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14/02/2019 | FRANCE | N°17/03118

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 14 février 2019, 17/03118


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRÊT DU 14 Février 2019

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/03118 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2Y2R



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Janvier 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 16/03032





APPELANTS

Monsieur [M] [R]

[Adresse 1]

[Localité 1]

représenté par Me Jonathan CADOT, av

ocat au barreau de PARIS, toque : R222

plaidant Me David METIN, avocat au barreau de VERSAILLES, toque : C 159



Syndicat UGICT-CGT AIRBUS GROUP

[Adresse 2]

[Localité 2]

r...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRÊT DU 14 Février 2019

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/03118 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2Y2R

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Janvier 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 16/03032

APPELANTS

Monsieur [M] [R]

[Adresse 1]

[Localité 1]

représenté par Me Jonathan CADOT, avocat au barreau de PARIS, toque : R222

plaidant Me David METIN, avocat au barreau de VERSAILLES, toque : C 159

Syndicat UGICT-CGT AIRBUS GROUP

[Adresse 2]

[Localité 2]

représentée par Me Jonathan CADOT, avocat au barreau de PARIS, toque : R222

plaidant Me David METIN, avocat au barreau de VERSAILLES, toque : C 159

INTIMÉE

SAS AIRBUS GROUP

[Adresse 3]

[Localité 3]

N° SIRET : 341 53 5 0 944

représentée par Me Pierre LUBET, avocat au barreau de PARIS, toque : R021

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 Novembre 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre, et Madame Bérengère DOLBEAU, Conseillère, chargées du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente

Madame Bérengère DOLBEAU, Conseillère

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Conseillère

Greffier : Mme Anna TCHADJA-ADJE, lors des débats

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, prorogé ce jour.

- signé par Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre et par Madame Anna TCHADJA-ADJE, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE:

Suivant contrat à durée indéterminée du 3 juillet1990, M. [R] a été engagé par la société Aérospatiale devenue EADS puis Airbus Group, en qualité de chef de projet organisation, cadre II indice hiérarchique 108, selon la convention collective de la métallurgie.

Aux termes de différents avenants, M [R] a été affecté en tant que cadre II indice 120 à [Localité 4], puis à l'établissement de [Localité 5] en 1999. Il a été promu comme cadre IIIA indice 135 en 2002, puis comme cadre III B indice 180 en 2005. En dernier lieu, il exerçait les fonctions de contrôleur de gestion.

A compter du mois de juillet 2002, M. [R] a été désigné délégué syndical et représentant syndical au comité d'établissement de [Localité 6].

En février 2006, M. [R] a été désigné en qualité de représentant syndical au sein du comité central d'entreprise d'EADS puis, en qualité de délégué syndical central d'Airbus Group à compter de février 2009. L'ensemble de ces mandats représentaient alors 130 heures de délégation par mois.

A compter de janvier 2011, à défaut de représentativité de son syndicat dans l'entreprise, M [R] a perdu ces différents mandats. Il a alors été désigné le 20 janvier 2011 représentant de la section syndicale de [Localité 7]. Il a été réaffecté à temps plein au service du contrôle de gestion d'EADS .

Le 28 février 2011, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris pour obtenir d'être rétabli dans ses fonctions de responsable de contrôle de gestion conformément à sa nomination du 1er avril 2002 et obtenir divers dommages et intérêts pour discrimination syndicale, harcèlement moral et préjudices complémentaires. Le syndicat UGICT-CGT-EADS France est intervenu volontairement à la procédure.

Au regard de difficultés persistantes avec sa responsable hiérarchique, la société lui a proposé une mobilité interne, dont M [R] a accepté le principe mais qui n'a pas abouti.

M. [R] a été placé en arrêt de travail du 30 mars 2011 jusqu'au 26 juillet suivant.

Par courrier du 20 décembre 2011, il a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement.

Le 1er février 2012, la société EADS a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire.

Par décision du 29 février 2012, l'inspection du travail a refusé la demande d'autorisation de licenciement de M. [R].

Par décision du 20 juillet 2012, le ministre du travail a annulé la décision rendue par l'inspecteur du travail.

