écarter l'application de la loi du 31 décembre 1968, quand bien même le FIVA est un établissement public doté d'un comptable public, au profit du régime de droit commun de la prescription tel qu'il est régi par les articles du code civil.
C'est donc à tort que le FIVA soutient que le régime de la prescription tel qu'il est régi par la loi du 31 décembre 1968 en ses articles 2 et 3 est applicable en l'espèce d'autant qu'il admet que le point de départ de la prescription est le 22 novembre 2006, date à laquelle le décès de Monsieur [D] [N] a été établi comme étant en lien de causalité avec sa pathologie liée à son exposition à l'amiante conformément à l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000 modifié par la loi du 20 décembre 2010.
En droit commun, et en application de l'article 2235, 2240 à 2242 du code civil, la prescription est interrompue par la reconnaissance par le débiteur du droit du créancier, la date de cette reconnaissance faisant courir un nouveau délai de prescription.
En l'occurence, au regard des pièces produites, il n'est démontré ni que Mme [Y] ni que Mme [F] qui était âgée de 27 ans en juillet 2010, ont été parties aux demandes effectuées et ayant abouti à l'offre du 22 juillet 2010 puis aux offres subséquentes. Le FIVA observe à juste titre que sa saisine intervient a minima par l'envoi du formulaire prévu à cet effet conformément à l'article 15 I. du décret 2001-963 du 23 octobre 2001 modifié par décret 2011-1250 du 7 octobre 2011 et qu'en l'espèce aucun formulaire ne lui a été envoyé par les intéressées avant ceux des 10 et 13 novembre 2017. Il s'ensuit qu'il ne s'est pas reconnu débiteur de l'indemnisation des préjudices personnels des requérantes et que l'interruption du délai de la prescription décennale n'est pas établie. Mme [Y] et Mme [F] disposaient donc d'un délai expirant le 22 novembre 2016 pour solliciter l'indemnisation de leurs préjudices personnels. Les demandes d'indemnisation effectuées le 30 novembre 2017 sont en conséquence irrecevables car prescrites.
PAR CES MOTIFS
Dit que les demandes d'indemnisations formées le 30 novembre 2017 par Madame [U] [Y] et Mademoiselle [K] [F] sont irrecevables car prescrites,
Rejette la demande présentée en application de l'article 700 du code de procédure civile par Madame [U] [Y] et par Mademoiselle [K] [F],
Laisse les dépens à la charge du FIVA.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE