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31/01/2019 | FRANCE | N°18/26815

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 31 janvier 2019, 18/26815


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 31 JANVIER 2019



(n°66, 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/26815 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6ZHY



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Novembre 2018 -Tribunal de Commerce de CRETEIL - RG n° 2018BR0028



APPELANTE



SOCIETE J'OCEANE, agissant poursuites et diligences de son présiden

t y domicilié [...]

[...]



Représentée par Me Marie-Catherine X... de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

Assistée par Me Jean-Patrice C...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 31 JANVIER 2019

(n°66, 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/26815 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6ZHY

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Novembre 2018 -Tribunal de Commerce de CRETEIL - RG n° 2018BR0028

APPELANTE

SOCIETE J'OCEANE, agissant poursuites et diligences de son président y domicilié [...]

[...]

Représentée par Me Marie-Catherine X... de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

Assistée par Me Jean-Patrice C..., avocat au barreau de PARIS, toque : C0560

INTIMEE

SNC ETABLISSEMENTS RAYNAUD agissant poursuites et diligences de son représentant légal, la société R&O SEAFOOD GASTRONOMY SAS, elle-même représentée par son directeur général, Monsieur Mathias Y...

[...]

N° SIRET : 785 754 953

Représentée par Me Véronique D... de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148

Assistée par Me Christine B... E... B... - BOULANGER ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2208

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 20 Décembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:

M. Bernard CHEVALIER, Président

Mme Véronique DELLELIS, Présidente

Mme Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Bernard CHEVALIER dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : M. Aymeric PINTIAU

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Bernard CHEVALIER, Président et par Aymeric PINTIAU, Greffier.

Par acte du 10 septembre 2018, la SNC Etablissements Reynaud a fait assigner la SAS J'Océane devant le président du tribunal de commerce de Créteil qui, par ordonnance contradictoire rendue le6 novembre 2018, a:

- Dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer ;

- Constaté l'existence d'un trouble manifestement illicite ;

- Ordonné à la société J'Océane d'interdire formellement et effectivement à son salarié M. Z..., d'exercer en son sein toutes activités le mettant en concurrence directe avec la SNC Etablissements Reynaud, ce sous astreinte de 400 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification de cette ordonnance, et ce pendant une durée de 3 mois à l'issue de laquelle il sera fait à nouveau droit, si besoin est ;

- S'est réservé la faculté de liquider l'astreinte ;

- Rejeté la demande de dommages et intérêts de la SNC Etablissements Reynaud ;

- Condamné la société J'Océane à verser à la société Etablissements Reynaud la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejeté toutes autres demandes.

Par déclaration en date du 24 novembre 2018, la société J'Océane a fait appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions, excepté celle par laquelle elle a rejeté la demande de dommages et intérêts de la SNC Etablissements Reynaud et toutes autres demandes.

Par ordonnance du 30 novembre 2018, elle a été autorisée à faire assigner la SNC Etablissements Raynaud à l'audience du 20 décembre 2018.

Au terme de son assignation signifiée le 5 décembre 2018, la SAS J'Océane a demandé à la cour de :

- La recevoir en son appel et l'y dire bien fondée ;

- Confirmer l'ordonnance de référé rendue le 6 novembre 2018 en ce qu'elle a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Etablissements Reynaud ;

- Infirmer l'ordonnance de référé rendue le 6 novembre 2018 en ce qu'elle a :

- constaté l'existence d'un trouble manifestement illicite ;

- ordonné à la société J'Océane d'interdire formellement et effectivement à son salarié M. Z... d'exercer en son sein toutes activités le mettant en concurrence directe avec la SNC Etablissements Reynaud, ce sous astreinte de 400 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification de cette ordonnance, et ce pendant une durée de 3 mois à l'issue de laquelle il sera fait à nouveau droit, si besoin est;

- réservé la faculté de liquider l'astreinte ;

- l'a condamnée à verser à la société Etablissements Reynaud la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau :

- Constater l'existence d'une contestation sérieuse excluant la compétence du juge des référés ;

- Constater l'absence d'un quelconque trouble manifestement illicite ;

-Débouter en conséquence la société Etablissements Reynaud de l'ensemble de ses prétentions;

- Condamner la société Etablissements Reynaud au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société J'Océane a fait valoir en substance les éléments suivants :

- Elle fait partie avec la SNC Etablissements Reynaud des trois principaux opérateurs du négoce en gros de produits de la mer sur le Marché d'Intérêt National de Rungis ; elle dispose comme cette société d'emplacements sous le Pavillon de la Marée, dits «carreaux» où se déroule, de nuit, le marché dit «physique» où viennent s'approvisionner les restaurateurs et, surtout, les détaillants de marchés et de poissonneries ainsi qu'une clientèle étrangère; il s'agit d'un marché où les commerçants circulent entre les travées afin de choisir, d'un mandataire à l'autre, les produits qui présentent le meilleur rapport qualité/prix;

- La SNC Etablissements Reynaud entend restreindre ses activités sous le Pavillon de la Marée dont l'activité a diminué et elle a décidé de «pousser vers la sortie» une partie de son personnel expérimenté et onéreux à ses yeux afin de procéder à des embauches sur des bases salariales nettement plus avantageuses pour elle; elle fait ainsi l'objet de 32 procédures prud'homales actuellement pendantes devant le conseil de Prud'hommes de Créteil; cependant, elle met tout en oeuvre afin d'empêcher ses anciens salariés de prendre à concession un emplacement sous le Pavillon de la Marée; c'est pourquoi plusieurs d'entre eux ont décidé de rejoindre la concluante;

- C'est dans ce contexte que M. Z..., ancien salarié de la SNC Etablissements Reynaud, a décidé de la rejoindrele 20 août 2018 au terme de son préavis suivant sa démission le 20 juin 2018;

- Elle ignorait que celui-ci était tenu par une clause de non-concurrence; M. Z... lui avait affirmé que tel n'était pas le cas et il l'a confirmé dans le contrat de travailqu'ils ont conclu;

- Les demandes de la SNC Etablissements Reynaud se heurtent à des contestations sérieuses dès lors, premièrement, qu'il existe un doute sur la validité de la clause de non concurrence, celle-ci faisant l'objet d'une instance en annulation engagée par M. Z... devant le conseil des Prud'hommeset l'appréciation de la validité de cette clause ne relevant pas de la compétence de la juridiction de céans ; deuxièmement, à supposer que l'action de l'intimée porte sur la concurrence déloyale qui résulterait de l'emploi de M. Z..., elle n'a commis aucune faute, puisqu'elle ignorait le fait que celui-ci était lié par un tel engagement ;

- C'est elle qui se trouve en situation de péril imminent, l'interdiction prononcée par le premier juge ayant pour effet de mettre en cause non seulement l'exécution du contrat de travail de M. Z... mais également, à très court terme, la présence de ce dernier dans l'entreprise, car elle ne peut pas l'affecter à un autre poste ni lui verser sa rémunération, d'un montant brut de 3337,20 euros outre les commissions, sans aucune contrepartie.

Dans ses conclusions en défense communiquées le 19 décembre 2018, la SNC Etablissements Reynaud a demandé à la cour de :

- Déclarer la société J'Océane irrecevable et à tout le moins mal fondée en son appel;

- Confirmer l'ordonnance du tribunal de commerce de Créteil en ce qu'elle a:

- constaté l'existence d'un trouble manifestement illicite;

- ordonné à la société J'Océane d'interdire formellement et effectivement à son salarié M. Z... d'exercer en son sein toutes activités le mettant en concurrence directe avec la SNC Etablissement Reynaud, ce sous astreinte de 400 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification de l'ordonnance, et ce pendant une durée de 3 mois à l'issue de laquelle il sera fait à nouveau droit, si besoin est;

- réservé la faculté de liquider l'astreinte;

- condamné la société J'Océane à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Y ajoutant,

- Condamner la société J'Océane à lui payer la somme de 20 000 euros, à titre de provision à valoir sur les dommages-intérêts pour acte concurrence déloyale consistant à avoir embauché M. Z... pourtant lié par une clause de non concurrence;

En conséquence,

- Liquider l'astreinte ordonnée par le tribunal de commerce de Créteil et condamner la société J'Océane à lui payer la somme de 13 200 euros au titre de l'absence d'exécution des dispositions de l'ordonnance de référé rendue à son encontre le 6 novembre 2018 par le tribunal de commerce de Créteil;

- Ordonner à la société J'Océane de communiquer le contrat de travail de M. Z... ainsi que l'avenant modifiant ses fonctions, justifiant ainsi de la bonne exécution de l'ordonnance rendue par le tribunal de commerce de Créteil en référé;

- Condamner la société J'Océane à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel.

La SNC Etablissements Raynaud a exposé en résumé ce qui suit :

- La démission de M. Z... suivie de son embauche simultanée par la société J'Océane s'inscrit dans un contexte général de concurrence déloyale de cette société qui a déjà débauché 7 de ses anciens salariés, dont plusieurs occupaient des postes clés ;

- M. Z... a été engagé, par contrat à durée indéterminée du 25 juin 2004, en qualité de vendeur preneur d'ordre, coefficient 150 ; son contrat de travail prévoyait une clause de non-concurrence; par avenant du 22 mai 2012, M. Z... est devenu vendeur et il a obtenu le statut d'agent de maîtrise, coefficient 220 ; par avenant du 29 septembre 2017, il a été promu chef de ventes adjoint, statut cadre, coefficient 300; cet avenant comportait également une clause de non-concurrence ;

- M. Z... a démissionné par lettre simple non datée reçue par la société le 19 mars 2018 et, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, il lui a demandé le « retrait de la clause de non-concurrence»; elle lui a répondu par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 7 août 2018 ne pouvoir donner suite à sa demande;

- M. Z... a été embauché par la société J'Océane à compter du 20 août 2018; elle l'a fait constater par huissier au siège de cette société le 23 août 2018 sur ordonnances du tribunal de commerce de Créteil des 8 mars et 15 mai 2018;

- le 24 août 2018, elle a adressé à M. Z... une sommation par lettre recommandée avec demande d'avis de réception de rompre immédiatement et sans délai toutes relations professionnelles avec la société J'Océane; par courrier officiel du même jour, son conseil a rappelé au conseil de la société J'Océane l'existence d'une clause de non-concurrence liant M. Z... à son ancien employeur;

- Il existe un trouble manifestement illicite qu'elle est fondée à vouloir faire cesser pour les motifs suivants : le nouvel employeur qui engage une personne liée par une clause de non-concurrence commet une faute constitutive de concurrence déloyale qui engage sa responsabilité délictuelle; l'absence de décision de la juridiction prud'homale sur la validité d'une clause de non-concurrence post-contractuelle n'empêche pas la juridiction commerciale de se prononcer sur la question d'une éventuelle complicité du nouvel employeur ; pour que la responsabilité de ce nouvel employeur soit engagée, il suffit qu'il ait eu connaissance de l'existence de la clause ; la faute est constituée s'il n'a pas rompu le contrat dès qu'il a eu cette connaissance ;

- La clause stipulée dans le contrat de travail de M. Z... puis dans l'avenant est valable en ce qu'elle est limitée dans le temps et dans l'espace à la région Ile de France et était rémunérée;

- La société J'Océane ne saurait arguer avoir des difficultés à rompre le contrat de travail conclu avec M. Z... alors que celui-ci lui a menti ; en outre, il peut se voir confier d'autres fonctions au sein de cette société ;

- La juridiction commerciale est compétente pour se prononcer sur le moyen soulevé en défense tenant à la validité de la clause de non concurrence et l'appelante n'a pas demandé en appel qu'il soit sursis à statuer jusqu'à la décision du conseil des Prud'hommes, lequel n'a pas été saisi en référé ;

- Elle a fait évaluer par expert le préjudice que lui cause la concurrence déloyale exercée par la société J'Océane et cette évaluation s'élève à 7881000 euros ;

- la sanction prévue par l'ordonnance attaquée doit être mise en oeuvre, la preuve étant rapportée que celle-ci n'a pas été exécutée.

SUR CE LA COUR

Sur le trouble manifestement illicite

Selon l'article 873 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence de ce tribunal et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.

L'employeur qui garde à son service un salarié après qu'il a appris que ce dernier était lié à son ancien employeur par une clause de non concurrence et qui, en poursuivant l'exécution de ce contrat de travail, permet à ce salarié d'enfreindre cette clause et d'exercer au préjudice de son ancien employeur une concurrence déloyale, se rend auteur à l'égard de ce dernier d'un trouble manifestement illicite.

Dans l'affaire examinée, il est justifié aux débats et non contesté que M. Z... était lié à la SNC Etablissements Reynaud par la clause de non concurrence suivante, stipulée à l'article 9 de l'avenant à son contrat de travail en date du 29 septembre 2017:

'Compte tenu de la nature de ses fonctions et des informations et méthodes de travail spécifiques et confidentielles dont il aura connaissance M. Michel Z... s'engage en cas de cessation du présent contrat quelle qu'en soit la cause (sauf licenciement pour motif économique) :

- à ne pas entrer au service d'une entreprise concurrente opérant dans le négoce de gros des produits de la mer et/ou qui est impliquée dans la production l'importation et la distribution coquillages crustacés et plus généralement de fruits de mer comestibles;

- à ne pas s'intéresser, directement ou indirectement, sous quelque forme que ce soit, à une entreprise ayant des activités telles que décrites ci-dessus'.

L'interdiction de concurrence est limitée à une période d'un (1) an à compter de la cessation du présent contrat de travail et couvre la région de l'Ile de France.

En contrepartie de l'obligation de non-concurrence prévue ci-dessus, M. Michel Z... percevra après la cessation de son contrat et pendant toute la durée de cette interdiction une indemnité spéciale forfaitaire versée chaque mois égale à 30 % de la moyenne mensuelle du salaire brut perçu par ce dernier au cours de ses 3 derniers mois de présence dans l'entreprise.

Toute violation de la présente interdiction de non-concurrence libérera la Société de la contrepartie dont elle est redevable et ce à compter de la constatation de l'infraction. Par, ailleurs, toute infraction tout non respect de cette interdiction exposera le Salarié au paiement de dommages et intérêts d'un montant équivalent à celui des sommes qu' il aura déjà perçues au titre de l'indemnité de non concurrence susvisée, augmentés de dommages et intérêts réparant le préjudice subi par la Société.

La Société se laisse, en outre, la faculté de demander judiciairement et sous astreinte la cessation du trouble résultant des actes de concurrence menés par le Salarié, telles [sic] que définis ci-dessus.

La Société se réserve la faculté, en toutes circonstances, de renoncer à l'application de la clause de non-concurrence, à condition toutefois d'en informer le salarié par lettre recommandée avec accusé de réception au plus tard dans le délai de 15 (quinze) jours suivant son départ effectif de la Société.'

La SNC Etablissements Raynaud justifie par la production à son dossier de sa lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 7 août 2018 qu'elle a informé M. Z..., qui a démissionné par lettre du 20 juin 2018, de son refus d'accéder à la demande de celui-ci de mainlevée de cette clause.

Elle prouve également par la sommation interpellative faite à la société J'Océane le 23 août 2018 que M. Z... a été embauché par cette société à compter du 20 août 2018 et que, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 24 août 2018, elle a rappelé à ce dernier les termes de la clause précitée et l'a mis en demeure de rompre immédiatement toute relation de travail avec ce nouvel employeur.

Elle démontre encore par la production aux débats de la lettre de son conseil en date du 24 août 2018 avoir informé le conseil de l'appelante de ce que M. Z... était lié par la clause susvisée et avoir demandé la cessation de la relation de travail avec ce dernier.

En outre, il n'est pas contesté par la SAS J'Océane qu'elle a embauché M. Z... à compter du 20 août 2018 et que les fonctions que celui-ci exerce pour son compte le sont en violation de l'engagement qu'il a contracté à l'égard de la SNC Etablissement Raynaud en ce qu'elles le mettent en concurrence avec cette dernière.

La société J'Océane soutient toutefois que les demandes de la SNC Etablissements Reynaud ne sauraient être accueillies en référé au motif, premièrement, que la clause de non concurrence sur laquelle celle-ci fonde son action ferait l'objet d'une action en annulation pendante devant le conseil de Prud'hommes.