Par courrier daté du 26 juillet suivant, M. [R] s'est vu notifier son licenciement pour motif disciplinaire.

Il a exercé un recours gracieux contre la décision du ministre.

Par décision du 5 novembre 2012, le ministre du travail a retiré sa décision du 20 juillet 2012, annulé la décision de l'inspecteur du travail et accordé l'autorisation de licencier M. [R].

Par courrier du 19 novembre 2012, M. [R] s'est vu notifier son licenciement pour motif disciplinaire.

Sur recours de M [R] tendant à annuler la décision du ministre du travail, le tribunal administratif de Paris par décision du18 décembre 2013 a rejeté sa demande.

Par décision du 31 juillet 2015, la cour administrative d'appel de Paris a confirmé la décision du tribunal administratif.

Le Conseil d'état a rejeté le pourvoi de M. [R].

Par jugement du 25 janvier 2017, le conseil de prud'hommes, en formation de départage, s'est déclaré incompétent pour examiner les demandes formées par M. [R] ; a dit que la demande de réintégration aux fonctions de responsable était sans objet et a ordonné à M. [R] de remettre à la société EADS le matériel visé dans le courrier du 10 juin 2013.

M. [R] a interjeté appel le 24 février 2017 de ce jugement notifié le 27 janvier 2017.

Par dernières conclusions transmises par voir électronique le 24 mai 2017, M [R] et le syndicat UGICT-CGT- AIRBUS Group demandent à la cour de :

- recevoir M [R] en ses demandes et le syndicat en son intervention volontaire,

-infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

-juger qu'il n'y a pas d'atteinte au principe de séparation des pouvoirs,

- se déclarer compétente pour statuer sur le litige,

-juger que la société AIRBUS a commis des actes constitutifs de harcèlement moral à l'encontre de M [R] et a manqué à son obligation de prévenir les actes de harcèlement moral ;

- condamner la société AIRBUS à lui verser une somme de 150.000 euros en réparation du préjudice subie du fait du harcèlement moral ;

-juger que la société AIRBUS a commis des actes de discrimination à l'encontre de M [R] en raison de son appartenance syndicale ;

- condamner la société AIRBUS à lui verser la somme de 150.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de discrimination commis à son encontre.

-condamner la société AIRBUS à verser la somme de 5.000 euros au syndicat UGICT-CGT en réparation du préjudice causé aux intérêts de la profession ;

- dire que ces sommes porteront intérêt à compter de la saisine du conseil de prud'hommes;

- ordonner la capitalisation judiciaire des intérêts ;

- condamner la société AIRBUS à leur payer la somme de 6.100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société AIRBUS aux entiers dépens y compris les éventuels frais d'exécution de l'arrêt à intervenir.

M . [R] fait valoir que le conseil de prud'hommes a une compétence exclusive pour connaître du préjudice causé au salarié par les manquements de son employeur lors de l'exécution du contrat de travail et notamment celui résultant du harcèlement moral et de la discrimination à raison des activités syndicales.

Sans discuter que l'autorisation délivrée par l'autorité administrative de licencier ne permet plus de discuter la cause réelle et sérieuse du licenciement devant le juge judiciaire, sauf à violer le principe de séparation des pouvoirs, M [R] observe que le juge judiciaire reste néanmoins compétent pour juger de la proportionnalité de la faute. Il soutient que de la même façon le juge judiciaire peut statuer sur l'indemnisation des manquements de l'employeur à l'égard du salarié, dès lors que ceux-ci n'ont été étudiés par l'autorité et le juge administratif qu'aux seules fins de statuer sur le licenciement pour motif personnel du salarié.

M. [R] ajoute que le seul débat est celui du harcèlement moral ainsi que de la discrimination syndicale qu'il a subis lors de l'exécution de son contrat de travail et qu'aucune demande n'est en lien avec les griefs reprochés lors du licenciement.

Concernant le harcèlement moral, M. [R] fait valoir qu'il rapporte la preuve de faits susceptibles de caractériser une telle situation. Il précise ainsi que depuis sa désignation en qualité de représentant de section syndicale et en qualité de représentant au comité central d'entreprise par la suite, la société Airbus a vidé son poste de ses responsabilités ; qu'elle lui a supprimé les outils et moyens permettant de remplir ses fonctions et qu'à compter de 2009, la nouvelle responsable du contrôle de gestion du siège a fait tout ce qui était en son pouvoir pour l'empêcher d'exécuter sa prestation de travail, en lui imposant des délais stricts , en gardant le silence suite à sa proposition de la mise en place d'un nouveau planning , en retenant des infirmations sur des sujets qui l'intéressaient directement et en le déménageant dans un bureau partagé avec sa collaboratrice.

M. [R] fait valoir que ce contexte a entraîné une dégradation de ses conditions de travail, qu'il a psychologiquement été gravement atteint par l'attitude humiliante et vexatoire de son employeur, à l'origine d'une dégradation de son état de santé, dont témoignent les documents médicaux produits.

Il ajoute que la société Airbus a manqué à son obligation de prévenir les actes constitutifs de harcèlement moral alors qu'il s'est évertué à réclamer la restauration de ses responsabilités à sa hiérarchie mais que la société, ne lui a pas clarifié son périmètre de responsabilité. M. [R] ajoute que la société Airbus a contribué à l'appauvrissement des missions qui lui étaient confiées.

Concernant la discrimination syndicale, M. [R] fait valoir qu'après sa désignation à des fonctions représentatives et syndicales, il a subi de nombreuses pressions morales directes ou indirectes, réitérées par son employeur qui avaient pour objectif de l'évincer des effectifs de la société. M. [R] ajoute que la société Airbus a une aversion pour les responsables syndiqués et que les premiers actes de discrimination syndicale datent de 2004 lorsqu'il a sollicité la création d'un nouveau poste puisqu'il ne pouvait plus assumer seul sa charge de travail et ses mandats représentatifs. M. [R] précise que son engagement syndical grandissant n'est que la conséquence inévitable de l'attitude de la société consistant à lui supprimer progressivement ses responsabilités et que la société a porté atteinte à son devoir de neutralité en diffusant un courriel concernant le droit syndical. M. [R] rappelle qu'il a été confronté à un changement durant l'été 2009 et qu'il a dû partager un bureau avec sa collaboratrice et fait valoir que la société Airbus l'a pénalisé financièrement en juin 2011 en l'excluant de l'application de l'accord sur le droit syndical applicable au sein de l'établissement. Enfin, M. [R] fait valoir que les arguments déployés par la société Airbus ne font que confirmer le mépris de cette dernière pour l'engagement syndical.

Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 30 mars 2018, la société Airbus Group demande à la cour de :

A titre principal,

-confirmer le jugement entrepris ,

- se déclarer incompétente pour statuer sur les demandes formulées par M. [R] en raison du principe de séparation des pouvoirs,

A titre subsidiaire,

-de débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes.

- débouter le syndicat UGICT-CGT Airbus Group de sa demande d'indemnisation de préjudice à hauteur de 5.000 euros ;

- condamner M. [R] à lui payer la somme de 7.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Remarquant que le salarié abandonne sans explication devant la cour ses demandes indemnitaires pour entrave au mandat de délégué syndical et pour préjudices complémentaires, la société Airbus Group soutient que la cour ne peut statuer sur les demandes au titre d'un harcèlement moral et d'une discrimination syndicale présentées par les appelants dès lors que les faits invoqués ont été appréciés par l'autorité administrative puis le juge administratif pour aboutir aux décisions rendues.

Elle relève que devant l'autorité administrative puis lors de ses recours, M [R] a présenté les mêmes allégations de perte de responsabilités, de 'placardisation', d'humiliations, anciennes qui n'ont pas été retenues ; que de la même façon, il a fait état d'une discrimination dès l'obtention de ses premiers mandats, de sorte que ces faits ont nécessairement été examinés et apprécier pour aboutir aux décisions rendues.