Mais il relève des pouvoirs du juge commercial statuant en référé, saisi d'une demande visant à voir juger que la violation d'une clause de non concurrence constitue un trouble manifestement illicite, d'apprécier avec l'évidence requise en référé si cette clause peut recevoir application.

La cour relève, à cet égard, que la clause de non concurrence imposée à M. Z... paraît, avec l'évidence requise en référé, justifier par un motif légitime tenant à la nature particulière de la fonction exercée par M. Z... au service de l'intimé, de vendeur puis de chef des ventes adjoint, et des relations particulières qu'il a nouées dans ce cadre avec la clientèle dans le secteur d'activité très spécifique du carreau à Rungis.

La cour relève également que la clause litigieuse est limitée dans l'espace et dans sa durée, soit sur la région Ile de France et pendant un an à compter de la cessation de son contrat de travail.

Enfin, la clause prévoit en faveur de M. Z... une contrepartie qui ne peut pas être tenue pour dérisoire, s'agissant, pendant toute sa durée, d'une indemnité spéciale forfaitaire versée chaque mois égale à 30 % de la moyenne mensuelle du salaire brut perçu par ce dernier au cours de ses 3 derniers mois de présence dans l'entreprise.

En outre, la SAS J'Océane ne fait valoir dans ses écritures aucun argument de nature à mettre en cause la validité de la clause litigieuse.

La SAS J'Océance évoque, deuxièmement, le fait qu'elle n'avait pas été informée par M. Z... de l'existence de cette clause, qu'elle est liée par le contrat de travail conclu avec celui-ci et qu'il ne saurait lui être imposé de le rémunérer sans qu'il effectue les prestations pour lesquelles il a été embauché.

Certes, il ressort du contrat de travail qu'elle a conclu avec M. Z... en date du 20 août 2018 que celui-ci, à l'article 1er, a déclaré être libre de tout engagement vis-à-vis de son ancien employeur.

Mais cette circonstance ne saurait mettre en cause le caractère manifestement illicite créé par la violation de la clause litigieuse résultant du maintien de l'affectation de M. Z... par la société J'Océane à une activité contraire à celle-ci dès lors qu'elle a été dûment informée de son existence.

La cour relève, en outre, que le contrat de travail que la SAS J'Océane a conclu avec M. Z... prévoit expressément que toute fausse déclaration de celui-ci relativement à son absence d'engagement avec son ancien employeur est de nature à mettre en cause sa responsabilité.Il appartient à la SAS J'Océane, le cas échéant, d'en tirer toute conséquence.

Il s'ensuit que l'ordonnance attaquée doit être confirmée en ce qu'elle a constaté l'existence d'un trouble manifestement illicite.

Sur la liquidation de l'astreinte

La SNC Etablissement Raynaud justifie avoir fait signifier l'ordonnance attaquée à la SAS J'Océane par acte du 9 novembre 2018.

Elle produit aux débats trois attestations régulières en la forme selon lesquelles M. Z... était présent sur le site de vente de la SAS J'Océane le 20 novembre 2018.

Cette dernière ne conteste pas ce fait. Elle ne justifie pas non plus ni même ne prétend dans ses écritures avoir affecté M. Z... depuis cette date à une fonction dans laquelle il ne serait pas en concurrence avec la SNC Etablissements Raynaud et avoir ainsi exécuté l'obligation mise à sa charge par l'ordonnance attaquée.

L'ordonnance attaquée doit, par conséquent, être confirmée en ce qu'elle a ordonné à la société J'Océane d'interdire formellement et effectivement à son salarié M. Z..., d'exercer en son sein toutes activités le mettant en concurrence directe avec la SNC Etablissements Reynaud, cela sous astreinte de 400 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification de cette ordonnance, et ce pendant une durée de 3 mois à l'issue de laquelle il sera fait à nouveau droit, si besoin est.

Il convient également, en application de l'article 566 du code de procédure civile, de faire droit à la demande de la SNC Etablissements Raynaud de liquidation de cette astreinte.

En vertu de l'article L 131-4 du code des procédures civiles d'exécution, le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter.