A titre subsidiaire, la société Airbus fait valoir que M. [R] n'a subi aucun acte ou agissement susceptible de caractériser une situation de harcèlement moral. Elle ajoute que l'évolution des tâches qui lui ont confiées sur une période de sept années est uniquement justifiée par la nécessité d'adapter le service du contrôle de gestion à son environnement juridique et que l'autorité administrative a d'ailleurs considéré que les missions confiées au salarié s'étaient enrichies. Elle précise que M. [R] n'a fait l'objet d'aucune mise à l'écart et n'a pas été empêché d'exercer ses missions, qu'il ne peut prétendre avoir été surchargé de travail alors que dans le même temps il a refusé de déléguer les tâches à ses collègues. Elle ajoute que sa supérieure n'a retenu aucune information concernant ses fonctions et qu'elle demeurait libre du choix de ses interlocuteurs et que l'affectation dans un bureau avec sa collaboratrice était une situation partagée par d'autres salariés exerçant un mandat et que la confidentialité nécessaire à ses fonctions syndicales était assurée par la mise à disposition d'un local dédié.

La société Airbus fait valoir qu'elle démontre l'existence d' un contexte exclusif de tout harcèlement et qu'elle n'a aucunement manqué à son obligation de prévenir les actes constitutifs de harcèlement.

Elle fait par ailleurs valoir que M. [R] n'a jamais fait l'objet de discrimination et que les éléments de fait qu'il avance à l'appui de sa demande n'en laissent pas présumer l'existence. La société Airbus ajoute que M. [R] invoque les mêmes faits que ceux allégués pour caractériser le harcèlement qu'il estime avoir subi et précise qu'elle démontre avoir parfaitement respecté les termes des accords sur le droit syndical en vigueur de sorte que le salarié a bénéficié d'une évolution de carrière et de rémunération parfaitement régulières. Enfin, la société Airbus fait valoir qu'elle a tout mis en 'uvre pour que M. [R] puisse concilier ses mandats syndicaux et les importantes responsabilités qui lui incombaient en sa qualité de contrôleur de gestion et favoriser sa réintégration après que son syndicat ait perdu sa représentativité, et ce malgré son attitude polémique persistante.

Elle relève en outre que M [R] ne produit aucun élément pour justifier du préjudice allégué alors qu'il sollicite une indemnisation globale de 300000€.

Elle sollicite également le rejet de la demande du syndicat.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément aux écritures visées ci-dessus.

MOTIFS :

- Sur la compétence de le juridiction prud'homale :

Lorsque le licenciement a été notifié au salarié à la suite d'une autorisation administrative de licenciement accordée à l'employeur, le juge judiciaire demeure compétent, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, pour allouer des dommages et intérêts au salarié au titre des fautes commises par l'employeur pendant la période antérieure au licenciement, à moins que les manquements invoqués par le salarié n'aient été nécessairement pris en considération par l'autorité administrative dans le cadre de la procédure d'autorisation.

M [R] ne discute pas devant la cour son licenciement, mais impute deux manquements à son employeur au soutien de ses demandes indemnitaires, d'une part une discrimination à raison de ses activités syndicales et d'autre part une situation de harcèlement moral.

Conformément aux dispositions de l'article R 2421-7 du code du travail, l'autorité administrative saisie par l'employeur d'une demande d'autorisation d'un salarié protégé doit, sous le contrôle du juge administratif, examiner notamment si la mesure de licenciement est en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par le salarié.

En l'espèce, le ministre du travail dans sa décision du 5 novembre 2012, autorisant le licenciement, a indiqué que la demande d'autorisation n'était pas liée au mandat détenu par M [R]. Ce dernier devant le tribunal administratif comme devant la cour administrative d'appel a soutenu que le ministre n'avait pas statué sur ce point ou que sa décision n'était pas suffisamment motivée. Pour ce faire, ainsi que le montrent les mémoires déposés devant les juridictions administratives produits aux débats par la société intimée, M [R] a clairement évoqué un comportement discriminatoire de la part de son employeur à son égard, en raison de ses activités syndicales, invoquant à ce titre une perte de fonctions et de responsabilités et l'organisation de sa mise à l'écart en parallèle de l'évolution de son activité syndicale.

Ce manquement ainsi imputé à l'employeur a nécessairement été examiné par la juridiction administrative, pour l'écarter, dès lors que l'absence de lien entre le mandat de M [R] et la décision de licenciement a été confirmée, permettant de valider l'autorisation de licenciement. En conséquence, la juridiction prud'homale est incompétente pour statuer sur la demande indemnitaire liée au manquement de l'employeur tenant en une discrimination syndicale. Le jugement sera confirmé sur ce point.

S'agissant du harcèlement moral imputé à l'employeur, son examen au fond ne résulte pas de la décision de l'autorité administrative statuant sur l'autorisation administrative sollicitée par l'employeur, ni de celles des juridictions administratives. La critique du management de la responsable hiérarchique de M [R] se situe en effet dans le cadre du contrôle par la juridiction administrative des griefs reprochés au salarié pour justifier la mesure de licenciement et n'a pas été examinée spécifiquement. Dès lors, la demande indemnitaire au titre d'un harcèlement moral par la société Airbus Group relève de la compétence de la juridiction prud'homale. Le jugement sera réformé sur ce point.

- Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et sa dignité, d'altérer sa santé physique, mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 de ce même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société Airbus ne peut pas opposer la prescription des faits invoqués entre 2004 et 2006, dès lors que ces faits étaient soumis à une prescription trentenaire, réduite à cinq ans par la loi du 17 juin 2008 ; que l'article 26 II de cette loi relatif aux mesures transitoires prévoit que ses dispositions s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du jour de son entrée en vigueur soit le 19 juin 2008, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure .Or, M [R] a saisi la juridiction le 28 février 2011 dans le délai de cinq ans de la loi et le délai entre les faits de 2004 et cette saisine n'excède pas la durée de la prescription antérieure.

M [R] évoque :

-à compter de 2004, une surcharge de travail liée à un manque de moyens humains, une refonte du service contrôle de gestion induisant une perte de ses responsabilités et de ses fonctions, qui s'est poursuivi les années suivantes, une mise à l'écart à la suite de l'arrivée d'un nouveau contrôleur de gestion et une impossibilité d'exercer ses missions,

-à compter de sa désignation comme délégué syndical central d'Airbus Group en 2009, une déstabilisation générée par des délais stricts imposés par sa supérieure, l'affectation à un bureau partagé avec sa collaboratrice, une rétention d'information de la part de sa supérieure,

- à compter du janvier 2011 année de la perte de ses mandats lourds, une dégradation de ses conditions de travail tenant en des reproches injustifiés , une attitude humiliante et vexatoire de son employeur ayant conduit à un arrêt de travail de plusieurs semaines pour dépression.

Au soutien de ses allégations, s'agissant de la charge de travail et de l'absence de moyens humains il verse plus particulièrement aux débats :

- un courriel de mars 2004 relatif au renouvellement du contrat de Mme [P], recruté pour l'assister, des échanges de courriels des mois de mai, juin, juillet et août 2004 avec d'autres services, qui mettent en évidence ses retards et ses difficultés à faire face aux demandes de justification de dépenses d'autres services, précisant ne disposer d'aucun moyen humain ,

- un couriel du 20 août 2014 indiquant l'impossibilité d'assister à une réunion en lien avec son activité syndicale, faute d'assistant pour pallier les urgences en période de préparation budgétaire,

-des échanges de courriers de janvier et mars 2005 de M [R] , de M [K] délégué syndical central EADS France et du Directeur des ressources humaines M [I], concernant l'organisation de ses activités professionnelles et syndicales.

-une attestation de M [X], chef comptable, qui témoigne de ce que M [R] avait une personne pour l'aider en 2003, ce qui était insuffisant par rapport à la charge de travail, qu'il s'est retrouvé seul pendant presque toute l'année 2004, ce qui a généré des retards,

A la lecture de ces différents échanges, les faits allégués apparaissent établis.

S'agissant de la perte de responsabilités et de fonctions, consécutive à la réorganisation du service de contrôle de gestion, M [R] verse aux débats un mail du 11 octobre 2004 adressé à son supérieur M [H], relatif à la réunion ayant eu lieu avec les direction des ressources humaines et à la présentation de la transformation du contrôle de gestion, qu'il dénonce comme entraînant une perte de responsabilité, ainsi qu'une attestation de M [N] .