La SA J'Océane a soutenu au soutien de sa demande se trouver dans l'impossibilité d'affecter M. Z... à un autre poste que celui qu'il occupe en violation de la clause de non concurrence citée ci-dessus mais force est de constater qu'elle ne produit pas d'élément justificatif de ses effectifs et de son organisation pouvant étayer cette affirmation.

Elle ne justifie pas non plus avoir engagé la moindre action en vue d'exécuter l'ordonnance attaquée, de sorte qu'il y a lieu de la condamner à payer à la SNC Etablissement Raynaud la somme de 13200 euros au titre de l'astreinte ayant couru à compter du 17 novembre 2018 jusqu'au 20 décembre 2018.

Sur la demande de provision

Selon l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut accorder une provision au créancier dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

La SNC Etablissements Reynaud produit à l'appui de sa demande de provision un rapport d'expertise établi par M. A... au terme duquel les agissements de la société J'Océane et de ses anciens salariés, soit Mrs Correia, Belkateb, Olhagaray, Jacquelin, Loubes, Clasquin et Z... lui ont causé un préjudice pouvant être estimé à 275000 000 d'euros.

Ce rapport d'expertise, qui fait une appréciation globale du préjudice allégué par l'intimée et qui est non contradictoire, ne permet pas de déterminer avec l'évidence requise en référé le préjudice causé par la SAS J'Océane par les faits qui lui sont reprochés dans le cadre de cette instance et tenant au maintien de sa relation salariale avec M. Z... à compter du jour où elle a été informée de l'existence de la clause de non-concurrence liant celui-ci à son ancien employeur.

Si la demande de la SNC Etablissements Reynaud doit être tenue pour non sérieusement contestable dans son principe, elle ne peut l'être à titre provisionnel dans son quantum qu'à hauteur de la somme de 1 euro.

L'ordonnance attaquée sera donc infirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de dommages et intérêts de la SNC Etablissements Reynauc et, statuant à nouveau de ce chef, la SAS J'Océane sera condamnée à lui payer à titre de provision la somme de 1 euro.

Sur la demande de production de pièces

La SNC Etablissements Reynaud demande à la cour d'ordonner à la société J'Océane de communiquer le contrat de travail de M. Z... ainsi que l'avenant modifiant ses fonctions, justifiant ainsi de la bonne exécution de l'ordonnance rendue par le tribunal de commerce de Créteil en référé.

Elle ne précise pas le fondement de cette demande et la société J'Océane n'a pas prétendu dans ses écritures avoir exécuté l'ordonnance attaquée.

Il sera dit n'y avoir lieu à référé sur cette demande.

Sur les dépens et les frais de procédure

Le premier juge a fait une application équitable de l'article 700 du code de procédure civile et fondée de l'article 696 du même code, de sorte que l'ordonnance attaquée doit aussi être confirmée de ces chefs.

En cause d'appel, la SAS J'Océane, dont le recours est rejeté, devra supporter les dépens, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

L'équité commande de décharger la SNC Etablissements Reynaud des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû engager dans le cadre du présent litige et de lui allouer ainsi, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 5000 euros.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de commerce de Créteil le6 novembre 2018en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a rejeté la demande de dommages et intérêts de la SNC Etablissements Reynaud ;

Statuant à nouveau de ce chef et ajoutant à celle-ci,

Condamne la SAS J'Océane à payer à la SNC Etablissements Reynaud la somme provisionnelle de 1 euro à valoir sur la réparation de son préjudice ;

Condamne la SAS J'Océane à payer à la SNC Etablissements Reynaud la somme de 13200 euros au titre de la liquidation de l'astreinte ayant couru à compter du 17 novembre 2018 jusqu'au 20 décembre 2018;

Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de condamnation de la société J'Océane à communiquer le contrat de travail de M. Z... ainsi que l'avenant modifiant ses fonctions, justifiant ainsi de la bonne exécution de l'ordonnance rendue le 6 novembre 2018;

Condamne la SAS J'Océane aux dépens d'appel et à payer à la SNC Etablissements Reynaud la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 18/26815
Date de la décision : 31/01/2019

Références :

Cour d'appel de Paris A2, arrêt n°18/26815 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-01-31;18.26815 ?
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