Si le mail du 11 octobre 2014 ne retranscrit que l'analyse propre au salarié de la réunion en cause, M [N] qui est devenu responsable de la nouvelle structure du contrôle de gestion après adjonction d'une branche 'filiales et participations' témoigne de ce que cette refonte du service a entraîné une réduction des responsabilités de M [R] qui a été placé de fait sous son autorité, ce que confirment les échanges par mail entre eux et la situation de tensions ainsi créée dont fait d'ailleurs état le témoin. Ce dernier relève en outre que M [R] a perdu le rôle d'interlocuteur unique des correspondants des directions centrales qu'il avait auparavant et a limité les contacts professionnels dans le cadre du contrôle de gestion avec M [I] DRH, comme le montrent les échanges de janvier 2005 (pièce 34), autant d'éléments qui accréditent la perte de responsabilité alléguée par le salarié.

Concernant sa mise à l'écart suite au recrutement d'un nouveau contrôleur de gestion placé normalement sous sa responsabilité, M [R] se fonde sur son mail du 23 mars 2006 avertissant son employeur de ce que sa désignation en qualité de représentant syndical au comité central d'entreprise d'EADS France en plus de ses autres mandats entraînait un dépassement du mi-temps mensuel et demandant la tenue du rendez-vous avec le service des ressources humaines prévu par l'accord sur le droit syndical.

-une proposition de réorganisation du controlling par son supérieur M [N], prévoyant le recrutement d'un nouveau contrôleur, le 18 avril 2006,

- un mail de M [N] du 15 mai 2006 relatif à la fiche de poste et aux qualifications attendues du contrôleur recruté bac +5, préconisant ce niveau afin de pouvoir le faire évoluer en fonction des opportunités ( départ de A [C], retrait progressif de fonctions de R .[R]).

- des mails directs les 16 et 17 octobre 2006 entre M [I] et M [A] contrôleur recruté,

-un mail de M [R] à M [N] avec copie à M [I] du 18 octobre relevant cette situation et se plaignant d'une mise à l'écart,

-un échange de mails de février 2007 entre M [R] et M [N] relatif à des demandes réalisées directement à M [F] source d'erreurs, outre des mails directs entre M [N] et M [F] de novembre 2006 et 2007.

Or, dans le cadre de la réorganisation proposée suite à l'augmentation des responsabilités syndicales de l'appelant, le fait de recruter un salarié au service de contrôle de gestion disposant d'un niveau de diplôme lui permettant d'y évoluer voire de pallier un départ du service d'un de ses membres ou une indisponibilité plus importante de M [R], qui de fait s'est concrétisée en 2009 ne suffit pas à caractériser une volonté de le mettre à l'écart. Il en est de même des échanges directs de M [F] avec M [N] dans le cadre du travail quotidien, ce d'autant que M [R] ne justifie pas avoir fait des remarques à M [F] placé sous son autorité, sur la nécessité de le mettre en copie de ses échanges avec son N+ 2, alors qu'il résulte d'une mention manuscrite explicative de sa part (pièce 114 feuillet 9) que M [N] avait fait un rappel à cet égard.

Concernant sa déstabilisation par les délais réduits imposés par sa supérieure Mme [L] à compter de 2009, date à compter de laquelle il disposait d'une délégation de 130 heures par mois, M. [R] verse aux débats des mails de février 2009 et mars 2009 de Mme [L] sollicitant l'obtention des données relatives à la justification des 'management fees' 2006-2007 puis 2008, dans des délais de l'ordre d'un mois. Toutefois, les mails de Mme [L] mettent en évidence que ces délais s'inscrivaient dans un échéancier imposé par une présentation aux directeurs financiers des divisions prévue en juin . Par ailleurs, celle-ci lui avait suggéré de s'appuyer pour ce travail sur l'équipe controlling , ce qu'il a refusé de faire, sans justifier de l'impossibilité d'obtenir une aide à raison d'une trop grande complexité du travail demandé. Ce fait n'est donc pas suffisamment établi.

S'agissant de la rétention d'informations, alléguée à son égard notamment par Mme [L], M [R] verse aux débats différents mails émanant de cette dernière à l'intention de Mme [U] certes placée sous sa responsabilité, mais concernant toutefois des points et question très précises et de simples vérifications. Par ailleurs, elle lui a très clairement répondu qu'elle laissait à M [N] supérieur direct de l'appelant, le soin de retransmettre ses mails s'il l'estimait utile. En outre le fait que M [N] de par sa position hiérarchique l'ait informé des réunions controlling mises en place par Mme [L] n'est pas suffisant pour caractériser la rétention d'information qui n'est ainsi pas établie.

Il évoque un déménagement soudain et impromptu le conduisant à partager un bureau avec sa collaboratrice alors que les autres salariés dotés de fonctions syndicales bénéficiaient de bureau individuel. M [N] confirme dans son attestation lui avoir annoncé cette nouvelle organisation. Toutefois, comme le fait remarquer la société le fait de partager un bureau avec un autre salarié placé sous sa responsabilité ne constitue pas en soi une situation anormale et dégradante, ce d'autant qu'à l'époque en question en 2009, M [R] était peu présent dans les locaux et qu'il ne résulte avec certitude d'aucune pièce que cette situation était unique notamment parmi les détenteurs de mandats syndicaux. Les échanges avec la personne chargée d'assurer ce déménagement versés aux débats démontrent que ses disponibilités ont été prises en compte, comme son souhait de vider au préalable les documents syndicaux se trouvant dans ses armoires.

M [R] ayant repris ses fonctions au contrôle de gestion en janvier 2011 fait état de leur périmètre mal déterminé. Or à cet égard, il produit uniquement ses propres courriers critiques des 1er mars et 22 septembre 2001. Il invoque de la même façon des remarques désobligeantes de Mme [L] lesquelles sont uniquement mentionnées dans ses propres mails notamment du 1er mars 2011. Les courriels rédigés par cette dernière qu'il produit aux débats sont exempts de remarques ou de propos désobligeants ou discourtois à son égard et une telle attitude ne peut se déduire de la seule expression par Mme [L] de son désaccord avec la position de l'appelant. S'il fait également état d'humiliations ou de propos vexatoires, ceux-ci ne résultent pas des pièces produites aux débats émanant de sa supérieure et M [R] ne peut rediscuter pour les contester des faits et comportements qui lui ont été reprochés par son employeur et ont été considérés par l'autorité administrative comme suffisamment graves pour justifier la délivrance de l'autorisation de licenciement.

Sont donc établis les faits tenant en une surcharge de travail à raison de moyens humains insuffisants, une perte de responsabilité du fait de la réorganisation du service de contrôle de gestion opérée fin 2004.

L'appelant verse également aux débats des documents médicaux d'avril 2010 et mars 2011, qui attestent d'un état anxio-dépressif depuis mars 2008 fluctuant depuis cette date et nécessitant la prise d'un traitement anxiolytique et antidépresseur, ainsi que de son placement en arrêt de travail à compter de mars 2011, documents qui témoignent d'une dégradation de son état de santé.

Dès lors, M [R] établit des faits qui pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence du harcèlement invoqué.

Pour sa part, la société Airbus Group justifie par le mail de M [D] du 16 janvier 2002 supérieur hiérarchique de M [R] à cette époque, que ce dernier n'était pas alors responsable du service de contrôle de gestion, mais a repris partie des fonctions de ce dernier suite à son départ. A cette occasion, M [D] a indiqué la nécessité d'allouer une assistante à M [R] en la personne de Mme [W] qui a bénéficié d'un contrat à durée déterminée renouvelé jusqu'au 31 août 2003. Il est par ailleurs démontré par l'intimée qu'à compter de cette date a été recrutée Mme [P] du 1er septembre 2003 au 19 décembre 2004, remplacée par Mme [U] ; qu'en 2006 à la suite de la réorganisation du contrôle de gestion, a été recruté M [F], qui est resté dans la société jusqu'en 2008. La société justifie ainsi par des éléments objectifs avoir accordé à M [R] les moyens d'exécuter ses fonctions.

S'agissant de la perte de responsabilités en raison de la réorganisation du service de contrôle de gestion, il est établi par le mail de M [D] visé plus haut, qu'elle avait été envisagée dès 2002. Elle résulte du processus d'intégration adopté par la société Airbus Group et a consisté en 2004 à inclure dans le service de contrôle de gestion, la gestion des filiales et participations, service dépendant auparavant du secrétariat général, comme le rappelle M [N] lui-même dans l'attestation produite par M [R]. Au regard de cette décision de réorganisation, le service a été composé de trois personnes M [R] en charge du contrôle EADS HQ France, M [C] en charge de la gestion des filiales et participations et M [N] en qualité de responsable du service, organisation confirmée par M [N] dans son témoignage dont il indique qu'il n'était pas en mesure de la discuter. Il s'en déduit que M [R] s'est trouvé dans un positionnement hiérarchique identique à celui qu'il connaissait antérieurement.

Les comptes rendus annuels d'entretien de 2002-2003, 2005 et 2008 produits aux débats mettent en évidence une description identique des responsabilités de M [R] et l'absence de modification de l'organisation hiérarchique à son détriment. Le compte rendu pour l'année 2009 révèle que l'activité de M [R] comme en 2010 s'est essentiellement concentrée sur la justification fiscale des GSA (General Services Agreements), dès lors qu'ainsi que le rappelle le compte rendu relatif à l'exercice des mandats de l'appelant pour ces mêmes années, ce dernier à raison des mandats lourds détenus représentant environ 130 heures par mois de délégation, avait souhaité néanmoins conserver une activité au sein du service gestion représentant 4 à 5 jours par mois et se trouvait donc dans l'incapacité d'assumer des fonctions plus importantes.

Il est justifié par la société qu'à compter de la perte de ces mandats lourds début 2011, M [R] a été réintégré dans le service de contrôle de gestion tel qu'il avait évolué et était configuré et que le 17 mars 2011, Mme [L] lui a remis une description de ses fonctions et responsabilités, qui nonobstant ses contestations, correspondait à son niveau antérieur compte tenu de la poursuite de la réorganisation opérée dans le service. Au constant de tensions avec sa supérieure et une impossibilité de travailler au sein du service de contrôle de gestion, M [R] a sollicité de quitter ce service, demande relayée par le syndicat. Il apparaît que la société a proposé à l'appelant un poste à [Localité 5] en prévoyant un aménagement pour qu'il conserve ses fonctions syndicales sur le site de [Localité 6], proposition qui n'a pu aboutir.

Dès lors, la société produit des éléments objectifs qui établissent que l'évolution du contenu du poste de M [R] avec conservation de son niveau hiérarchique résulte de la nécessité d'assurer une plus grande intégration des services au sein du groupe et est étrangère à des agissements de harcèlement moral à son égard, ce d'autant qu'il convient d'observer que l'appelant n'a jamais usé des possibilités qui lui étaient offertes et qu'il ne peut prétendre méconnaître, de saisir les organes tels le CHSCT de la situation anormale qu'il estimait subir.

En conséquence, le manquement de l'employeur n'étant pas établi, la demande indemnitaire de M [R] ne peut être accueillie. Il en est de même de la demande du syndicat UGICT CGT Airbus Group.

De la même façon, M [R] ne peut invoquer un manquement de la société à son obligation de prévenir les faits de harcèlement moral.

Il n'apparaît pas inéquitable que chaque partie conserve la charge de ses fais irrépétibles. Les demandes à ce titre seront en conséquence rejetées.

Succombant en son recours, M [R] supportera les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour

Statuant publiquement, en dernier ressort, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a déclaré la juridiction prud'homale incompétente pour examiner les demandes formées par M [R] au titre du harcèlement moral,

Statuant à nouveau de ce chef,

Se déclare compétente pour statuer sur la demande indemnitaire au titre du harcèlement moral,

Déboute M [R] et la syndicat UGICT-CGT EADS France de leur demande de dommages et intérêts,

Rejette les demandes respectives au titre des frais irrépétibles,

Condamne M [R] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 17/03118
Date de la décision : 14/02/2019

Références :

Cour d'appel de Paris K7, arrêt n°17/03118 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-02-14;17.03118 ?
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